Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les les défis alimentaire, économique et environnemental à relever par l'agriculture et ses agriculteurs, Paris le 9 novembre 2006.

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Circonstance : Assises de l'Agriculture à Paris le 9 novembre 2006

Texte intégral

1 - J'ai souhaité la tenue d'Assises de l'agriculture, journée d'échange autour des trois grands défis que doit relever l'agriculture française pour trois raisons :
- La première pour répondre à Tony Blair qui caractérisait l'agriculture comme une activité du passé alors que c'est un des éléments constitutifs de notre avenir. Je ne citerai que quelques chiffres significatifs : la production agricole française représente 63 milliards d'euros, pour 370 000 exploitations professionnelles.
Un million huit cent mille personnes, en France, travaillent dans les secteurs de l'agriculture, des industries agroalimentaires, de la sylviculture et de la pêche. Cela représente 7,5% de nos emplois. La France exporte pour 40 Milliards d'euros de produits agricoles et transformés, avec un solde commercial positif de 8 Milliards, solde qui sera amélioré en 2006 .
Ces chiffres montrent bien tout l'enjeu du développement d'une agriculture innovante, d'une production agricole de qualité, présente sur les marchés internationaux.
- La deuxième pour prolonger la réflexion entamée fin 2005 début 2006 qui avait conduit au dépôt du mémorandum sur la PAC réformée qui a reçu le soutien d'une bonne quinzaine d'états-membres. Il m'est apparu utile de bâtir sur les concepts que nous avions abordés à cette occasion
- La troisième pour anticiper les évolutions qui se dessinent tant au niveau du cadre réglementaire qu'il soit multilatéral ou européen qu'au niveau du développement technologique avec les biocarburants ou biomatériaux. Un examen de santé de la PAC est prévu en 2008. Nous voyons des échéances pour 2013. Nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux en matière d'incorporation de biocarburants pour 2015. Il importe d'anticiper pour maîtriser notre avenir.
2- Les Assises s'ouvriront à un public beaucoup plus large que celui des experts, et mettront l'accent sur le lien entre le monde agricole et la société dans son ensemble. En préparation à cette journée, une étude a été commandée sur les attentes des agriculteurs et du grand public concernant l'avenir de l'agriculture. Le principe des « regards croisés » entre le grand public et les agriculteurs a été privilégié, afin de mieux cerner les différences et les points de convergence.
3- Le déroulement des Assises s'organisera autour des trois grands défis de l'agriculture : le défi alimentaire, le défi économique et le défi environnemental. Sur chacun de ces thèmes, une table-ronde réunira des personnalités qualifiées venues d'horizons différents. Les interventions seront précédées par un clip, sous forme de montage vidéo, rassemblant quelques témoignages choisis.
Au regard des premiers résultats de l'enquête d'opinion, je suis en mesure de vous présenter aujourd'hui la manière dont se pose, à la fois aux yeux des agriculteurs et du grand public, les trois défis pour l'agriculture de demain.
le défi alimentaire
L'avenir de l'alimentation est la question qui préoccupe le plus le grand public.
Est-ce que l'agriculture française a vocation à nourrir le monde et de se conformer à la vocation de grande puissance agricole, qui est la sienne depuis un demi-siècle ? Ou bien est-il souhaitable que nous mettions en place des outils renforcés de protection, de manière à faire vivre une exception économique qui contribue à la vitalité des territoires ruraux, et répond aux attentes des consommateurs ? Est-ce que les citoyens, à la fois contribuables et consommateurs, seraient prêts à payer le prix plus élevé de cette seconde option ?
Il n'est pas sûr que nous devions ici admettre une alternative. La croissance de la demande alimentaire mondiale, mais aussi l'exigence de qualité et de traçabilité, représentent une chance pour l'agriculture française.
Concernant la qualité, le lien avec le terroir qu'indiquent les signes de l'origine et de la qualité n'est-il pas aujourd'hui une réponse appropriée aux attentes des consommateurs ? La question de la qualité renvoie au problème plus général de l'image des agriculteurs et de leur métier. Comment valoriser le métier d'agriculteur, afin de permettre aux jeunes générations de le choisir ?
Plusieurs questions cruciales seront abordées lors de la table ronde. Allons-nous vers une spécialisation des productions agricoles par continent ou par pays ? Le développement des biocarburants et des bioproduits, par exemple les sacs réalisés à partir d'amidon de maïs, ou de fécule de pomme de terre, offre à l'agriculture la chance d'une diversification, mais pose aussi le problème d'un possible conflit d'usages. Entre productions alimentaires et valorisation non alimentaires des produits agricoles, la France peut-elle répondre présente à tous les niveaux ?
Le défi économique
Le marché mondial est une réalité dans le domaine agricole depuis longtemps. L'Europe a mis en place, depuis cinquante ans une politique agricole commune, bien présente sur les marchés nationaux, et largement protectrice pour les Etats membres. C'est le cadre dans lequel l'agriculture française a renforcé sa compétitivité, et répondu en même temps aux attentes de la société. Ce schéma pourra-t-il être perpétué au-delà de l'échéance de 2013 ?
Le principe des regards croisés entre les agriculteurs et le grand public fait apparaître d'un côté l'agriculteur comme chef d'entreprise, de l'autre comme jardinier du paysage. Comment concevoir l'avenir économique d'une agriculture soumise à ces deux exigences très différentes ? Comment mettre en place des formes plus avantageuses et plus justes de rémunération par les prix, et de soutien accru au développement rural ? Si l'on se pose la question d'un partage plus équitable de la richesse produite, le pari de la qualité est-il une réponse appropriée et suffisante ?
Faut-il élaborer de nouveaux outils de politique agricole permettant de maîtriser les risques et de gérer les crises ? Quel doit être le rôle des producteurs organisés en groupement ou en interprofession. Ces formes d'organisation et ces nouveaux outils sont ils compatibles avec les règles de concurrence ? La société formule à l'égard des agriculteurs des exigences fortes, traduites dans le rehaussement régulier des normes environnementales et sanitaires. La société exige des agriculteurs qu'ils soient des citoyens modèles. Ne faudrait-il pas que leur rôle et leurs efforts, en échange soient davantage reconnus ? De quelle manière peuvent-ils l'être ?
Le problème se pose concrètement, dans la mesure où les défis de l'environnement et de la qualité doivent rester compatibles avec la compétitivité des entreprises, pour les agriculteurs. La question que se posent les agriculteurs est d'abord celle de la rentabilité de leur entreprise et de leur activité. Le cadre national et communautaire de l'agriculture française doit-il être renforcé, afin de donner aux agriculteurs les moyens de lutter avec des pays qui n'appliquent pas le même niveau d'exigence ?
Là aussi, le débat de la table ronde consacrée au défi économique aborde des questions cruciales. Peut-on concilier un niveau très élevé de sécurité sanitaire, tout en restant efficaces dans la course mondiale à la compétitivité ? Quels sont les projets collectifs innovants, sur nos territoires, et avec quels financements les soutenir ? Les entreprises agricoles sont-elles des entreprises comme les autres, ou bien doit-on mettre en place des conditions d'assurance, par exemple, qui répondraient à une exposition spécifique aux risques ?
le défi écologique
La question de l'eau et des pesticides occupent régulièrement le devant de la scène médiatique. Les pollutions d'origine agricole peuvent conduire le grand public à stigmatiser les agriculteurs sans voir les progrès réalisés. Le grand public ne semble pas percevoir le changement qui a mis fin à la logique productiviste, depuis 1992, dans le cadre de la politique agricole commune. Comment procéder à une révision d'image, par exemple auprès des habitants du monde rural qui sont conscients des menaces pesant sur leur cadre de vie, mais aussi du rôle positif joué par les agriculteurs dans sa préservation ? Faut-il renforcer la conscience écologique des jeunes agriculteurs, pour conforter ce rôle ?
L'agriculteur construit l'espace rural et fait vivre les territoires ruraux. La bonne gestion des ressources, c'est aussi la préservation d'un outil de travail. Il semble que des orientations consensuelles soient possibles, afin de donner à l'agriculture française la plus grande transparence écologique souhaitée par la société.
L'agriculteur est aussi un acteur du développement économique durable, à travers le lien particulier qu'il entretient avec les territoires, mais aussi à travers les nouveaux débouchés, pour l'agriculture, que sont les biocarburants et les bioproduits. Comment intégrer cette fonction de l'agriculture qui pourrait s'avérer demain essentielle, concernant par exemple les puits de carbone ?
Les Français conservent leur confiance en leurs agriculteurs. De leur côté, les agriculteurs peuvent-ils formuler certaines demandes à l'égard des autres citoyens, afin de mieux faire reconnaître leur rôle ? Comment rendre solvables les fonctions non marchandes de l'agriculture, éléments consensuels de la qualité de la vie en milieu rural ? Comment valoriser ce premier maillon de la chaîne alimentaire, dont tout le reste dépend ? Quelles sont aussi les limites de l'agriculture dans sa capacité à affronter le défi écologique ?
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 10 novembre 2006