Entretiens de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec la chaîne "CFI" le 16 et avec "Europe 1" le 17 janvier 2001, sur le XXIème sommet France-Afrique, les relations franco-africaines, l'aide internationale à l'Afrique, les investissements en Afrique, la situation politique en Côte d'Ivoire et la mort du Président de la République démocratique du Congo Laurent- Désiré Kabila.

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Circonstance : Réunion du XXIème sommet France-Afrique, à Yaoundé, Cameroun, les 16 et 17 janvier 2001

Média : CFI - Europe 1

Texte intégral

Entretien avec la chaïne "CFI", Yaoundé, Cameroun, le 16 janvier 2001
Q - Eh bien Monsieur le Ministre, ce matin vous avez eu l'occasion d'intervenir à la réunion ministérielle du XXIème Sommet Afrique-France pour parler des liens entre l'Afrique et l'Europe. Alors, est-ce à dire que la France souhaite que l'Europe prenne le relais de son action ou soit un supplément à cette action en Afrique ? Comment se situe l'Europe ?
R - J'ai quand même surtout parlé des liens entre la France et l'Afrique. Mais, il est vrai que je me suis efforcé que l'on oppose - et certains le font - la relation entre l'Europe et l'Afrique et la relation entre la France et l'Afrique. La France a une histoire particulière avec l'Afrique, mais elle est consciente, et les Africains aussi, que ce n'est pas un seul pays, fut-il la France, fut-il le mieux orienté possible pour aider l'Afrique, qui va suffire pour aider l'Afrique à se sortir des difficultés qui sont les siennes. Il faut au moins l'Europe et cet après-midi, Hubert Védrine aura l'occasion d'en parler et de voir comment la construction européenne permet à l'Europe d'exister mieux par rapport à la mondialisation. Mais l'Afrique a aussi besoin du reste du monde et il est clair que de plus en plus, c'est quand même bien dans les lieux multilatéraux, Fonds monétaire, Banque mondiale, Organisation des Nations unies, qu'il faut mobiliser les énergies et enfin réussir le développement.
Q - Pour en revenir un instant à l'Europe, on a souvent pensé et l'Afrique a beaucoup craint, lors de la chute du Mur de Berlin, que l'Europe, avec le poids de l'Allemagne, ne se tourne délibérément vers l'Est et que le continent noir soit oublié. Est-ce que vous avez ce sentiment, cette dynamique existe-t-elle, devez-vous lutter contre elle au sein de l'Europe ?
R - Il est exact que tous les pays européens n'ont pas la même sensibilité vis-à-vis de l'Afrique. Là encore, leur histoire l'explique ; l'Allemagne, nous le savons, regarde à l'Est depuis plus longtemps. Pour autant, moi j'observe qu'à l'occasion du Conseil Développement du 10 novembre, qui a eu lieu sous présidence française, en l'occurrence sous la mienne, nous avons réussi, et c'était très important, à refonder, en quelque sorte, une politique européenne d'aide au développement. Quand on dit aide au développement, c'est plutôt à l'Afrique que l'on pense. L'objectif était de mettre fin à une contradiction qui veut que si l'Europe est le premier, et de très loin, bailleur de fonds (55 % de l'aide publique au monde est apportée par l'Europe, si je totalise l'Europe et les pays membres), de toute évidence, la voix de l'Europe n'est pas suffisamment entendue dans les enceintes internationales dont je parlais à l'instant. Elle n'est pas suffisamment entendue parce que les Européens n'ont pas encore su se mettre d'accord entre eux sur les orientations qu'ils voudraient donner, justement, à ces grandes politiques d'aide au développement. Et je crois que le fait d'avoir réussi à convaincre les quatorze autres de se mettre d'accord sur des orientations politiques fortes en matière de développement permet à l'Europe d'espérer un peu plus dans les enceintes - je le répète - où l'avenir du monde se décide, y compris l'avenir des pays en développement.
Q - Alors, un peu plus, sans doute en termes financiers, naturellement, mais quand on survole l'actualité africaine, c'est un survol forcément très incomplet et très imprécis, qu'est-ce qu'on trouve ? On trouve l'augmentation de la pauvreté, l'augmentation du chômage, le sida, évidemment, l'augmentation de la dette, avec toutes les difficultés que l'on a à la réduire même si la France a fait des remises de dette considérables. On a le sentiment qu'il n'y a pas de solution, on a le sentiment que cela fait quarante ans que l'on fait de l'aide au développement sans avoir vraiment de résultats tangibles, bref un peu un tonneau des danaïdes et dans le même temps, le FMI, la Banque mondiale sont systématiquement critiqués pour avoir une action qui semble négative. Alors, comment faire pour que tout ça devienne enfin positif ?
R - Sur le constat, je crois que tout le monde s'accorde, le rapport de la Banque mondiale, celui du PNUD, autre grand organisme qui est préoccupé de développement, peut-être aussi le bilan qu'on aura porté à la fin de cette année sur le siècle qui vient de se terminer. Ce siècle, je le rappelais ce matin, aura produit plus de richesses à l'échelle de la planète que celle-ci n'en a produit depuis qu'elle tourne. C'est considérable. Pendant ce vingtième siècle, la population mondiale se sera multipliée par 6, c'est tout à fait impressionnant. Bref, on n'a jamais été aussi riches, mais le monde n'a jamais été aussi inégal. Et il est vrai que, quand on parle d'inégalités, là encore les regards se portent plutôt vers l'Afrique, inégalités en termes d'espérance de vie, une espérance de vie qui est en train de reculer à cause du sida. J'étais à Windhoek pour la Journée mondiale du sida, j'étais aux côtés de la ministre de la Santé namibienne, dans un pays, qui est, comme vous le savez, avec l'Afrique du Sud, le Botswana, et quelques autres, parmi les plus touchés par ce fléau. L'espérance de vie s'améliorait, se situant autour de 50 ans. Certains pays aujourd'hui craignent de redescendre à 35 ou 38 ans. C'est dire la violence de cette épidémie. Inégalités dans l'accès aussi, évidemment, aux nouveaux moyens de communication. Le fossé numérique est en train de s'ajouter aux autres, c'est tout à fait préoccupant.
Alors, la question, évidemment, que l'on ne peut pas ne pas se poser, c'est de dire, "mais attendez, cela fait quarante ans que les indépendances ont été acquises ou octroyées ou gagnées pour beaucoup de pays. Beaucoup d'efforts ont été entrepris, beaucoup d'argent investi et le résultat serait celui-là". Je crois que la question de l'efficacité des politiques de développement est totalement posée aujourd'hui. Nous avons essayé de répondre à ces préoccupations et la France, de son côté, s'y attache, depuis déjà un certain temps. La réforme du dispositif français de coopération, voulue par Lionel Jospin et mise en uvre au cours de la dernière période, répond à cette ambition. Des questions sont posées concernant les procédures de dialogue, la mobilisation des volontés, la responsabilisation mais aussi sur l'argent dont on peut se demander s'il va là où c'est le plus nécessaire.
La question sur la lutte de la pauvreté est aujourd'hui un peu la grande question et lorsque l'on parle de lutte contre la pauvreté, cela signifie en particulier accès à l'école, accès à la santé. Je crois que cette lutte contre la pauvreté doit être évidemment le premier objectif. Il y a à cet égard un changement intéressant dans les politiques de la Banque mondiale. La lutte contre la pauvreté est devenue centrale.
Q - Oui, mais est-ce que cela ne consiste pas à continuer de donner ?
R - Oui, mais les choses évoluent. Je pense par exemple que l'initiative du désendettement, le fameux "PPTE", en faveur des pays pauvres, très endettés, est un élément nouveau important. Quelque part, une révolution est en train de s'accomplir. D'abord, parce que c'est la société civile qui a porté cette revendication, fortement, les civils du Nord et du Sud. On peut penser parfois différemment sur la société civile, mais reconnaissons lui ce mérite d'avoir bousculé les politiques et d'avoir obligé ceux-ci finalement à accepter d'alléger le fardeau.
Q - Alors, on réduit les dettes, considérablement parfois, que met-on en face comme demandes ?
R - Réduire les dettes en effet, c'est une chose, mais pour faire quoi ? La question se pose dans les pays qui vont bénéficier de cette facilité. 22 pays auront atteint ce que l'on appelle le point de décision à la fin de l'année 2000 et sur les 22, 18 africains, c'est considérable. Et parmi les africains, 10 francophones. Le Cameroun fait partie des pays qui vont bénéficier d'une aide massive au travers de ce désendettement. La question posée est de savoir ce que le Cameroun va en faire ? Et c'est là que le dialogue entre la France et l'Afrique, aussi entre l'Europe et l'Afrique, reprend une nouvelle signification autour de l'utilisation de l'affectation des marges de manuvre que le désendettement va permettre et il y a des documents de stratégie qui sont une condition pour bénéficier de cet allégement. Il faut que les pays réfléchissent à l'usage qu'ils vont faire de cette facilité et là notre capacité d'expertise peut aider les pays à mieux identifier leurs besoins et la manière de les satisfaire. Mais je voudrais faire observer, et là les Nations unies ont un rôle essentiel, que le préalable au développement c'est quand même bien la paix et la sécurité. Quand j'observe la manière dont nos programmes de développement se mettent en place, j'ai le regret de constater que plusieurs d'entre eux ont été arrêtés simplement parce que l'insécurité, la violence, la guerre ne permettent pas aux coopérants de travailler. Il en est de même, d'ailleurs, pour la démocratie. Comment voulez-vous organiser les élections dans un pays en guerre ? C'est totalement impossible.
Q - Il en est de même pour la corruption, parce que la corruption annihile souvent les efforts.
R - La corruption a plusieurs causes. Elle est liée à la pauvreté des fonctionnaires qui, trop peu ou pas payés, sont en quelque sorte encouragés, pas excusés pour autant, à une corruption qui, malheureusement, commence souvent au début de l'autorité et parfois se développe au plus haut. Je pense aussi que les trafics d'armes, de diamants, "les diamants pour les armes" ou "les armes pour les diamants", l'expression marche dans les deux sens, participent de cette corruption. Il y a un système dans lequel je n'oublie pas que pour qu'il y ait des corrompus, il faut des corrupteurs.
Q - Oui, et parfois les corrupteurs sont Français.
R - Parfois, les corrupteurs sont Français. Je pense qu'il y a aussi, trop souvent, malheureusement, corruption et c'est ce système là, c'est vrai, qu'en réformant le dispositif de coopération, Lionel Jospin a voulu changer : commencer en donnant plus de transparence à la relation entre la France et l'Afrique, moraliser, je crois, et éviter, en tout cas, que l'aide au développement soit ainsi détournée et finisse par revenir, en tout cas au bénéfice des populations qui, au départ, devaient en profiter.
Q - Mais on peut légitimement penser que cette volonté de transparence, d'honnêteté, en clair, existait bien avant et on peut aussi légitimement penser que si elle n'a jamais abouti, c'est parce qu'il y a des vrais freins, des vraies difficultés et qu'on n'arrive pas à les résoudre.
R - Vous savez, on ne peut pas être responsable et désespéré, comme on dit. Moi, ce n'est pas parce que ça n'a pas marché jusqu'à présent, que je considère qu'on ne pourra pas changer ce système. Mais il faut que tout le monde le veuille
Q - Est-ce que tout le monde le veut ?
R - Il faut que les politiques, d'abord, le veuillent. Moi, je suis convaincu, je le dis souvent, qu'il y a eu une sorte de facilité de la part des politiques à utiliser ce que l'on appelait les réseaux. Si les politiques cessent d'alimenter les réseaux, je suis convaincu que les réseaux s'affaiblissent d'abord et finissent ensuite par disparaître.
Q - Donc, il faut faire le nettoyage chez nous également ?
R - Bien sûr, bien sûr ! Vous savez, c'est un combat permanent, il faut continuer à être vigilant, mais il y a une grande différence entre les pays corrompus qui le savent et qui ne font rien et les pays qui luttent contre la corruption. Le droit à l'erreur, tout le monde peut le revendiquer, même la France, à condition, quand l'erreur est identifiée, quand les responsabilités sont identifiées, d'être capable de sanctionner.
Q - Et ça vous le sentez, c'est un mouvement qui existe en Afrique ?
R - J'observe, en tout cas, qu'on peut parler de corruption avec les Africains sans qu'ils s'en étonnent ou qu'ils s'en émeuvent. C'est un sujet qui n'est plus tabou et ça c'est important. J'observais hier que les nouveaux Accords de Cotonou, qui ont remplacé les Accords de Lomé, identifient clairement la corruption dès lors qu'elle est érigée en système comme étant une cause possible de suspension de la coopération. La question est de savoir si la suspension de la coopération n'est pas parfois une aggravation de la situation, notamment du point de vue de la population civile. Et c'est une question qui nous préoccupe, évidemment, mais je dis que la corruption est en effet un des éléments du dialogue entre l'Europe et l'Afrique, entre la France et l'Afrique, et le fait que l'on puisse en parler très franchement permet déjà de sortir un peu de la clandestinité. C'est déjà de la transparence de pouvoir en parler librement. J'observe aussi quand même que dans un certain nombre de pays, on commence à faire des exemples : tel directeur d'une administration clairement identifiée comme totalement corrompue est sanctionné.
Bon, mais je le répète, je crois qu'il faut être capable dans le cadre, là aussi, des plans de développement que le désendettement va permettre, d'avoir une politique en matière de fonction publique, avoir des fonctionnaires formés, de qualité, payés et sanctionnés en cas de corruption. Ca fait partie des grands objectifs auxquels l'Afrique, je crois, doit s'attaquer, pas seulement pour des raisons morales mais pour une raison à laquelle je vous rends très attentif, la sécurisation des investissements, donc du développement Et je voudrais, puisque je cite ce terme d'investissements, dire ma conviction qu'il faudra bien que la relation au commerce intègre ce concept d'investissement. La liberté du commerce sans investissement, c'est une tromperie. C'est perpétuer l'inégalité.
Q - Ca c'est un appel, dans le cadre de la mondialisation, à tous les investisseurs du monde ?
R - Complètement, mais c'est aussi un appel lancé aux Africains pour qu'ils puissent sécuriser, fiscalement, juridiquement les entreprises. Eviter que celles-ci puissent être un peu les victimes toutes désignées - notamment les entreprises étrangères -, des victimes toutes désignées des dysfonctionnements judiciaires. Cela me paraît un élément important et d'ailleurs, dans l'appui que la coopération française apporte aux pays africains, il y a justement cet appui à l'institution judiciaire, à la police, à la justice ; ce couple là est tout à fait essentiel et pour l'instant, il faut bien le dire, pour beaucoup de pays africains, on est encore très loin du compte et c'est une des raisons probablement, avec l'insécurité et la guerre, évidemment, qui font que l'investissement privé ne s'est pas suffisamment orienté vers l'Afrique. Rendez-vous compte, l'Afrique fait 10 % de la population mondiale et moins de 1,5 % de l'investissement privé, les flux d'investissements privés dans le monde vont en Afrique, ce n'est pas comme cela qu'on pourra développer en Afrique les moyens de valoriser ses potentialités. Et c'est pourtant bien le développement, la production de richesses qui peut servir le développement de l'Afrique.
Q - On peut définir la nouvelle politique française par "non ingérence, non indifférence". En Côte d'Ivoire, on a le sentiment que, certaines fois, on le regrette un peu et que les derniers événements depuis l'arrivée au pouvoir du Général Gueï et puis les élections qui n'ont pas été aussi démocratiques qu'on aurait pu l'espérer, on a le sentiment que certains en France le regrettent. Et non seulement en France, mais également dans une partie de l'Afrique, je pense notamment au président sénégalais.
R - On peut regretter que les choses se soient passées ainsi, on peut regretter que le processus démocratique, si essentiel pour retrouver la confiance de la communauté internationale, dont la Côte d'Ivoire a besoin, ne se soit pas déroulé dans l'ouverture souhaitée. Mais, devait-on, pouvait-on faire autre chose ? Fallait-il utiliser des moyens de coercition, en l'occurrence des militaires - je ne voudrais pas donner à penser que j'aurais quelque chose contre les parachutistes -, mais devait-on utiliser les moyens militaires pour modifier le cours des choses contre la volonté ivoirienne en l'occurrence. Y compris, et j'y insiste, contre la volonté de la communauté française à Abidjan, car il est facile après coup de dire, on aurait dû, on aurait pu. Je fais simplement observer qu'à Noël 1999, le message que nous envoyait la communauté française d'Abidjan, ce n'était surtout pas d'intervention française, pas d'intervention, surtout pas d'intervention militaire, ça va être un carnage. C'était ça le message. Depuis, nous nous sommes efforcés, comme on dit, de mettre la pression amicalement, souvent, sur les responsables pour que les élections en particulier permettent à toutes les sensibilités ivoiriennes de s'exprimer. Cela n'a pas pu être le cas, nous le regrettons.
Q - Le processus est définitivement abandonné ?
R - Mais attendez, les élections législatives viennent d'être complétées par le scrutin de dimanche dernier, une assemblée va se mettre en place. J'attends que Laurent Gbagbo, le président Gbagbo, qui vient à Yaoundé parle, explique, décrive la réalité de la situation ivoirienne et qu'il commence à "retricoter" la confiance avec ses voisins. C'est un élément essentiel, ça, et là, c'est vrai que la France a aussi son rôle à jouer dans ce travail d'explications, de communication entre les uns et les autres, mais je crois que la Côte d'Ivoire a besoin de retrouver, je le répète, la confiance, l'amitié de ses voisins. Il faut que la Côte d'Ivoire sache aussi exprimer une volonté d'ouverture vers ses voisins, et surtout qu'elle sache réapprendre aux Ivoiriens à vivre ensemble et aux communautés, qui vivent en Côte d'Ivoire, à vivre ensemble y compris évidemment les communautés étrangères qui aujourd'hui se sentent dans une situation peu à peu insécurisée. Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2001)

Entretien avec "Europe 1", Yaoundé, Cameroun, le 17 janvier 2001
Q - Monsieur le Ministre bonsoir, merci d'être en direct avec nous. Est-ce que l'on peut avoir une petite idée de l'ambiance qui règne à la veille de ce Sommet franco-africain dans les circonstances que tout le monde sait ?
R - Il s'agissait hier soir d'une mort alors non confirmée, mais qui semble l'être maintenant, et seulement maintenant. D'après les informations qui nous sont parvenues, il est probable que c'est lors du transport qui le conduisait de Kinshasa à Harare pour être mis en soins intensifs que le président Kabila est décédé. Il est clair que cet événement va marquer ce sommet, mais nous souhaitons que pour autant, il n'empêche pas le sommet de traiter de cette question essentielle, de la relation de l'Afrique à la mondialisation. Les thèmes qui sont prévus à l'agenda demain devraient être traités normalement et donner lieu aux discussions attendues. Mais il est vrai que l'absence d'un certain nombre d'acteurs de la crise des Grands lacs ne permettra évidemment pas d'en parler comme nous aurions pu le faire si cet événement n'était pas intervenu.
Q - Mais comment peut-on parler ensemble, je veux dire, avec le Gabon, avec le Cameroun, avec l'Ouest justement les pays anglophones, à partir du moment où un pays de 2 millions et demi de km2 et de 50 millions d'habitants n'a plus de pouvoir. Car en fait, c'est le fils qui est au pouvoir, jusqu'à quand ? Personne n'en sait rien. Qui finalement va parler de l'avenir de l'Afrique centrale demain ?
R - Je vous l'ai dit, nous ne pourrons pas parler, comme nous l'avions espéré des Grands lacs et singulièrement de l'avenir de la RDC, en l'absence d'un certain nombre d'acteurs essentiels et d'abord du pouvoir congolais. Mais je pourrais évoquer d'autres chefs d'Etat dont l'absence est d'ores et déjà confirmée et qui étaient nécessaires à ce débat. Faut-il évoquer le président Sassou Nguesso, faut-il parler du président Mugabe ? Faut-il rappeler l'absence, qui avait d'ailleurs déjà été annoncée du président angolais ? Voilà des acteurs, je le répète, essentiels. Ce qui évidemment, renvoie à un autre moment et à un autre cadre, la discussion qui demeure indispensable de l'avenir des Grands lacs à la lumière de cet événement nouveau.
Q - Mais pardonnez-moi de préciser ma question, qui n'était peut-être pas directement compréhensible, mais pour vous, aujourd'hui qui est au pouvoir, le fils ou les pays avec qui ce pays est en guerre ?
R - Vous me permettrez là, de faire simplement observer que les informations qui nous parviennent sur la nouvelle équipe en place et les responsables méritent d'être encore confirmées. On nous a parlé du fils, nous savions le rôle que l'aide de camp avait joué, il doit y avoir autour d'eux d'autres acteurs à Kinshasa. Il y a la position des rebelles, dont j'observe, que certains d'entre eux au moins s'en tiennent à une retenue que nous apprécions. J'espère d'ailleurs que les autres pays concernés, quels qu'ils soient, s'en tiennent justement à cette retenue de façon à laisser le temps aux uns et aux autres, à la communauté internationale, et à l'OUA et aux Nations unies. Et on ne manquera pas d'en parler, en tout cas le président Chirac en parlera certainement avec Kofi Annan, puisqu'ils viennent ensemble et d'ailleurs repartiront je crois ensemble de Yaoundé. Il faut éviter surtout que, pendant cette période, des actes dangereux puissent être accomplis. Pour l'instant, en tout cas, notre préoccupation - vous le comprendrez, mais nous n'avons pas pour l'instant de raisons d'inquiétude particulières -, c'est évidemment la situation de la communauté française que nous suivons avec beaucoup d'attention.
Q - Alors justement, j'allais vous demander Monsieur le Ministre, la Belgique vient d'annoncer qu'elle prenait des mesures en vue d'une éventuelle évacuation de ses ressortissants. Est-ce que la France prend également des dispositions pour évacuer les Français qui se trouvent dans le pays ou pas ?
R - Nous sommes évidemment en concertation avec nos amis belges, nous avons en effet suivi les dispositions que les Belges se préparent à prendre. C'est de leur responsabilité. Je le répète, c'est en concertation avec eux que nous apprécions nous-mêmes notre propre attitude.
Q - Mais est-ce que vous avez des inquiétudes, ou au contraire des certitudes et des assurances sur la sécurité des Français ?
R - Pour l'instant, je le répète, nous n'avons pas d'inquiétudes. Ce que nous appelons l'îlotage, c'est-à-dire l'organisation qui permet aux Français d'être en liaison étroite les uns par rapport aux autres, fonctionne et ce qui nous revient de ce dispositif n'incite pas à l'inquiétude.
Q - Oui, et tout est calme selon les informations que vous avez à Kinshasa actuellement ?
R - Selon nos informations et elles remontent quand même maintenant à trois heures, les choses étaient calmes. La vie même dans les rues de Kinshasa était normale. Cela veut dire les magasins ouverts, les gens vacant à leurs occupations, pas de nervosité particulière.
Q - Est-ce que vous allez marquer d'une façon ou d'une autre dans ce Sommet, que la page est bien définitivement tournée, que la période des réseaux est finie ?
R - Ecoutez, je crois que nous avons commencé à le faire déjà depuis un certain nombre de jours, qu'il y a eu en effet une grosse communication autour de la Françafrique. J'ai eu l'occasion de dire que la fin de la Françafrique, ne signifiait pas la fin de la France dans sa relation avec l'Afrique, bien au contraire. La mission de la France est même de faire en sorte que l'Europe toute entière s'y associe davantage et soit davantage aux côtés des Africains. Nous avons dit la volonté du gouvernement de Lionel Jospin, en entreprenant la réforme de la coopération, de mettre fin à ce qu'on appelait parfois la diplomatie parallèle, de façon à rendre plus transparente, plus cohérente, plus homogène la politique extérieure de la France, y compris vis à vis de l'Afrique. C'est cela que bien entendu nous réaffirmons à l'occasion du Sommet de Yaoundé et je ne doute pas que ce soit aussi le sens des propos que tiendra le président Chirac. Une relation à l'Afrique, à toute l'Afrique.
Q - Je voudrais revenir un instant sur une question : est-ce qu'on n'a pas été pendant ces trois années trop compréhensif à l'égard finalement de Kabila, à cause probablement de la mauvaise conscience qu'un certain nombre de pays avaient à propos du Rwanda ? Il y a des enquêtes internationales qui ont montré clairement qu'il était responsable de dizaines de milliers de morts, et pourtant on n'a pas fait grand chose.
R - Ecoutez, nous avons reçu ce matin, longuement avec Hubert Védrine, le ministre rwandais des Affaires étrangères. Nous avons parlé, évidemment, de la relation de la France au Rwanda. Notre interlocuteur souhaitant d'ailleurs que la coopération française avec le Rwanda soit plus soutenue, se développe davantage. Nous avons pu observer que ceci dépendait aussi de la manière dont le Rwanda exécuterait ses obligations internationales, en ce qui concerne la RDC.
Vis-à-vis de Kabila, j'observe qu'il y a encore moins de quatre ans, ce n'est pas nous qui le béatifions, d'autres s'en occupaient davantage. Nous avons toujours vis à vis de Kabila et de son régime manifesté une grande vigilance, une très grande prudence du début jusqu'à la fin. Notre coopération malheureusement est à un niveau très réduit avec le Congo, mais nous sommes soucieux évidemment du devenir d'un pays dont l'équilibre conditionne celui d'une bonne dizaine de pays qui l'entourent. Et il est clair que lorsqu'on évoque un thème comme l'Afrique et la mondialisation, on ne peut pas ne pas penser au rôle que l'ensemble des Grands lacs et singulièrement la RDC jouent dans cette relation à la mondialisation de l'Afrique. Mais je le répète, nous ne pouvons pas être accusés d'avoir fait preuve d'une bienveillance excessive vis à vis de ce pays. Nous avons toujours été d'une très grande vigilance, j'y insiste. L'actualité, évidemment nous invite à poursuivre.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2001)