Texte intégral
Merci de votre présence malgré cette heure un peu tardive. Ce matin, le principal sujet concernait la stratégie de l'élargissement. Sur ce point, vous savez que la Commission a présenté ses rapports le 8 novembre, dans la perspective du débat qui est prévu au Conseil européen les 14 et 15 décembre sur tous les aspects de l'élargissement. Je n'ai pas besoin de rappeler l'importance de ce sujet ni l'attention que nous lui portons. La France souhaite que l'élargissement continue d'être une réussite et, pour cela, il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies. Nous avons donc pris connaissance de ces rapports avec beaucoup d'intérêt et ils constituent un premier pas dans la mise en oeuvre des conclusions du Conseil européen de juin dernier.
Mais il faudra poursuivre : nous avons eu une première discussion aujourd'hui, nous souhaitons que le débat continue lors du Conseil européen de la mi-décembre et, pour le nourrir, j'ai transmis à la Commission une note précisant nos réflexions et nos attentes sur ce que l'on appelle la capacité d'absorption. Je vous résumerai ces réflexions brièvement comme je l'ai fait devant le Conseil. Et, à propos de la capacité d'absorption, je précise, une nouvelle fois, que je ne verrai aucun inconvénient à ce qu'une autre appellation soit retenue. Comme je l'ai dit et d'autres aussi, il ne s'agit en rien, me semble t-il, d'absorber tel ou tel Etat mais de savoir si l'Union européenne peut l'accueillir.
J'ai fait au Conseil deux séries de remarques sur cette question d'élargissement et de la capacité d'absorption, l'une sur la procédure et l'autre sur le fond.
Sur la procédure, j'ai insisté sur la nécessité de bien préparer les conclusions du Conseil européen. J'ai indiqué que ceci suppose notamment que la Commission fasse connaître sa recommandation sur les négociations avec la Turquie le plus tôt possible, pour que nous puissions les analyser et en débattre. Le plus tôt possible, cela signifie dans notre esprit très en amont du Conseil européen de décembre. En effet et malgré les efforts de la présidence - présidence que nous soutenons -, et efforts dont nous espérons qu'ils donneront leurs fruits, nous devons aussi nous préparer à une hypothèse difficile, celle où, aucun progrès n'ayant pu être fait, le Conseil européen devrait en tirer les conséquences. Je rappelle qu'à ce jour, la Turquie n'a toujours pris aucune mesure de mise en oeuvre du protocole étendant l'union douanière aux dix nouveaux Etats membres. Plus d'un an après la signature de ce protocole, qui était une condition pour l'ouverture des négociations, la Turquie n'avait toujours pas rempli ses engagements vis-à-vis de l'Union. Nous souhaitons qu'elle puisse le faire et nous souhaitons qu'elle donne une indication claire de sa disponibilité notamment à ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions en provenance de Chypre. Nous encourageons les efforts de la présidence finlandaise, je l'ai déjà dit et je le redis, mais si aucun progrès ne devait être enregistré, les négociations ne pourraient se poursuivre comme si de rien n'était. Je crois que c'est une évidence. Il ne faut donc pas attendre le dernier moment pour réfléchir aux conséquences que le Conseil devrait en tirer sur le déroulement des négociations, conformément à la décision que nous avions prise en septembre 2005 en indiquant, je cite, que "le non-respect par la Turquie de l'ensemble de ses obligations pèsera sur l'avancement général des négociations". Quelles conséquences devrons-nous tirer d'une absence de progrès ? Il est temps d'y réfléchir, tout en souhaitant que les progrès viennent. S'ils ne viennent pas, il faudra en tirer les conséquences nécessaires sur l'ouverture de nouveaux chapitres. Donnons-nous donc le temps d'avoir ce débat politique.
Sur le fond, j'ai remercié la Commission du premier pas que représente un rapport sur la capacité d'absorption. J'ai cependant également remarqué que ce rapport me semble insuffisant pour deux raisons.
Premièrement, il n'approfondit pas assez les défis que représente la poursuite de l'élargissement. En effet, l'élargissement, qui se poursuivra, a des conséquences importantes pour les institutions, les politiques communes, le budget de l'Union et son mode de financement. Il faut non seulement identifier ces défis mais se préparer sérieusement à les relever. C'est indispensable pour que le processus reste une réussite, ce qui est bien notre projet. La capacité d'intégration n'est pas un critère à remplir par le candidat, c'est, en revanche, par définition, une condition pour que l'Union européenne puisse décider de s'élargir en mesurant sa propre capacité à accueillir de nouveaux membres sans mettre en péril sa cohérence, son efficacité, ainsi que l'approfondissement de l'intégration.
Deuxièmement, il convient de s'attacher davantage à rendre cette notion de capacité d'absorption opérationnelle, puisque que le Conseil européen de juin dernier a décidé que le rythme de l'élargissement doit tenir compte de cette capacité d'absorption. On retrouve cela dans nos débats. Il faut donc définir sur cette base une méthode, une feuille de route permettant d'apprécier la capacité de l'Union européenne à chaque étape-clé du processus. Nous espérons sur ce sujet que des progrès pourront être réalisés dans la perspective du débat au Conseil européen de décembre.
Voilà pour ce point important du Conseil Affaires générales et j'y reviendrai dans quelques instants au cours d'un entretien avec le commissaire Olli Rehn.
Au titre des relations extérieures, nous avons examiné une série de questions, les relations entre l'Union européenne et la Russie, la République démocratique du Congo, l'Afghanistan, la situation en Serbie et au Kosovo, le Proche-Orient et l'Iran. Vous avez eu de la part de la ministre de la Défense, je crois, une présentation de plusieurs de ces points, notamment la République démocratique du Congo (RDC) et l'Afghanistan.
En ce qui concerne la Russie, vous le savez sans doute, il n'a pas été possible d'avoir un consensus sur le mandat de négociation de l'accord qui doit succéder à l'actuel accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la Russie. Le Coreper devra y revenir. Pour notre part, nous sommes favorables à l'annonce du lancement des négociations lors du Sommet d'Helsinki, le 24, et nous espérons donc, pour cela, un accord rapide et satisfaisant pour tous les Etats membres.
En session conjointe des ministres des Affaires étrangères et des ministres de la Défense, nous avons traité la question des élections en RDC et de l'Afghanistan. Sur le premier point, j'ai souligné que le second tour des élections en RDC s'était bien déroulé, ce qui montre l'attachement de la population congolaise au processus électoral et sa volonté de prendre en main librement son destin. Toutefois, nous devons rester vigilants, plusieurs d'entre nous l'ont souligné et appelé chacun à tout mettre en oeuvre pour maintenir le calme. L'Union européenne et la communauté internationale doivent poursuivre leur engagement, qui a donné de bons résultats puisqu'il n'allait pas forcément de soi que le processus électoral se déroule dans des conditions convenables. L'une des priorités pour la période post-transition sera, bien sûr, la réforme du secteur de la sécurité. Nous en avons également parlé ce matin avec Mme la Ministre de la Défense. Elle s'est exprimée sur ce point et vous en a rendu compte.
Elle vous a certainement aussi parlé de l'Afghanistan, où la situation demeure préoccupante. La responsabilité première c'est celle des Nations unies mais l'Union européenne et ses Etats membres sont déjà très impliqués dans le volet civil. Nous souhaitons améliorer la visibilité et la cohérence de l'assistance fournie par l'Union mais aussi avancer dans la définition du cadre global de son engagement. Mme Alliot-Marie vous l'a dit certainement, nous nous interrogeons, en particulier, sur l'opportunité d'une mission PESD de police et une mission d'établissement des faits (FFM) sera utile pour regarder concrètement ce qu'il est possible, ou non, de faire.
Quelques mots enfin sur les autres points "Relations extérieures" : Balkans, Proche-Orient, Liban et Iran.
Sur les Balkans, dans la ligne de la déclaration du Gymnich de Salzbourg, nous avons pu franchir un pas important à l'égard des pays de la région en adoptant les mandats de négociation pour des accords de facilitation de visas et de réadmission. Plus ces pays progresseront en matière d'Etat de droit et de lutte contre la corruption et contre l'immigration illégale, plus on aura de chances de voir la négociation de ces accords aboutir rapidement. C'est une indication claire.
Pour ce qui concerne le Kosovo, M. Martti Ahtisaari, l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, est venu nous faire un point des travaux qu'il conduit sur le statut futur du Kosovo. J'ai marqué l'importance, pour l'Union européenne, de continuer à soutenir ses efforts visant à parvenir à un règlement garant de la stabilité pour la région et protecteur de toutes les communautés vivant au Kosovo. M. Ahtisaari a donc tout notre soutien.
Nous avons également eu un échange de vues utile sur la Serbie. Comme l'a redit ce matin le commissaire Rehn, il faut être clair : les négociations de l'accord de stabilisation et d'association avec Belgrade ne pourront reprendre que si le constat d'une pleine coopération avec le Tribunal pénal international est fait. C'est une condition explicite, importante et connue de tous depuis le début, c'est-à-dire depuis que nous avons offert une perspective européenne aux Balkans en novembre 2000. Il serait donc hautement souhaitable que le Premier ministre serbe appelle publiquement à l'arrestation de Mladic, entre autres choses. Ceci n'est pas suffisant, mais nous l'attendons toujours.
S'agissant du Proche-Orient, le débat qui s'est terminé il y a quelques instants a été assez long. Le Conseil se réunit en ce moment même pour adopter formellement le texte des conclusions auxquelles nous sommes parvenus. Javier Solana nous a rendu compte de sa tournée dans la région. Nous avons évoqué, bien sûr, la situation dans la bande de Gaza et déploré fortement les tirs d'artillerie indiscriminés. Nous avons aussi tous redit la nécessité de soutenir M. Mahmoud Abbas afin que ses efforts pour former un gouvernement d'Union nationale soient couronnés de succès. Cette perspective, vous le savez, serait susceptible d'enclencher une dynamique favorable et l'Union européenne aurait, dans ce contexte, un rôle essentiel à jouer. Vous connaissez notre conviction : il est indispensable de retrouver une perspective politique. La mise en place d'un gouvernement d'union nationale pourrait laisser espérer qu'une nouvelle dynamique apparaisse et, si tel était le cas, l'Union devrait peser de tout son poids pour que s'engage un processus de dialogue et de paix.
Sur le Liban, nous avons fait le point de la mise en oeuvre de la résolution 1701. Il convient de la respecter pleinement, ce qui suppose une cessation par Israël de ses survols du territoire libanais, le désarmement des milices et un contrôle étroit de l'embargo sur les armes. Le volet politique de la résolution est également capital, qu'il s'agisse des fermes de Chebaa ou de la question des prisonniers, sujets que nous évoquons régulièrement. Et puis, dans les circonstances actuelles, nous avons redit tout notre soutien au gouvernement de M. Siniora et notre volonté de voir le tribunal international se mettre en place dans les meilleurs délais. J'ai enfin demandé à mes collègues de rester mobilisés dans la perspective de la future conférence internationale des amis du Liban, qui se tiendra à Paris à la fin du mois de janvier.
Enfin et avant de répondre à vos questions, sur l'Iran, Javier Solana a fait une présentation de l'état des discussions. Ces discussions techniques sont toujours délicates mais nous avons bon espoir de voir aboutir rapidement les travaux en cours au Conseil de sécurité sur une résolution à l'encontre de l'Iran, pour que ce pays se conforme à ses engagements internationaux. Bien sûr, nous ne perdons pas l'espoir que l'Iran accepte les conditions d'un retour à la négociation. C'est ce qui fonde notre approche lorsque nous disons que les sanctions prévues doivent être progressives, ciblées et réversibles, comme le Premier ministre l'a encore redit hier.
Q - La Pologne a bloqué l'accord concernant la Russie, l'ouverture des négociations. Trouvez-vous la position polonaise convenable, acceptable et utile ? Allez-vous soutenir Varsovie dans sa démarche ?
R - Sur cette question, je crois que nous avons tous, les uns et les autres, les mêmes objectifs, en particulier pour ce qui considère la politique de l'énergie. Nous cherchons à faire en sorte que la Russie applique les principes de la Charte de l'énergie mais nous différons encore aujourd'hui sur la méthode. Il nous semble clair, depuis le Conseil européen de Lahti et la conversation des 25 avec le président Poutine, que le meilleur moyen d'y parvenir est de mettre cette question dans le cadre de l'accord global que nous allons négocier avec la Russie, ce qui ne veut pas dire que nous ne poursuivons pas nos efforts pour convaincre la Russie de signer la Charte, mais enfin c'est sans doute moins d'actualité aujourd'hui. Je conclurai simplement en disant que nous souhaitons sur cette question que le Coreper, dans sa sagesse, trouve un accord et le trouve rapidement.
Q - Sur la Turquie, sur la recommandation de la Commission très en amont, qu'est-ce que cela signifie sur le plan de la fourchette en termes de temps ? Forcément, comme le dirait Marguerite Duras, avant le 6 décembre ?
R - Avant le 6 décembre et même bien avant. Nous avons été plusieurs à souhaiter que les efforts de la présidence puissent donner de bons résultats mais à souhaiter également nous préparer à une hypothèse moins favorable, celle où il n'y aurait pas de mouvement et celle où, comme aujourd'hui, la Turquie n'avancerait pas dans le respect de ses obligations. Si tel était le cas - ce que nous ne souhaitons pas -, il faudrait avoir un débat de fond et, pour cela, il faut avoir le temps de le mener. Sans doute une recommandation d'ici la fin du mois ou au tout début de décembre serait-elle préférable à des discussions de dernière minute. Lorsque nous avons vu aujourd'hui, le temps qu'il a fallu pour aborder cette question d'élargissement - quelques heures tout de même - alors que nous ne sommes pas encore dans des décisions difficiles comme celle que nous pourrions être appelés à prendre, cela confirme bien qu'il faut se donner le temps.
Q - Toujours au sujet de la Turquie, vous avez été plutôt prudente comme vos collègues ce matin en n'évoquant pas le terme de "suspension". Est-ce le signe d'un débat entre les ministres ?
R - Il y aura certainement débat en effet si, par hypothèse, nous nous trouvions dans ce cas de figure. Je n'ai entendu personne plaider pour l'interruption du processus, et cela n'est pas notre position. Ce qu'il faudra déterminer tous ensemble, ce sont les conséquences que nous tirerions d'une absence de progrès et, conformément à la décision du mois de septembre dernier, il faudrait qu'il y ait des conséquences sur le processus de négociation, à tout le moins en n'abordant pas certains chapitres. Lesquels et combien et selon quelles modalités ? Ce serait l'objet de ce débat.
Merci à vous.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2006