Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec des medias le 15 novembre 2006 à Bruxelles, sur l'aide européenne au développement et le programme UNITAID d'achat de médicaments à destination des pays du Sud.

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Circonstance : Journées européennes du développement le 15 novembre 2006 à Bruxelles

Texte intégral

Q - Où en est UNITAID ?
R - Il y a déjà une quarantaine de pays dans le groupe pilote sur les sources innovantes de financement du développement et 19 pays ont accepté de participer financièrement à UNITAID. Mais il y a un véritable effet boule de neige et cela ne s'arrêtera pas. Les opinions publiques pèseront pour que d'autres pays participent. Aucun gouvernement ne devrait hésiter. Nous ne devons pas tomber dans l'égoïsme inconscient des pays riches qui ne se rendent pas compte de ce qui se prépare.
Q - Est-ce que l'éradication de la pauvreté est liée à l'éradication de la maladie ?
R - C'est le contraire, l'éradication des maladies ne peut venir que de l'éradication de la pauvreté. En amont, il faut évidemment s'occuper de micro-crédits, du développement, comme le fait parfaitement M. Louis Michel ou d'autres, de créer des partenariats avec, en particulier, les pays africains. Une des conséquences de la pauvreté, c'est que les jeunes générations sont "fauchées" par des maladies comme la tuberculose et le sida. Dans ces conditions, les pays ne peuvent pas se développer et leur taux de croissance reste limité.
Q - Pouvez-vous nous rappeler la genèse d'UNITAID ?
R - C'est une initiative mondiale avec, au départ, le président Lula et le président Chirac, qui a très vite regroupé 40 pays. L'idée est très simple. Elle consiste à réaliser que l'on n'arrivera pas à régler les problèmes des pays pauvres, de plus en plus pauvres, uniquement en augmentant les impôts des pays riches destinés à l'aide au développement.
Nous risquons d'avoir très vite, avant la moitié du XXIème siècle, une situation catastrophique, avec une immigration massive de dizaines, voire de centaines de millions de personnes qui viendront du Sud, avec tout ce que cela peut induire en termes de racisme, de xénophobie et de confrontation. Le sentiment d'humiliation, de colère, peut susciter des actes désespérés, peut être même de nature terroriste contre les démocraties occidentales si rien n'est fait.
L'idée est celle d'une démarche citoyenne mondiale. On a pris un produit de la mondialisation, le billet d'avion, sur lequel on applique une contribution de solidarité. Celle-ci est de 1 euro par billet d'avion pour les vols domestiques, de 1 euro pour tous les vols européens et de 4 euros pour les vols internationaux en dehors de l'Union européenne. Et elle peut être multipliée par 4 lorsque vous allez en business class ou en première classe.
Le fruit de cette contribution de solidarité est versé dans une caisse mondiale appelée UNITAID. Avec cet argent, nous sommes en mesure de faire baisser le prix des médicaments contre la tuberculose, le paludisme et le sida, afin que les industries pharmaceutiques en produisent pour les femmes, les hommes et les enfants malades des pays du Sud qui ne peuvent pas les payer. Encore une fois, l'idée est simple : avec une toute petite contribution, totalement anonyme, sur un billet d'avion, on arrive à soigner, à sauver des gens qui, sans cela, pourraient mourir.
C'est un succès. Au début, on nous avait dit : "c'est utopique, cela ne marchera jamais, c'est une idée un peu folle". Aujourd'hui, nous comptons quarante pays impliqués. Nous aurons, en 2006, environ 70 millions d'euros et, en 2007, environ 300 millions d'euros disponibles pour UNITAID. Nous attendons 500 millions d'euros en 2009. Il faut dire que cette initiative fait boule de neige. Je suis sûr que les opinions publiques des pays riches du Nord, en particulier la jeunesse, qui se mobilise pour l'écologie ou contre la pauvreté des pays du Sud, n'accepteront pas longtemps de ne rien faire.
Q - Il semble qu'il y ait deux stratégies pour le développement une approche chinoise et une approche européenne. S'excluent-elles ?
R - Faire de l'aide au développement, c'est d'abord croire aux pays du Sud pour les pays du Sud, pas pour nous. Pour cela il faut les aider à avoir des régimes politiques démocratiques, une croissance forte et les considérer en partenaires, d'égal à égal. C'est la raison pour laquelle il faut les aider à se désendetter, les aider sur le plan économique, avec le soutien de la Banque mondiale et du FMI, les aider à faire des efforts en terme de responsabilité. C'est ma conviction, et c'est la conviction de l'Union européenne, avec Louis Michel qui fait un travail exceptionnel.
Vous qui êtes journaliste c'est à vous de comparer et de nous dire ce que les autres font. Moi, je vous dis ce que nous faisons au niveau de l'Union européenne. Il est très important que l'approche choisie par l'Union européenne soit une approche de co-responsabilité.
Aidons les Africains à se servir de leurs matières premières, faisons tout pour que les négociations de Doha, qui sont celles du développement, aboutisse. En matière agricole, n'oublions pas que 80 % des produits exportés par les pays en développement sont commercialisés dans l'Union. L'Union européenne a une véritable vision du développement. Pour faire du développement dans les pays du Sud les plus pauvres, il faut les aider, il faut qu'ils se servent du développement et non pas qu'on s'en serve.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2006