Discours de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sa déclaration aux radios francaises, le 21 mars, et son entretien avec "RMC Moyen-Orient" le 22 mars, sur le conflit soudanais, le conflit somalien, les efforts en faveur de la stabilisation de la Corne de l'Afrique et les relations franco-libanaises , Rome, Italie, le 21 mars 2001.

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Circonstance : Réunion ministérielle conjointe des pays membres de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et du Forum des partenaires de l'IGAD, à Rome, Italie, le 21 mars 2001

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Discours du 21 mars 2001
Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de remercier le gouvernement italien et en particulier mon ami le sénateur Rino Serri d'avoir organisé cette réunion conjointe des membres de l'IGAD et du Forum des partenaires de l'IGAD. Cette réunion me permet également de marquer l'importance que la France accorde à l'action de l'IGAD et plus généralement à la paix et au développement de cette partie de l'Afrique.
Un nouveau contexte régional a été créé par l'accord de paix d'Alger et la Conférence d'Arta. La réunion d'aujourd'hui nous fourni l'occasion de relancer nos efforts en faveur de la stabilisation de la Corne de l'Afrique.
J'aborderai en premier lieu le conflit soudanais. La poursuite de ce conflit n'est pas tolérable.
Depuis la reprise des combats en 1983, la guerre civile - les chiffres sont difficiles à préciser mais ils sont considérables - a fait entre 500 000 et 2 millions de victimes et 4 millions de réfugiés et déplacés. La dette extérieure du Soudan dépasse 25 milliards de dollars, soit 22 % du PNB. Les crises alimentaires sont récurrentes.
La population soudanaise aspire profondément à la paix. Le Soudan doit rapidement retrouver le chemin de la croissance. Le pétrole offre aujourd'hui à ce pays une chance inespérée. Mais il ne pourra être convenablement exploité sans paix dans le sud.
L'aide humanitaire de la communauté internationale, même apportée depuis des décennies, n'est qu'un remède de court terme. La poursuite de la guerre empêche la reprise des flux d'investissement indispensables et risque aussi de détourner l'aide au développement.
Les risques de "somalisation" du conflit sont réels. Comme en Somalie, les milices et les groupes armés se multiplient et chacun a un comportement prédateur.
De nouvelles chances semblent toutefois s'offrir aujourd'hui pour un règlement politique du conflit soudanais.
Selon nous, le processus de libéralisation en cours à Khartoum doit être mené jusqu'à son terme. Il doit ouvrir la voie à des attitudes plus tolérantes et plus pragmatiques. Il doit permettre l'avènement d'un régime pluraliste au sein duquel les revendications du sud trouveront plus aisément une réponse.
L'amélioration progressive des rapports du Soudan avec ses voisins, conjuguée au processus de paix entre l'Ethiopie et l'Erythrée, favorise la normalisation des rapports d'Etat à Etat dans la région. Par voie de conséquence, elle permet une décrispation des positions sur la question du sud-Soudan.
Enfin, des progrès ont été accomplis dans le cadre des négociations menées sous l'égide de l'IGAD, qui sont un socle pour la paix. Les points de divergence sont d'importance fondamentale mais ils ont le mérite d'être désormais parfaitement identifiés.
Parmi les raisons d'espérer, il y a les espoirs de paix dans la région des Grands lacs, dont on a souvent souligné les liens avec la crise soudanaise. Encore faut-il que nous agissions ensemble pour éviter les dérives, saisir ces opportunités de paix et tenter de trouver à cette crise une issue qui ne peut être que politique.
Une solution durable exige un engagement sans arrière-pensées des protagonistes. Elle requiert aussi une implication permanente des médiateurs, et je veux dire combien nous apprécions le travail qu'ils ont accompli. L'ensemble de la communauté internationale leur apporte son soutien.
Je lance tout d'abord un appel solennel aux parties soudanaises à s'engager de manière claire et résolue sur la voie de la paix et à s'entendre en priorité sur un cessez-le-feu global et efficacement contrôlé, ce qui suppose aussi l'arrêt total des bombardements aériens indiscriminés.
Une réflexion de fond doit également être entreprise au sein du gouvernement soudanais et du SPLA sur la manière de sortir de l'impasse actuelle par des moyens pacifiques. L'un et l'autre doivent accepter d'envoyer aux sessions de négociations des représentants de haut niveau dotés d'un mandat élargi. Ils leur faut s'efforcer d'engager un vrai dialogue.
Les Soudanais peuvent aussi grandement contribuer à la paix dans le sud en progressant sur les chemins de la démocratie et du respect des Droits de l'Homme. C'est en tout cas ce que l'Union européenne cherche à encourager dans le cadre du dialogue renouvelé qu'elle mène avec le gouvernement soudanais et la France, vous le savez, y a beaucoup contribué. Ce processus d'ouverture politique ne doit pas marginaliser le processus de paix avec le sud. Mais au contraire lui offrir de nouvelles perspectives.
L'IGAD dispose d'une expertise incomparable sur le Soudan et rassemble la plupart des pays intéressés. Son rôle moteur doit selon nous être renforcé. Ceci passe sans doute par l'instauration d'une diplomatie de navettes mais aussi par une association plus étroite aux travaux de l'organisation d'autres pays intéressés et susceptibles d'avoir une influence sur le processus de paix, notamment l'Egypte.
Ceci suppose également que le Secrétariat ad hoc soit investi d'une autorité suffisante et des moyens techniques et financiers nécessaires. Je rappelle à cet égard que la France a versé récemment une contribution au Fonds pour la paix de l'IGAD.
Il est clair que l'IGAD ne peut jouer pleinement et efficacement son rôle si elle n'est pas soutenue par une action cohérente de la communauté internationale.
Une concertation renforcée au sein de notre Forum paraît à cet égard indispensable. La France est prête a y prendre toute sa place. Il s'agit de convaincre les Soudanais de l'urgence d'une paix négociée, non seulement respectueuse de la volonté des populations concernées mais aussi des préoccupations de stabilité et de sécurité des pays voisins du Soudan.
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Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je souhaite également évoquer brièvement l'autre crise au centre de cette réunion, le conflit somalien.
Comme vous le savez, la France a apporté son appui a l'initiative de paix du président Guelleh. Cette initiative a ranimé les espoirs des populations, ainsi que ceux d'une communauté internationale démobilisée par l'enlisement de tant de conférences de réconciliation depuis 1991.
J'étais présent le 27 août dernier, à l'investiture du président Abdulkassim Salat Hassan au terme de la Conférence de paix d'Arta. Nous avons tous formé, à ce moment, le vu que cette cérémonie marque le début de la renaissance de la nation somalienne.
Il faut se rendre à l'évidence : six mois après la constitution à Mogadiscio du gouvernement de transition, la dynamique de paix marque le pas.
Nombre de mouvements armés contestent encore la légitimité des institutions que le peuple somalien s'est choisies à Arta ; les risques d'une reprise des violences demeurent ; la restauration d'une autorité étatique, que l'immense majorité des Somaliens appelle de leurs vux, piétine.
Il est du devoir des acteurs somaliens, mais aussi des pays voisins, et de la communauté internationale, de conjuguer leurs efforts afin de préserver l'espérance collective née a Arta.
Les autorités de transition sont investies d'une légitimité dont ne peuvent se prévaloir des chefs de guerre. Mais ces autorités doivent aussi tenter d'établir un dialogue sans exclusive avec les acteurs du conflit demeurant en marge du processus de paix. Une tentative d'imposer par la force l'autorité de l'Etat relancerait en effet selon nous la guerre civile et raviverait les clivages claniques.
La voie de la négociation et de la recherche d'un consensus doit continuer à être privilégiée.
Attelé à la pacification des régions qu'il contrôle, le gouvernement somalien doit aussi s'attacher au rétablissement de l'unité nationale. Il lui revient de nouer, dans un esprit de compromis, sans arrière-pensées, des contacts avec les régions stabilisées du nord du pays, le Somaliland et le Puntland. Les acquis de ces régions en matière de réconciliation et de mise en place d'une administration locale, leurs spécificités même, doivent être reconnus. Je suis persuadé que des solutions institutionnelles souples, qu'il appartient aux Somaliens d'identifier, peuvent notamment amener le Somaliland, où les blessures de la guerre des années 80 restent vivaces, à rejoindre un ensemble somalien restauré.
D'une manière générale, c'est le pragmatisme doit guider nos efforts. Il faut continuer à capitaliser sur les résultats de la Conférence d'Arta. Le développement d'administrations locales et l'affirmation, à Mogadiscio, d'une autorité nationale, ne doivent pas être opposés mais menés de concert.
Il revient aux Etats de la région, rassemblés au sein de l'IGAD, de relayer les efforts du gouvernement de transition en usant notamment de leur influence auprès d'autres acteurs somaliens. Je crois que c'est leur intérêt bien compris.
Les Etats de la Corne de l'Afrique, qui ont accueilli de nombreux Somaliens en situation de détresse, sont en effet les premiers à pâtir de l'existence d'une zone de non droit. Ce "trou noir", pour reprendre l'expression du Secrétaire général des Nations unies, favorise les flux illicites et le développement d'activités criminelles, voire terroristes.
La poursuite de la crise somalienne mine à long terme la stabilité de l'ensemble de la région. La renaissance d'un Etat somalien assumant de nouveau ses prérogatives régaliennes, et exerçant un contrôle effectif sur son territoire, serait à même de mettre un terme à cette situation.
La Communauté internationale doit enfin relayer, par une assistance adaptée, les efforts des institutions somaliennes. Une aide à la reconstruction, un appui institutionnel, un programme de réintégration des combattants et des déplacés, pourraient accompagner, le moment venu, le rétablissement de la stabilité. Il faudra alors permettre au peuple somalien de percevoir rapidement les dividendes tangibles de la paix. Il faut que l'avantage comparatif de la paix sur la guerre soit démontré. Ce n'est pas évident. Une fois que le gouvernement de Mogadiscio aura assis son autorité et établi un appareil administratif, la France s'engage à agir, notamment au sein de l'Union européenne, pour qu'un soutien international lui soit apporté.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2001)
Entretien du 21 mars 2001 avec les radios françaises
Q - Que ressort-il concrètement de cette réunion conjointe des membres de l'IGAD organisée par le gouvernement italien ?
R - Les conclusions vont être adoptées tout à l'heure, je vous y renvoie. Mais nous avons la conviction que les conditions de la paix sont enfin en train de se réunir. Concernant le sud Soudan, la volonté du gouvernement, comme celle du SPLA qui nous a rendu visite à Paris il y a quelques jours, confirme cette volonté. Dans le même temps, il semble que le gouvernement américain soit en train également de réévaluer son attitude vis-à-vis du Soudan et devrait pouvoir être acteur du processus de paix alors qu'il faut bien convenir que, jusqu'à présent, la position américaine était plutôt d'isoler le Soudan. Ce n'était pas, selon nous, la bonne manière pour le faire bouger. C'est positif.
Q - Concernant le conflit soudanais, peut-on avoir des espoirs de paix qui ne soient pas irréalistes par rapport à la situation actuelle ?
R - Les protagonistes sont conscients de la lassitude de la communauté internationale et du risque de voir se tarir une aide, notamment alimentaire, dont on a pu dire parfois qu'elle contribuait à entretenir la guerre. C'est le premier point. Dans le même temps, j'observe qu'à l'intérieur du Soudan, il y a des changements dans la relation entre Khartoum et l'opposition du nord, dans l'attitude de la nouvelle administration américaine qui je crois est aujourd'hui soucieuse de s'impliquer dans le processus de paix. Le SPLA le sent et, celui-ci, en entreprenant une démarche en direction des capitales européennes exprime aussi, et nous l'interprétons comme tel, la certitude que s'il ne bouge pas, par rapport au processus de paix, par rapport au cessez-le-feu par exemple, il pourrait bien aussi perdre ses appuis. Mettez tout cela ensemble et vous verrez que l'analyse que nous en faisons nous indique que nous sommes peut-être à la veille d'une paix réelle enfin au Soudan. Cela veut dire un cessez-le-feu général, non déterminé dans le temps et pas ces petits bouts de cessez-le-feu qui donnaient l'impression que l'on en profitait pour se refaire une santé avant de recommencer la guerre. Un cessez-le-feu généralisé et durable, et ensuite, un processus dans lequel les Soudanais définiraient entre eux la manière de conjuguer l'unité du Soudan mais aussi le pluralisme des institutions de façon à faire droit à cette volonté du sud d'affirmer son identité qui n'est pas la même sur le plan culturel, sur le plan religieux, que celle du nord. Il reste à la communauté internationale à appuyer ce processus et c'est à cela que nous nous employons. Et les rencontres annoncées, notamment des chefs d'Etat du sous-comité de l'IGAD sur le Soudan, devraient aller dans cette direction.
Q - Concernant la Somalie, la poursuite de la crise mine la stabilité de la région, on se retrouve en quelque sorte dans une situation d'impasse, comment en sortir ?
R - J'ai entendu tout à l'heure un témoignage de ministre somalien, peut-être trop optimiste, mais je renvoie à ses propos, nous disant que le processus de paix à Mogadiscio avance. C'est vrai, probablement dans la région de Mogadiscio où les efforts entrepris pour réintégrer, par exemple, les milices dans une police nationale sous l'autorité gouvernementale sont en train de produire leurs effets puisqu'il nous a rappelé à l'instant que deux des chefs de guerre sur cinq ont accepté d'entrer dans ce processus et que les milices d'autres chefs de guerre sont elles-mêmes en train de négocier avec le gouvernement pour entrer dans ce processus de désarmement des milices et de consolidation d'une police nationale sous l'autorité du président Hassan. Il reste que le Puntland et le Somaliland n'ont pas encore fait l'effort de reconnaître le gouvernement installé à Arta. Peut-être parce que le gouvernement d'Arta n'a pas su, non plus, proposer une organisation administrative, politique, qui permette là encore de tenir compte des différences, mais aussi de l'Histoire, de la mémoire de ces régions qui, dans le passé, ont été victimes souvent de conflits très sanglants.
Il y a aussi la position de l'Ethiopie que nous savons encore réservée vis-à-vis de ce processus car la question de l'Ogaden n'a pas été totalement oubliée. Retenons que le processus est en marche. Là encore, il faut que nous poussions les différents acteurs à le faire vivre réellement et il faut que la communauté internationale soit aussi capable d'apporter les moyens matériels.
Q - Que proposez-vous et que demandez-vous à la communauté internationale ?
R - Ce n'est pas à nous de demander à la communauté internationale, nous en faisons partie. Lorsque l'on parle de la communauté internationale, cela vaut notamment pour l'Union européenne qui a des moyens mobilisables sur des projets de développement. Mais, dans le même temps où nous proposons des projets, des appuis financiers, il faut que les autorités somaliennes nous disent ce qu'elles peuvent en faire, c'est-à-dire, bâtir un programme de développement en associant les autres parties de la Somalie que sont le Puntland et le Somaliland. La communauté internationale dont vous parliez à l'instant peut représenter, à la fois des moyens financiers, mais aussi un appui diplomatique et c'est là que, par exemple, nous devons utiliser les bonnes relations que nous avons avec l'Ethiopie pour la convaincre d'accompagner le processus et de ne pas le freiner.
Q - Quel est le schéma d'un règlement de paix au Soudan ?
R - C'est toujours difficile d'évaluer l'utilité d'une réunion alors qu'elle n'est pas encore terminée mais, malheureusement, je suis obligé de partir avant le point final. La participation a été de bon niveau, puisque les ministres des Affaires étrangères des pays concernés sont là. C'est vrai, en particulier, du Soudan, du Kenya - qui est un acteur important dans le processus de l'IGAD - et de Djibouti. La possibilité qu'ils ont de parler entre eux, montre aussi que l'IGAD peut servir à faciliter le dialogue. J'ai retenu que de nouvelles étapes sont annoncées. Les rencontres, notamment, des chefs d'Etat du sous-comité de l'IGAD sur le Soudan, représentent un espoir que les intéressés doivent saisir et de ce point de vue, la réunion de Rome aura, je crois, permis de faire avancer ce processus de paix qui est en panne depuis si longtemps. Et dans le même temps, n'oublions pas qu'il y a 4 millions de réfugiés. Le nombre de victimes du conflit au Soudan notamment est difficile à chiffrer mais parfois on parle d'une fourchette allant de 500 000 à 2 millions de morts, ce qui est tout à fait considérable. Je le répète, nos opinions - traduisez les donateurs parce que ce sont bien nos citoyens qui participent à l'effort de solidarité - marquent ici une lassitude et considèrent qu'il faut bien que les camps qui s'opposent fassent un effort de dialogue, sinon, cette solidarité risque de s'affaiblir et ce sont les populations civiles qui en seront victimes.
Q - Dans votre discours, vous avez annoncé qu'il y a une possibilité d'aboutir. Les conditions régionales et même intérieures au Soudan permettent d'arriver à un règlement ?
R - Je crois que les évolutions observées dans le fonctionnement du régime soudanais nous autorise à un certain optimisme. Il reste encore - nous en sommes tous conscients - des progrès à faire sur le plan des Droits de l'Homme, des libertés fondamentales et cela fait partie du dialogue que nous avons avec les autorités soudanaises. Il faudra aussi un vrai cessez-le-feu, l'arrêt des bombardements dont nous savons qu'ils ont causé des souffrances aux populations civiles sans faire avancer vraiment le processus./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2001)
Entretien du 22 mars 2001 avec "RMC Moyen-Orient"
Q- Est-ce que la situation à Khartoum, les changements politiques qui ont eu lieu peuvent faire espérer que nous aboutissions à une solution aux conflits avec le sud ?
R - J'observe d'abord que le Soudan est en quelque sorte sorti de son isolement. Le Soudan a désormais des relations, un dialogue avec ses voisins - je pense à l'Egypte, à l'Ethiopie - alors que nous étions dans une situation bloquée il y a encore 3 ans. Ce signe nous paraît positif. J'observe que depuis 1998, il y a des signes de libéralisation qui méritent d'être amplifiés et confirmés mais qui nous semblent aller dans le bon sens. Je pense à une constitution qui est tout de même plus libérale que ne l'était la précédente, je pense à la loi sur les partis politiques qui à nos yeux est importante. Les efforts qui sont faits par Khartoum en direction des oppositions du nord par exemple me semblent aussi nous donner raison puisqu'aussi bien la France et l'Union européenne ont fait le choix d'avoir des relations avec le Soudan en considérant que nos relations avec le Soudan aideraient le Soudan à bouger. C'est important à souligner.
Q - Ceci nous amène au changement de l'attitude des Etats-Unis avec l'arrivée de la nouvelle administration. Croyez-vous que cette administration va changer d'orientation par rapport à l'ancienne et cela peut-il aider à faire bouger les choses pour aboutir à la paix au sud ?
R - Il est encore un peu tôt pour connaître la position de la nouvelle administration américaine. Je crois que celle-ci est en train de réévaluer en quelque sorte sa politique vis-à-vis du Soudan. Vous vous souvenez que, dans la dernière période, elle avait fait le choix de l'isolement du Soudan et il est vrai que le lien supposé entre le Soudan et le terrorisme était un argument très utilisé par les Américains. Le fait que Khartoum ait pris ses distances par rapport au terrorisme, peut justifier un changement du regard des Américains sur le gouvernement de Khartoum. Ceci me paraît positif. Moi, je souhaite - je ne peux qu'exprimer un espoir qui est je crois largement partagé par nos amis européens - c'est que les Etats-Unis, au lieu d'isoler, de marginaliser en quelque sorte Khartoum, dialoguent avec Khartoum pour aider au processus de paix. C'est la position qui est la nôtre et je crois qu'il y a, à cet égard, un certain nombre de signes positifs de la part de la nouvelle administration. Je sais pour autant qu'au niveau du Congrès, on continue de porter un regard très sévère sur le régime de Khartoum mais les signes de libéralisation que j'évoquais à l'instant méritent aussi peut-être d'être mieux connus par les Américains. Ils n'ont peut-être pas, de ce point de vue, fait complètement l'effort qu'il faudrait. Ceci est donc positif.
Voilà ce que l'on peut dire et pour revenir à la question de l'IGAD, je sais que l'on peut considérer en effet que le processus engagé par l'IGAD n'a pas encore produit beaucoup de résultats. Beaucoup de réunions ont eu lieu et, jusqu'à il y a quelques semaines, on avait le sentiment d'être un peu dans l'impasse. Tous les éléments que je viens d'indiquer, la volonté plus marquée incontestablement des différents protagonistes d'aller dans l'esprit de la déclaration de principes de mai 1994 qui jusqu'à lors était dans les esprits mais pas du tout dans les faits, me rend plus confiant et j'attends de la prochaine réunion des chefs d'Etats organisée sur le Soudan par l'IGAD de nouveaux progrès. Je crois que nous avons quelques raisons d'espérer, mais c'est l'avenir seulement qui nous le dira. Je crois surtout que les différents protagonistes mesurent la lassitude d'une communauté internationale qui a fait les preuves d'une assez grande générosité pour aider le Soudan, que ce soient les populations du nord ou celles du sud, pour lutter contre la famine qui ne cesse de menacer encore maintenant et que, bien entendu, la guerre amplifie. Je crois qu'il y a un phénomène de lassitude et c'est bien que les protagonistes soudanais prennent la mesure de cette lassitude de nos opinions vis-à-vis d'un conflit qui, jusqu'à lors, n'a pas beaucoup mobilisé les volontés soudanaises elles-mêmes, sauf pour faire la guerre, pas pour faire la paix.
Q - S'agissant de l'initiative égypo-libyenne, la réunion de Rome aura-t-elle permis une sorte de symbiose entre les deux initiatives ?
R - Nous pensons que ces deux processus, loin de s'opposer, peuvent être articulés. Et le fait que la relation entre le Soudan et l'Egypte soit désormais normalisée devrait faciliter cette coordination entre les deux processus. La France en tout cas considère que les efforts qui ont été accomplis dans le cadre de l'initiative Libye-Egypte doivent être pris en considération.
Q - Concernant la Somalie, dans votre discours vous avez mentionné qu'il y avait une possibilité que le processus du retour à la paix piétine en Somalie. Après cette réunion et vos rencontres, peut-on dire qu'il y a des risques de retour à la guerre en Somalie ou un espoir de réussir le processus du retour à la paix ?
R - Il est probablement encore trop tôt pour parier sur l'évolution future. Je veux simplement observer que le processus d'Arta, conduit à l'initiative du président djiboutien était la 13ème conférence de réconciliation depuis 1991. Les conférences s'étaient succédé sans succès. J'étais à Arta au moment de l'installation du nouveau président Abdulkassim Salat Hassan. Nous savions à ce moment-là que le plus difficile serait de convaincre le Puntland et le Somaliland de se rallier à ce processus. Leur absence à Arta montrait bien qu'elles étaient pour le moins réservées par rapport à cette élection, par la société civile somalienne, d'un président. Nous savions aussi que la question des chefs de guerre était également loin d'être résolue. Depuis, et en dépit des efforts que nous avons fait, il est vrai que, ni la Somaliland ni le Puntland n'ont encore reconnu le président Hassan. Par contre, j'observe que sur le plan de Mogadiscio, concernant les questions d'ordre public, on assiste à un désarmement progressif d'un certain nombre de milices, pas toutes, qui sont progressivement intégrées dans une police nationale sous l'autorité du président Hassan : ceci nous paraît de bon augure. Nous avons appris cet après-midi que des discussions avaient lieu aussi avec des milices dépendant d'autres chefs de guerre qui sont susceptibles d'entrer dans ce processus de désarmement et de mobilisation mais, cette fois, sous l'autorité du régime installé à Arta. Ce qu'il convient de faire, de la part des autorités de Mogadiscio, c'est de définir des projets de développement capables d'intégrer l'ensemble des composantes somaliennes, d'avoir vis-à-vis du Puntland et du Somaliland un dialogue d'ouverture, de façon à convaincre ces entités qu'il est possible d'avoir une organisation politique, administrative soucieuse de respecter les particularités, les spécificités de ces régions somaliennes. Il faut que la communauté internationale, que l'Union européenne - qui de son côté est prête à mobiliser des moyens pour aider la Somalie à retrouver le chemin du développement et de la paix - aident là aussi au dialogue. Il faut que ceux d'entre nous qui avons des relations avec le Puntland et le Somaliland exercent une pression amicale pour que le dialogue entre somaliens soit rétabli. Voilà ce que nous pouvons dire au soir de cette réunion. Nous sommes loin d'avoir atteint l'objectif de paix que nous recherchons mais je crois qu'en dépit des difficultés rencontrées, le processus est en marche et je pense que là aussi, nous avons des espoirs raisonnables de le voir se confirmer.
Q - Où en sont les préparatifs du Sommet de la Francophonie et à l'occasion de cet événement majeur pour les Libanais, comptez-vous faire un geste vis-à-vis des Libanais, surtout que l'économie libanaise affronte d'énormes difficultés.
R - Je ne crois pas que l'on puisse mélanger le Sommet de la Francophonie d'une part et la coopération bilatérale entre la France et le Liban d'autre part. Je suis allé à Beyrouth il y a quelques mois, j'ai pu en effet m'assurer que la préparation du sommet, notamment sur le plan des installations matérielles se conduisait bien. J'ai eu l'occasion récemment de rencontrer le ministre de la Culture libanais, M. Salamé, à Paris. Je l'avais vu à N'Djamena à l'occasion de la réunion ministérielle de la Francophonie. Je crois que les choses avancent bien. Nous allons devoir, mais les choses sont entendues entre nous, apporter un appui spécifique au Liban pour l'organisation de ce sommet. Je n'entre pas dans le détail, ceci a déjà été évoqué dans d'autres enceintes, mais sur les questions de l'organisation, de la sécurité, du transport, toute une série d'appuis logistiques sont d'ores et déjà prévus pour aider le Liban à réussir ce sommet.
Il y a aussi la coopération entre la France et le Liban, une coopération qui, sur le plan culturel est importante mais une coopération qui pourrait se développer aussi en direction du sud-Liban pour autant que les conditions le permettent. Ceci avait déjà été évoqué lors de mon voyage précédent à Beyrouth l'année dernière. Avant même le sommet, nous aurons certainement l'occasion d'en reparler avec les Libanais en espérant que l'évolution de la situation sur le terrain permette d'identifier et de conduire des opérations de développement qui aideraient, pensons-nous, au rétablissement de la paix dans une région qui a beaucoup souffert des conflits du Moyen-Orient. Mais, malheureusement, nous savons que l'actualité est encore beaucoup marquée par la violence mais je forme aussi le vu que lorsque le sommet interviendra, nous ayons une situation apaisée dans la région. On imagine difficilement que le sommet puisse être un heureux moment pour la Francophonie si dans le même temps, la violence perdure à quelques dizaines de kilomètres de Beyrouth. C'est une de nos préoccupations, je sais qu'elle est partagée par les Libanais./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2001)