Texte intégral
Allocution du Premier ministre, M. Alain Juppé, devant la communauté française
(Moscou, 15 février 1996)
Je suis très heureux, et Isabelle avec moi, de me retrouver ce matin à Moscou. Comme l'ambassadeur vient de le rappeler, c'est la quatrième fois que je viens en Russie depuis l'automne 1993 et j'ai pu mesurer, de voyage en voyage, l'évolution de ce grand pays dans cette phase tout à fait cruciale de son histoire.
Il y a deux ans, j'avais rencontré une Russie à la recherche d'elle-même, qui semblait encore hésiter entre l'avenir et le passé, entre l'ouverture sur l'extérieur et le retour au conservatisme.
Les élections législatives du 17 décembre dernier, dont le caractère démocratique a été unanimement reconnu, sous contrôle d'ailleurs d'observateurs internationaux dont plusieurs parlementaires français qui m'accompagnent aujourd'hui, et la perspective du scrutin présidentiel de juin prochain, confirment la solidité croissante des institutions russes et la maturité démocratique de ce pays.
L'entrée de la Russie au Conseil de l'Europe, entrée à laquelle, vous le savez, le gouvernement français était très favorable et a beaucoup contribué, représente un signal majeur de la part des démocraties européennes vis-à-vis de la Russie. Cela doit encourager les autorités russes à persévérer dans la voie des réformes, dans l'unification d'un Etat de droit et aussi dans la recherche d'un règlement pacifique des conflits internes. Je pense, bien sûr, à la crise en Tchétchénie qui ne peut être résolue que par la voie du dialogue. Nous en avons longuement parlé ce matin avec le Président de la Douma et j'en parlerai à nouveau cet après- midi, avec le Premier ministre, Viktor Tchernomyrdine.
Je sais bien les interrogations qui peuvent nous venir à l'esprit et il est normal d'en débattre. Mais il ne faut pas oublier l'immense chemin que la Russie a parcouru en quelques années vers une société démocratique, pluraliste, ouverte et aussi vers l'économie de marché.
Ma visite officielle en Russie suit de quelques semaines celle de M. Hervé de Charette, ministre des Affaires étrangères. Elle précède celle que le Président de la République fera à Madrid, à l'occasion du Sommet du G8 sur la sûreté nucléaire civile qu'il co-présidera, vous le savez, avec le Président Eltsine. Puis, nous aurons la visite du chef de l'Etat russe à Lyon en juin prochain à l'occasion du Sommet des pays les plus industrialisés.
Toutes ces rencontres s'inscrivent dans ce que nous appelons "le partenariat privilégié" que nos deux pays ont décidé d'établir entre eux, sous l'impulsion de nos deux présidents. Ce "partenariat privilégié" correspond, sur le plan politique, au rôle majeur que la France et la Russie sont appelées à jouer en Europe et dans le monde. Il a conduit nos deux chefs d'Etat à donner un nouvel élan à nos relations économiques en créant cette Commission permanente au niveau des deux Premiers ministres dont l'ambassadeur parlait à l'instant, et qui nous donnera l'occasion de nous voir deux fois par an à Paris et à Moscou. Soyez sûrs que je répondrai à l'invitation implicite que vous m'avez lancée car je trouve qu'on respire mieux, avec quelque distance, par rapport au microcosme parisien. Cela fait du bien de temps en temps de s'aérer les poumons et l'esprit.
Je vais tenir cet après-midi avec M. Tchernomyrdine la première session de cette commission économique. Nous allons signer des accords importants et identifier des secteurs et des projets concrets de coopération. Je suis sûr que nous donnerons ainsi un bon départ à notre nouveau cadre de travail qui a le grand mérite d'associer directement les opérateurs économiques, et c'est sa vocation propre.
Je voudrais saluer l'importante délégation d'hommes d'affaires français qui m'accompagne et qui doit participer aux travaux de la Commission, sous la conduite de M. Michel Freyche, le vice-président du CNPF international et président du Comité Russie. Je salue aussi Monsieur Lucien Rebuffel, vice-président du Conseil économique et social et président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises ; nos PME ont, j'en suis sûr, leur carte à jouer dans la modernisation de l'économie russe et il est bon de les encourager à s'intéresser à ce marché, où certaines d'entre elles déjà réussissent des percées remarquables.
La présence de nos entrepreneurs aujourd'hui à Moscou confirme bien toute l'importance que les milieux d'affaires français attachent au développement des relations économiques avec la Russie. C'est un signe très positif.
Vous êtes, mes chers compatriotes, les relais permanents de l'action et du rayonnement de la France en Russie. Que ce soit dans l'économie et la finance, dans l'éducation et la culture, dans les médias ou encore ici à l'ambassade et dans les divers services de l'Etat, votre contribution au développement d'une relation franco-russe forte et dynamique est évidemment irremplaçable et je voudrais, une nouvelle fois, comme je l'ai fait en tant que ministre des Affaires étrangères, vous remercier sincèrement, chaleureusement, pour tout ce que vous faites en Russie. Je le fais au nom des ministres qui m'accompagnent.
Je sais que l'exercice de vos activités ne va pas sans multiples difficultés. Celles que l'on rencontre toujours à l'étranger et plus particulièrement dans un pays en profonde transformation. Vous savez que je m'y suis intéressé à chacune de mes visites. J'ai tenu à vous rencontrer à nouveau aujourd'hui avec les ministres et les parlementaires de nos deux Assemblées - l'Assemblée nationale et le Sénat -, qui m'accompagnent. Nous veillerons à ce que vos préoccupations, que le futur consulat de plein exercice sera chargé de prendre en compte encore plus efficacement, reçoivent toute l'attention voulue au Quai d'Orsay et au sein du gouvernement. Celui-ci fait et continuera à faire de son mieux pour y répondre, qu'il s'agisse des problèmes de votre vie quotidienne, des problèmes de sécurité ou des problèmes de l'éducation de vos enfants, sans doute les plus aigus, et c'est bien normal dans la vie quotidienne qu'est la vôtre ici.
J'ai d'ailleurs pu m'en apercevoir puisque, tout à l'heure, devant la plaque de Normandie- Niemen où je déposais une gerbe, j'ai pu recevoir une délégation de lycéens très sympathiques, positifs, qui sont venus me faire part de certaines de leurs préoccupations, et c'est vrai qu'il y a des problèmes. Je les connais depuis longtemps. Faire travailler des enfants dans des locaux où la température est parfois inférieure à 15 degrés, comme ils me l'ont expliqué, c'est difficile. Je sais qu'il y a également des problèmes de capacité, nous travaillons avec les autorités russes depuis des années, sur la récupération de locaux qui nous seraient bien utiles. Si cela tarde trop, nous ne devons pas nous interdire de rechercher d'autres solutions. Je viens d'en parler avec l'ambassadeur.
Permettez-moi pour conclure de former des vux pour notre pays qui est engagé dans un grand effort de solidarité sociale et de redressement économique et financier, ce n'est pas facile, mais qui doit vous permettre, car c'est l'objectif, d'être présents aux grands rendez-vous de l'Union européenne qui sont sur l'agenda dans les semaines qui viennent - puisque la conférence intergouvernementale commence bientôt - et les années qui viennent, avec l'Union économique et monétaire et l'élargissement de l'Union européenne, qui est un grand défi que nous devons réussir, et pour lequel la France doit être dans le peloton de tête des nations européennes.
S'y préparer demande des efforts. Nous consentons aujourd'hui ces efforts. Ce n'est pas facile, je le répète, et c'est la voie à suivre. Vous devez en être ici, sans doute, plus conscients encore que sur le territoire national.
Je forme aussi des voeux pour la Russie dont la stabilité et la prospérité sont indispensables à la paix de notre continent, à la paix du monde, à la construction de la grande Europe.
Des voeux enfin pour vous tous, pour vos familles, pour le succès de vos activités qui perpétuent la grande tradition de l'amitié franco-russe. Je voudrais exprimer, au nom de ma femme et de moi-même, la reconnaissance à M. et Mme Morel pour la façon toujours souriante et efficace dont ils nous accueillent ici, et à tous les services de l'ambassade. Je sais qu'une visite de Premier ministre, c'est toujours beaucoup de dérangement, de travail, beaucoup de tension, beaucoup d'inquiétude pour que tout se passe bien. Et je suis sûr que nous allons avoir, au cours des quelques instants qui nous sont réservés maintenant, la possibilité d'aller plus loin dans l'expression de vos préoccupations.
Merci encore à ce que vous faites, je l'ai dit, pour la présence de la France ici. Vive l'amitié franco-russe ! Vive la République ! .
Conférence de presse conjointe du Premier ministre, M. Alain Juppé, et du Premier ministre russe,
M. Viktor Tchernomyrdine
(Moscou, 15 février 1996)
Je voudrais tout d'abord, au nom de la délégation que je conduis, notamment mes collègues du gouvernement, remercier le Premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, pour l'accueil extrêmement chaleureux qu'il nous a réservé et pour les longues heures de travail que nous avons pu avoir cet après-midi.
Nous avons bien entendu abordé, I'un et l'autre, I'ensemble des questions d'intérêt
commun entre la France et la Russie et j'ai pu, à cette occasion, redire avec force l'intérêt que nous attachons au partenariat privilégié qui lie la France à ce grand peuple qu'est le peuple russe.
L'essentiel de nos travaux a porté sur les questions économiques puisque, avec M. Tchernomyrdine, nous nous sommes vus pour concrétiser les décisions prises récemment par le Président Eltsine et par le Président Chirac. Nous avons donc mis en place la commission franco-russe pour les questions économiques.
Les travaux de cette commission sont marqués par l'originalité puisque y participent des représentants éminents de l'activité économique de chacun de nos deux pays et plus particulièrement, en ce qui concerne la France, près de 40 responsables d'entreprise qui ont pu participer à la première réunion de cette nouvelle commission.
Je retiendrai de nos travaux trois points marquants :
D'abord, nous avons pu parler très librement des projets en cours, proches en réalisation ou encore en gestation, et le faire avec une très grande liberté de ton, ce qui nous a permis de mettre en valeur, quand c'était nécessaire, certaines difficultés auxquelles nous pouvons nous heurter, qu'elles soient de caractère juridique, administratif, parfois comptable. Mais, de ce point de vue, nous avons enregistré de la part de nos partenaires russes des positions très ouvertes.
Deuxième point important : cette rencontre nous a permis de constater que, même si nos relations économiques ne sont pas encore au niveau que nous souhaitons, les uns et les autres, la bonne direction est prise. Nos échanges bilatéraux ont augmenté de 15% dans les 10 premiers mois de l'année 1995. Nous sommes aujourd'hui en troisième position parmi les investisseurs étrangers en Russie et certains grands contrats, comme celui signé par Total pour le champ pétrolier de Khariaga vont encore permettre de développer notre coopération.
En outre, les projets "dans les tuyaux", si je peux utiliser cette expression familière, sont extraordinairement nombreux dans un très grand nombre de domaines : de l'espace à l'aéronautique, en passant par l'agro-alimentaire ou l'énergie.
Enfin, cette réunion était importante parce qu'elle nous a permis d'aboutir à la signature de six textes :
Une déclaration concernant l'installation de la commission franco-russe, et cinq textes concernant un accord-cadre dans le secteur de l'énergie, un accord dans le secteur de l'informatique, un accord dans le secteur de l'environnement, un accord pour l'ouverture d'une nouvelle ligne de crédits d'un milliard et demi de francs sur laquelle pourront être imputés un certain nombre de projets, et un accord-cadre de financement dans le secteur pétrolier pour un montant de 2 milliards et demi - soit au total une enveloppe de 4 milliards de facilités nouvelles de financement qui sont ainsi mis en place.
Encore un dernier mot : la France souhaite que la Russie, engagée de manière irréversible dans la voie des réformes économiques, puisse trouver toute sa place dans la communauté internationale. Et, de ce point de vue, nous attachons une attention toute particulière aux négociations qui sont actuellement en cours avec le Fonds monétaire international pour l'octroi d'un crédit à la Russie. Nous espérons que ces négociations pourront aboutir rapidement à un accord.
De même, nous suivons très attentivement et très positivement la négociation d'un
accord de rééchelonnement global de la dette russe commencé en novembre 1995 à Paris.
Enfin, nous soutenons l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce et nous sommes tout à fait prêts à aider la Russie à créer les conditions nécessaires à cette adhésion.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques réflexions introductives que je voulais faire en me réjouissant de la manière dont ces travaux se sont déroulés. Ils sont très prometteurs pour notre coopération économique. Et je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.
Q - (Sur les exportations russes)
R - J'imagine que la question s'adresse à moi, mais je ne vois pas à quelle déclaration vous faites allusion. Je n'ai jamais déclaré que les exportations de la Russie devaient surtout concerner les matières premières. Je ne vois pas où cette déclaration a été faite. Il y a des possibilités de coopération dans bien d'autres domaines. Les matières premières, bien sûr, I'énergie, mais bien d'autres sujets de coopération, de commerce ou d'investissements croisés, sont possibles. Nous en avons évoqué quelques-uns cet après-midi.
Q - (Sur la commission Gore-Tchernomyrdine)
R - Personnellement, je vois très bien la différence entre la commission Gore- Tchernomyrdine et la commission Juppé-Tchernomyrdine. Je suis dans la commission Juppé- Tchernomyrdine, il n'y a pas de doute. C'est bien de la France qu'il s'agit !
Q - Monsieur le Premier ministre, on se félicite des bonnes relations entre la Russie et la France. Différents accords ont été signés. Mais on sait bien qu'il y a une liste des problèmes très aigus, très épineux dans les relations économiques entre nos deux pays. Pour vous citer quelque chose, j'évoque le problème de vente de l'uranium russe à la France, le problème des exportations de poisson russe en France. La plupart de ces problèmes sont en fait des problèmes de relations entre la Russie et l'Union européenne. Mais au fond de ces problèmes, souvent, il y a des problèmes avec la France. Avez-vous eu le temps, pendant vos pourparlers avec vos homologues russes, de vous pencher sur ces problèmes ?
Deuxième petite question: selon des informations en provenance du Cabinet de M. Helmut Kohl, le gouvernement de la France, qui sera leur hôte du futur Sommet du G7, est en train d'élaborer un plan pour accorder à M. Eltsine le statut égal aux autres membres de ce club. Avez-vous des commentaires à faire sur ce sujet ? Je vous remercie.
R - Sur ce dernier point, j'ai un premier commentaire à faire. Je ne vois pas pourquoi vous allez chercher l'information auprès du Cabinet de M. Kohl, alors que, comme je l'ai dit moi-même ou comme le Président de la République l'a dit lui-même, nous souhaitons que la Russie trouve sa place parmi les grands pays du monde, puisqu'elle existe dans le cadre de ce qu'on appelle le G7 aujourd'hui et qui, je l'espère, deviendra un jour le G8.
C'est dans cet esprit que se tiendra au mois d'avril, ici, à Moscou, une réunion à 8 sur les problèmes de sûreté nucléaire, sujet extrêmement important. Et nous souhaitons également qu'à Lyon, au mois de juin, la Russie ait sa place lors du Sommet des grands pays industriels.
Sur le premier point, nous avons parlé aujourd'hui essentiellement de projets d'investissement ou de coopération industrielle, englobant le secteur agro-alimentaire. Nous n'avons pas abordé les questions commerciales, pour une bonne raison, c'est que ces questions relèvent de l'Union européenne, C'est dans ce cadre-là que nous devrons les traiter. Je rappellerai simplement que la France a été très active dans la conclusion de l'accord de partenariat entre l'Union européenne et la Russie. Et je me réjouis de voir que l'accord intérimaire est entré en vigueur le 1er février dernier.
Q - Pourquoi la France n'est-elle que le 8ème fournisseur de la Russie ?
R - Je me permettrai d'ajouter, pour remonter le moral des industriels français, que nous sommes peut-être le 8ème sur le plan commercial, mais que nous sommes le 3ème en matière d'investissements.
Q - Monsieur 1e Premier Ministre français : Boris Elstine s'est plaint aujourd'hui - en présentant sa candidature - du FMI qui ne semble pas prendre en compte les besoins sociaux de la Russie. Il en a appelé au soutien des gouvernements occidentaux. Je voudrais vous demander jusqu'à quel point le gouvernement français est prêt à soutenir Boris Eltsine et la Russie dans ses discussions avec le FMI ?
R - Comme je l'ai dit tout à l'heure dans mon propos introductif, je souhaite qu'un accord soit trouvé entre le Fonds monétaire international et le gouvernement russe. Je sais que cela implique de la part de la Russie des efforts, notamment structurels. Mais, après les conversations que j'ai eues depuis le début de l'après-midi avec M. Tchernomyrdine, j'ai retenu l'information que la Russie était résolument engagée dans la voie de ces réformes et, naturellement, nous lui faisons confiance.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 août 2002)
(Moscou, 15 février 1996)
Je suis très heureux, et Isabelle avec moi, de me retrouver ce matin à Moscou. Comme l'ambassadeur vient de le rappeler, c'est la quatrième fois que je viens en Russie depuis l'automne 1993 et j'ai pu mesurer, de voyage en voyage, l'évolution de ce grand pays dans cette phase tout à fait cruciale de son histoire.
Il y a deux ans, j'avais rencontré une Russie à la recherche d'elle-même, qui semblait encore hésiter entre l'avenir et le passé, entre l'ouverture sur l'extérieur et le retour au conservatisme.
Les élections législatives du 17 décembre dernier, dont le caractère démocratique a été unanimement reconnu, sous contrôle d'ailleurs d'observateurs internationaux dont plusieurs parlementaires français qui m'accompagnent aujourd'hui, et la perspective du scrutin présidentiel de juin prochain, confirment la solidité croissante des institutions russes et la maturité démocratique de ce pays.
L'entrée de la Russie au Conseil de l'Europe, entrée à laquelle, vous le savez, le gouvernement français était très favorable et a beaucoup contribué, représente un signal majeur de la part des démocraties européennes vis-à-vis de la Russie. Cela doit encourager les autorités russes à persévérer dans la voie des réformes, dans l'unification d'un Etat de droit et aussi dans la recherche d'un règlement pacifique des conflits internes. Je pense, bien sûr, à la crise en Tchétchénie qui ne peut être résolue que par la voie du dialogue. Nous en avons longuement parlé ce matin avec le Président de la Douma et j'en parlerai à nouveau cet après- midi, avec le Premier ministre, Viktor Tchernomyrdine.
Je sais bien les interrogations qui peuvent nous venir à l'esprit et il est normal d'en débattre. Mais il ne faut pas oublier l'immense chemin que la Russie a parcouru en quelques années vers une société démocratique, pluraliste, ouverte et aussi vers l'économie de marché.
Ma visite officielle en Russie suit de quelques semaines celle de M. Hervé de Charette, ministre des Affaires étrangères. Elle précède celle que le Président de la République fera à Madrid, à l'occasion du Sommet du G8 sur la sûreté nucléaire civile qu'il co-présidera, vous le savez, avec le Président Eltsine. Puis, nous aurons la visite du chef de l'Etat russe à Lyon en juin prochain à l'occasion du Sommet des pays les plus industrialisés.
Toutes ces rencontres s'inscrivent dans ce que nous appelons "le partenariat privilégié" que nos deux pays ont décidé d'établir entre eux, sous l'impulsion de nos deux présidents. Ce "partenariat privilégié" correspond, sur le plan politique, au rôle majeur que la France et la Russie sont appelées à jouer en Europe et dans le monde. Il a conduit nos deux chefs d'Etat à donner un nouvel élan à nos relations économiques en créant cette Commission permanente au niveau des deux Premiers ministres dont l'ambassadeur parlait à l'instant, et qui nous donnera l'occasion de nous voir deux fois par an à Paris et à Moscou. Soyez sûrs que je répondrai à l'invitation implicite que vous m'avez lancée car je trouve qu'on respire mieux, avec quelque distance, par rapport au microcosme parisien. Cela fait du bien de temps en temps de s'aérer les poumons et l'esprit.
Je vais tenir cet après-midi avec M. Tchernomyrdine la première session de cette commission économique. Nous allons signer des accords importants et identifier des secteurs et des projets concrets de coopération. Je suis sûr que nous donnerons ainsi un bon départ à notre nouveau cadre de travail qui a le grand mérite d'associer directement les opérateurs économiques, et c'est sa vocation propre.
Je voudrais saluer l'importante délégation d'hommes d'affaires français qui m'accompagne et qui doit participer aux travaux de la Commission, sous la conduite de M. Michel Freyche, le vice-président du CNPF international et président du Comité Russie. Je salue aussi Monsieur Lucien Rebuffel, vice-président du Conseil économique et social et président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises ; nos PME ont, j'en suis sûr, leur carte à jouer dans la modernisation de l'économie russe et il est bon de les encourager à s'intéresser à ce marché, où certaines d'entre elles déjà réussissent des percées remarquables.
La présence de nos entrepreneurs aujourd'hui à Moscou confirme bien toute l'importance que les milieux d'affaires français attachent au développement des relations économiques avec la Russie. C'est un signe très positif.
Vous êtes, mes chers compatriotes, les relais permanents de l'action et du rayonnement de la France en Russie. Que ce soit dans l'économie et la finance, dans l'éducation et la culture, dans les médias ou encore ici à l'ambassade et dans les divers services de l'Etat, votre contribution au développement d'une relation franco-russe forte et dynamique est évidemment irremplaçable et je voudrais, une nouvelle fois, comme je l'ai fait en tant que ministre des Affaires étrangères, vous remercier sincèrement, chaleureusement, pour tout ce que vous faites en Russie. Je le fais au nom des ministres qui m'accompagnent.
Je sais que l'exercice de vos activités ne va pas sans multiples difficultés. Celles que l'on rencontre toujours à l'étranger et plus particulièrement dans un pays en profonde transformation. Vous savez que je m'y suis intéressé à chacune de mes visites. J'ai tenu à vous rencontrer à nouveau aujourd'hui avec les ministres et les parlementaires de nos deux Assemblées - l'Assemblée nationale et le Sénat -, qui m'accompagnent. Nous veillerons à ce que vos préoccupations, que le futur consulat de plein exercice sera chargé de prendre en compte encore plus efficacement, reçoivent toute l'attention voulue au Quai d'Orsay et au sein du gouvernement. Celui-ci fait et continuera à faire de son mieux pour y répondre, qu'il s'agisse des problèmes de votre vie quotidienne, des problèmes de sécurité ou des problèmes de l'éducation de vos enfants, sans doute les plus aigus, et c'est bien normal dans la vie quotidienne qu'est la vôtre ici.
J'ai d'ailleurs pu m'en apercevoir puisque, tout à l'heure, devant la plaque de Normandie- Niemen où je déposais une gerbe, j'ai pu recevoir une délégation de lycéens très sympathiques, positifs, qui sont venus me faire part de certaines de leurs préoccupations, et c'est vrai qu'il y a des problèmes. Je les connais depuis longtemps. Faire travailler des enfants dans des locaux où la température est parfois inférieure à 15 degrés, comme ils me l'ont expliqué, c'est difficile. Je sais qu'il y a également des problèmes de capacité, nous travaillons avec les autorités russes depuis des années, sur la récupération de locaux qui nous seraient bien utiles. Si cela tarde trop, nous ne devons pas nous interdire de rechercher d'autres solutions. Je viens d'en parler avec l'ambassadeur.
Permettez-moi pour conclure de former des vux pour notre pays qui est engagé dans un grand effort de solidarité sociale et de redressement économique et financier, ce n'est pas facile, mais qui doit vous permettre, car c'est l'objectif, d'être présents aux grands rendez-vous de l'Union européenne qui sont sur l'agenda dans les semaines qui viennent - puisque la conférence intergouvernementale commence bientôt - et les années qui viennent, avec l'Union économique et monétaire et l'élargissement de l'Union européenne, qui est un grand défi que nous devons réussir, et pour lequel la France doit être dans le peloton de tête des nations européennes.
S'y préparer demande des efforts. Nous consentons aujourd'hui ces efforts. Ce n'est pas facile, je le répète, et c'est la voie à suivre. Vous devez en être ici, sans doute, plus conscients encore que sur le territoire national.
Je forme aussi des voeux pour la Russie dont la stabilité et la prospérité sont indispensables à la paix de notre continent, à la paix du monde, à la construction de la grande Europe.
Des voeux enfin pour vous tous, pour vos familles, pour le succès de vos activités qui perpétuent la grande tradition de l'amitié franco-russe. Je voudrais exprimer, au nom de ma femme et de moi-même, la reconnaissance à M. et Mme Morel pour la façon toujours souriante et efficace dont ils nous accueillent ici, et à tous les services de l'ambassade. Je sais qu'une visite de Premier ministre, c'est toujours beaucoup de dérangement, de travail, beaucoup de tension, beaucoup d'inquiétude pour que tout se passe bien. Et je suis sûr que nous allons avoir, au cours des quelques instants qui nous sont réservés maintenant, la possibilité d'aller plus loin dans l'expression de vos préoccupations.
Merci encore à ce que vous faites, je l'ai dit, pour la présence de la France ici. Vive l'amitié franco-russe ! Vive la République ! .
Conférence de presse conjointe du Premier ministre, M. Alain Juppé, et du Premier ministre russe,
M. Viktor Tchernomyrdine
(Moscou, 15 février 1996)
Je voudrais tout d'abord, au nom de la délégation que je conduis, notamment mes collègues du gouvernement, remercier le Premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, pour l'accueil extrêmement chaleureux qu'il nous a réservé et pour les longues heures de travail que nous avons pu avoir cet après-midi.
Nous avons bien entendu abordé, I'un et l'autre, I'ensemble des questions d'intérêt
commun entre la France et la Russie et j'ai pu, à cette occasion, redire avec force l'intérêt que nous attachons au partenariat privilégié qui lie la France à ce grand peuple qu'est le peuple russe.
L'essentiel de nos travaux a porté sur les questions économiques puisque, avec M. Tchernomyrdine, nous nous sommes vus pour concrétiser les décisions prises récemment par le Président Eltsine et par le Président Chirac. Nous avons donc mis en place la commission franco-russe pour les questions économiques.
Les travaux de cette commission sont marqués par l'originalité puisque y participent des représentants éminents de l'activité économique de chacun de nos deux pays et plus particulièrement, en ce qui concerne la France, près de 40 responsables d'entreprise qui ont pu participer à la première réunion de cette nouvelle commission.
Je retiendrai de nos travaux trois points marquants :
D'abord, nous avons pu parler très librement des projets en cours, proches en réalisation ou encore en gestation, et le faire avec une très grande liberté de ton, ce qui nous a permis de mettre en valeur, quand c'était nécessaire, certaines difficultés auxquelles nous pouvons nous heurter, qu'elles soient de caractère juridique, administratif, parfois comptable. Mais, de ce point de vue, nous avons enregistré de la part de nos partenaires russes des positions très ouvertes.
Deuxième point important : cette rencontre nous a permis de constater que, même si nos relations économiques ne sont pas encore au niveau que nous souhaitons, les uns et les autres, la bonne direction est prise. Nos échanges bilatéraux ont augmenté de 15% dans les 10 premiers mois de l'année 1995. Nous sommes aujourd'hui en troisième position parmi les investisseurs étrangers en Russie et certains grands contrats, comme celui signé par Total pour le champ pétrolier de Khariaga vont encore permettre de développer notre coopération.
En outre, les projets "dans les tuyaux", si je peux utiliser cette expression familière, sont extraordinairement nombreux dans un très grand nombre de domaines : de l'espace à l'aéronautique, en passant par l'agro-alimentaire ou l'énergie.
Enfin, cette réunion était importante parce qu'elle nous a permis d'aboutir à la signature de six textes :
Une déclaration concernant l'installation de la commission franco-russe, et cinq textes concernant un accord-cadre dans le secteur de l'énergie, un accord dans le secteur de l'informatique, un accord dans le secteur de l'environnement, un accord pour l'ouverture d'une nouvelle ligne de crédits d'un milliard et demi de francs sur laquelle pourront être imputés un certain nombre de projets, et un accord-cadre de financement dans le secteur pétrolier pour un montant de 2 milliards et demi - soit au total une enveloppe de 4 milliards de facilités nouvelles de financement qui sont ainsi mis en place.
Encore un dernier mot : la France souhaite que la Russie, engagée de manière irréversible dans la voie des réformes économiques, puisse trouver toute sa place dans la communauté internationale. Et, de ce point de vue, nous attachons une attention toute particulière aux négociations qui sont actuellement en cours avec le Fonds monétaire international pour l'octroi d'un crédit à la Russie. Nous espérons que ces négociations pourront aboutir rapidement à un accord.
De même, nous suivons très attentivement et très positivement la négociation d'un
accord de rééchelonnement global de la dette russe commencé en novembre 1995 à Paris.
Enfin, nous soutenons l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce et nous sommes tout à fait prêts à aider la Russie à créer les conditions nécessaires à cette adhésion.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques réflexions introductives que je voulais faire en me réjouissant de la manière dont ces travaux se sont déroulés. Ils sont très prometteurs pour notre coopération économique. Et je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.
Q - (Sur les exportations russes)
R - J'imagine que la question s'adresse à moi, mais je ne vois pas à quelle déclaration vous faites allusion. Je n'ai jamais déclaré que les exportations de la Russie devaient surtout concerner les matières premières. Je ne vois pas où cette déclaration a été faite. Il y a des possibilités de coopération dans bien d'autres domaines. Les matières premières, bien sûr, I'énergie, mais bien d'autres sujets de coopération, de commerce ou d'investissements croisés, sont possibles. Nous en avons évoqué quelques-uns cet après-midi.
Q - (Sur la commission Gore-Tchernomyrdine)
R - Personnellement, je vois très bien la différence entre la commission Gore- Tchernomyrdine et la commission Juppé-Tchernomyrdine. Je suis dans la commission Juppé- Tchernomyrdine, il n'y a pas de doute. C'est bien de la France qu'il s'agit !
Q - Monsieur le Premier ministre, on se félicite des bonnes relations entre la Russie et la France. Différents accords ont été signés. Mais on sait bien qu'il y a une liste des problèmes très aigus, très épineux dans les relations économiques entre nos deux pays. Pour vous citer quelque chose, j'évoque le problème de vente de l'uranium russe à la France, le problème des exportations de poisson russe en France. La plupart de ces problèmes sont en fait des problèmes de relations entre la Russie et l'Union européenne. Mais au fond de ces problèmes, souvent, il y a des problèmes avec la France. Avez-vous eu le temps, pendant vos pourparlers avec vos homologues russes, de vous pencher sur ces problèmes ?
Deuxième petite question: selon des informations en provenance du Cabinet de M. Helmut Kohl, le gouvernement de la France, qui sera leur hôte du futur Sommet du G7, est en train d'élaborer un plan pour accorder à M. Eltsine le statut égal aux autres membres de ce club. Avez-vous des commentaires à faire sur ce sujet ? Je vous remercie.
R - Sur ce dernier point, j'ai un premier commentaire à faire. Je ne vois pas pourquoi vous allez chercher l'information auprès du Cabinet de M. Kohl, alors que, comme je l'ai dit moi-même ou comme le Président de la République l'a dit lui-même, nous souhaitons que la Russie trouve sa place parmi les grands pays du monde, puisqu'elle existe dans le cadre de ce qu'on appelle le G7 aujourd'hui et qui, je l'espère, deviendra un jour le G8.
C'est dans cet esprit que se tiendra au mois d'avril, ici, à Moscou, une réunion à 8 sur les problèmes de sûreté nucléaire, sujet extrêmement important. Et nous souhaitons également qu'à Lyon, au mois de juin, la Russie ait sa place lors du Sommet des grands pays industriels.
Sur le premier point, nous avons parlé aujourd'hui essentiellement de projets d'investissement ou de coopération industrielle, englobant le secteur agro-alimentaire. Nous n'avons pas abordé les questions commerciales, pour une bonne raison, c'est que ces questions relèvent de l'Union européenne, C'est dans ce cadre-là que nous devrons les traiter. Je rappellerai simplement que la France a été très active dans la conclusion de l'accord de partenariat entre l'Union européenne et la Russie. Et je me réjouis de voir que l'accord intérimaire est entré en vigueur le 1er février dernier.
Q - Pourquoi la France n'est-elle que le 8ème fournisseur de la Russie ?
R - Je me permettrai d'ajouter, pour remonter le moral des industriels français, que nous sommes peut-être le 8ème sur le plan commercial, mais que nous sommes le 3ème en matière d'investissements.
Q - Monsieur 1e Premier Ministre français : Boris Elstine s'est plaint aujourd'hui - en présentant sa candidature - du FMI qui ne semble pas prendre en compte les besoins sociaux de la Russie. Il en a appelé au soutien des gouvernements occidentaux. Je voudrais vous demander jusqu'à quel point le gouvernement français est prêt à soutenir Boris Eltsine et la Russie dans ses discussions avec le FMI ?
R - Comme je l'ai dit tout à l'heure dans mon propos introductif, je souhaite qu'un accord soit trouvé entre le Fonds monétaire international et le gouvernement russe. Je sais que cela implique de la part de la Russie des efforts, notamment structurels. Mais, après les conversations que j'ai eues depuis le début de l'après-midi avec M. Tchernomyrdine, j'ai retenu l'information que la Russie était résolument engagée dans la voie de ces réformes et, naturellement, nous lui faisons confiance.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 août 2002)