Interview de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à France Info le 22 novembre 2006, sur l'assassinat de Pierre Gemayel, ministre libanais de l'industrie.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral

Q - Vous savez, la question que l'on se pose toujours après un assassinat : à qui, selon vous, profite le crime de Pierre Gemayel ?
R - Permettez-moi, avant tout, de rappeler notre consternation, notre immense émotion, celle du président de la République, la mienne et celle des Français, après l'attentat qui a coûté la vie, hier, à Pierre Gemayel. Dans ces heures tragiques, ma sympathie va bien sûr à sa famille, à ses proches et à ses amis du gouvernement. Je crois, surtout, qu'à travers Pierre Gemayel, on a voulu toucher une grande famille du Liban qui est au centre de la vie politique libanaise. Ce sont la souveraineté et l'indépendance du Liban qui sont visées. Je crois qu'il faut répondre à cela en disant qu'après cet attentat, les Libanais auront encore plus envie que jamais d'être souverains et d'être libres.
Q - Philippe Douste-Blazy, partagez-vous l'opinion de Marwan Hamadé, le ministre libanais des Télécommunications qui, dès hier sur notre antenne, accusait la Syrie d'être derrière la mort de Pierre Gemayel ?
R - Je me garderai bien de désigner des coupables à ce stade, même si, après ce nouvel attentat qui fait suite à tant d'autres, chacun peut se faire une opinion. Ce qui est certain, ce qui est urgent, ce qui est indispensable plus que jamais, c'est que ceux qui ont perpétré et commandité ces assassinats répondent de leurs crimes.
Après le gouvernement libanais la semaine dernière, cette nuit, au Conseil de sécurité des Nations unies - dont la France est membre permanent, nous avons approuvé ce Tribunal international qui devra juger les assassins qui ont commis ces lâchetés. C'est, je crois, la seule solution pour que cela s'arrête car sinon, cela peut continuer. A la déstabilisation du Liban aujourd'hui en marche, il faut répondre par la plus grande fermeté. Il faut répondre à cet assassinat par le courage.
Q - Vous ne citez pas la Syrie, on l'a bien noté mais, depuis la mort de Rafic Hariri, la France a gelé ses relations diplomatiques avec la Syrie. Ne serait-il pas tout de même plus raisonnable aujourd'hui de les reprendre ?
R - La question n'est pas le pays lui-même, la Syrie, ce ne sont pas ses habitants.
Q - Non, c'est le régime !
R - Oui, mais lorsque vous voulez reprendre une discussion avec un régime, lorsque vous voulez parler d'un ministre des Affaires étrangères à un autre, par exemple, ou de chef d'Etat à chef d'Etat, il faut une chose qui n'existe pas aujourd'hui entre eux et nous : c'est la confiance.
Q - En Grande-Bretagne, Tony Blair et des démocrates américains estiment qu'il ne faut pas isoler la Syrie ; ont-ils raison ?
R - Par définition, il ne faut jamais isoler un pays sauf si ce pays s'isole lui-même. Prenez ce qui s'est passé, puisque vous parlez de Tony Blair : récemment, un émissaire de Tony Blair est allé en Syrie. Il y a eu des discussions au plus haut niveau avec les autorités syriennes et, quelques heures après, les autorités syriennes démentaient ce qu'elles avaient dit.
Mon collègue et ami, M. Moratinos, le ministre des Affaires étrangères espagnol, est allé voir le président Al Assad cet été, il a fait une conférence de presse à la sortie. Une heure après, le président syrien disait également le contraire.
Q - On ne peut donc pas avoir confiance en la Syrie ?
R - C'est le message que je vous passe et il est absolument majeur d'essayer de faire en sorte, comme le président de la République l'a souhaité, qu'il y ait une aide permanente au Liban. Le Liban a besoin de nous, le Liban a besoin d'être un pays libre et que son Etat de droit soit restauré.
Q - Justement, Monsieur Douste-Blazy, hasard du calendrier, la France venait d'annoncer la tenue d'une conférence sur la reconstruction du Liban pour janvier prochain. Aujourd'hui, cette conférence ne semble-t-elle pas un peu prématurée, voire caduque ?
R - Plus que jamais, le Liban doit se reconstruire. Nous devons aider le gouvernement de M. Siniora, nous devons aider cette majorité parlementaire portée par Saad Hariri car si ce n'est pas nous, ce seront des forces anti-libanaises qui le feront, ce seront des pays voisins. En tout cas, nous devons les aider. Cette conférence se tiendra à la fin du mois de janvier 2007. Je suis heureux de savoir, et le président de la République y est pour beaucoup, que c'est la France qui a été choisie pour la tenue de cette conférence.
Q - Il s'agit essentiellement de fonds, d'argent, c'est important. Hier, le président libanais a mis en garde contre une désintégration du Liban. Que peut faire la France concrètement ?
R - Nous devons pousser, avec nos partenaires, la mise en oeuvre de la résolution 1701, ce qui veut dire le retrait israélien. C'est fait, c'est très bien. Le déploiement de l'armée libanaise au Sud-Liban, cela se fait aussi. Mais il reste deux grands sujets : le survol aérien israélien du Sud-Liban qui, tous les jours, porte atteinte à la souveraineté du Liban et l'embargo sur les armes à destination du Hezbollah. Nous devons contrôler cet embargo. Il ne faut pas que le Hezbollah qui a déclenché la guerre du Liban, ce n'est pas Israël qui a commencé la guerre du Liban, c'est le Hezbollah, eh bien, le Hezbollah ne doit pas se réarmer et nous devons tout faire pour cela.
Ensuite, reste l'accord politique avec les fermes de Chebaa. J'espère que les Américains et les Israéliens comprendront qu'il faut nous aider et qu'il faut suivre ce que Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies, a proposé récemment.
Q - Vous le rappelez, la France dispose aujourd'hui de troupes dans le sud du Liban, c'est bien sûr le cadre de la FINUL élargie, la mission de ces troupes pourrait-elle évoluer si des troubles graves intervenaient au Liban ?
R - Nous sommes actuellement sous chapitre sept de la Charte des Nations unies. Nous sommes là pour faire respecter la résolution 1701 et le président de la République l'a encore redit récemment, en particulier aux Israéliens, mais nous devons le faire aussi vis-à-vis du réarmement du Hezbollah. Nous sommes là pour faire respecter la résolution 1701 qui, je le rappelle, a été votée à l'unanimité dans la nuit du 12 au 13 août 2006 à New York.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 novembre 2006