Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, sur les mesures de prévention et de réparation des mutilations sexuelles féminines, Paris le 4 décembre 2006.

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Circonstance : Colloque "Mutilations sexuelles féminines" à Paris le 4 décembre 2006

Texte intégral

J'ai voulu ce colloque sur les mutilations sexuelles féminines et je tenais tout particulièrement à être présent, parce qu'il s'agit d'une pratique intolérable et que ces actes sont non seulement dangereux pour la santé physique de la femme, mais qu'ils portent aussi gravement atteinte à son intégrité psychologique.
Qui sait qu'aujourd'hui en France, on estime à près de 60 000 femmes et fillettes qui sont excisées ou menacées de l'être, et que dans le monde, ce sont 150 millions qui le sont.
Je veux que toute personne professionnel de terrain, de santé, enseignant ou tout proche, qui voit une personne menacée sache à qui s'adresser pour protéger la jeune fille de l'excision.
Je veux que toute personne qui a subi une excision puisse être prise en charge de manière adéquate : elle doit pouvoir recevoir une aide psychologique et si elle le souhaite, bénéficier de la réparation physique. Ces lieux de prise en charge doivent être facilement accessibles.
La première des choses, c'est que la parole doit totalement se libérer. C'est le silence qui tue.
La vocation première de ce colloque est de lever le tabou qui entoure cette violence faite aux femmes. En parler, c'est déjà avancer et agir. Je veux tout particulièrement remercier les femmes qui ont accepté et qui ont eu le courage de témoigner aujourd'hui, et rendre un hommage particulier à Madame Khadi Koita qui n'a malheureusement pas pu être là aujourd'hui. Je souhaite rendre hommage aux professionnels de santé (notamment des centres de Protection Maternelle et Infantile), et associatifs (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, Commission pour l'Abolition des Mutilations Sexuelles, le Mouvement français pour le planning familial) qui depuis 25 ans se mobilisent contre l'excision, ainsi qu'à Gynécologues sans frontières qui a rejoint cette dynamique. Je souhaite également remercier les services ministériels, les Conseils Nationaux de l'Ordre des médecins et des sages femmes, et l'ensemble des intervenants qui ont permis que se tienne ce colloque.
Car c'est une véritable mobilisation sociétale que nous voulons provoquer . Cette mobilisation va se poursuivre à l'échelle régionale, et je m'en félicite.
I- Je souhaite revenir sur le contenu du colloque lui-même, sur les points qu'il a permis de préciser et sur les besoins qu'il a permis de mettre en évidence :
La pratique de l'excision sur le territoire a sans nul doute régressé, mais elle n'a toutefois pas disparu. Il semble même que si nous devons rester vigilants sur notre territoire, elle est aujourd'hui surtout pratiquée lors de retours au pays, notamment pour les vacances.
Aujourd'hui les leviers législatifs existent, mais ils doivent être mieux connus notamment des professionnels.
Nous avons pu voir également que toutes les régions ne sont pas concernées avec la même acuité par la problématique des mutilations sexuelles en France. Nous devons donc nous adapter à ces réalités de terrain. Neuf régions ont été identifiées comme prioritaires : Nord Pas de Calais, Rhône Alpes, Pays de Loire, Poitou-Charentes, Picardie, Ile de France, Champagne Ardennes, Haute Normandie, PACA). Je veux saluer d'ailleurs, toutes les initiatives menées au niveau régional comme en région Pays de Loire dans la lutte contre ces pratiques. Ces expériences doivent être mutualisées dans les régions où le besoin s'en fait sentir.
L'acte de chirurgie réparatrice, mis au point et pratiqué avec succès depuis près de 10 ans par le docteur Pierre Foldès, constitue pour bon nombre de femmes excisées la promesse d'une vie meilleure et d'une intégrité retrouvée pour 2500 femmes. Il nous appartient d'ouvrir cette possibilité à toutes celles qui souhaiteraient en bénéficier.
Il nous appartient également de prendre toute la mesure des bouleversements qu'entraîne ce geste réparateur, de ses bénéfices sur l'état de santé, mais aussi de ses limites et de ses éventuels inconvénients.
La France n'est pas le seul pays européen confronté à ces pratiques, le témoignage de nos partenaires espagnols, norvégiens et britanniques en atteste. Je souhaite que ces échanges s'inscrivent à l'avenir dans une dynamique d'échanges de bonnes pratiques entre les pays européens confrontés à ces pratiques.
Enfin il a été question de chiffres : nous devons nous appuyer sur des données actualisées, car ici il s'agit d'être certain que notre objectif de mettre fin aux mutilations sexuelles féminines d'ici 2010 au plus tard soit atteint.
II- Grâce à ce colloque, des pistes d'action se sont dessinées ; j'ai décidé de les insérer dans un Plan national d'action pour l'abolition des mutilations sexuelles féminines qui trouvera toute sa place dans le plan national « Violence et Santé » que je présenterai dans les prochaines semaines. Il nous faut d'abord « mieux connaître pour mieux agir »
Il est indispensable de disposer de données actualisées pour :
- mieux estimer la population susceptible d'être concernée par les mutilations en France ;
- mieux comprendre les fondements qui font que malgré la Loi ces pratiques persistent, alors même que parfois elles ont été abolies dans les pays d'origine, mais que ces avancées ne sont pas connues de ceux qui ont quitté le pays depuis longtemps ;
- évaluer le nombre de femmes qui pourraient relever d'une prise en charge chirurgicale.
C'est ainsi que l'étude sur « Excision et handicap » menée à l'Université Paris I par l'INED et l'INSERM a pour objectif de mieux connaître la situation en France (et bénéficiera d'un cofinancement de 60 000 euros de la DGS en 2007). Les résultats seront publiés en 2008 et nous permettront de vérifier que notre objectif qui est d'éradiquer toute mutilation sexuelle féminine en France d'ici 2010 est bien atteint.
Ensuite, il nous faut « prévenir toute nouvelle mutilation sexuelle chez les jeunes filles vivant en France, en informant les personnes potentiellement concernées par l'excision sur son caractère illégal et criminel et en donnant aux professionnels de terrain les outils et les moyens pour repérer et protéger les jeunes filles menacées d'excision »
Tout d'abord, grâce aux plates-formes de l'Agence Nationale de l'Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM) qui sont un passage incontournable pour tous les nouveaux migrants sur le territoire (200 000 visites par an) qui doivent devenir un relais pour la prévention de ces actes.
Le contrat d'accueil et d'intégration sera également l'occasion de rappeler la loi en la matière. Une brochure comportant les coordonnées locales des points de recours sera également distribuée.
Ensuite en aidant les enseignants à repérer dans leur classe des jeunes filles qui risquent d'être mutilées à l'occasion d'un retour au pays ou d'un voyage, afin qu'ils puissent en parler avec les parents et orienter vers les professionnels ou associations en capacité d'agir. Un outil d'aide aux enseignants pour le repérage et l'orientation des jeunes filles à risque de MSF a ainsi été élaboré. Il sera disponible à la rentrée 2007 et élaboré en concertation avec les associations, ainsi que des enseignants.
En permettant à toute personne qui a repéré une fillette menacée de se faire exciser de trouver un contact facilement repérable et accessible. Ainsi un dossier thématique spécifique sera disponible sur le site internet du ministère de la santé dans lequel notamment toutes les coordonnées des permanences associatives seront disponibles. Car elles jouent à cet égard un rôle fondamental.
Les soutiens financiers aux associations sont ainsi augmentés pour organiser un accueil et une écoute de proximité ( y compris téléphonique) au niveau des régions concernées.
Le GAMS est déjà financé par le ministère de la santé via une convention avec la DGS (60 000 euros en 2006, 50 000euros en 2007) pour la formation de relais dans les 9. En 2007, une subvention supplémentaire d'un montant de 100 000 euros (soit un doublement de la subvention) permettra de créer une permanence « accueil et écoute » dans 5 nouvelles régions (Nord Pas de Calais et Rhône Alpes au cours du 1er trimestre 2007, Pays de Loire, Poitou Charentes et Picardie dans le courant de l'année). Actuellement, cet accueil est effectif dans 4 régions (Ile de France, Champagne Ardennes, Haute Normandie et PACA). 50 professionnels de terrain seront formées en 2007 par région. A l'issue de ce cycle de formation, ce sont 450 personnes qui auront été sensibilisées au repérage des fillettes en danger.
En formant davantage l'ensemble des professionnels de santé susceptibles d'être en contact avec des fillettes menacées d'excision ou des personnes susceptibles de commettre dans leur famille des excisions.
S'agissant de la formation initiale : les professionnels de santé doivent bénéficier d'un enseignement sur ce thème lors de leurs études. Une circulaire sera adressée aux doyens de faculté de médecine ainsi qu'aux écoles de sages-femmes, d'infirmières et de puéricultrices pour les informer de la nécessité de dispenser des formations sur l'excision. Elle sera co-signée par mon collègue Gilles de Robien et moi-même d'ici mi-décembre 2006. GynécoSansFrontière qui appuie les services déconcentrés dans l'organisation des mobilisations régionales recevra également 50 000 euros pour coordonner l'édition d'un guide pour les praticiens : Le praticien face aux mutilations sexuelles féminines qui sera disponible à la fin de l'année 2007.
Que toute femme qui se sente menacée ou qui a subi une mutilation puisse être prise en charge de manière adéquate.
Il est indispensable d'organiser une offre de soins de qualité pour répondre aux besoins des femmes dans toutes les régions concernées avec une équipe pluridisciplinaire (chirurgie, psychologue, sexologue) référente par région. Cette question sera inscrite à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ARH, le 21 décembre.
Les actes de réparation clitoridienne sont déjà remboursés. Mais ce que nous voulons c'est qu'ils soient inscrits en tant que tels dans la CCAM afin d'être reconnus comme actes de santé à part entière. J'ai saisi pour cela l'UNCAM qui doit me faire des propositions.
Enfin, il faut sur ce sujet développer les coopérations internationales Europe :
Il nous faut porter le défi d'éradication des MSF en Europe à l'horizon 2015 en marquant que la France compte être en première ligne de ce combat, en saisissant le Conseil de l'Europe.
Je souhaite que cette question soit proposée comme une priorité de santé portée par la France à l'occasion de la présidence de l'Union Européenne au second semestre 2008.
International.
Nous nous appuierons sur le tissu associatif en France pour favoriser la coopération avec les pays dans lesquels se pratiquent encore ses tortures. Il s'agit principalement d'assurer le lien entre les associations, ici et là bas, afin de prévenir des MSF chez des fillettes qui rentreraient dans le pays d'origine de leur parents.
Au moment où certains pays en Afrique luttent drastiquement contre les excisions, au même moment où d'autres pays commencent à voir apparaître d'autres formes de mutilations sexuelles comme le repassage des seins, c'est maintenant même qu'il nous faut agir, au niveau international, national et régional.
Au niveau international pour que la France porte devant l'OMS la lutte contre l'excision comme un combat prioritaire.
Au niveau national pour que le silence assourdissant dans lequel les mutilations sexuelles féminines ont été tenues soit rompu.
Au niveau régional pour que les femmes qui ont subi une excision sachent vers quelle association de terrain se tourner pour être prise en charge et que pour toute personne voyant une fillette menacée d'excision sache vers qui se tourner pour prévenir cet acte intolérable.
Nous avons aujourd'hui un combat commun, il n'y a pas de fatalité, il n'y a qu'une seule évidence, il n'y a qu'un seul enjeu : sauvons ces fillettes du poids du silence, sauvons ces fillettes du poids de tradition qui sont de notre temps.Source http://www.sante.gouv.fr, le 5 décembre 2006