Texte intégral
Alain Marschall : Le Conseil économique et social donne des propositions pour avoir, en France, enfin, des syndicats modernes, faire en sorte que les salariés reviennent vers les syndicats. (...) Parlons-en avec le président de la CFE-CGC, c'est-à-dire les cadres. Pourquoi est-ce que vous êtes contre, vous, ces propositions du Conseil économique et social ?
Bernard van Craeynest : Tout simplement parce que le fond du problème de l'avenir du dialogue social en France, c'est quels acteurs autour de la table pour négocier et, quand on regarde l'évolution des militants, nous aussi, nous sommes frappés par le papyboom et nous avons peur que, demain, nous soyons confrontés à l'absence de militants et c'est pourquoi il nous semble important de ne pas être confrontés à une chimère qui serait l'élection. C'est très bien, l'élection, mais, l'élection, c'est donner un mandat et, nous, la question que nous posons, c'est à qui allons-nous donner ce mandat demain s'il n'y a plus suffisamment de salariés qui s'intéressent à l'action collective ?
AM : Mais est-ce que vous avez réfléchi à la manière justement d'avoir des militants, de les faire adhérer parce que c'est ça ? Ce n'est pas essayer de garder ceux qui risquent de s'en aller, c'est plutôt d'en avoir des nouveaux.
BVC : Absolument et, en particulier, compte tenu de l'évolution du salariat et du fait qu'il y a de plus en plus de salariés dans des petites structures et de moins en moins dans les grandes entreprises. Et donc, c'est déjà revaloriser l'image du syndicalisme, montrer ce qu'il apporte au débat social dans ce pays et puis, c'est sans doute aussi leur montrer que, face à un monde du travail qui est de plus en plus inhumain et qui est de plus en plus déstructuré, l'action collective constitue un ultime rempart.
AM : D'accord mais, là, c'est un petit peu la langue de bois, excusez-moi, mais, concrètement, pourquoi, aujourd'hui, vous défendez la loi de 1966 et ce monopole syndical ?
BVC : On ne défend pas spécialement la loi de 1966. Nous sommes contre le fait de faire croire à l'opinion publique que parce que, demain, on va voter et, encore une fois, il s'agirait de regarder comment on va voter, parce que je vous rappelle que, dans ce pays, il y a moins d'un salarié sur deux qui vote pour des représentants...
AM : Mais parce que ce n'est pas ouvert, parce qu'on sait très bien que les jeux sont faits.
BVC : Mais non, c'est tout simplement parce qu'il y a un tas de petites entreprises dans lesquelles il n'y a jamais d'élections ou dans lesquelles il n'y a jamais de candidats qui se présentent.
AM : Ne parlons pas uniquement des petites entreprises, il y a des entreprises moyennes où on sait très bien que les élections sont jouées d'avance. Donc, effectivement, ça ne donne pas envie d'aller voter.
Karim Zeribi : Vous faites un constat qui est partagé, donc absence de militants, un peu de désaffection, mais, en même temps, je n'ai pas le sentiment que vous vous remettez en question. Je n'ai pas le sentiment que les modes et les pratiques des syndicats évoluent et c'est ça qui m'inquiète. Je me dis, là, vous vous opposez, effectivement, à une évolution proposée par le Conseil économique et social, donc qui est, effectivement, de sortir un peu de, je dirais, des organisations syndicales classiques qu'on pouvait avoir pour ouvrir à une plus large, à une pluralité plus importante mais est-ce que vous vous posez la question, organisations syndicales, pourquoi, aujourd'hui, on n'est plus attractif vis-à-vis du salarié ? C'est quand même ça, la question majeure du syndicalisme aujourd'hui.
BVC : Oui, absolument mais nous sommes tout à fait pour l'ouverture, encore faut-il qu'il y ait des gens qui s'y intéressent, qui se mobilisent et qui veuillent bien s'engager et se présenter aux élections. Je crois que nous avons une offre syndicale qui est suffisamment large puisque, en fait, au delà des cinq centrales syndicales, concrètement, il y en a huit ou neuf qui concourent dans tout un tas de secteurs de l'économie ou des fonctions publiques. Donc, l'offre, on peut encore la développer mais, s'il n'y a plus de gens qui s'engagent et qui s'intéressent à cela...
AM : Donc, c'est la faute des salariés et pas des syndicats si, aujourd'hui, l'action syndicale est proche du zéro en France, contrairement à d'autres pays, comme l'Allemagne ou les pays du Nord.
BVC : Mais, les pays du Nord, on connaît parfaitement les raisons pour lesquelles il y a un engagement beaucoup plus important. C'est historique. Nous, nous avons un siècle d'histoire sociale qui a fait des choix, notamment au début du XXème, de séparer tout ce qui est l'offre de service, la mutualité, etc, de l'action revendicative. Dans les pays d'Europe du Nord, on sait très bien qu'on arrive à des taux de syndicalisation qui vont entre 30 et 70 ou 80 %, tout simplement parce que les salariés savent qu'ils ont intérêt à être adhérents d'une organisation pour bénéficier d'un certain nombre de services, que ça soit sur les prestations d'assurance chômage, la formation ou la protection sociale.
AM : D'accord. Donc, il y a un intérêt. Ca veut dire que, être syndiqué, directement, ça vous relie à votre quotidien, ça fait changer votre vie, en fait...
BVC : Oui mais je crois que...
AM : Tandis que, là, en France, si je comprends bien, être syndiqué, ça ne fait pas changer ma vie.
BVC : C'est surtout que l'image du syndicalisme est extrêmement détériorée parce que on met toujours en avant le blocage des transports, les grèves, les barricades...
Sophie de Menthon : Mais est-ce que vous n'avez pas l'impression aussi, surtout parce que la CGC est un syndicat un peu à part, représente les cadres, c'est assez transversal. Moi, j'ai la sensation, dans le paysage, et pour avoir travaillé avec vous d'ailleurs, que c'était un syndicat très différent des autres. Donc, je peux comprendre un petit peu cette attitude. Vous êtes très différent.
BVC : Oui, effectivement. Nous, nous prétendons représenter toutes celles et ceux qui ont des responsabilités, de l'autonomie, qui s'engagent...
Intervenant : Oui mais qui sont des salariés aussi.
BVC : Qui créent, qui innovent...
SDM : ... Ils sont très différents.
BVC : Qui sont des salariés, qui sont de plus en plus en difficulté, qui se posent de plus en plus de questions sur leur avenir et sur leur place dans l'entreprise et nous pensons que, à partir du moment où ce sont les moteurs de l'économie et des entreprises, il faut qu'ils prennent conscience qu'il y a intérêt à se rassembler, à se mobiliser...
AM : Donc, en conclusion, vous dites " non " à cette réforme ?
Olivier Truchot : Restons sur le même modèle quoi.
BVC : Non...
AM : Non à la réforme, en tout cas ?
BVC : Non, il est évident qu'il faut que ça bouge. Mais il ne faut pas mettre un cautère sur une jambe de bois. Il ne faut pas croire que, au travers de l'élection, on va, demain, avoir la panacée pour répondre au problème qui nous est posé...
AM : Mais on ne peut pas essayer...
BVC : Le problème à horizon de cinq ou six ans...
Christine Mergola (phon), infirmière libérale : Mais, encore une fois - excusez-moi de vous couper, je suis l'invitée de RMC aujourd'hui - mais, encore une fois, personne ne veut prendre des responsabilités, se mouiller, se dire ce qu'il y a à dire et, encore une fois, on va dire " Non, cette réforme, ce n'est pas bon, on passe à autre chose ". Mais on passe à quoi ? A rien, comme d'habitude.
BVC : Non, on passe à une prise de conscience, dans ce pays, de l'intérêt qu'il y a à agir ensemble.
Christine Mergola : Il y a longtemps qu'on aurait dû la prendre cette prise de conscience.
AM : Bernard Van Craeynest, excusez-moi, vous êtes complètement à côté de la plaque. Les Français et les salariés ont cette prise de conscience mais ce sont les dirigeants qui ne l'ont pas, la prise de conscience, parce que vous êtes dans une espèce de pré carré, là, les cinq centrales syndicales... Ne bougeons rien, ne touchons rien et, après, vous vous étonnez que les gens ne se syndiquent pas et quittent les syndicats.
BVC : Ecoutez, je ne suis pas du tout dans une bulle. Moi, j'étais encore en entreprise il y a quatre ans. J'ai un parcours syndical de plus de vingt ans de militantisme où je me suis frotté aux salariés, à la concurrence, à la compétition et aux élections. Ca ne me dérange absolument pas mais je suis issu d'une grande entreprise. Ce que je constate, c'est qu'il y a un tas de salariés en grand désarroi qui viennent nous trouver quand il est toujours trop tard, c'est-à-dire quand ils sont menacés de licenciement, quand ils sont en grande difficulté et, ça, je voudrais qu'on renverse la vapeur et qu'on ait quelque chose...
SDM : Mais, vous, vous n'avez rien à craindre de la concurrence, vous, parce que, les cadres, c'est à part. Donc, c'est plutôt les autres qui ont à craindre de la concurrence.
BVC : Il faut qu'il y ait de la concurrence et il faut que les gens prennent conscience et se mobilisent.
Karim Zeribi : Plus qu'une prise de conscience, je dirais que c'est une crise de confiance et, à mon avis, vous ne faites pas le bon diagnostic. C'est une crise de confiance et c'est pareil avec les hommes politiques et les partis politiques.
SDM : Personne n'a jamais eu confiance dans les syndicats.Source http://www.cfecgc.org, le 1er décembre 2006