Texte intégral
Parmi toutes nos responsabilités, il en est une qui transcende toutes les autres : c'est de ne pas vivre au crédit des générations futures. Ne pas laisser de dettes à nos enfants, ni financières ni environnementales, telle doit être l'obsession de chacun de nous, dans sa vie et dans ses responsabilités politiques.
Sur des sujets aussi majeurs et irréversibles que le réchauffement climatique, la posture du « on verra plus tard » n'est pas tenable car son coût est prohibitif.
Les rapports de Nicholas STERN et de Christian de BOISSIEU, après la batterie de leurs prédécesseurs, ont beaucoup contribué à cette nécessaire prise de conscience collective. En chiffrant comptablement le prix de notre inaction, ils ont apporté au débat écologique une dimension concrète et intelligible qui a manqué jusqu'ici à son appropriation par le plus grand nombre.
Il faut convaincre et surmonter cette myopie collective qui se nourrit d'une opposition classique, pourtant fausse et stérile, entre « écologie » et « économie ». Elle est fausse car la politique de l'environnement ne peut pas se limiter aux marges tenues laissées par l'appareil productif. Elle est stérile et coûteuse car elle retarde l'action et privilégie les instruments les moins efficaces.
Alors, oui, vous comprendrez que je sois particulièrement heureux d'ouvrir les travaux de ce colloque. Et vous voir si nombreux ce matin, venus de France et d'ailleurs, pour échanger sur les moyens d'agir sur le climat, mais surtout d'agir vite, de manière innovante et par le jeu des arbitrages économiques, je trouve cela très stimulant.
Pour agir le plus efficacement possible, nous devons créer les signaux et inventer les nouveaux outils pour conduire le système économique à intégrer les exigences du développement durable. C'est comme cela j'en suis convaincu, que nous saurons réconcilier la croissance et les enjeux majeurs de l'environnement.
Le réchauffement climatique est évidemment un de ces grands périls, menaçant les écosystèmes et les économies à l'échelle globale.
C'est sur ce défi que doivent se concentrer nos efforts et notre créativité, technologique et financière. Et le meilleur moyen de réduire l'utilisation de quelque chose de gratuit, c'est évidemment de lui donner un prix. Pour progresser efficacement vers une économie décarbonée, il faut donner une valeur monétaire aux gaz à effet de serre, de sorte que celui qui émet des tonnes de CO2 dans l'atmosphère en assume le coût social, de sorte que celui qui investit dans des énergies plus sobres en carbone en soit équitablement récompensé.
Nous devons créer de l'incitation chez tous les acteurs économiques qui n'en ressentent pas aujourd'hui.
Alors, bien sûr, pour donner un prix aux choses, il y a toujours le levier de la fiscalité.
Il faut l'affiner et la moderniser pour mieux appréhender les problématiques environnementales, ce que nous avons demandé au groupe de travail que j'ai installé avec la ministre de l'écologie en février dernier sous la présidence du vice gouverneur de la Banque de France.
Mais je crois que c'est sur le terrain encore imparfaitement exploré des marchés de permis d'émission négociables que les progrès les plus significatifs sont à rechercher.
C'est sur cette voie aujourd'hui que la France veut franchir une nouvelle étape dans la lutte contre le réchauffement climatique, en créant les conditions pour qu'émergent ce qu'on appelle « des projets domestiques ».
Plusieurs motifs à cette décision importante :
Pour l'instant le « carbone » n'influence les choix d'investissements et les stratégies productives que pour un millier de sites industriels et énergétiques importants. Pour des raisons compréhensibles liées à l'efficacité du marché, l'UE a préféré cantonner dans un premier temps son système d'échanges aux secteurs de l'industrie et de l'énergie. C'est un dispositif important au titre duquel la France va notifier un nouveau plan national dans les toutes prochaines semaines.
Il reste que ces secteurs représentent seulement ¼ des émissions globales de la France, contre 45 % pour l'UE.
Et ce petit quart a vocation à diminuer encore, dans la continuité des efforts engagés depuis plusieurs décennies : de 1990 à 2005, les émissions de gaz à effet de serre de l'industrie manufacturière ont chuté de 21,6 %, celles de la production d'énergie de 9,1 %.
Le respect des engagements que nous avons pris dans le cadre du protocole de Kyoto en 2008-2012 et la réussite du scénario facteur 4 à l'horizon 2050 vont donc se jouer sur les « 75 % restants ». Qui plus est, nous parlons ici d'émissions qui sont parfois en forte croissance, + 22,7 % pour les transports et + 22,3 % pour le bâtiment entre 1990 et 2004. Nous parlons aussi d'émissions dont la principale caractéristique est leur caractère diffus, décentralisé, ancré dans les habitudes quotidiennes de tous les Français.
Bien entendu, nous n'arrivons pas ici en terrain inconnu, vierge de toute intervention publique : taxes sur la consommation de combustibles fossiles, crédits d'impôts pour les travaux de maîtrise de l'énergie, tarifs de rachat de l'électricité renouvelable, tous ces instruments sont déjà en place.
Toutefois, que ce soit dans l'opinion publique, l'affichage politique ou la réalité économique de tous les jours, le prix du CO2 reste une donnée abstraite, virtuelle, lointaine. Les projets domestiques sont précisément conçus pour que la valeur du carbone évité puisse être prise en compte par l'ensemble du tissu économique et exercer ainsi un effet de levier financier pour le développement et la diffusion des technologies à faibles émissions de CO2.
Une deuxième raison au choix fait par le gouvernement, c'est que le formidable essor des mécanismes de projet du protocole de Kyoto laisse pour l'instant à l'écart les économies des pays développés.
Ces mécanismes ont été créés pour permettre à nos entreprises de tirer parti des gisements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans des pays en développement et des économies en transition, où les coûts sont particulièrement bas. L'outil s'est révélé d'une grande efficacité pour mettre en oeuvre en premier les projets dont les coûts d'abattement sont les plus faibles dans le monde.
Il nous faut maintenant capitaliser sur cette logique de projet qui a porté ses fruits à l'étranger pour influer sur l'intensité énergétique et les choix technologiques dans notre pays. Les projets domestiques ont justement pour vocation de combler cette lacune : mobiliser sans plus tarder le potentiel d'investissements « dormants » pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre de la façon la plus efficiente possible, telle est la finalité première du dispositif.
Ce sont toutes ces raisons qui ont poussé le Gouvernement à créer les conditions pour que les projets domestiques puissent se déployer dès 2008 sur base d'appels à projets très rapides. Les derniers réglages restent à faire, notamment sur l'additionnalité des efforts réalisés et la sécurisation de leurs résultats nets dans le bilan carbone, mais l'essentiel de l'architecture institutionnelle et réglementaire est désormais en place.
Très concrètement,
un agriculteur français développant une installation de destruction des émissions liées aux effluents d'élevage,
une autorité organisatrice de transports projetant d'optimiser les performances de ses flottes de bus,
tous ces projets, et bien d'autres encore j'en suis convaincu, devraient pouvoir bénéficier d'un coup de pouce de la part de l'État en recevant des crédits carbone.
Et c'est cela qui est absolument passionnant dans cette démarche : car finalement, l'État transforme des quotas CO2 liés à ses engagements Kyoto pour financer sur son territoire des investissements permettant de réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre.
Les projets domestiques agiront tout d'abord comme un puissant révélateur des opportunités de réduction des émissions de CO2 dans les différents secteurs d'activités aujourd'hui non couverts par les quotas. Personne ne peut prédire avec certitude quel type de projet émergera ni quel sera le niveau du coût marginal de réduction correspondant. C'est là tout l'attrait du dispositif, qui laisse libre cours aux entreprises innovantes et à la créativité des acteurs locaux.
C'est gagnant-gagnant pour tout le monde. Pour le climat d'abord.
Pour la collectivité et notre économie ensuite.
Les retours d'expérience attendus vont permettre aux services de l'État et les collectivités locales de beaucoup apprendre sur les coûts et les contraintes liées à la réduction des émissions, secteur par secteur. Symétriquement, les acteurs économiques vont profiter des effets d'entraînement suscités par les projets pilotes et s'engager dans des investissements pour lesquels ils n'étaient pas encore prêts. Les projets domestiques, du moins c'est le souhait que je forme ici devant vous, vont permettre un formidable apprentissage collectif et donner une longueur d'avance à nos entreprises dans le secteur des technologies propres qui se développe.
Ensuite, la « monnaie » que nous utilisons pour rétribuer les porteurs de projet est pour moi une illustration très symbolique des enjeux de l'économie de l'immatériel sur lesquels j'ai demandé à Maurice LEVY et Jean-Pierre JOUYET de réfléchir. Ils me remettent d'ailleurs leur rapport tout à l'heure.
En monétisant les actifs immatériels de l'État pour optimiser leur gestion dynamique et servir la croissance, cette démarche trace la voie d'une appréhension très moderne de l'action publique. Je proposerai d'ailleurs la mise en place dès le début de l'année 2007 d'un groupe de réflexion interministériel sur la prise en compte des crédits carbone dans la comptabilité patrimoniale de l'État.
Après la Nouvelle-Zélande, nous serons ainsi les premiers dans le monde à consacrer une partie de nos actifs CO2 à la promotion de projets réalisés sur notre territoire par des entreprises nationales. Je ne doute pas que nous serons rapidement suivis dans cette expérimentation, y compris en Europe où la conscience politique des défis qui menacent nos schémas productifs est très prégnante.
Le Royaume-Uni en particulier est très sensibilisé à l'ingénierie économique nécessaire à la lutte contre l'effet de serre. Mes équipes et celles de Gordon BROWN ont beaucoup échangé sur les raisons qui nous ont poussés à faire ce choix et nous sommes convenus de resserrer notre coopération dans les mois qui viennent.
Notre expérience est attendue.
Il est d'autant plus important que le réseau, l'expertise et le savoir-faire des acteurs actuels de la finance carbone puissent contribuer au démarrage et à la réussite du dispositif.
J'invite ici solennellement les grandes banques et établissements de crédit, les cabinets de conseil, les organismes de certification et l'ensemble des acteurs intéressés à se positionner activement sur ce nouveau créneau de marché et à proposer leurs services d'intermédiation, tout spécialement aux plus petits porteurs de projet. Ce sont eux qui sont les plus sensibles aux coûts de transaction inhérents liés à l'outil. Ce sont eux qui sont les plus vulnérables face aux risques de variations du prix des crédits CO2. La qualité du système d'intermédiation, de l'identification au financement des projets, constitue la clef de la participation des petites et moyennes entreprises aux projets domestiques.
A cet égard, je tiens à saluer l'initiative prise par la Caisse des Dépôts et Consignations de lancer un premier appel à projets dès 2007, en espérant qu'elle fera rapidement des émules.
Nous devons tous nous mobiliser pour que çà marche car cette mécanique innovante parvient à faire une synthèse inédite et précieuse entre : la lutte contre le réchauffement climatique, l'implication d'acteurs aujourd'hui économiquement insensibles à cet enjeu, la mobilisation d'actifs immatériels de l'État aujourd'hui non valorisés, et enfin l'investissement et l'acquisition de savoir faire dans le champ des technologies propres.
C'est un chantier particulièrement important car cette expérience éclairera un champ nouveau d'intervention publique au service du développement durable, en France et ailleurs.
Jacques Chirac a marqué les esprits dans le monde lorsqu'il a dit à Johannesbourg « la maison brûle et nous regardons ailleurs ».
Si le gouvernement a décidé de lancer cette expérience aujourd'hui, si vous êtes tous réunis ici, c'est parce que collectivement nous ne regardons plus ailleurs.
Je forme le voeu que le colloque de ce jour constitue le premier acte d'une véritable réussite collective et plus modestement, qu'il puisse vous apporter toutes les réponses aux questions que vous pouvez vous poser.
Je suis malheureusement obligé de vous quitter mais le gouvernement ne vous abandonne pas, Dominique BUSSEREAU retenu à l'étranger a chargé son directeur de cabinet de vous adresser un message et Nelly OLIN, avec laquelle nous travaillons étroitement à la réussite de cette aventure, viendra conclure vos travaux tout à l'heure.
Travaillez bien.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 5 décembre 2006