Texte intégral
En cette période de célébration du centenaire du ministère du travail, cette réunion de la commission nationale de la négociation collective revêt une importance particulière dans l'histoire des relations sociales de notre pays.
Comme l'a déclaré le Président de la République lors de son discours devant le Conseil économique et social, « il faut franchir une étape décisive : placer les partenaires sociaux au coeur de l'élaboration des normes et des réformes sociales... Il ne sera plus possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme engagée. Et aucun projet de loi ne sera présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux soient consultés sur leur contenu ».
A cette fin, le texte qui vous est présenté tend à un changement en profondeur de nos pratiques dans les relations qui se sont nouées depuis des décennies entre les partenaires sociaux et l'Etat.
Dans cette perspective, ce texte répond à trois exigences principales.
La première est une exigence de méthode. S'agissant d'un texte qui a pour objet de moderniser les conditions du dialogue social, le premier impératif était qu'il soit élaboré selon des modalités associant étroitement les partenaires sociaux.
Ce texte est né des constatations faites dans le rapport établi, à la demande du Gouvernement, par Dominique-Jean Chertier. Je souhaite aujourd'hui saluer tout particulièrement la remarquable qualité de ses travaux et analyses.
Après le dépôt du rapport, le Premier ministre a demandé que soit engagée une véritable concertation avec les partenaires sociaux. Comme vous le savez cette concertation a été très ouverte puisque différents scenarii vous ont été proposés, sous forme de pistes de travail, et ont fait l'objet de nombreux échanges entre nous.
Nous avons été très attentifs à vos observations et suggestions dans cette phase préalable et ceci aboutit maintenant au projet qui est aujourd'hui sur table.
La présente réunion sera l'occasion pour vous d'exprimer ou de confirmer les observations qu'il appelle de la part des organisations que vous représentez. Sans pouvoir prétendre à un caractère totalement consensuel, je suis persuadé que ce projet constitue dans une certaine mesure un point de convergence entre les organisations représentatives et l'Etat sur les moyens de faire vivre le dialogue social.
Pour illustrer ce souci de convergence et d'écoute, l'option qui avait été initialement envisagée de modifier dans ce texte l'architecture de nos instances de consultation, n'a pas été finalement retenue. Non que cette question ne se pose pas, le rapport Chertier ayant montré combien la multiplicité des instances posait des difficultés et témoignait des limites de notre modèle sur ce point. Mais vos remarques ont montré que c'était un exercice différent de celui, prioritaire, consistant à poser les principes de nouveaux rapports entre l'Etat et les partenaires sociaux.
La deuxième exigence est une exigence de fond puisque son application doit se traduire par un changement rapide et substantiel des pratiques et une amélioration des cadres législatifs et conventionnels qui régissent le champ des relations du travail.
Cela supposait que l'on sorte du domaine de la seule déclaration certes solennelle, mais sans portée normative, telle qu'elle était contenue dans l'exposé des motifs de la loi du 4 mai 2004.
En même temps, il fallait s'en tenir au seul champ des procédures instituées très en amont des projets de lois sans aucunement affecter les attributions constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement en matière d'initiative des lois et de procédure législative.
La voie qui a été retenue est en conséquence celle d'un texte court, mais qui pose des principes en matière de concertation préalable et de négociation, de consultation et d'information réciproque du Gouvernement et des partenaires sociaux.
Au-delà même de la rédaction même du texte, c'est son esprit qui est essentiel puisqu'il s'agit de créer les bases d'une nouvelle méthode de concertation.
La troisième exigence, enfin, correspond à la volonté de s'inscrire dans la continuité d'une action qui a donné une place de plus en plus grande à la négociation collective. De la loi de cohésion sociale aux différents textes législatifs concernant le temps de travail, les textes législatifs qui ont été votés ces dernières années sont des lois qui organisent un renvoi à la négociation collective. Cette évolution s'est poursuivie avec la loi du 4 mai 2004 qui modifie dans une logique majoritaire les règles de la négociation collective et les rapports entre les différents niveaux de négociation en s'inspirant très largement de la « position commune » de 2001.
Le présent projet s'inscrit dans cette logique même s'il n'a naturellement pas la prétention d'être un texte exhaustif qui aurait vocation à traiter toutes les questions se rattachant au dialogue social.
Ces questions ont été notamment abordées dans le rapport du président Hadas-Hebel. Des solutions ont été envisagées dans ce rapport, d'autres sont à l'étude au conseil économique et social à qui ce rapport a été transmis.
En tout état de cause, il n'est pas envisageable que ces réformes puissent intervenir sans une concertation préalable avec les partenaires sociaux.
Il existe certes des liens entre les sujets abordés dans le rapport Hadas-Lebel et le présent texte comme certains d'entre vous l'ont souligné.
Mais il nous semble non seulement possible mais opportun d'avancer de façon différenciée sur ces différents sujets. D'une certaine façon, nous serons d'autant plus armés pour aborder les questions délicates du rapport Hadas-Lebel que le socle des rapports entre pouvoirs publics et partenaires sociaux aura été posé par le texte qui vous est aujourd'hui soumis.
Nous en venons maintenant au contenu même du texte qui vise la concertation, la consultation préalable et l'échange organisé et régulier d'informations entre les partenaires sociaux et le Gouvernement sur le contenu et le calendrier envisagé des réformes.
La place de ces dispositions dans l'actuel code du travail, de même que dans le futur code qui résultera des travaux en cours de codification, témoigne du caractère transversal de la réforme qui pose des principes qui se veulent d'application très générale sur tout ce qui constitue l'essentiel du champ des relations du travail, à savoir le dialogue social, les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle. Ces dispositions seront donc contenues dans un titre préliminaire du livre I du code du travail.
Dans ce cadre, le projet pose d'abord un principe de concertation préalable qu'il faut ici rappeler, tant il me paraît important pour le futur : « Tout projet de réforme portant sur le dialogue social, les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les partenaires sociaux en vue de l'ouverture d'une négociation interprofessionnelle ».
L'article suivant décline et concrétise ce principe général. A l'instar de ce qui se passe au niveau de l'Union européenne, il sera demandé aux organisations syndicales et professionnelles les plus représentatives au niveau national, lors de la phase initiale d'une réforme, si elles envisagent de négocier un accord au niveau interprofessionnel.
Concrètement cette demande sera adressée aux cinq confédérations syndicales reconnues représentatives au niveau interprofessionnel et aux trois organisations interprofessionnelles représentant les employeurs qui sont en capacité de négocier un accord interprofessionnel.
Afin de ne pas préjuger le contenu d'une telle négociation, le Gouvernement se bornera à établir un document d'orientation indiquant le diagnostic, les objectifs visés et les différentes options et modalités envisagées. Il va de soi que le gouvernement sera particulièrement attentif au contenu de la réponse donnée par les partenaires sociaux, dans leur ensemble, sur le principe de la négociation et, lorsque cette réponse sera positive, sur le délai et le contenu de la négociation.
Le projet a prévu une exception à cette procédure en cas « d'urgence avérée ». Je sais que cette exception suscite chez certains d'entre vous des inquiétudes. Mais le principe me paraît difficilement contestable puisque tout notre droit connaît ce type d'exception qui peut, par exemple, être justifiée par des considérations tenant à la sécurité ou à la santé publiques.
Ce n'est donc pas le principe de l'exception qui est directement en cause mais les risques d'une utilisation abusive qui priverait de toute portée la réforme. A cet égard, les garanties contre les risques de dérive sont à la fois prévues par le texte lui-même qui exige que l'urgence soit avérée, et surtout dans le fait que, dans la nouvelle dynamique voulue par la réforme, le principe de réalité fera qu'il ne sera dans l'intérêt de personne de vouloir contourner la procédure ainsi mise en place.
S'agissant de la consultation, elle se fera, en l'absence de modification de l'architecture des instances de consultation existantes, devant la commission nationale de la négociation collective, le comité supérieur de l'emploi et le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. La procédure habituelle devant ces commissions sera applicable.
Il faut insister sur la CNNC dont les attributions ne seront nullement réduites mais, au contraire, étendues. Cette commission gardera ses attributions traditionnelles en matière de négociation collective. Au surplus, sa compétence sera étendue aux textes tant législatifs que réglementaires qui concernent les règles générales relatives aux relations individuelles et collectives du travail.
Un vide juridique sera ainsi comblé puisque dans le droit actuel il n'existe aucune instance devant laquelle s'applique une procédure de consultation préalable obligatoire pour les textes portant sur les relations individuelles du travail et notamment sur le contrat de travail.
Cette réforme suppose enfin que tant les partenaires sociaux que l'Etat disposent d'un rendez-vous annuel au cours duquel puissent être échangées de part et d'autre des informations sur le contenu des orientations et négociations et sur les calendriers envisagés.
Nous avons envisagé dans le cadre de nos échanges la création d'une instance spécifique créée à cette fin : finalement il nous a semblé que ce rendez-vous pouvait se dérouler dans le cadre de la présente instance, c'est-à-dire la CNNC.
Au-delà de l'analyse du contenu du texte lui-même, je voudrais faire deux observations.
La première est que pour une réforme d'une telle importance, tout ne peut résulter du texte législatif. C'est l'usage et la pratique qui donneront chair et consistance à la réforme.
Il ne s'agit pas d'avoir une vision naïve des choses qui consisterait à croire que la seule vertu de procédures de concertation et de consultation aurait pour effet de faire disparaître les oppositions et différends. Pour autant, de telles procédures n'ont de sens qui si, à l'instar de la situation que connaissent la plupart de nos voisins européens, l'Etat d'une part, les partenaires sociaux d'autre part, créent une culture de respect réciproque et la volonté de faire avancer les choses par la discussion et la négociation.
La seconde observation, dans la ligne de la précédente, est que si cette réforme donne des droits aux partenaires sociaux, elle leur confère aussi des responsabilités. Dans un monde en profond changement, tous les pays cherchent de nouvelles voies concernant leur droit du travail pour faire en sorte que ce droit assure la protection de l'ensemble de la communauté du travail, sans rejeter à ses marges des salariés en situation de très grande précarité et tout en assurant la compétitivité des économies et des entreprises.
Cela passe par des réformes qui vont à la recherche de solutions innovantes tout en étant imprégnées de l'exigence d'équilibre. C'est un des enjeux de nos démocraties et l'Etat assumera toutes les responsabilités qui sont les siennes.
Mais le sens profond de cette réforme est de constituer un acte de confiance vis-à-vis des partenaires sociaux et du dialogue social, puisqu'elle repose sur la conviction forte que vous êtes en mesure de contribuer à ces changements nécessaires, et même d'en être des éléments moteurs. Pour reprendre les termes mêmes du Président de la République « cette réforme repose sur un pari. Mais au sens le plus noble du terme : le pari du dialogue, de l'engagement et de la responsabilité ».
Je vous remercie.Source http://www.cohesionsociale.gouv.fr, le 10 novembre 2006