Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur l'Union européenne et l'immigration, l'énergie, le changement climatique, l'élargissement et les institutions, à l'Assemblée nationale le 12 décembre 2006.

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Circonstance : Débat préalable au Conseil européen, à l'Assemblée nationale le 12 décembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Rapporteur pour avis,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Philippe Douste-Blazy vous a présenté les enjeux du Conseil européen. Après avoir écouté attentivement vos interventions, je souhaiterais apporter des réponses aux principaux points abordés, à tout le moins ceux qui avaient un rapport avec le Conseil européen, objet de ce débat. Je reviendrai donc sur les thèmes suivants :
- les questions migratoires (1) ;
- l'innovation (2) ;
- l'énergie et changement climatique (3) ;
- les questions liées à l'élargissement (4) ;
- et les questions institutionnelles (5).
1) Les questions migratoires
C'est un sujet essentiel, comme l'ont montré les différentes crises migratoires que l'Europe a connues cette année. Vous l'avez souligné, Monsieur le Rapporteur pour avis. Certains d'entre vous nous ont dit ne rien voir venir sur ce sujet : il vous suffirait d'ouvrir les yeux pour voir, Monsieur le Député Ayrault, ce qui a été fait sur ce sujet.
Il était nécessaire d'inscrire ce sujet des migrations au coeur de l'agenda européen. C'est chose faite. Car même si certains de nos partenaires sont plus exposés que d'autres aux crises migratoires par voie maritime, nous sommes tous concernés par ces questions et c'est donc ensemble, de manière solidaire, que nous devons trouver les solutions pour bâtir une véritable politique européenne des migrations.
Comme l'a rappelé le ministre des Affaires étrangères, nous disposons désormais d'un cadre général que l'on appelle l'approche globale, validée par le Conseil européen en décembre 2005 et qui repose sur l'équilibre entre le renforcement des contrôles et le renforcement de la coopération et du développement. La France soutient pleinement cette démarche. Le 5ème comité interministériel de contrôle de l'immigration, présidé par le Premier ministre, a permis de le rappeler expressément le 5 décembre dernier. Car nous savons bien que le problème doit être d'abord traité à sa source.
Le projet de conclusions du Conseil européen formule un certain nombre de mesures, sur la base notamment des propositions récentes de la Commission, pour renforcer la mise en oeuvre de l'approche globale. Ces mesures vont dans le bon sens et nous les soutenons globalement. On peut citer en particulier quatre points :
- l'intensification du dialogue avec les pays tiers : il est en effet indispensable d'associer tous les acteurs concernés - pays d'origine, de transit et de destination - comme il a été possible de le faire lors des conférences de Rabat en juillet 2006 et de Tripoli en novembre dernier ;
- le renforcement des activités opérationnelles de gestion des frontières maritimes, qui passe par le développement de l'Agence Frontex ou la création d'un réseau de patrouilles côtières. Les opérations qui ont été menées cette année au large des îles Canaries et de Malte ont montré qu'il fallait gagner en réactivité, lorsque survient une crise migratoire. Pour cela, il faut que l'Agence Frontex dispose de davantage de moyens humains et financiers, ce qui est prévu dans le cadre du budget 2007 (triplement du budget de l'agence en 2007, de 11 millions d'euros à 33), mais puisse également s'appuyer, de façon plus efficace, sur les moyens nationaux des Etats membres ;
- le renforcement de l'articulation entre politique migratoire et politique de développement, en mettant en place un programme "migration et développement" doté de 40 millions d'euros financés sur le 9ème FED ;
- la mise en place d'une meilleure concertation sur l'immigration légale, qui mérite également notre attention, même s'il doit être clair que la politique d'admission reste de la responsabilité des Etats et qu'il ne doit pas y avoir de définition de quotas au niveau européen. Philippe Douste-Blazy vous l'a dit très clairement, Mesdames et Messieurs les Députés.
Au-delà, ma conviction est qu'il est essentiel de mettre en place une véritable discipline commune entre les Etats membres, tout particulièrement au sein de l'espace Schengen. En effet, les décisions internes qu'ils prennent peuvent avoir des conséquences graves sur les autres Etats membres. Il existe depuis octobre 2006 un mécanisme d'information mutuelle sur les mesures des Etats membres dans les domaines de l'asile et de l'immigration. C'est un premier pas mais il faudra aller plus loin et mettre par exemple en place une véritable concertation entre les Etats membres, avant qu'ils ne prennent leurs décisions nationales.
Cependant, il n'y aura pas de politique européenne efficace dans ce domaine sans amélioration des mécanismes de décision. L'unanimité, dans ces matières, est un frein. C'est pourquoi, en dépit des réticences de certains de nos partenaires, le gouvernement reste très attaché à l'utilisation des clauses-passerelles prévues par les traités et qui permettraient de passer à la majorité qualifiée du Conseil, sur décision prise à l'unanimité, et de faire du Parlement européen le co-législateur dans ces matières.
Enfin, le Conseil européen devrait confirmer l'accord trouvé il y a quelques jours au Conseil sur l'élargissement de l'espace Schengen et le calendrier de levée des frontières intérieures. La France se félicite de cet accord qui permettra aux nouveaux Etats membres de rejoindre l'espace Schengen en décembre 2007. Ils y sont en effet très attachés ; nous souhaitons de notre part que la frontière extérieure de l'Union soit contrôlée avec efficacité. C'est pourquoi une telle décision est politiquement très importante.
Monsieur le Rapporteur pour avis, vous avez souhaité que je puisse faire le point sur les derniers développements sur le processus de Barcelone. Je le fais volontiers.
La Conférence des ministres des Affaires étrangères, qui s'est tenue à Tampere les 27 et 28 novembre, a montré l'attachement de tous les Etats membres et de tous les partenaires méditerranéens au partenariat euro-méditerranéen, seule enceinte de dialogue et de coopération continue entre les deux rives de la Méditerranée. Elle est parvenue à l'adoption par consensus d'une déclaration qui fixe un programme de travail ambitieux pour les trois prochaines années. L'Union européenne, de son côté, a confirmé son engagement financier en faveur de la Méditerranée. L'instrument européen de voisinage et de partenariat, qui succédera aux programmes Meda et Tacis, pourra compter sur une enveloppe totale de 12 milliards d'euros pour la période 2007-2013, en augmentation de 30 % par rapport aux instruments existants. La France a veillé à ce que l'équilibre actuel dans la répartition des crédits entre les voisins de l'Est et du Sud soit préservé, Monsieur le Député. Pour les trois premières années, plus de deux tiers des crédits iront aux pays du Sud.
Enfin, le Conseil européen devrait confirmer l'accord obtenu au Conseil Ecofin début décembre sur le renouvellement des mandats extérieurs de la BEI, qui prévoit une augmentation de l'enveloppe pour la Méditerranée (8,7 milliards d'euros pour 2007-2013, soit autant que pour les pays de la préadhésion) et un renforcement du mandat de la Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat (FEMIP).
2) La politique d'innovation
Vous avez également, Monsieur le Député Artigues, évoqué la politique d'innovation et de recherche, qui sera également abordée par le Conseil européen. C'est l'une des priorités de la présidence finlandaise, à juste titre, car c'est une condition indispensable de l'adaptation efficace de nos économies à la mondialisation. L'Union européenne ne consacre à ses dépenses de R&D que 2 % environ de son PIB, contre plus de 2,5 % pour les Etats-Unis et de 3 % pour le Japon. Nous sommes conscients des efforts qu'il reste à produire, tant sur les dépenses privées que sur les dépenses publiques. Mais nous nous sommes engagés dans la bonne direction : en France, au niveau national, la loi de programme sur la recherche adoptée en avril prévoit un effort de 19,4 milliards d'euros supplémentaires entre 2005 et 2010. Au niveau européen, le budget de la recherche de l'Union dépassera 54 milliards d'euros pour la période 2007-2013, soit une augmentation de plus de 36 % par rapport à 2006.
Nous devrons aussi améliorer les règles européennes en matière d'innovation, y compris en matière de brevets, et je sais que c'est un sujet sur lequel vous vous êtes penchés à plusieurs reprises. Au Conseil européen de Lahti en octobre, le président de la République a fait des propositions pour sortir du blocage actuel et prendre appui sur le cadre communautaire pour unifier en priorité le contentieux des brevets en Europe. Cette unification sera le meilleur moyen pour parvenir à un accord sur le brevet communautaire que la France souhaite. Sur ce sujet, la France continuera à être en initiative pour que les 25 reprennent cette proposition.
D'autres volets de la politique d'innovation méritent d'être encouragés et le seront par le Conseil européen. Je pense en particulier aux initiatives technologiques conjointes qui sont des partenariats public-privé entre la Communauté, les Etats membres et les industriels, et à la création d'un institut européen de technologie, pour laquelle une proposition de la Commission, que la France soutient, est maintenant sur la table du Conseil.
3) L'énergie
Sur l'énergie, vous le savez, c'est le Conseil européen du printemps 2007 qui décidera d'un plan d'action détaillé et des grandes priorités en la matière. Ce sera un rendez-vous important en effet, Monsieur le Député Artigues. L'importance des enjeux énergétiques justifie que la question soit désormais abordée à chaque Conseil européen comme c'est le cas depuis un an à l'initiative de la France, Monsieur Ayrault. Et ce dossier progresse chaque trimestre. Ainsi, la Commission a-t-elle présenté le 19 octobre dernier un plan d'action pour l'efficacité énergétique, qui prévoit notamment des efforts supplémentaires dans les domaines du bâtiment et des transports, l'amélioration du financement de l'efficacité énergétique, notamment pour les PME, et la création d'un marché intérieur de la performance énergétique, notamment par le renforcement des normes et de l'étiquetage. La France est favorable à ce plan. Le Conseil l'a accueilli favorablement en novembre et le Conseil européen confirmera cet appui. Par ailleurs, un réseau européen des correspondants pour la sécurité énergétique devrait être mis en place début 2007, ce qui permettra de faire face avec plus d'efficacité à une éventuelle crise d'approvisionnement. Il faudra faire encore davantage : le renforcement des infrastructures d'interconnexion est par exemple indispensable. De même, l'Europe devra apprendre à parler d'une seule voix en matière énergétique : comme vous le savez, la France a fait de nombreuses propositions en la matière, et notamment la mise en place d'un représentant spécial pour l'énergie.
Sur ce sujet de l'énergie, Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères, permettez-moi de saluer le rapport d'excellente qualité de la mission d'information sur Energie et géopolitique que vous avez pris l'initiative de créer. Le gouvernement est en plein accord avec les trois objectifs que vous assignez à la future politique européenne de l'énergie et qui sont la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement et le renforcement de la compétitivité. Et vos recommandations de ce rapport en matière européenne sont un guide précieux et stimulant pour la construction de l'Europe de l'énergie, qui s'ébauche depuis un an maintenant.
Le Conseil européen donnera également une impulsion sur le sujet du réchauffement climatique. L'Europe est naturellement en pointe sur ce sujet. Lors de la conférence des Nations unies de Nairobi, elle a contribué à ce que des progrès importants soient réalisés vers la mise en place d'un accord pour la période postérieure à 2012, ainsi que vers la création de financements innovants. L'objectif européen est de maintenir l'augmentation de la température mondiale à 2°c par rapport à son niveau pré-industriel. C'est un défi gigantesque, nous le savons tous. Mais c'est aussi un investissement nécessaire pour les générations futures, comme l'a encore démonté récemment le rapport Stern réalisé pour le gouvernement britannique. Tous les scientifiques s'accordent en effet désormais pour considérer que le réchauffement climatique est engagé ; il y a urgence à agir.
4) L'élargissement
Beaucoup d'entre vous, Mesdames et messieurs les Députés, êtes également intervenus sur la Turquie et sur le processus d'élargissement en tant que tel.
Comme vous l'a déjà indiqué le ministre des Affaires étrangères, le premier de ces sujets a connu hier une évolution. Hier les 25 Etats membres sont parvenus lors du CAG à un accord sur la Turquie. Cet accord comporte plusieurs points. Les 25 se sont d'une part entendus pour suspendre huit des 35 chapitres qui jalonnent les négociations d'adhésion à l'Union européenne. Je vous le confirme volontiers, Monsieur le Député Ayrault : huit chapitres sont suspendus. Parmi ces huit chapitres on trouve notamment l'agriculture et la libre circulation des marchandises. D'autre part, ils ont décidé de ne conclure aucun autre chapitre de négociation tant que la Turquie ne remplira pas ses obligations au titre du protocole d'Ankara, ce qui implique notamment d'ouvrir ses ports et ses aéroports aux navires et aux avions en provenance de Chypre. Par ailleurs, les 25 sont convenus d'assurer un suivi annuel et attentif de cette question, si nécessaire jusqu'en 2009, date des élections au Parlement européen. Vous voyez, Monsieur le Rapporteur pour avis, que le gouvernement a été, et restera, vigilant.
Cette décision est un bon équilibre, elle permet d'envoyer un message clair à la Turquie sans pour autant rompre le processus de négociation, Monsieur le Député Artigues. Elle est conforme à la ligne qui avait été préconisée conjointement par le président de la République et la Chancelière allemande lors de leur rencontre, la semaine dernière, en Allemagne.
Cette décision ayant fait l'objet d'un accord unanime des ministres des Affaires étrangères des 25, le Conseil européen n'aura pas à revenir sur cette question, sauf bien sûr si un élément nouveau intervenait.
Sur le processus d'élargissement en tant que tel, le Conseil européen des 14 et 15 décembre poursuivra le débat engagé à la demande de la France en juin dernier. Vous connaissez la position de notre pays : l'Union européenne doit être en mesure d'accueillir de nouveaux membres sans compromettre pour autant le fonctionnement des institutions, les politiques communes, leur financement, ni surtout l'ambition du projet européen, comme l'a souligné le ministre des Affaires étrangères. L'élargissement a été un accomplissement historique et un succès, ne vous en déplaise, Monsieur le Député Bocquet. Il doit le rester. C'est pourquoi notre position est très claire : après l'achèvement de la 5ème vague d'élargissement, avec l'entrée le 1er janvier prochain de la Roumanie et de la Bulgarie que votre assemblée a approuvée à l'unanimité, il ne pourra pas y avoir de nouveaux élargissements tant que l'Union ne se sera pas réformée, tout particulièrement en matière institutionnelle.
Le Conseil européen devra donc réaffirmer que la capacité d'absorption ou d'intégration, dans toutes ses composantes (institutionnelle, politique et financière) doit être au coeur du processus d'élargissement. Le projet de conclusions du Conseil européen, dans sa dernière version, en fait état clairement, Monsieur le Président. En outre, à notre demande, ce projet insiste sur l'exigence d'un soutien des peuples à l'élargissement : ce soutien dépendra tant de la bonne préparation des candidats que de la capacité effective de l'Union à les recevoir. Je constate, Mesdames et Messieurs les Députés, que vous êtes nombreux à partager cette idée.
5) Sur les questions institutionnelles
Comme vous le savez, le Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 a défini une double démarche : d'une part mettre en oeuvre les possibilités offertes par les traités existants afin d'obtenir les résultats concrets que les citoyens attendent ; d'autre part inviter la présidence allemande, au cours du premier semestre 2007, à présenter un rapport au Conseil européen sur les débats relatifs au traité constitutionnel et les évolutions futures possibles, en vue de décisions ultérieures concernant la manière de poursuivre le processus de réforme, étant entendu que les mesures nécessaires à cet effet auront été prises "au plus tard au cours du deuxième semestre de 2008", c'est-à-dire au cours de la présidence française.
Au Conseil européen, cette semaine, la présidence finlandaise aura pour seule mission de rendre compte des consultations bilatérales qu'elle a menées sur l'avenir du traité. Il est probable qu'elle rappelle, comme elle vient de le faire lors des rencontres interparlementaires sur l'avenir de l'Union européenne au Parlement européen, son attachement au contenu du projet constitutionnel, d'autant plus qu'elle a elle-même ratifié ce texte le 5 décembre 2006, devenant le 16ème Etat membre à le faire.
Mesdames et Messieurs les Députés, dans quelques mois, nous célèbrerons les 50 ans du Traité de Rome, qui sont à l'origine du projet politique le plus ambitieux du XXème siècle. La meilleure manière de témoigner notre reconnaissance à celles et ceux qui ont eu la vision et le courage de ce projet politique sans précédent est de continuer, jour après jour, et avec ambition et lucidité, à bâtir cette Europe dont nous avons besoin pour le bien de nos nations et de nos peuples. Je puis vous assurer que le gouvernement continuera d'oeuvrer, comme il le fait depuis juin 2005, en faveur d'une Europe concrète au service de nos concitoyens, qu'il continuera de répondre présent lors des grandes échéances que nous connaîtrons en 2007, et enfin qu'il continuera, si vous me permettez l'expression, de rêver grand pour l'Europe.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 décembre 2006