Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur l'Union européenne et l'élargissement, les questions institutionnelles, les migrations et l'énergie, au Sénat le 12 décembre 2006.

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Circonstance : Débat préalable au Conseil européen, au Sénat le 12 décembre 2006

Texte intégral


Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Après vous avoir écouté avec attention, je souhaiterais apporter des réponses aux points abordés dans vos interventions relatifs à ce Conseil européen. Je les regrouperai sous les quatre thèmes suivants :
- élargissement (1) ;
- questions institutionnelles (2) ;
- questions migratoires (3) ;
- énergie (4).
Permettez-moi cependant au préalable de relever avec satisfaction que vous êtes tous attachés à une Union européenne forte, cohérente et à même de répondre aux attentes de ses citoyens, comme l'est le gouvernement auquel j'appartiens. Je vous en remercie.
1) Les questions liées à l'élargissement
Messieurs les Sénateurs, vous êtes tous intervenus sur la Turquie et sur le processus d'élargissement.
Sur le premier point, la décision prise par le Conseil Affaires générales hier représente le bon équilibre - je l'ai dit - car elle permet d'envoyer un message clair à la Turquie, regrettant l'insuffisance des progrès réalisés à ce jour et en particulier le non-respect de ses engagements au titre de l'Union douanière. Il était nécessaire de tirer les conséquences de cette situation sur la conduite des négociations, tout en gardant le processus ouvert afin de favoriser l'évolution et la modernisation de la Turquie. C'est pourquoi nous soutenions la recommandation de la Commission. Nous sommes satisfaits que le CAG soit parvenu hier à un accord.
Vous êtes également revenus sur le processus d'élargissement. Comme je vous l'ai indiqué, le débat engagé, à la demande de la France, en juin dernier devra se poursuivre, et se poursuivra dès ce Conseil. L'élargissement a été un accomplissement historique et un succès, vous l'avez dit Monsieur le Président Haenel. Il a été un succès. Il doit le rester. C'est pourquoi la position des autorités françaises est très claire : l'Union ne pourra s'élargir à nouveau avant de s'être réformée, tout particulièrement en matière institutionnelle. Nous souhaitons que les conclusions reflètent cette nécessité d'une "consolidation", comme vous l'avez dénommée, Monsieur le Président Vinçon. Quant à votre proposition, Monsieur le Président Haenel, elle rejoint l'esprit des efforts faits par la France pour que le processus d'élargissement soit un processus politique maîtrisé : c'est une nécessité. Permettez-moi de souligner devant vous que je crois que nous avons fait des progrès réels sur ce point depuis juin 2005. La décision d'hier soir le prouve.
Monsieur le Sénateur Bret, je répondrai à vos craintes sur le rapprochement souhaitable entre "nouveaux" et anciens Etats membres en rappelant - comme je l'ai dit dans notre débat budgétaire - que l'Union a fait le nécessaire en définissant un budget pour les sept années à venir, qui fournit les moyens de ce rapprochement.
2) Les questions institutionnelles
Monsieur le Président Haenel, vous avez évoqué l'information du Parlement. Je suis moi-même attachée à de nouveaux progrès. Mais utilisons d'abord au mieux les instruments existants, notamment l'article 88-4 de notre Constitution. La circulaire du Premier ministre du 22 novembre 2005 a donné aux assemblées parlementaires la possibilité de se prononcer sur davantage de projets de texte européens. Ainsi, tous ceux qui ont vocation à être adoptés en codécision, sont-ils désormais systématiquement transmis au Parlement, même s'ils ne comportent aucune disposition législative au sens français du terme. C'est d'ailleurs un engagement que le Premier ministre avait pris devant la Représentation nationale dès juin 2005. Il s'agit d'une des mesures importantes, à côté d'autres, que vous connaissez bien, dont ce débat, destinées à mieux associer le Parlement aux processus de décision européens.
A ma connaissance, le Parlement n'a fait usage de cette nouvelle procédure qu'à deux reprises : je l'encourage donc à le faire.
Monsieur de Montesquiou, vous m'interrogez sur la situation de la France en matière de transposition des directives. Nous avons fait des progrès très significatifs ces derniers temps, et je m'en félicite. Pour mémoire, notre déficit de transposition est passé de 4,1 % en mai 2004 à 1,9 % en juillet dernier. Et d'après les dernières indications données par la Commission, ce déficit sera, lors du prochain tableau, inférieur ou égal à l'objectif de 1,5 %, fixé par le Conseil européen en 2001, ce qui nous permettra également, selon toute vraisemblance, d'améliorer notre rang au sein des 25. Nous devrons en ce sens inscrire dans la durée ces bonnes performances à l'avenir.
Je ne reviendrai pas sur les autres aspects de la question institutionnelle, que j'ai déjà évoqués, sinon pour acquiescer à ce que vous avez dit, Monsieur le Sénateur Badré, sur l'importance de la relation franco-allemande. Nous travaillerons aux côtés de l'Allemagne pendant sa présidence.
3) Les questions migratoires
C'est un sujet essentiel, vous l'avez souligné Monsieur le Président Haenel, Monsieur le Sénateur Ries et beaucoup d'autres. Il était nécessaire d'inscrire cette question au coeur de l'agenda européen : nous l'avons fait cette année. Car, même si certains de nos partenaires sont plus exposés que d'autres aux crises migratoires par voie maritime, nous sommes tous concernés par les mouvements migratoires et c'est donc ensemble, de manière solidaire, que nous devons trouver les solutions pour bâtir une véritable politique européenne des migrations. J'ai indiqué quelles étaient les perspectives budgétaires pour l'agence FRONTEX en 2007. Vous avez mentionné, Monsieur le Président Haenel, la proposition de création d'équipes d'intervention. Cette proposition de la Commission, datant du 19 juillet, est en cours d'examen au Conseil et vous serez heureux, je l'espère, d'apprendre que le Conseil européen appelle à la conclusion de ce texte.
L'Europe dispose d'un cadre général, l'approche globale, qui repose sur l'équilibre entre le renforcement des contrôles et le renforcement de la coopération et du développement, comme je l'ai précisé. La France soutient pleinement cette démarche. Le 5ème comité interministériel de contrôle de l'immigration, présidé par le Premier ministre, a permis de le rappeler expressément le 5 décembre 2006. Car nous savons bien que le problème doit être d'abord traité à sa source. Il faudra, dans ce cadre, en particulier, renforcer l'articulation entre politique migratoire et politique de développement et de co-développement. La Commission a ainsi proposé de mettre en place un programme "migration et développement" doté de 40 millions d'euros financés sur le 9ème FED. C'est de cette façon notamment que nous mettrons concrètement en oeuvre l'approche globale.
Sur la nécessité de l'amélioration des mécanismes de décision, je comprends vos interrogations, Monsieur le Président Haenel. Certains de nos partenaires restent en effet, aujourd'hui, encore opposés à l'utilisation des clauses-passerelles et les négociations sont, il est vrai, difficiles. Toutefois, il faut continuer d'essayer d'obtenir gain de cause en la matière car l'analyse sur le fond est on ne peut plus claire : l'unanimité dans ce domaine est un frein. Pourquoi, dans ces conditions, se priver des recours qu'offrent les traités actuels pour gagner en efficacité et en légitimité dans des domaines où les attentes de nos concitoyens, comme par exemple en matière de sécurité, lutte contre le terrorisme ou le crime organisé ?
4) L'énergie
Messieurs les Sénateurs de Montesquiou, Badré et Ries, vous avez appelé à de nouveaux efforts européens dans le domaine de l'énergie. Je souhaite également que les 25 sachent trouver les réponses appropriées, mais n'oublions pas qu'il y a un an seulement qu'a été prise la décision de se doter d'une politique de l'énergie à l'initiative de la France. Jusqu'ici l'Europe ne s'en occupait pas. Et nous savons tous que c'est étape par étape que cette politique sera mise sur pied.
C'est le Conseil européen du printemps 2007 qui décidera d'un plan d'action détaillé et des grandes priorités en la matière. L'importance des enjeux énergétiques justifie que la question soit désormais abordée à chaque Conseil européen. Et ce dossier progresse chaque trimestre. Ainsi, la Commission a-t-elle présenté le 19 octobre dernier un plan d'action pour l'efficacité énergétique, que la France et l'ensemble du Conseil soutiennent. Le Conseil européen confirmera cet appui. Par ailleurs, un réseau européen des correspondants pour la sécurité énergétique devrait être mis en place début 2007, ce qui permettra de faire face avec plus d'efficacité à une éventuelle crise d'approvisionnement. Il faudra faire encore davantage : le renforcement des infrastructures d'interconnexion est par exemple indispensable comme l'a démontré, entre autres choses, l'incident de délestage que vous avez relevé, Monsieur le Sénateur Bret. De même, l'Europe devra apprendre à parler d'une seule voix en matière énergétique : comme vous le savez, la France a fait de nombreuses propositions en la matière, et notamment la mise en place d'un représentant spécial pour l'énergie.
Monsieur le Sénateur de Montesquiou, vous avez parlé de la Russie : l'Union européenne est déterminée à approfondir son partenariat stratégique avec la Russie, en particulier sur le commerce après l'accession de la Russie à l'OMC, mais aussi sur l'énergie, domaine essentiel d'intérêt commun, comme vous l'avez relevé. Lors du Conseil informel de Lahti, le 20 octobre, les chefs d'Etat et de gouvernement sont convenus de la nécessité d'intégrer dans le futur accord global UE-Russie des éléments relatifs à l'accès aux marchés et à la sécurité des investissements. Le lancement de ces négociations devrait être une des priorités de la présidence allemande.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, dans quelques mois, nous célèbrerons les 50 ans du Traité de Rome, qui est à l'origine du projet politique les plus ambitieux du XXème siècle. La meilleure manière de témoigner notre reconnaissance à celles et ceux qui ont eu la vision et le courage de ce projet politique sans précédent est de continuer, jour après jour, et avec ambition et lucidité, à bâtir cette Europe dont nous avons besoin pour le bien de nos nations et de nos peuples. Nous en avons besoin. Vous l'avez tous dit ; je le dis avec vous.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 décembre 2006