Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur le projet de résolution visant à garantir la protection des journalistes dans les conflits armés, Paris le 19 décembre 2006.

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Circonstance : Présentation à la presse de l'initiative française sur la protection des journalistes dans les conflits armés avec Reporters sans Frontières (Press Club)le 19 décembre 2006 à Paris

Texte intégral

Pour garantir la protection des journalistes dans les conflits armés, nous avons évoqué, en effet, avec Olivier Poivre d'Arvor et Robert Ménard, il y a quelques semaines, une possibilité de résolution dans l'enceinte qui, aujourd'hui, exprime le multilatéralisme : le Conseil de sécurité des Nations unies. La France occupe un poste de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et nous sommes conscients de l'importance de cette position.
Il est évident que la liberté d'informer est au coeur de toute démocratie. Je voudrais à mon tour saluer le travail de Pierre Lellouche et de François Loncle pour ce rapport d'information, qui est à l'origine de cette démarche. Dans une démocratie, il est bon de voir que les parlementaires peuvent avoir cet esprit d'initiative.
C'est bien de se rencontrer au "Press Club". C'est un lieu symbolique qui rappelle les valeurs d'engagement, de professionnalisme, de solidarité qui animent les femmes et les hommes des médias. Qu'ils soient journalistes, qu'ils soient reporters de guerre, qu'ils soient "fixeurs" ou personnels associés, ce sont eux, vous, qui chaque jour nous aidez à mieux comprendre le monde et ses évolutions. C'est quelqu'un qui est engagé politiquement qui le dit, et ce n'est pas une question de parti, c'est une question d'engagement public.
Le sujet qui nous préoccupe est évidemment très grave. Comme le montre une fois de plus l'actualité de ces dernières 48 heures : plusieurs de vos confrères, dont Didier François, du journal "Libération", ont été blessés dans l'exercice de leur métier. Et la situation risque, permettez-moi de le dire, d'être encore plus difficile au cours des prochains jours.
Je crois qu'une volonté commune nous rassemble, c'est de combattre les violences dont sont victimes les journalistes et de lutter contre toutes les formes d'insécurité dans les situations de conflits armés. Que ce soient les correspondants de guerre, que ce soient les envoyés spéciaux ou les journalistes indépendants, ils sont de plus en plus victimes d'attaques délibérées alors qu'ils cherchent à informer et à dire la vérité.
Sans revenir sur les chiffres que Robert Ménard vient de donner, je peux dire que grâce à vous on a pu bouger. Il est vrai que, généralement, au Quai d'Orsay, en rédigeant un communiqué, on fait très attention à la forme, au fond et au ton, mais là, il y a urgence. La préoccupation exprimée par la profession a été relayée avec une telle efficacité par Reporters sans Frontières qu'on ne pouvait pas ne pas bouger.
Face à la recrudescence de ces drames, nous avons décidé de répondre à votre appel et nous avons proposé, en lien avec nos partenaires grecs, un projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies.
Je voudrais saluer ici l'ambassadeur de la République hellénique en France. Je me réjouis qu'un partenaire européen soit engagé avec nous dans cette action au service de l'une de nos libertés fondamentales. La France s'est exprimée à New York dans ce sens, le 4 décembre dernier, en appelant la communauté internationale à accorder une attention accrue à la question de la protection des journalistes dans les conflits armés. Le même jour, un projet de résolution a été formellement présenté conjointement avec la Grèce.
Je crois qu'à l'époque de la globalisation de l'information, il est impératif d'adapter nos moyens de protection et je tiens à vous dire que ce projet de résolution sera déposé et devrait être accepté, dans quelques jours. C'est une affaire importante parce que dès l'instant où le projet de résolution sera voté, j'espère à l'unanimité, au Conseil de sécurité des Nations unies - je ne vois pas qui pourrait ne pas le voter -, eh bien ce sera évidemment une grande avancée. Le temps est venu pour nous de compter les votes dès l'instant où le projet de résolution sera déposé.
Avec cette résolution, il s'agit, premièrement, de rappeler à toutes les parties à des conflits, leurs obligations en matière de protection et de sécurité des journalistes. Nous avons voulu que des obligations incombent en premier lieu aux gouvernements. C'est l'impératif de la responsabilité de protéger les populations civiles, entre guillemets, qui s'impose à tous les Etats membres des Nations unies depuis le Sommet du Millénaire, en septembre 2005.
Deuxièmement, il s'agit de réaffirmer l'obligation pour les Etats de prévenir les crimes perpétrés à l'encontre des journalistes et, quand ces crimes sont commis, d'enquêter, d'appréhender les responsables et de les juger.
Troisièmement, il faut affirmer solennellement notre engagement commun à respecter l'indépendance des journalistes.
Et, enfin, quatrièmement, il est demandé au Secrétaire général des Nations unies de se saisir systématiquement de la question de la sécurité des journalistes, professionnels des médias et personnels associés dans le cadre de ses rapports réguliers sur la situation des populations civiles dans les conflits armés.
Il revient, donc, Mesdames, Messieurs, aujourd'hui, au Conseil de sécurité, qui jouit d'une autorité politique considérable, de se mobiliser sur ce sujet central. Il l'a déjà fait, à plusieurs reprises, sur la protection des populations civiles dans les conflits, des enfants et du personnel humanitaire. Il est important aujourd'hui qu'il le fasse pour les journalistes. Si nous obtenons cette résolution, ce serait un pas en avant considérable. Son objectif doit être de prendre en compte, autant que possible, les nouvelles contraintes de votre métier.
Permettez-moi, pour terminer, de saisir cette occasion pour dire ma reconnaissance et mon estime à Robert Ménard, qui est depuis longtemps le militant actif que l'on connaît. Permettez-moi également de saluer le travail de "Reporters sans Frontières" qui ne cesse de dénoncer les menaces qui pèsent sur l'exercice de votre métier. Je voudrais aussi saluer d'autres acteurs, comme la Fédération internationale des journalistes, et remercier les personnalités de la presse qui ont accepté de s'associer à cette manifestation. Je voudrais vous remercier tous ici de votre mobilisation, je crois qu'il y a un engagement continu, quels que soient les gouvernements, pour l'indépendance et la liberté de la presse. C'est notre responsabilité et cette action est inscrite dans nos valeurs démocratiques.
Permettez-moi, enfin, d'avoir une pensée particulière pour les familles des journalistes qui ont été blessés ou qui ont souffert de leur disparition, et - je l'ai découvert lorsque je suis arrivé au ministère des Affaires étrangères -, pour ces femmes et ces hommes, que personne ne connaît, mais qui oeuvrent, dans l'ombre, pour retrouver les disparus, qu'ils soit journalistes ou pas. Je le dis parce qu'ils travaillent dans mes services. Personne ne parle jamais d'eux et ils ne veulent d'ailleurs surtout pas être connus. Cela fait partie du service public. Je suis très admiratif de ces gens qui ne disent rien et qui font leur travail, souvent au péril de leur vie, je le rappelle aussi. Merci Robert.
(...)
Q - J'ai deux questions. La première : vous avez parlé tout à l'heure de Anna Politkovskaia, qui a été assassinée il y a deux mois. Vous n'avez pas parlé de tous les journalistes qui ont été assassinés avant et dont les crimes n'ont jamais été élucidés, et vous savez parfaitement que celui d'Anna ne le sera pas non plus. Ce qui n'empêchera pas, là aussi, de voter la résolution au Conseil de sécurité. En quoi pensez-vous qu'une résolution au Conseil de sécurité puisse plus influer sur certains Etats qui n'ont aucun intérêt à ce qu'on élucide l'assassinat de certains de leurs journalistes ?
La deuxième question porte sur la "Maison européenne de la presse". Comment voulez-vous que les entreprises de presse, auxquelles on demande de ne pas remplacer les journalistes qui partent et si possible d'en faire partir un petit peu plus, puissent employer des gens ? Je suis saisie, personnellement, tous les jours, par la dizaine de pigistes photo que nous avons en Irak et qui sont les auteurs des photos que vous voyez ici, de demandes parce qu'ils veulent quitter l'Irak et voudraient que je leur trouve du travail ailleurs, je n'ai absolument aucune possibilité de leur trouver du travail ailleurs, parce que les entreprises de presse sont toutes soumises à des pressions budgétaires qui ne risquent pas disparaître demain. Donc, je pense que vos initiatives sont absolument merveilleuses, mais je doute qu'elles puissent avoir des résultats concrets si ce n'est, effectivement, d'améliorer les assurances et de donner quelques gilets pare-balles mais ce n'est pas grand chose par rapport aux risques qu'encourent certains journalistes dans certains pays.
R - Sur la première question, c'est là toute la question de l'efficacité du multilatéralisme et du Conseil de sécurité des Nations unies que vous me posez.
Je ne partage pas votre pessimisme. Je pense que si un des pays que vous avez cités votait la résolution au Conseil de sécurité, cela aurait véritablement un sens très fort. Vous allez me dire : "mais entre cela et la réalité, il y a beaucoup", peut-être mais je pense que c'est le début de quelque chose, et c'est la raison pour laquelle on le fait. C'est tout l'enjeu de ce métier qu'est la diplomatie qui est d'essayer de progresser, d'entraîner.
Il nous arrive, au Conseil de sécurité des Nations unies, de ne pas être unis. D'ailleurs, quelqu'un a fait remarquer tout à l'heure que mon optimisme était peut-être en effet béat. Pourquoi pas ? Je ne sais pas. J'espère qu'il y aura unanimité. Voter cette résolution, cela veut dire quelque chose. Maintenant, il est évident que, lorsque l'on regarde par exemple la Commission des Droits de l'Homme des Nations unies, on peut se dire qu'il y a des avancées et qu'il y a aussi des incohérences, c'est vrai, je le reconnais.
Je travaille actuellement sur la question des enfants soldats, et je vous invite à venir à la Journée mondiale que je vais organiser au Quai d'Orsay sur ce thème, après un long combat. Je sais qu'il y a certains pays qui laissent faire ces pratiques et qui ne sont pourtant pas condamnés par l'ONU ; eh bien, j'en parlerai. Je sais tout cela, mais faut-il pour autant tout remettre en cause ? Je ne le crois pas.
Vous avez raison de dire que cela ne va pas régler le problème tout de suite mais je pense que c'est une étape. Je suis conscient de nos insuffisances.
(...)
Q - On vient de parler de la situation en Irak, mais est-ce que vous êtes d'accord, par exemple, avec tout ce qui passe au Moyen-Orient et en particulier sur certains sujets comme les Droits de l'Homme... par exemple en Iran ?
R - Sur la liberté de presse en Iran ? Je vais dire deux choses sur ce sujet. Je crois qu'il est extrêmement important de demander la liberté de la presse en Iran, cela paraît fondamental. J'ai reçu le prix Nobel de la paix qui était venu me rencontrer récemment et qui me parlait de l'état de l'opinion publique et de la liberté de la presse. J'ai participé à un " chat " sur l'Iran - je crois même être le seul aujourd'hui en tant que ministre des Affaires étrangères occidental à l'avoir fait - et j'ai vu, dans ce cas précis, que cela fonctionnait, c'est-à-dire que j'ai pu avoir une véritable communication avec le monde universitaire iranien, en particulier. Il est vrai qu'il faut utiliser Internet aujourd'hui si on veut avoir véritablement un accès au dialogue. Je regrette, comme vous, qu'il n'y ait pas plus de liberté de presse en Iran.
Q - Je voudrais revenir sur la question de la presse en Iran, parce que l'Iran est un pays dans lequel il n'y a pas de liberté mais dans lequel il y a une politique de terreur qui fait que les journalistes s'autocensurent pour être à l'abri des menaces ou des emprisonnements ou des attentats. Est-ce que cette résolution pourrait avoir aussi un effet sur les Etats qui terrorisent les journalistes, afin de leur donner soit un avertissement ou, au bout du compte, des sanctions ?
R - Le projet de résolution est actuellement en circulation et on ne va pas en changer le contenu. Il est évident qu'il faudrait sanctionner les pressions exercées sur des journalistes, mais ce n'est pas le sujet de cette résolution. Elle porte uniquement sur la dangerosité de l'activité des journalistes dans les zones de conflit. J'entends ce que vous dites et j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur l'Iran.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 décembre 2006