Texte intégral
Q - Le récent Conseil européen a légitimé une pause dans l'élargissement de l'Union européenne, reconnaissant qu'elle devait mieux fonctionner avant d'accueillir de nouveaux membres. Quelle doit être désormais la priorité entre approfondissement et élargissement ?
R - Au cours de la construction européenne, élargissement et approfondissement sont toujours allés de pair. Pour l'avenir, la France a souhaité que le rythme de l'élargissement dépende non seulement du respect par les pays candidats des critères requis mais aussi de la capacité d'intégration de l'Union, c'est-à-dire de sa capacité à les accueillir tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne. Les conclusions du Conseil européen du 15 décembre dernier et les résolutions adoptées par le Parlement européen confirment cette approche. C'est ainsi que nous permettrons une poursuite réussie de l'élargissement bénéficiant du soutien des citoyens européens.
Q - L'Europe doit-elle ou non rouvrir rapidement les chapitres suspendus des négociations d'adhésion de la Turquie ? La Turquie et l'Union gagnent mutuellement avec une adhésion garantie ou bien serait-il préférable, pour le moment, d'avoir un grand accord d'association ?
R - La réponse à votre première question dépend de la Turquie avant tout. Elle a pris l'engagement d'appliquer l'accord d'union douanière aux nouveaux Etats membres. Or elle ne l'a pas fait et la Commission a dû le constater. Il était donc normal que l'Europe prenne des dispositions pour l'inciter à revenir le plus vite possible au respect de ses engagements, en suivant la recommandation faite par la Commission. Le processus de négociation est ralenti mais il n'est pas interrompu et son issue reste ouverte, comme cela a été convenu entre l'Union européenne et la Turquie dès l'origine.
Q - L'immigration est un des thèmes de discussion dans l'Union européenne et aussi lors du récent Conseil européen. Quelle doit être la meilleure politique européenne en la matière ?
R - L'Union européenne a défini en décembre 2005 une approche globale que le Conseil européen l'a invitée à approfondir. La France a appuyé pleinement cette démarche car elle est équilibrée : elle permet de conjuguer l'intégration des migrants réguliers, la lutte contre l'immigration clandestine et le renforcement de la coopération pour le développement. Il ne peut, en effet, y avoir de solution durable sans une coopération accrue entre les Etats membres, les pays de départ, les pays de transit et les pays de destination. L'Union européenne est solidaire des partenaires les plus touchés par les arrivées massives d'immigrants irréguliers. Elle doit continuer à l'être et se doter de moyens supplémentaires pour disposer d'une capacité d'action commune. Nous devons également mieux prendre en compte cette question dans nos relations avec les pays de départ et de transit. C'est une voie sur laquelle nous devons continuer d'avancer, notamment dans la perspective du sommet UE/Afrique qu'a prévu d'organiser la future présidence portugaise, que nous soutenons pleinement dans ses efforts.
Q - Les électeurs français et hollandais ont donné, il y a 18 mois, un grand coup d'arrêt au Traité constitutionnel. Le sentiment européen des Français a-t-il changé ? Un nouveau référendum pourrait-t-il obtenir une réponse majoritaire différente ? Quelle solution à court terme ?
R - Les Français restent attachés au projet européen, mais ils souhaitent une Europe qui marche mieux. A l'occasion du référendum de 2005, ils ont attiré notre attention sur le fait qu'il faut faire l'Europe autrement, en répondant de manière plus concrète aux préoccupations des citoyens, par exemple, sur l'emploi ou la sécurité. Il s'agit aussi d'une modification de la demande à l'égard de l'Europe : c'est parce qu'elle a su répondre, dans le passé, à de nombreux défis que nos concitoyens attendent d'elle des solutions dans de nouveaux domaines, comme l'énergie ou les migrations. Pour ce qui est du Traité constitutionnel, la Présidence allemande qui commence ce 1er janvier fera le point des débats et explorera les évolutions futures possibles. C'est sous la Présidence française au second semestre 2008, que des solutions devront être proposées. Par ailleurs, la France souhaite que le meilleur parti soit tiré des traités existants afin d'obtenir dès à présent les résultats concrets que les citoyens attendent, notamment en matière de coopération policière et judiciaire. Enfin, je pense qu'il ne serait pas souhaitable de refaire voter les Français sur le même texte, car on aurait le même résultat. Travaillons d'abord à une Europe concrète et efficace.
Q - Dans un monde en ébullition permanente - Russie, Proche-Orient, Iran, Irak - l'Europe ne réussit pas à parler d'une seule voix. Que peut-on faire pour surmonter cette faille ?
R - Si l'Europe a pu apparaître divisée au moment déclenchement de la guerre en Irak en 2003, elle s'est depuis exprimée de manière unie sur tous les grands sujets, qu'il s'agisse du problème israélo-palestinien, de l'Iran, ou encore de l'envoi de casques bleus au Liban. Il est vrai que les moyens d'action et de représentation de l'Union européenne sont cependant encore limités. Nous plaidons pour qu'ils soient renforcés notamment en créant, à terme, un ministre des Affaires étrangères européen.
Q - Comment les prochaines présidences allemande et portugaise de l'Union européenne pourront-elles contribuer au renforcement de l'esprit européen ?
R - Les deux prochaines présidences de l'Union européenne seront cruciales pour la relance du débat sur la réforme des institutions ainsi que pour l'obtention de résultats tangibles sur la politique européenne de l'énergie ou de l'innovation. Ce sont des sujets qui peuvent contribuer au renforcement de l'esprit européen parmi nos citoyens au travers de réalisations concrètes. La déclaration des chefs d'Etat ou de gouvernement qui sera adoptée le 25 mars prochain à l'occasion du cinquantième anniversaire du Traité de Rome devrait permettre de mettre en perspective les réussites passées de la construction européenne et les défis auxquels le projet européen devra répondre à l'avenir.
C'est un rendez-vous très important qu'il faut réussir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 décembre 2006