Déclaration de M. Alain Bocquet, président du groupe des députés communistes et républicains de l'Assemblée nationale, sur le bilan de la construction européenne et sur les positions du PCF pour une alternative à "l'Europe libérale", à Paris le 12 décembre 2006.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur la déclaration du gouvernement préalable au Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006, à Paris le 12 décembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre
Mesdames et messieurs les ministres
Chers collègues,
Dix-huit mois après que le peuple français a rejeté massivement le projet ultralibéral de constitution européenne, force est de constater que votre gouvernement n'a tenu aucun compte de son refus, de ses exigences et de ses attentes. Vous les avez méprisés, contournés et détournés. A quelques mois de l'élection présidentielle, ce nouveau sommet européen prend en France une résonance particulière, et permet de dresser le bilan des politiques européennes que vous avez impulsées et cautionnées depuis cinq ans. Ce bilan est d'autant plus indispensable que le contexte économique et social est lourd. Les décisions que vous contribuez à mettre en oeuvre au sein de l'Union menacent d'élargir le champ et le nombre des victimes de l'Europe capitaliste. Au rêve européen a succédé le cauchemar de la vie quotidienne pour des dizaines de millions de familles dans l'Union européenne. Une Europe qui recense 70 millions de pauvres, 25 millions de chômeurs, des dizaines de millions de salariés précaires et sous-payés ? Au passage, il n'y a vraiment pas de quoi être fiers d'apprendre par un sondage publié par l'Humanité et la Vie Catholique "qu'un Français sur deux pense qu'il pourrait lui-même devenir sans abri". On est loin de votre autosatisfaction lénifiante !
Les questions de l'élargissement et de l'immigration domineront les travaux de ce Conseil. Mais tout laisse à penser que les dirigeants réunis refuseront de les traiter en remettant en cause les politiques libérales. L'élargissement en lui-même peut apparaître comme un projet séduisant. Il vise l'unité de l'Europe et le rapprochement des peuples. Mais cette perspective est obscurcie et pervertie par la mise en concurrence des populations. Au lieu d'unir, l'Europe divise, impose le "dumping" social et fiscal, la casse des services publics et des acquis sociaux, les pressions sur les salaires... Ce supermarché déshumanisé ne fait qu'alimenter partout la montée des nationalismes, du populisme et de la xénophobie. Il n'y a pas d'élargissement crédible et solide, pas de relations Nord-Sud mutuellement enrichissantes, sans changement radical de politique. Car les tensions et déséquilibres planétaires, notamment en Irak et au Proche-Orient, seront au coeur des discussions de ce Conseil qui va devoir tirer les leçons du fiasco de la stratégie américaine et de ses partisans en Europe. Il y a aussi, évidemment, la question de l'avenir du projet de traité constitutionnel sur lequel la présidence finlandaise entend faire le point. Les députés communistes et républicains considèrent que la France n'a pas à faire profil bas en la matière. Non seulement ce texte est caduc, mais l'Europe n'est pas sortie de la crise de confiance qui règne entre les citoyens et l'Union.
La vraie question, c'est celle des ruptures à engager avec l'ordre établi, avec l'Europe de la Bourse et du profit
En Europe, par exemple, le secteur automobile représente 10 millions d'emplois dont 1 million et demi d'emplois directs et indirects en France. Ce secteur est dans la tourmente. Le démantèlement de l'usine Volkswagen de Forest, en Belgique, est là pour nous le rappeler. On peut craindre une crise dont l'ampleur peut dépasser celle de la sidérurgie. Pour faire jouer le moins disant social et à défaut d'harmonisation fiscale et sociale par le haut, les entreprises délocalisent à tout va vers les pays de main d'oeuvre sous-payés. La même dérive est à l'oeuvre chez Airbus et dans l'aéronautique. C'est intolérable ! Que fait le gouvernement ? Que fait l'Union européenne pour empêcher ce tsunami industriel ? La voilà donc la vraie question ! Celle que vous fuyez et redoutez, celle qu'il faut avoir, y compris à gauche comme nous le faisons, le courage de poser. Et cette question, c'est celle des ruptures à engager avec l'ordre établi, avec l'Europe de la Bourse et du profit, avec l'Europe du MEDEF et de l'UNICE du Baron Seillière, pour que les Français, les Européens puissent se reconnaître dans un véritable projet européen. A cet égard je veux dénoncer plusieurs décisions récentes qui tournent le dos aux aspirations de nos concitoyens.
La directive Bolkestein d'abord, puisque le Conseil européen a approuvé le mauvais compromis sur lequel s'était arrêté le Parlement le 12 février. On y a ajouté l'idée dangereuse selon laquelle le droit du travail doit respecter le droit communautaire, selon une jurisprudence tout entière favorable au jeu destructeur et antisocial de "la concurrence libre et non faussée". De même, le Conseil a rétabli le pouvoir exorbitant de la Commission devant laquelle chaque Etat devra justifier sa législation. Confirmation est ainsi donnée de la surdité de l'Union aux attentes des peuples. Elle continue de privilégier l'harmonisation par le marché à l'harmonisation des droits. Nous dénonçons aussi le règlement REACH qui concerne la toxicité des produits chimiques et aurait dû aboutir à renforcer la protection de l'environnement, de la santé humaine, et à écarter le risque d'un nouveau scandale de type amiante ou éthers de glycol. Il n'en sera rien, faute pour le Conseil européen d'avoir résisté au "lobbying" des groupes industriels.
Autre sujet de mobilisation pour les salariés et peuples européens, la publication d'un "Livre Vert" de la Commission européenne sur la soi-disant "modernisation du droit du travail". Les intentions sont claires : prendre des mesures, je cite "visant à adapter le contrat de travail classique, dans le but de favoriser une flexibilité accrue". Il s'agit là d'une offensive aussi considérable que celle de la directive Bolkestein. Je vous demande sur ce point, Monsieur le Premier Ministre, la position du gouvernement sur les suites à donner à ce projet qui veut déstructurer le droit du travail et niveler par le bas les législations nationales.
J'aborderai enfin la question de l'Euro fort sur laquelle vos amis européens vous laissent bien seuls. A la vérité, c'est le diktat absolu de la Banque centrale européenne, avec l'oeil rivé en permanence sur les marchés financiers, qui impose le rythme de vie des Européens. Allez-vous, Monsieur le Premier Ministre, revendiquer que soient remises en cause l'indépendance et les missions de la BCE ? Allez-vous contester le choix de relèvement de son taux directeur et intervenir en faveur d'une baisse sélective qui ferait obstacle à la spéculation, afin d'encourager les investissements pour l'emploi et la croissance ? Car il faut fixer à l'Europe une grande ambition sociale intégrant la mise en oeuvre d'un système d'emploi-formation, et mettre la BCE au service de cette priorité. Il faut en finir avec une politique qui taille dans les dépenses publiques et sociales, bloque la progression des salaires, pèse sur la consommation des ménages et fait obstacle à la croissance pendant que les actionnaires se régalent des bénéfices des grands groupes multinationaux.
Enfin, il faut libérer les services publics de la soumission aux règles de la concurrence pour conforter l'efficacité sociale de leurs missions. Votre gouvernement s'enferre dans la privatisation de GDF, feint de vouloir préserver des tarifs du gaz réglementés, mais il n'a pris aucune initiative forte pour que soit adoptée une directive sur les services publics qui en ferait l'un des piliers de la construction européenne. Allez-vous alors donner un prolongement à cette attente et répondre ainsi à la pétition lancée par la Confédération européenne des syndicats ? Agir pour une Europe sociale, démocratique, solidaire et pacifique, telle est la perspective qui mobilise au côté du monde du travail, les députés communistes et républicains. En Europe comme en France, l'heure est plus que jamais au rassemblement et au changement pour construire une alternative de progrès.Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 27 décembre 2006