Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, avec LCI le 5 janvier 2007 sur l'Union européenne, notamment l'euro, les institutions communautaires, les négociations avec la Turquie et la PAC.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Catherine Colonna bonjour.
R - Bonjour.
Q - Catherine Colonna qui a mis toute l'Europe sur cette petite clef USB et sur le site www.touteleurope.fr, donc les Français peuvent télécharger toutes les données, tout ce que l'on veut savoir sur les 27 pays, désormais, de l'Union européenne ! Alors, hier, Jacques Chirac - sans clef USB ! - a donné beaucoup de promesses et de projets pour le prochain quinquennat, vous avez l'impression à travers ses voeux de voir le candidat Chirac à un troisième mandat ?
R - J'ai vu surtout un président dans son rôle, actif. Manifestement, vous l'avez vu dans ses voeux, vous le verrez encore dans les voeux qui suivront, il a une vision, il a des idées et il a la volonté de jouer un rôle actif.
Q - Mais il sent que les choses lui échappent, dit Patrick Devedjian, ce matin, dans "les Echos".
R - Je pense que c'est une erreur d'analyse. Je crois que le président est dans son rôle, éclaire les enjeux, donne un certain nombre de directions. Il sera présent et sa voix comptera.
Q - Ségolène Royal dans ses voeux, elle, hier aussi, a beaucoup parlé de l'Europe, elle a parlé de l'Europe par la preuve, par le concret, elle veut faire cette Europe là, c'est une bonne méthode ?
R - Ecoutez, je crois qu'il y a eu jusqu'ici beaucoup de généralités. Ce qui a été dit n'est pas bien nouveau, ni bien intéressant. Ce qui serait intéressant c'est ce qu'elle ne dit pas, cela serait de connaître son projet précis pour l'Europe, de connaître ses propositions, sujet par sujet. Je connais l'action du président de la République, je vois l'action du gouvernement sous la conduite de Dominique de Villepin, j'entends Nicolas Sarkozy, qui a fait un excellent discours sur l'Europe à Bruxelles, mais je n'entends rien et je ne vois rien de précis de la candidate socialiste.
Q - Elle dit, par exemple, qu'elle va en Chine et que face à l'Asie c'est l'Union européenne qui a les solutions, c'est une bonne chose ?
R -C'est certain, nous sommes tous sur ce constat ; maintenant quelle est l'action qu'elle entend mener ?
Q - Vous évoquiez Nicolas Sarkozy ; vous faites partie de ces derniers ministres qui ne se sont pas encore prononcés en sa faveur, qu'attendez-vous ?
R - Je peux vous dire que Nicolas Sarkozy, aujourd'hui, est le mieux placé pour être notre candidat. C'est une évidence. Il a la volonté, l'énergie et le courage pour faire bouger les choses. Je le dis sans réserve. Mais si je dis ''aujourd'hui'', c'est simplement que je ne veux pas préjuger de ce que sera la décision du président de la République pour ce qui le concerne.
Q - Alors le président de la République dit clairement qu'un ministre ne peut pas faire campagne à 100 % et bien travailler, qu'il faut choisir. Etes-vous d'accord et pensez-vous que Nicolas Sarkozy devra quitter la Place Beauvau dès le 15 janvier, dès qu'il sera le candidat de l'UMP ?
R - C'est lui qui fera son appréciation. Pour le reste, le président de la République a raison de dire que les membres du gouvernement doivent être pleinement à leur tâche, au service des Françaises et des Français, et c'est ce que fait chacun d'entre nous.
Q - Baisser de 33 % à 20 % l'impôt sur les sociétés, d'ici cinq ans, c'est une des propositions du président de la République. Est-ce qu'on ne subit pas le dumping fiscal de certains pays de l'Union européenne, que ce soit en Lituanie ou en Slovénie ?
R - Il est certain, vous savez que le monde a changé, la compétition internationale s'exerce aujourd'hui d'une façon totalement différente d'il y a cinq ans, dix ans ou quinze ans. Et dans cette compétition internationale, si nous voulons que l'Europe garde sa place, reste dans la course, si nous pouvons tirer le meilleur parti de nos atouts, nous devons utiliser tous les leviers, y compris les leviers européens et y compris bien sûr les leviers nationaux. Dans cette compétition, le facteur du prélèvement fiscal est un facteur important, donc regardons tous ensemble comment il est possible de devenir plus compétitif. C'est une bonne orientation, bien sûr, et qui était très attendue, vous le savez.
Q - Il y a un levier qu'on n'utilise pas beaucoup, c'est l'euro. L'euro est surévalué par rapport au dollar, c'est une erreur dit Nicolas Sarkozy, vous partagez ce diagnostic, l'euro est trop fort ?
R - On pourrait dire que le dollar est trop faible plutôt que l'euro trop fort... quoi qu'il faille toujours s'exprimer avec beaucoup de précaution quand on parle des changes. Je devrais plutôt dire que le dollar a une marge d'appréciation. Que l'euro pénalise les échanges, je ne suis pas sûre que cela soit le cas. Regardez, par exemple, un voisin comme l'Allemagne, les exportations allemandes se portent très bien.
Ce qui est vrai, en revanche, c'est qu'il est important de développer le dialogue politique entre les gouvernements et la Banque centrale européenne dans le plein respect de son indépendance, cela va de soi. La France le dit depuis longtemps, elle le redit aujourd'hui, mais elle n'est pas la seule à le dire. Le président de l'Eurogroupe, par exemple, l'a redit récemment. Cela, c'est quelque chose qu'il va falloir faire rapidement.
Q - Et Jacques Chirac ?
R - Le président de la République l'a dit également.
Q - Il l'a dit, il faut une politique de changes, une politique commerciale offensive au niveau de l'Europe. Attention ! Est-ce qu'il n'empiète pas sur l'indépendance de la Banque centrale et sur le travail de la Commission ?
R - Ce dialogue politique est possible, il est permis d'ores et déjà dans les textes, il ne demande qu'à être développé. Et il est nécessaire, on le voit bien, pour que les Européens puissent piloter ensemble leur avenir de la façon la plus efficace possible.
Q - 52 % des Français, selon TNS SOFRES, jugent que l'euro est une mauvaise chose, cinq ans après son instauration, notamment à cause des hausses de prix que l'euro a entraîné. Partagez-vous ce diagnostic ? Est-ce que vous reconnaissez que les Français ont souffert dans les additions de consommation de l'euro ?
R - Il y a une perception qui ne correspond pas tout à fait à la réalité. Il y a ce sondage récent, qui a été très commenté, où l'image de l'euro s'est dégradée et où elle est devenue négative dans un pays où l'image de l'euro avait toujours été positive, notre pays. D'autres sondages disent d'autres choses, donc il faut relativiser tout cela.
Ce qui est certain, c'est que l'impression s'est établie que l'euro faisait augmenter les prix. Alors ce n'est pas exact, j'en dirai un mot dans un instant, mais quand on parle de l'euro, il faut aussi ne pas omettre de penser aux avantages réels de l'euro, qui nous protège des chocs monétaires, comme il y en a eu dans le passé, comme il peut y en avoir en cas de crise, qui nous protège aussi des dévaluations compétitives, comme nous en avons connues tant et tant.
Q - Mais il y a hausse de prix !
R - Pour le reste, l'inflation dans notre pays est basse et c'est tant mieux parce que quand l'inflation est élevée ce sont les plus fragiles qui souffrent le plus. Donc l'inflation est basse. Il y a eu un certain nombre d'arrondis à la hausse de façon excessive, surtout au moment du passage à l'euro, et sur des biens de consommation courante. Cela est regrettable. Mais lorsqu'il y a eu des augmentations de prix, le plus souvent, ça n'est pas dû à la monnaie qui est l'euro. Je prends quelques exemples : le prix de l'énergie qui a augmenté, le prix des matières premières, le prix du café - si le prix du café augmente c'est parce que sur les cours mondiaux, l'offre et la demande, font qu'il augmente-, le prix de l'immobilier aussi. Tout cela, ce n'est pas dû à la monnaie.
Q - La Présidence allemande, la Présidence de l'Union européenne va préparer la réforme des institutions, mais c'est la France qui devra clore ce travail à la fin de l'année 2008.
En effet, Nicolas Sarkozy propose de rédiger un mini-traité, un traité simplifié en ne reprenant que les deux premières parties en évacuant un peu l'économique et le social, c'est la bonne solution ?
R - La Présidence allemande devra, sous sa présidence, en fin de présidence, donc plutôt au mois de juin, faire un certain nombre de propositions sur les institutions. Des propositions de méthode pour voir comment nous pouvons recréer un nouveau consensus à 27 aujourd'hui, ce qui peut réunir les 27, et des propositions peut-être de fond. Elle a d'autres sujets à son ordre du jour, d'autres priorités : un Conseil européen au mois de mars sur l'Europe concrète, l'Europe des résultats, qui réponde aux attentes des citoyens et nous avons besoin de cette Europe plus efficace...
Q - ... Mais le mini-traité ça n'a pas l'air de vous emballer beaucoup ?
R - Je crois simplement que la démarche qui est recommandée par la Présidence allemande, et à laquelle tous ses partenaires souscrivent, c'est une démarche pragmatique. Il n'y a pas de solution toute faite. Il n'y a pas de solution toute faite. Et ce qu'il va falloir, c'est rechercher ce qui peut être aujourd'hui le consensus à 27.
Q - Alors nous sommes 27, vous l'avez dit, la Roumanie et la Bulgarie nous ont rejoint depuis quelques jours. Paris s'est félicité de la réunification du continent, est-ce à dire que pour la Turquie il n'y a plus tellement d'espoir, la candidature est abandonnée ?
R - C'est une autre question, la candidature n'est pas abandonnée, les négociations sont en cours, quoi qu'elles sont ralenties du fait de la Turquie, qui n'a pas respecté à l'heure actuelle un certain nombre d'engagements qu'elle avait pris. La réunification du continent est en cours, elle n'est pas achevée, mais nous venons de clore un cycle avec l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie. Il faut maintenant davantage mettre l'accent sur l'approfondissement avant de pouvoir envisager de nouveaux élargissements, c'est certain.
Q - L'approfondissement sera aussi la réforme de la PAC, la Politique agricole commune, en 2013 ; la commissaire à l'Agriculture a dit ''après 2013 les agriculteurs devront trouver un travail d'appoint'', c'est vrai ?
R - C'était certainement des propos maladroits que nous avons contestés. La France s'est battue avec succès pour le maintien des aides directes agricoles jusqu'en 2013 inclus. Nous nous sommes battus en 2002, en 2003, et en 2005. Et nous avons réussi. Donc, c'est ferme et définitif jusqu'en 2013. Il y aura ensuite une négociation, mais rien ne permet de préjuger de l'issue de cette négociation. Donc, voyons chaque chose en son temps.
Q - Catherine Colonna, merci et bonne journée.
R - Merci.
Q - Et ''touteleurope.fr'' pour toutes les données sur l'Europe à 27.
R - Et téléchargeable à partir d'aujourd'hui !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 janvier 2007