Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la politique de valorisation des ressources forestières, sur les initiatives en matière de recherche, d'innovation et de formation et sur les adaptations nécessaires face au défi du changement climatique, Paris le 6 décembre 2006.

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Circonstance : Colloque ECOFORM organisé par ECOFOR au Ministère de l'environnement et du développement durable, à Paris le 6 décembre 2006

Texte intégral

Madame le Ministre,
Monsieur le Président du GIP ECOFOR (Patrick DUNCAN)
Monsieur le Vice-Président du CGAAER (Paul VIALLE)
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux aujourd'hui de répondre à l'invitation de Jean-Luc PEYRON, Directeur du GIP ECOFOR, et de participer à votre réflexion sur l'avenir de la ressource forestière et les actions destinées à la valoriser pleinement. L'étude du fonctionnement et de la dynamique des écosystèmes forestiers, que vous menez depuis 1993, revêt une importance toute particulière, en raison des multiples changements auxquels la forêt française se trouve confrontée.
Je souhaite exposer tout d'abord ces changements et les politiques publiques destinées à accompagner les évolutions nécessaires, aborder ensuite la question des nouvelles modalités d'action, et du progrès des connaissances, auquel ECOFOR contribue largement, afin de préparer leur mise en oeuvre.
I. La politique forestière française prend en considération les changements contemporains.
Notre réflexion porte aujourd'hui sur les changements environnementaux, sociétaux, économiques, qui affectent aujourd'hui la forêt, et par conséquent sa gestion. A l'échelle mondiale, les enjeux planétaires de la déforestation sont désormais au coeur des négociations internationales, comme l'a montré la Conférence de Nairobi, qui vient de s'achever. En ce qui concerne la forêt métropolitaine, dans un contexte économique en forte mutation, vos deux journées viennent offrir un panorama des mouvements de grande ampleur qui affectent en réalité la forêt et la politique forestière.
La forêt française change : près de 80 000 ha de forêts viennent s'ajouter chaque année à une surface totale qui représente environ 30 % du territoire national, selon l'Inventaire forestier. Sur certaines zones, cependant, la forêt française doit faire face à de nombreuses atteintes et menaces. La gestion publique et privée doit s'adapter à des situations différentes et nous devons faire preuve d'une grande vigilance dans les missions de protection.
Depuis l'établissement du Programme forestier national, adopté au printemps dernier, les acteurs se sont mobilisés sur la base d'un constat partagé, qui concerne les forêts de métropole et d'outre-mer. Les facteurs clés de l'évolution sont le changement climatique, l'avènement prochain de l'après pétrole, la nécessité de préserver la biodiversité, la prise en compte d'une logique territoriale, enfin l'adaptation aux marchés et la contribution à l'emploi.
Comme je l'avais souligné en Conseil des Ministres, en avril 2005, la politique forestière nationale est guidée par quatre objectifs :
1. valoriser la forêt, source de croissance et d'emplois
2. conforter la gestion durable des forêts
3. développer la valorisation de la biomasse forestière
4. coordonner les actions, dans les démarches nationales et communautaires.
Je suis particulièrement heureux que ce programme ait pu recueillir une très large adhésion de tous les acteurs impliqués, ainsi que le plan d'action « forêt pour la biodiversité ».
1.1. En matière environnementale, la ressource que constitue la forêt est davantage prise en considération. Le rôle majeur qu'elle remplit, en terme de préservation de la biodiversité, est reconnu de tous. Environ 40 % des surfaces de protection des habitats, au titre de Natura 2000, sont des surfaces forestières. Cette reconnaissance doit inciter à une concertation approfondie entre les pouvoirs publics, les propriétaires et les gestionnaires forestiers, qui sont les principaux responsables de son caractère opérationnel.
La forêt joue aussi un rôle éminent de protection contre les risques, en particulier en matière d'érosion, de limitation des crues et du ravinement. Il faut en retour la protéger contre les incendies, la prémunir contre les tempêtes et les accidents climatiques.
La fonction de captation du carbone atmosphérique est une piste intéressante, qu'il faut expliquer et intégrer à notre politique, au niveau national, mais aussi communautaire et international. Chaque mètre cube de bois séquestre 1 tonne équivalent C02. L'accroissement annuel de la forêt française représente, selon les travaux du Groupement d'Intérêt public ECOFOR, un stockage annuel net encore appelé « fonction puits » d'environ 60 millions de tonnes-équivalent C02, soit à peu près le dixième de nos émissions annuelles de gaz à effet de serre. C'est tout sauf négligeable.
1.2. Espace propice aux activités de nature et de détente, le rôle sociétal de la forêt est aujourd'hui évident. Ce prestige nouveau peut cependant être source de difficultés, dans la mesure où la forêt attire toutes les convoitises et donne lieu à des conflits d'usage. Nous devons continuer d'avoir une politique volontariste de protection : la forêt française est encore trop souvent envisagée comme une réserve foncière facile, notamment en zone périurbaine. L'État répond par l'acquisition et le classement en forêts de protection de vastes massifs, qui présentent des enjeux importants. Sur le terrain, l'Office National des Forêts relaie cette préoccupation, avec notamment les actions d'accueil en forêt, qui reçoivent le soutien des collectivités locales, et les politiques de gestion durables des espaces forestiers. De même, l'ouverture au public des forêts privées, notamment au moyen de partenariats publics-privés, mérite d'être encouragée.
1.3. Sur le plan économique, nous vivons un changement de tendance profond et durable. La demande en bois d'oeuvre, bois d'industrie et bois énergie est repartie, tirée notamment par le dynamisme de la construction. La forêt française doit se donner les moyens d'y faire face. Ce nouveau défi - c'est aussi une chance - doit nous conduire à organiser davantage la production forestière, encore atomisée, à appuyer l'exploitation et la première transformation, qui doivent affronter des industries forestières plus fortes, mieux structurées et plus compétitives. Nous travaillons activement, depuis deux ans, avec tous les acteurs de la filière, et je sais que je peux compter sur l'implication de la jeune interprofession France Bois Forêt, en vue d'une structuration de la filière.
La France a décidé de relever les nouveaux défis énergétiques, avec l'objectif d'une augmentation d'ici 2010 de 50 % de la part de la chaleur et de l'électricité renouvelable, objectif de Loi de Programmation Pour l'Énergie. De nombreuses actions forestières ont été engagées à cette fin, dans la prochaine programmation 2007/2013 du développement rural, dans le cadre du programme bois-énergie de l'Agence pour le Développement et la Maîtrise de l'Énergie, avec la baisse du taux de TVA applicable aux réseaux de chaleur et à la livraison de bois de chauffage à usage non domestique. Je mentionne également, bien sûr, les Pôles d'Excellence Rurale, et plus généralement les appels d'offres pour la production électrique à partir de biomasse, ainsi que la prochaine révision des tarifs de rachat d'électricité produite avec ces sources, de manière à établir des tarifs incitatifs.
Ce développement représente une chance pour les territoires et l'emploi local. De nouveaux mécanismes incitatifs et de nouveaux partenariats locaux doivent être imaginés. Les projets de crédits domestiques doivent inscrire concrètement la forêt dans la mise en oeuvre du Protocole de KYOTO. Cette question vient d'être abordée lors du colloque organisé lundi dernier par la Caisse des Dépôts et Consignations sur les projets domestiques. J'ai tenu à y réaffirmer la place qu'y jouent les secteurs agricole et forestier.
II. La question du changement climatique est une question sérieuse, qui nous oblige à anticiper dans les études et les modes de gestion.
L'adaptation au changement climatique va fortement peser sur la politique forestière.
2.1. La longueur du cycle forestier impose une réflexion d'anticipation. Vous avez commencé à explorer ce problème. L'heure n'est pas à l'alarmisme, mais au pragmatisme. Il s'agit de mesurer aussi objectivement que possible les risques forestiers et d'en rechercher les causes : l'acidification, l'eutrophisation, le tassement des sols et les atteintes à la biodiversité ont une autre origine que le changement climatique. Cependant, certaines inquiétudes sont légitimes et le choix des essences et des aires de provenances, les itinéraires sylvicoles et technico-économiques, la conservation des ressources génétiques sera influencée par le facteur climatique.
Le Département de la santé des forêts du Ministère, chargé depuis 1989 d'observer l'évolution sanitaire des peuplements, en lien avec les réseaux de surveillance européens, conduit ses activités en étroite collaboration avec les gestionnaires forestiers publics et privés. Une première synthèse du bilan phytosanitaire pour l'année 2006 est disponible, et sera mise en ligne sur le site Internet du Ministère. Aucun dépérissement généralisé n'est constaté. A l'inverse, les données de l'Inventaire Forestier National montrent une augmentation régulière de l'accroissement depuis 2000. La campagne de mesure 2005 confirme cette tendance.
Nous devons développer de nouveaux dispositifs de suivi et d'observation, afin de détecter aussi précocement que possible d'éventuelles évolutions défavorables. Le département de la santé des forêts, en collaboration avec l'ONF, le Centre National de la Propriété Privée Forestière (CNPPF) et Inventaire Forestier National (l'IFN), définit une stratégie avec l'appui de la recherche, notamment du CNRS et de l'INRA. Je souhaite que cette surveillance associe le plus largement possible l'ensemble des professionnels et des usagers de la forêt, tant d'ailleurs pour accroître les informations collectées que pour sensibiliser les usagers à l'évolution de la forêt. J'ai demandé que soit mise à l'étude, à l'image de ce qui se fait dans certains autres pays comme le Royaume-Uni, et à l'image de ce que développe l'Observatoire des saisons en matière de phénologie, l'association directe du grand public à cette surveillance grâce à Internet.
Le travail mené avec le soutien financier du Ministère, ces trente dernières années, sur la typologie des stations, constitue une base précieuse. Plusieurs études en cours à l'ONF et à l'ENGREF permettront d'actualiser cette typologie et de prendre en compte les changements climatiques. La définition de nouveaux seuils bioclimatiques qui en résultera pourra ainsi réorienter la sylviculture.
2.2. Initiatives en matière de recherche d'innovation et de formation
De nombreux travaux viennent nourrir l'action en matière de génétique forestière et de biodiversité : le projet CARBOFOR 2002-2004 a permis d'éclairer l'impact du changement climatique sur la forêt. L'expertise collective scientifique sur la sécheresse et la canicule de 2003, les travaux de séquençage génomique du peuplier, et plus généralement les avancées en matière de sélection génétique, ont apporté d'excellents résultats. Une cartographie nationale des sols sera établie pour la fin 2007 par l'INRA et l'ENGREF et permettra de recommander les matériels forestiers de reproduction les plus adaptés, par leur résistance au stress hydrique, aux épisodes caniculaires et aux parasites. Les excellents travaux menés à l'Institut de développement forestier sur l'adaptation au changement climatique des modes de gestion sylvicoles témoignent de l'engagement réel des propriétaires forestiers sur ce thème. Les travaux d'Antoine KREMER à l'INRA, couronnés par le Prix MARCUS WALLENBERG 2006 - l'équivalent du Prix NOBEL pour la forêt -mettent en avant la capacité d'adaptation des essences forestières aux changements d'ordre climatique. Plus la palette génétique sera diversifiée, plus les arbres seront en mesure de répondre à la pression de sélection du milieu et à la diversité de ces changements.
Le changement climatique mais également les considérables évolutions que généreront le développement des pays dits émergents nécessiteront une recherche qui mette en réseau les connaissances. En ce sens, le GIP ECOFOR à l'échelle de la France, mais aussi par exemple la plate-forme technologique européenne qui se construit, doivent être encouragés. Cette plate-forme technologique, issue de la réflexion concertée de tous les partenaires européens, permettra à la filière bois de bénéficier au sein du 7ème Programme communautaire de recherche et développement (PCRD) qui démarre ce mois-ci, de moyens appropriés pour faire face aux enjeux de demain. En effet, les sujets forestiers par leur étendue se prêtent tout particulièrement bien à une recherche européenne.
Au niveau français, je voudrais souligner l'attention qu'il faut porter au lien entre la recherche, la formation et le développement, pour que les connaissances acquises se transforment en véritable atout économique et en création d'emplois. Il faut souligner les efforts faits en ce sens sur le site de Nancy par l'École nationale du génie rural, des eaux et forêts (ENGREF), l'Inra et l'Université dans le cadre de la création du pôle de compétences Est.
2.3. Une politique et une gestion éclairées de la forêt française
Compte tenu de la complexité des hypothèses climatiques et de la diversité des réponses possibles des espèces, il convient de s'appuyer dans la mesure du possible sur des données scientifiques. Aussi est inscrite, comme mesure-phare du Plan d'action forêt de la stratégie nationale pour la biodiversité, la réalisation de diagnostics sur la diversité génétique des espèces, afin d'étayer nos connaissances scientifiques, de cibler les priorités nationales de conservation, en forêt ou dans des conservatoires, et de mettre en application les engagements internationaux que la France a souhaité prendre, dans le cadre de la conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe.
Afin de concilier les deux objectifs légitimes de protection de la biodiversité et d'adaptation des forêts au changement climatique, une réflexion et des outils de mise en oeuvre coordonnés apparaissent, à l'évidence, très souhaitables. Le réservoir génétique des espèces est un atout qu'il faudra mieux connaître, afin de pouvoir en tirer pleinement profit. L'étude des effets du changement climatique sur la biodiversité figure parmi les 7 mesures phares identifiées dans le Plan d'action. D'autre part, les changements majeurs qui se dessinent nécessitent des orientations et des réactions rapides de la part du gestionnaire forestier. Les cadres réglementaires de la gestion (orientations régionales forestières et documents de gestion qui en découlent) prennent d'ores et déjà en compte certaines des préoccupations liées à l'évolution du contexte général. Ainsi en est-il de l'abaissement de l'âge d'exploitation, de l'amélioration des prélèvements, des réflexions sur les régénérations naturelles, de la sylviculture et de l'introduction d'essences. Les documents-cadre de gestion durable forestière auront donc une importance accrue.
Dans le cadre du contrat d'objectifs avec l'ONF pour la période 2007-2011, nous avons inscrit la révision des orientations nationales pour l'aménagement des forêts publiques, en y intégrant la nécessité de l'adaptation et des mesures d'optimisation pour la sylviculture, en particulier avec le projet de crédits domestiques liés à la séquestration de carbone. Pour la forêt privée, je souhaite que les adaptations soient abordées avec ouverture et souplesse. De même, pour la grande majorité des petites propriétés privées, non concernées par les approches réglementaires, de nouvelles approches plus collectives sont mises en oeuvre, notamment les Chartes forestières de territoire et les plans de développement de massifs, soutenues par les pouvoirs publics et les collectivités.
Il faut également tenir compte de l'aspiration des gestionnaires à la certification et à la simplification des procédures. Je suis particulièrement attentif aux progrès importants réalisés ces dernières années par les dispositifs de certification, qui se développent en France comme un moyen de promouvoir la gestion durable des forêts, et d'apporter aux consommateurs des garanties quant aux produits bois qu'ils achètent. Une autre de mes préoccupations fortes est de permettre la fusion ou la simplification des procédures qui découlent des diverses législations appliquées aux territoires forestiers.
III. S'orienter face au défi du changement climatique dans le domaine forestier.
Les gestionnaires forestiers souhaitent des orientations claires, mais c'est dans un cadre encore largement incertain que nous nous trouvons placés : des incertitudes demeurent sur l'ampleur, les effets des changements à venir et les capacités de réponse des écosystèmes.
Cependant, nous devons dès maintenant prendre les bonnes orientations. Dès le début de l'année, j'ai commandé au CGAAER un rapport sur le thème « adaptation de la sylviculture au changement climatique. » Ce rapport sera finalisé dans les prochaines semaines. J'ai demandé à Monsieur Bernard ROMAN-AMAT, Ingénieur général du GREF, directeur délégué de l'ENGREF à Nancy que vous avez eu l'occasion d'écouter au sein de ce colloque, de prolonger cette réflexion. Il devra réunir un groupe de travail pour préfigurer le pilotage d'une gestion durable afin de conseiller et de fonder les orientations de la politique forestière, en matière de recherche, de développement, et de formation dans un contexte de changement.
Le groupe sera également sollicité pour proposer une instance de conseil permanente, placée auprès du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, en concertation avec le Ministère de l'Écologie et du Développement Durable, et capable de préconiser un programme d'action pour faire face au changement climatique durant les prochaines décennies. M. ROMAN-AMAT remettra un premier rapport au ministre qui le soumettra au Conseil supérieur de la forêt, des produits forestiers et de la transformation du bois d'ici la fin 2007. ECOFOR a naturellement vocation à être associé au déroulement de ces travaux et je l'invite à se mobiliser pleinement pour relever ce défi.
Conclusion
La multiplicité des facteurs à prendre en compte pour une bonne gestion de la forêt, des intérêts publics et des enjeux qui s'y attachent, justifie une politique volontariste. Nous devons en particulier veiller à ce que les évolutions contemporaines ne laissent pas les forestiers aux prises avec des contraintes excessives, mais bénéficient d'un cadre clair et cohérent pour leur gestion, au moment où la forêt a besoin de souffle et de dynamisme. Je me réjouis que les filières forestières soient en voie de rapide structuration.
Les décisions publiques concernant l'avenir de la forêt française ont besoin d'être pleinement éclairées. Votre colloque y contribue de manière pertinente : je vous remercie de votre implication et de votre attention.
ERRATUM (post-discours)
Le puits forestier correspond au 1/10 et non au 1/4 des émissions annuelles (56mio téq CO2 versus 565miotéq CO2 d'unités de quantité attribuées à la France chaque année pour 2008/2012)