Déclaration de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les enjeux des réformes comptables des Etats : mesures des performances, vision du patrimoine de l'Etat, élaboration des normes, Paris le 9 janvier 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque : "Les réformes comptables des Etats : un enjeu de gouvernance pour l'action publique" à Paris 9 janvier 2007

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Mesdames messieurs les parlementaires,
Monsieur le Premier Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous retrouver pour clôturer ce colloque sur les réformes comptables des Etats.
Avec Jean-François Copé, nous avons souhaité tenir ce colloque, qui est une première, à Bercy, parce que la nouvelle comptabilité de l'État vient de franchir, en 2006, une étape décisive : nous avons achevé l'an passé la mise en oeuvre de la LOLF, loi organique du 1er août 2001, qui est désormais notre nouvelle constitution financière.
Je tiens ici à remercier particulièrement les services de la comptabilité publique pour le travail très professionnel qu'ils ont accompli dans ce cadre.
Naturellement, il nous a fallu adapter certaines règles de comptabilité générale pour prendre en compte les spécificités de l'État.
Nous venons, par ailleurs, d'entamer le processus de clôture des comptes 2006, qui seront, pour la première fois, produits dans ce nouvel environnement comptable.
En termes de calendrier, ce colloque intervient à un moment important : nous entrons en quelque sorte dans la dernière ligne droite d'une course d'endurance que nous avons engagée il y a près de quatre ans maintenant. Pour un chantier comptable de cette ampleur, réussir en 4 ans seulement est particulièrement méritoire, si l'on s'en réfère à l'ampleur des travaux préalables ou à des démarches similaires conduites en dehors de nos frontières. Félicitations, une fois encore, aux collaborateurs de ce Ministère et des autres qui ont permis ce succès.
Ce colloque a permis de resituer rapidement nos résultats par rapport aux évolutions comparables dans plusieurs pays et dans d'autres cercles. Vous en avez eu aujourd'hui un bon éclairage qu'il s'agisse des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada ou d'institutions comme la Commission européenne ou encore d'entreprises publiques.
En effet, les États comme les entreprises sont amenés à des évolutions convergentes : rechercher davantage d'efficacité et de transparence y participe. Et, à ce titre, le rapprochement des normes comptables y est pour beaucoup. Ceci vaut plus largement dans une économie toujours plus mondialisée où les performances doivent pouvoir être évaluées sur la base de référentiels partagés : l'un des réflexes légitimes des décideurs publics ou privés, lorsqu'ils sont face à des décisions importantes, c'est de regarder ce que font leurs homologues ou leurs concurrents. Nous devons rendre cela possible.
I - La comptabilité est d'abord un instrument de mesure de nos performances relatives par rapport à nos principaux partenaires :
Comme vous le savez, j'ai l'ambition que la France se mobilise pour prétendre faire partie du "top 5" des économies mondiales à l'horizon de 25 ans. Pour relever ce défi, la France doit avoir le souci constant d'améliorer ses résultats.
Cela passe par la préparation de l'avenir pour dégager des marges de manoeuvre. Je vois, à ce titre, un impératif absolu. Cet impératif absolu, c'est celui du désendettement.
Pour engager la dynamique, j'ai souhaité, dès mon arrivée à Bercy, initier ce mouvement par une action pédagogique : c'est le sens du rapport que j'ai demandé à Michel Pébereau. Ce travail remarquable a permis de montrer à tous nos concitoyens que seul un désendettement massif dans les années à venir nous permettrait de préparer les transitions démographiques à venir, d'assurer la soutenabilité de nos finances publiques et de rendre crédible notre développement économique de moyen terme.
Ce désendettement que j'ai décidé, avec l'accord du Premier Ministre, de mettre en oeuvre, nous en avons pris résolument le chemin en 2006.
La France était déjà le 1er des grands pays européens à avoir ramené son déficit public sous la barre des 3% PIB dès 2005. En 2006, notre effort d'assainissement de nos finances publiques aura été sans précédent depuis 25 ans. Nous avons en particulier affecté les recettes exceptionnelles au désendettement, pour mieux préparer l'avenir de notre pays.
J'ai ainsi souhaité que notre endettement puisse baisser d'au moins 2 points de PIB en 2006. La Loi de Finances pour 2007 prévoit une baisse supplémentaire de 1% de notre endettement.
Nous sommes sur le chemin pour remplir cet objectif.
Le comptable national, en l'occurrence l'INSEE puisqu'il s'agit de comptabilité nationale, calculera l'endettement public français d'ici au 30 mars.
Dans cette démarche pédagogique, la nouvelle comptabilité de l'État doit nous permettre de mesurer en permanence le chemin parcouru. Elle nous conduit aussi à améliorer la communication sur la situation financière de l'État lors des différentes publications relatives à nos comptes.
II - La comptabilité que nous mettons en place va aussi enrichir notre vision du patrimoine de l'État.
A cet égard, elle peut aussi contribuer à relever le double défi d'une meilleure gestion publique et de ce que j'appelle "l'économie d'après".
La comptabilité doit évidemment nous permettre de mieux connaître et mieux gérer nos actifs. On évalue aujourd'hui leur valeur à plus de 550 milliards d'euros.
C'est vrai des immobilisations corporelles (le parc immobilier, les équipements civils ou militaires pour n'en citer que deux catégories) ou des immobilisations financières pour gérer avec dynamisme le patrimoine public qui est une richesse collective.
Je pense, par exemple, à la valorisation pour la première fois dans le bilan d'ouverture de l'État des infrastructures routières. Cette valorisation traduit tout l'investissement qui a été réalisé au cours des dernières années et qui est un atout important de notre économie. Il est porteur, comme le disent les économistes, d'"externalités positives" considérables.
Mais d'autres actifs plus complexes me semblent devoir être également pris en compte de manière progressive.
Je pense en particulier à ce que les comptables appellent les actifs incorporels. En effet, l'économie "post - industrielle" sera celle de l'économie de l'immatériel. L'immatériel est, pour un pays comme le nôtre, le facteur de croissance le plus prometteur, le plus porteur. Car nous évoluons dans univers économique où l'innovation, la connaissance, le savoir-faire, la technologie sont au coeur de la création de richesses. La maîtrise de ces atouts, de ces actifs immatériels, devient donc déterminante.
L'État a un rôle important à jouer dans ce domaine et c'est dans cet esprit que j'ai engagé en 2006 une réflexion résolument novatrice dans ce domaine. Le rapport que m'ont remis en fin d'année dernière Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet propose une liste d'actions concrètes d'action de l'Etat pour mener une politique résolue en ce domaine.
Je considère que les comptes de l'État devront aussi refléter de manière croissante les investissements que celui-ci opère en matière d'actifs immatériels. C'est déjà en partie le cas aujourd'hui, au sein du bilan d'ouverture, avec la valorisation (environ 1 Mdeuros) des logiciels produits par l'administration.
Cela sera encore plus vrai demain avec une réflexion qui devra être poursuivie pour enrichir le référentiel normatif sur la comptabilisation du domaine public. Je pense par exemple aux autorisations d'utilisation des fréquences hertziennes, qui constituent une ressource rare, utilisée à la fois par des opérateurs publics et privés. La valorisation des actifs incorporels est évidemment complexe et une approche comparative pourra être particulièrement utile.
III- Pour poursuivre notre démarche nationale dans le secteur comptable, il est également indispensable de disposer d'un processus d'élaboration des normes performant
Comme vous le savez, le Conseil National de la Comptabilité qui est placé auprès de moi joue un grand rôle en ce domaine. Sa vocation est d'être un lieu de concertation entre les professionnels sur toutes les dispositions d'ordre comptable, qu'elles soient d'origine nationale ou communautaire, étudiées par les administrations ou les services publics, et sur les normes élaborées par les organismes internationaux ou étrangers de normalisation comptable. Son secrétariat général joue un rôle déterminant dans les débats nationaux et internationaux sur ces sujets.
Les textes rendent le CNC compétent à la fois sur la comptabilité des entreprises et sur la comptabilité publique.
Parallèlement, le Ministère dont j'ai la responsabilité dispose d'une mission des normes comptables publiques, placée auprès du Directeur général de la modernisation de l'Etat. Cette mission prépare les travaux du Comité des Normes de Comptabilité Publique prévu par la LOLF.
Il me semble que, tout en conservant les prérogatives des comités concernés, le Conseil National de la Comptabilité d'une part, le comité des normes de comptabilité publique d'autre part, l'organisation respective de leurs équipes gagnerait à être repensée pour rendre notre action dans ce domaine plus efficace.
De même, le Conseil National de la Comptabilité doit voir son rôle s'accroître après l'entrée en vigueur des normes IFRS et au moment où la concurrence des normes au niveau international s'intensifie. Il doit aussi réfléchir aux sujets nouveaux, par exemple l'inscription des marques au bilan des entreprises, que ces marques aient été acquises par croissance externe ou développées en interne -c'est une des propositions de MM Lévy et Jouyet.
Un dernier mot pour dire que la comptabilité peut apparaître comme une matière aride et technique. Mais elle est porteuse d'une véritable clé politique. L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen donne le droit à chacun de savoir comment l'argent public est utilisé. Nos concitoyens veulent de plus en plus le savoir ! Pour cela nous leur devons des comptes de qualité. La comptabilité, c'est donc bien aussi un des enjeux d'une démocratie majeure.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 11 janvier 2007