Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur la contribution de la France à la contre "la fuite des cerveaux" du Sud vers le Nord, Bamako le 16 janvier 2007.

Prononcé le

Circonstance : Voyage de Philippe Douste-Blazy au Mali les 15 et 16 janvier 2007 : réunion ministérielle de suivi du 23è sommet des chefs d'Etat et de gouvernement d'Afrique et de France le 16 à Bamako

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mes Chers Collègues,
Je voudrais d'abord remercier notre hôte et ami, le ministre Moctar Ouane pour la tenue et l'organisation de cette conférence ministérielle de suivi du sommet de Bamako.
Vous le savez, lors du dernier sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France, à Bamako, en décembre 2005, nous avons longuement évoqué les phénomènes migratoires et le départ, dans certains cas, des compétences nationales vers de faux eldorados lointains. Ce phénomène, souvent décrit comme une "fuite des cerveaux" doit être combattu. Mais ce combat doit être mené en concertation et avec le souci d'agir au mieux des intérêts à la fois des pays d'émigration et des pays d'accueil.
Les meilleurs experts estiment que l'Afrique perd aujourd'hui, chaque année, plus de 20.000 professionnels. La mondialisation encourage cette mobilité du travail. Mais elle engendre un réel déficit pour les pays du Sud et il faut sinon infléchir cette tendance, ou en tout cas la réguler.
Car la question des ressources humaines est cruciale pour la croissance ("Il n'est de richesse que d'hommes"). Il faut donc limiter l'expatriation quand elle n'est pas absolument nécessaire au pays de départ ou à une formation spécialisée.
Pour ce qui concerne mon pays, le premier axe est bien sûr le renforcement de nos actions de coopération et de développement. Vous le savez tous, la France affiche clairement cet objectif. Nous avons ainsi atteint un taux de 0,47 % du PIB en 2006 et nous devrions parvenir, en principe, à 0,5 % en 2007. Nous nous sommes engagés, avec nos partenaires européens, à atteindre l'objectif de 0,7 % d'ici 2012.
Le second axe, c'est celui du retour vers le pays d'origine. La France est, je le rappelle, le premier pays d'accueil des étudiants africains - devant l'Allemagne, les Etats-Unis et la Belgique. Mon pays est donc particulièrement concerné par la question du "retour des compétences".
Mais les obstacles actuels au retour sont parfois si importants (chômage, niveau des rémunérations, conditions de travail, sécurité de l'environnement) qu'ils dissuadent les candidats. Ils atténuent donc fortement par voie de conséquence, tout impact significatif immédiat sur le développement des pays concernés.
Pourtant, c'est maintenant qu'il faut agir pour lutter contre cette perte des ressources humaines qui constitue un handicap majeur pour la croissance des pays du Sud. C'est bien l'objet des nouvelles stratégies que nous mettons en place de façon concertée entre les pays du Sud et pays du Nord.
Dans ce cadre, nous privilégions trois types d'action :
1) le renforcement des capacités de formation sur le continent
2) le renforcement de la mobilité des compétences
3) le renforcement des mécanismes de co-développement
1) Tout d'abord l'aide au renforcement des capacités de formation, qui permet de faciliter le maintien des jeunes sur le continent.
Le renforcement du soutien à l'enseignement supérieur africain permettra notamment de favoriser l'émergence de pôles d'excellence au niveau régional.
Ainsi, un Institut africain des sciences et technologies à vocation régionale, spécialisé dans l'hydraulique et l'environnement, est en train d'être mis en place à Ouagadougou, à partir d'un groupement d'écoles impliquant plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest.
De même, le financement de bourses (9000 bourses pour le continent africain en 2005 en France) est désormais conforté par le programme "inter Pares" qui met en place un système de doubles chaires, permettant à des universitaires africains de travailler alternativement sur la même chaire en France et en Afrique. Ceci favorise le retour des compétences et consolide l'enseignement supérieur africain.
2) Le renforcement de la mobilité des compétences
Il s'agit de faciliter la circulation des travailleurs de pays tiers ou des diasporas économiques, scientifiques et techniques qualifiées, entre leur pays d'accueil et leur pays d'origine.
La mise en oeuvre de ce principe de mobilité des compétences s'organise de différentes façons :
- Faciliter les allers-retours entre pays,
- Développer les facilités de circulation et d'emploi pour les ressortissants de pays du Sud ayant déjà travaillé au Nord. Il s'agit notamment de la délivrance de visas aux entrepreneurs et hommes d'affaires appelés à circuler régulièrement entre leur pays d'origine et celui d'accueil.
- Créer un cadre juridique plus propice à la mobilité. Il s'agit par exemple du transfert des droits de retraite, ou de la reconnaissance des qualifications...
En France, la loi du 24 juillet 2006 sur l'immigration et l'intégration a d'ores et déjà permis l'adoption de mesures facilitant la circulation des personnes et des travailleurs. Les étudiants titulaires d'un mastère pourront, dans la perspective de leur retour dans leur pays d'origine, avoir en France une première expérience professionnelle participant directement, ou indirectement, au développement économique de la France et du pays dont ils ont la nationalité.
3) Les actions de co-développement doivent renforcer l'impact positif des migrations sur le développement économique et social des pays du Sud.
Le développement, sur les deux espaces géographiques, du nord et du sud, de projets associant des jeunes immigrés à d'autres jeunes des pays d'origine suscite un engouement certain.
Ainsi les projets mis en place au Mali, de co-développement avec des jeunes, permet de financer des micro-projets réalisés conjointement par des associations de jeunes résidant au Mali et des associations de jeunes franco-maliens issus des banlieues françaises.
Le concept d'Agence pour l'emploi et le développement comme outil d'accompagnement d'une migration pourrait rapidement devenir opérationnel avec le Mali comme pays pilote.
La France souhaite favoriser les contributions des migrants au développement de leur pays d'origine, en appuyant les initiatives des diasporas ou en les associant aux actions de développement menées dans leur pays d'origine.
Aussi, le Centre de Recherches sur la malaria au Mali, dirigé par un universitaire de Bamako, le professeur Doumbo Ogobara résulte de la volonté d'un groupe de jeunes chercheurs maliens de s'installer chez eux, avec l'appui de l'état malien, de la France et de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF). C'est une réussite, et nous souhaitons que de nombreux projets de ce type voient le jour.
D'une manière générale, nos projets de coopération bilatérale s'inscrivent dans une optique de concertation croissante avec la Commission européenne d'une part et avec les organisations régionales comme c'est déjà largement le cas avec la CEDEAO et le Club du Sahel.
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mes Chers Collègues,
Le chantier reste considérable. Mais l'enjeu qui consiste à proposer des perspectives à cette immense jeunesse africaine qui est aujourd'hui l'un des plus grands potentiels de votre continent est majeur.
Travaillons-y ensemble, car c'est notre intérêt à tous.
Je voudrais enfin dire un mot sur l'initiative franco-brésilienne sur la contribution de solidarité sur les billets d'avion, UNITAID. Le principe en est que les pays du Nord et les pays du Sud, en ce début de XXIème siècle doivent s'unir. Car si on ne s'unit pas, avec des financements innovants, sur les problèmes de pauvreté et la santé publique, les catastrophes futures seront de notre responsabilité. C'est un sujet majeur. Et ce serait la première fois que Nord et Sud travailleraient ensemble, ce qui serait fondamental.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 janvier 2007