Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les enjeux de la politique agricole : la gestion difficile de la PAC tant au plan européen qu'international, la sécurité des revenus agricoles, avec notamment l'intervention de la loi d'orientation agricole relative à la gestion des prêts bonifiés et de l'assurance récolte, Paris le 16 janvier 2007.

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Circonstance : Journée agricole organisée par le Crédit agricole à Paris le 16 janvier 2007

Texte intégral

Monsieur le Président de la Fédération Nationale du Crédit Agricole (Jean-Marie SANDER),
Monsieur le Président de Crédit Agricole SA (René CARRON),
Monsieur le Secrétaire Général (Jean-Paul CHIFFLET)
Monsieur le Directeur Général de Crédit Agricole SA ( Georges PAUGET)
Monsieur le Directeur de la banque de détail (Jérôme BRUNEL)
Monsieur le Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (Jean-Luc DEMARTY)
Messieurs les Présidents et Directeurs des Caisses Régionales
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous présenter mes voeux pour 2007 : que cette année vous apporte santé et prospérité. Au moment où le monde agricole connaît un regain d'optimisme, je forme des voeux particuliers pour que cette confiance se consolide en 2007.
L'année 2007 sera particulièrement intense pour le monde agricole. Les élections aux Chambres d'agriculture en sont le premier signe. L'élection présidentielle et les élections législatives sont d'ores et déjà l'occasion, pour les uns et les autres, de faire des propositions, et pour la nation d'énoncer démocratiquement ses choix. L'agriculture est au coeur de nombreux enjeux : sécurité alimentaire en Europe et dans le monde, sécurité sanitaire des produits, gisement d'emplois de toute première importance avec les industries agroalimentaires (1er employeur industriel en France), développement des biocarburants, nouveaux outils de valorisation de la biomasse et « chimie verte », avec en particulier les bioplastiques. Il y a là un potentiel de croissance considérable pour notre agriculture et nos territoires.
Je me félicite, Monsieur le Président, que les équipes du Crédit Agricole aient montré une nouvelle fois, par votre intermédiaire, leur volonté d'accompagner ces opportunités pour notre pays.
I. Vous avez évoqué, Monsieur le Président, l'enjeu européen et j'y joindrai l'enjeu international
Nous savons que l'avenir de l'agriculture, dans notre pays, est étroitement lié aux questions communautaires et internationales. Il y aura la présidence de l'Union européenne par la France en 2008, et d'intenses discussions sont déjà au programme. Nous voyons déjà poindre l'échéance de 2013.
Dans ce contexte, nous avons une responsabilité particulière. L'action doit être au rendez-vous et il faut anticiper.
Le montant des crédits de la Politique Agricole Commune a été stabilisé jusqu'en 2013, mais certains semblent avoir déjà oublié l'accord d'octobre 2002. Conclu entre chefs d'Etat, cet accord donne à l'ensemble du monde agricole européen la visibilité terme dont celui-ci à besoin. Les agriculteurs s'adaptent en ce moment aux normes de la PAC réformée de 2003 et les règles du jeu ne peuvent changer à nouveau, alors que les investissements nécessaires ne sont pas encore amortis.
La Politique Agricole Commune est régulièrement critiquée au regard de la part importante que le budget européen accorde à l'agriculture. Ce n'est pas en détruisant une politique européenne que nous pourrons éventuellement en bâtir d'autres. D'autre part, consacrer 0,5 % du PIB européen pour assurer notre sécurité alimentaire, en quantité et en qualité, et demain une part de notre approvisionnement énergétique, me semble parfaitement fondé et raisonnable. La France est prête à continuer à payer ce prix, y compris après 2013, et j'ai fait valoir ce point encore récemment auprès de la Commission européenne.
Le cycle de réforme enclenché en 1992 est désormais pleinement opérationnel. Les accords de Luxembourg de 2003 garantissent une évolution maîtrisée de l'agriculture. Grâce à la mobilisation du Ministère de l'Agriculture, le paiement des aides PAC découplées a pu avoir lieu en 2006, et une avance est venue dès le 16 octobre apporter un ballon d'oxygène pour la trésorerie des exploitations. Ce résultat est unique en Europe.
La politique agricole européenne est confrontée à des défis majeurs, dans le cadre de l'Union européenne elle-même, et dans celui des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Une libéralisation incontrôlée des marchés menacerait les équilibres économiques et sociaux de notre agriculture, et notre capacité à répondre aux attentes fortes de la société, en matière de qualité de l'alimentation et de préservation de l'environnement. L'angélisme du discours ambiant sur l'OMC cache les intérêts commerciaux bien compris d'un certain nombre de pays. Pour ce qui la concerne, la France doit continuer à faire preuve de vigilance et de fermeté.
Le blocage du cycle de Doha n'a rien de satisfaisant en soi. Il ne faut pas espérer que l'on conclue un accord à tout prix, car il ne peut être question de faire de l'agriculture française et européenne la variable d'ajustement du commerce mondial. Avec l'appui d'une majorité d'Etats Membres, la France a rappelé à la Commission européenne le mandat qui est le sien.
La France a également remis plusieurs mémorandums à la Commission, en mettant l'accent sur l'installation des jeunes agriculteurs et la nécessaire mise en place de dispositifs très attendus, concernant la gestion de crise au niveau communautaire. Celui que nous avons remis en mars 2006 reste d'actualité. Il a été signé par 14 Ministres de l'Agriculture et soutenu par 18 d'entre eux. Nous y proposons notamment le développement d'un système d'assurances, et la mise en place d'instruments spécifiques attachés aux différents secteurs de production. Nous devons tirer pleinement parti des expériences étrangères, en optimisant nos outils de gestion (assurances, épargne, fonds de solidarité) et en tenant compte des particularités de nos filières.
II. L'enjeu de la sécurité des revenus agricoles
De nouvelles perspectives pour l'agriculture française et ses territoires ont été ouvertes. Nous avons quelques bonnes raisons d'être optimistes. Les prix agricoles se portent bien, mais il s'agit là d'un phénomène de rattrapage avant tout. L'essentiel, c'est que la modernisation de l'agriculture et la sécurité des revenus agricoles ont progressé, ce qui pourrait faire durer l'embellie actuelle.
2.1. La Loi d'Orientation Agricole, dont la totalité des décrets devrait être publiée avant la fin de la mandature, a encouragé la démarche d'entreprise, avec la création notamment du bail cessible et du fonds agricole. L'installation des jeunes agriculteurs et le renouvellement des générations ont été favorisés. La Loi d'Orientation répond aussi aux attentes de la société avec une attention accrue à l'environnement et à la sécurité sanitaire.
Replaçant l'agriculteur au centre de la politique agricole, l'action du Gouvernement a amélioré les conditions de vie et de travail et conforté le revenu des agriculteurs. Voici le nouveau visage du monde agricole :
- La situation des conjoints d'exploitants et des aides familiaux a été améliorée.
- Les petites retraites agricoles ont été revalorisées par décision du Président de la République.
- Le crédit d'impôt remplacement permet aux exploitants de se faire remplacer par du personnel qualifié : cette mesure a déjà permis de créer l'équivalent de 2000 emplois équivalent temps plein.
- Les conditions de travail doivent également s'améliorer grâce à un régime d'assurance plus avantageux, contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.
- De nouvelles exonérations de charges sont venues renforcer la compétitivité de nos exploitations. Exonération partielle de taxe foncière. Le coût du travail salarié a été allégé et les groupements d'employeurs favorisés.
- L'organisation économique des filières a été confortée, à travers le renforcement des interprofessions et la modernisation des statuts de la coopérative agricole .
- Afin de mieux maîtriser les risques et les aléas, les bases d'une extension du système assurantiel ont été posées, et je remercie les Caisses régionales du Crédit agricole d'avoir participé à ce mouvement qui doit prendre de l'ampleur.
Toutes ces mesures sont essentielles pour la sécurité du revenu agricole, et nous savons combien le revenu est au coeur des enjeux actuels.
2.2. Sécuriser le revenu agricole : la gestion des prêts bonifiés et l'assurance-récolte.
Concernant les prêts bonifiés, votre préoccupation principale est aussi la mienne, parce que c'est celle des agriculteurs et tout particulièrement des jeunes. Il s'agit de la mise au point, le plus rapidement possible, de la nouvelle convention de distribution de ces prêts.
Faisons tout d'abord le point sur l'évolution du dispositif des prêts bonifiés en 2006-2007. Une réflexion a été menée par le Gouvernement sur l'utilisation des prêts bonifiés pour tenir compte des observations formulées par la Cour des Comptes. Les prêts bonifiés aux jeunes agriculteurs, dont les taux ont été abaissés au maximum (1 % en zone défavorisée et 2,5 % ailleurs), ne sont pas remis en cause.
En situation de crise conjoncturelle, les prêts bonifiés pour l'aménagement de dettes sont également maintenus. Il en est de même pour les situations de calamité agricole.
Cela étant, au vu de la moindre attractivité des prêts dits « Prêts Spéciaux de Modernisation », et du fait de la montée en puissance des autres formes d'aide à l'investissement comme le « Plan bâtiment d'élevage » ou le « Plan végétal pour l'environnement », qui apparaissent plus efficaces, ce type de prêt bonifié n'a pas reçu de dotation budgétaire nouvelle en 2007. Je précise cependant que les investissements collectifs réalisés par les Coopératives d'Utilisation de Matériel Agricole continueront à bénéficier de la bonification.
Le recentrage des prêts bonifiés et leur maintien, lorsque la situation l'exige, me permettent de rejoindre votre analyse, M. le Président, concernant l'importance de cet outil financier. Ce travail de sélection a permis aussi de répondre aux interrogations des Parlementaires, lors du dernier débat budgétaire, et de préciser les suites données au rapport de la Cour des Comptes.
La précédente convention régissant la distribution des prêts bonifiés à l'agriculture a pris fin le 31 décembre 2006. Dans le courant de l'année 2006, j'ai veillé à ce que de nombreux assouplissements et simplifications soient apportés à la réglementation des prêts bonifiés, notamment en matière de contrôle auprès des exploitants agricoles et des banques. Ces améliorations ont été possibles grâce à l'implication du Crédit Agricole et je vous en remercie.
Premier opérateur sur le marché des prêts bonifiés à l'agriculture et titulaire d'une longue expérience dans la mise en oeuvre de cette politique, le Crédit Agricole a su apporter une aide précieuse. Le projet de nouvelle convention a été élaboré en étroite concertation avec les établissements de crédit et le CNASEA. Il a fait l'objet d'une présentation le 20 décembre 2006 à l'ensemble des établissements de crédit.
Leurs observations sont actuellement prises en compte. Il intègre évidemment les simplifications et assouplissements précités et doit en particulier :
- alléger les obligations administratives des banques ;
- réduire fortement les procédures d'audits et de contrôle dans les établissements bancaires régionaux.
C'est dans ce contexte que se pose la question de la juste rémunération spécifique accordée aux banques. La porte n'est pas fermée à une évolution des propositions formulées par mes services, afin de vérifier que leur montant correspond bien aux tâches incombant aux établissements de crédit. J'ai demandé à mes services d'avancer rapidement pour éviter, comme vous l'avez rappelé M. le Président, les effets négatifs d'une suspension de la distribution des prêts bonifiés en ce début 2007.
S'agissant de la durée de la convention, je conviens avec vous qu'il serait utile qu'elle présente un caractère pluriannuel suffisant. Le recours à une clause de rendez-vous pourrait être aussi une solution.
Concernant l'assurance récolte, nous devons en faire un outil essentiel de la gestion des risques.
Le Ministère accompagne le développement de l'assurance récolte en prenant en charge une partie des primes d'assurances : jusqu'à 35 % et 40 % pour les jeunes agriculteurs. Les moyens budgétaires associés au dispositif sont en hausse constante : 30 Meuros dans le budget 2007 contre 25 Meuros en 2006.
En 2005, s'agissant d'une première année de développement, le succès était déjà au rendez-vous : 15 % de la valeur de la production nationale et 25 % de la superficie agricole nationale étaient concernées (hors superficies fourragères). Le cinquième de l'effectif des exploitations « professionnelles », soit 60 000 contrats, ont été souscrits. Le bilan sectoriel est plus nuancé : les cultures très exposées (fruits, légumes, vigne) restent très peu assurées en multirisques. Les assurances se concentrent principalement sur les « grandes cultures ».
Nous sommes dans l'attente des résultats de la campagne 2006, mais nous savons qu'ils viendront consolider la percée obtenue en 2005 avec une amélioration des souscriptions.
Comme vous, M. le Président, le Gouvernement souhaite aller plus loin. Le Premier Ministre a confié à Dominique MORTEMOUSQUE, Sénateur de la Dordogne, une mission sur les évolutions de l'assurance récolte.
L'examen doit porter notamment sur les conséquences de la coexistence des deux régimes : celui de l'assurance et celui des calamités agricoles. Sur la base des propositions de ce rapport, qui sont attendues pour la fin du mois de février, nous pourrons examiner avec vous et les autres interlocuteurs concernés les évolutions souhaitables.
Vous avez également appelé l'attention sur la mise en place du Comité National de l'Assurance en Agriculture, qui est prévu dans la loi d'Orientation Agricole. Ce texte est en cours de signature et vous avez été consultés sur la désignation de vos représentants. Une première réunion est prévue en mars prochain.
Conclusion
Je remercie l'ensemble des caisses régionales du Crédit Agricole pour leur engagement au plus près du terrain. Votre expertise et votre professionnalisme sont reconnus de tous. Nous sommes engagés en faveur d'un même objectif : une agriculture compétitive, créatrice de richesse et d'emplois. Je souhaite que les Français soient lucides, dans leurs futurs choix concernant l'agriculture, et qu'ils prennent conscience de tout ce qui peut créer des distorsions au niveau mondial. Les coûts de production qu'impose le modèle social européen, fondé sur un niveau élevé d'exigence sanitaire, une attention soutenue à l'environnement et au bien-être animal, ne sont pas comparables aux charges de nos principaux concurrents. Nos négociations internationales, si elles devaient reprendre, ne doivent pas être guidées par la pression de certains grands pays exportateurs. Je souhaite que l'année 2007 soit de ce point de vue une année de consolidation, aucunement de remise en cause. Nous restons sereins, mais aussi très vigilants.