Texte intégral
Lannée 1999 sera décisive pour lavenir économique et culturel du cinéma français. Cette conviction, jai déjà eu loccasion de vous en faire part lors dentretiens bilatéraux. Pour exprimer une opinion voisine, certains dentre vous ont écrit au Premier Ministre en parlant dun « abandon par les Pouvoirs Publics « . Aussi excessive soit-elle, je prends cette formule pour ce quelle traduit dincertitude face à lavenir, mais aussi de dialogue encore insuffisamment confiant entre nous. Je vous ai donc réunis avec la volonté que nous remédions à cette situation et que nous définissions les initiatives à conduire ensemble.
Depuis mon arrivée rue de Valois, je suis animée par trois grands principes daction : préserver et faire fructifier la diversité de la création artistique et culturelle, la rendre accessible au plus grand nombre de nos concitoyens et défendre dans les négociations européennes et internationales notre conception de la régulation en matière de culture. Le cinéma, première pratique culturelle des Français, et celle dont la valeur symbolique est la mieux partagée, est, par essence, au cur de cette double ambition.
Prenons les problèmes dans lordre : fréquentation des salles et distribution dabord, avenir de la production ensuite, enfin, et cest votre préoccupation la plus urgente aujourdhui, les relations avec les télévisions.
1.En ce qui concerne le premier point, je me réjouis de
lévolution du parc des salles et de laugmentation de la fréquentation qui en résulte. Noublions pas quelle était la situation il y a seulement quelques années. Il nen reste pas moins quà elle seule cette progression quantitative ne saurait être considérée comme satisfaisante. Il faut aussi et surtout faire en sorte que les films français, dans leur diversité, rencontrent mieux leur public sur le grand écran. Cest pourquoi, jai toujours mis laccent sur trois orientations que jaimerais rappeler aujourdhui :
lindépendance et la diversité du parc de salles tout dabord. Larrivée des multiplexes ne doit pas se traduire par une désertification des centre-villes et une marginalisation du mouvement art et essai. Cest pour éviter ces deux écueils qua été réformé le barème du soutien à lexploitation. Je suis également très attentive à la procédure dagrément des multiplexes, et, chaque fois que cest nécessaire, je fais appel des décisions des Commissions départementales déquipement cinématographique.
Jai, par ailleurs, demandé à deux experts de me faire des propositions de réforme des aides sélectives. Leur rapport vient de mêtre transmis aujourdhui. Il convient à présent, en liaison avec les professionnels concernés, den tirer les axes dune nouvelle politique en faveur de lexploitation indépendante, garante de la pluralité de la diffusion des films. un soutien accru à la distribution indépendante ensuite. Vous connaissez les mesures que jai arrêtées et qui seront mises en oeuvre cette année. Je ny reviendrai pas aujourdhui. Elles constituent, me semble-t-il, autant de preuves de lattention que je porte à la diffusion des films français. une mobilisation en faveur du film français enfin par les « engagements de programmation « que devront désormais souscrire les gérants de multiplexes. Certains voudraient, je le sais, aller plus loin, notamment en mettant en oeuvre des mesures autoritaires, par exemple, quotas en salles ou limitation du soutien financier à la seule part des recettes en provenance des films français. Je préfère pour ma part faire appel à la responsabilité des professionnels. Je demande donc à tous, et notamment aux grands circuits, quils distribuent et programment le maximum de films français. Si la politique des engagements de programmation ne donnait pas les résultats souhaités, je nexclus pas de faire appel à dautres procédures plus contraignantes.
Enfin, je nai pas rendu publiques les démarches entreprises à loccasion des mouvements financiers intervenus sur le capital dune des sociétés importantes du secteur. Je tenais cependant à ce que vous sachiez que jai écrit au Président de Vivendi pour lui souligner combien le Gouvernement était attaché à ce que soit préservée lautonomie stratégique des sociétés cinématographiques dans lesquelles son groupe détient une part significative du capital. Il en va de la vitalité et de lindépendance de la production, de la distribution et de lexploitation, et, en définitive, de la diversité créatrice qui reste, au delà de toute polémique, le principe le plus fondamental que chacun dentre nous a à défendre.
2.La situation de la production cinématographique
est pour le moins contrastée : jamais depuis dix ans le nombre de films produits, le volume des investissements et la diversité des sources de financement nont été aussi satisfaisants. Et pourtant, je partage la préoccupation qui sest faite jour quant à la pérennité de cette situation.
Je souhaite que vous sachiez combien je suis attachée au maintien des dispositifs qui assurent le financement du cinéma français : lIFCIC, les SOFICAS, le compte de soutien et, bien entendu, les obligations de financement par les télévisions. Sur chacun dentre eux, jai été conduite à intervenir lorsque, pour des raisons diverses, leur avenir a pu être remis en cause, quil sagisse des SOFICAS ou, jy reviendrais, des apports des télévisions.
Sachez également que je considère que laccord obtenu auprès de la Commission Européenne, après dintenses négociations, visant à pérenniser le soutien financier à la production, est une très bonne nouvelle pour le cinéma français. Il nous permet de bâtir pour lavenir, sans craindre que notre politique ne soit remise en cause ultérieurement.
Dans le domaine de la production comme dans celui de la distribution, le maintien dun tissu de professionnels indépendants mest toujours apparu prioritaire. Cest dans cet esprit que les décrets mettant en oeuvre les accords professionnels avec les diffuseurs et leurs actionnaires sont aujourdhui sur le point dêtre publiés. Je suis ouverte à toutes initiatives nouvelles dans ce domaine que je considère comme prioritaire.
3.Enfin, sagissant des contributions des
télévisions, vous comprendrez combien je regrette le mauvais procès qui mest fait quant à ma détermination à réformer ce qui doit lêtre, et à consolider lacquis des années antérieures.
Le service public ne joue pas tout son rôle à légard du cinéma, faute de moyens financiers et parfois de volonté, notamment quant à la diffusion des films français récents. Faut-il le répéter ?- le projet de loi que jai soumis au Premier Ministre donne les bases indispensables pour que soit opéré le redressement nécessaire. Au moment où ce projet entre dans une phase politiquement décisive, votre mobilisation professionnelle sera plus efficace en contribuant à son bon aboutissement plutôt quen faisant écho aux commentaires des sceptiques ou des fatalistes.
De même, sagissant des télévisions privées et des chaînes thématiques, lesquelles contribuent dans des meilleures conditions que par le passé au compte de soutien, limportant me parait quelles poursuivent et amplifient leur politique de financement des films. Vous savez que jai prévu dans le projet soumis au Premier Ministre une disposition nouvelle permettant une plus grande transparence de la négociation entre les diffuseurs et le CSA à loccasion du renouvellement des autorisations. Jattends beaucoup des discussions qui vont ainsi prochainement souvrir. La loi doit également poser les bases de nouvelles obligations de production pour les chaînes thématiques. Ce sont là autant dautres raisons de soutenir cette réforme.
Reste la question pressante posée par la concurrence entre Canal Plus et Canal Satellite dune part, les chaînes hertziennes et TPS dautre part.
Trois principes guident à cet égard mon action :
En premier lieu, le développement, rendu possible par la technique numérique, de nouveaux modes dexploitation télévisuelle des films ne doit pas se faire en déstabilisant ceux qui ont apporté une contribution décisive au cinéma et doivent rester un soutien majeur de sa diversité créatrice. Je demeure donc attachée au principe dune exclusivité dès lors que celle-ci est liée à un pré-achat et quelle porte sur la période propre dexploitation du diffuseur concerné. Il est dailleurs inexact que rien nait été fait pour éclairer les autorités de la concurrence sur ce point puisque, comme vous en aviez été informés, le Directeur général du CNC la, à ma demande, réaffirmé par écrit. Ces arguments trouveront toute leur utilité lors de lexamen sur le fond. Je peux dailleurs vous annoncer aujourdhui que jai obtenu du Premier ministre et de mon collègue de Bercy lassurance que le commissaire du gouvernement exprimera lors de la procédure dappel la position que je viens dexposer.
Second principe, il serait tout à fait illusoire de croire ou de faire croire que lon préservera lavenir en sopposant au développement de nouveaux acteurs ou de nouveaux modes de diffusion par des mesures de rétention ou de prohibition. Il faut en prendre pleinement conscience, quelles que soient les incertitudes, je lespère momentanées, qui en résultent. Afin de répondre à mon souhait que ce principe soit appliqué avec tout le discernement souhaitable, Dominique Strauss-Kahn ma indiqué que, lors du prochain renouvellement du Conseil de la concurrence, place sera faite dans ses rangs à un professionnel du cinéma.
Enfin, troisième principe, il est conforme à notre conception de la régulation que les nouveaux opérateurs comme les nouvelles formes dexploitation contribuent au financement de la production dans la proportion quautorisent leurs moyens. En effet, les ressources globales du cinéma français ainsi que la diversité des films ne sauraient - cest une exigence absolue - souffrir de cette concurrence, même temporairement. Je me donne donc pour objectif quune chronologie des médias acceptée par tous puisse être confirmée par voie de négociation. Cest possible dès lors que les discussions nécartent aucune des parties concernées et visent à obtenir corrélativement des engagements économiques adéquats de chacun des opérateurs. Jattends beaucoup des négociations qui se sont ouvertes entre professionnels à cet égard et je vous encourage à les poursuivre avec lun et lautre des opérateurs.
Dans limmédiat, il faut bien sûr reprendre le courant de pré-achats qui est vital pour le cinéma. Je lavais personnellement et par avance demandé à la direction de la chaîne cryptée. Au delà, le Directeur général du CNC ainsi que mon cabinet, suivront pas à pas les négociations en cours et men informeront en temps réel. Jinterviendrai bien sûr si cela est nécessaire, et suis disposée à prendre, le moment venu, les mesures qui seraient de mon ressort pour assurer la bonne mise uvre de vos accords. Mais aujourdhui, lheure est à la reprise des discussions, puisque chacune des parties concernées ma personnellement assurée de sa disponibilité à sy engager pleinement. Sur ce point comme sur les autres, je vous demande donc de me faire part maintenant de vos propositions.
(Source http://www.culture.gouv.fr)