Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec BFM le 18 janvier 2007, sur le dossier nucléaire iranien, la conférence internationale d'aide au Liban, et la relance par l'Allemagne du projet institutionnel européen.

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Média : BFM

Texte intégral

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Q - Le président Chirac pendant ses voeux a aussi répété que le gouvernement devait travailler jusqu'au bout. Est-ce qu'il ne va pas y avoir un problème concrètement ?
R - Je vais vous répondre très simplement. Vous me parliez de mon déplacement, lundi au Mont Saint Michel, eh bien lundi à 18 heures je partais au Mali. J'ai voyagé toute la nuit et le mardi matin à 9 heures, j'ai participé au Sommet ministériel qui prépare la Conférence de Cannes - le président de la République, Jacques Chirac, va en effet recevoir les chefs d'Etat africains, les 15 et 16 février prochain, dans le cadre d'un sommet France/Afrique. Je suis ensuite revenu à Paris, dans la nuit, et j'ai ainsi pu participer, mercredi, au Conseil des ministres...
Q - Donc, vous travaillez, vous faites votre job, il n'y a pas de souci pour la France ...
R - ... Et, aujourd'hui, je reçois M. El Baradeï, directeur général de l'Agence internationale de l'Energie atomique. Si vous me posez des questions sur l'Iran, je vous répondrai.
Q - Alors justement, on va vous en poser sur votre ministère et sur ce qu'on a entendu depuis 48 heures, que la France voulait envoyer un émissaire en Iran et qu'il était question que vous-même, vous partiez pour Téhéran, pour amorcer un dialogue, non pas vraiment sur le nucléaire, mais sur le Liban et sur le rôle du Hezbollah déstabilisateur à l'intérieur du Liban, en vue peut-être même de la conférence de reconstruction du Liban, qui a lieu le 25 janvier prochain. Vrai ou faux ?
R - J'ai lu cela, mais ce n'est absolument pas d'actualité aujourd'hui.
Q - C'est vrai ou c'est faux ?
R - Je vous dis que ce n'est pas d'actualité.
Q - Donc ce n'est pas faux ?
R - Non, cela veut dire quoi ? Cela veut dire que le dossier nucléaire iranien est une affaire extrêmement importante. Nous sommes vraiment totalement impliqués, nous Français, avec les Allemands et les Britanniques. Le 23 décembre dernier, nous avons voté la résolution 1737 au conseil de sécurité, avec les Chinois, les Russes et les Américains. Que dit-elle à l'Iran pour la première fois ? Que nous allons mettre en oeuvre un mécanisme de sanctions.
Q - Depuis le temps qu'on le dit. Il n'y a pas de rupture, c'est ce que vous dites ?
R - C'est très important. C'est un élément tout à fait nouveau. Le 23 décembre, nous avons mis en oeuvre un mécanisme de sanctions, à la fois sur le programme balistique et sur le programme nucléaire.
Q - Donc vous nous dites : "on ne lâche pas nos alliés, on ne revient pas sur cette résolution, mais néanmoins, on pense à y aller quand même. Concrètement, on pense à y aller ou pas" ?
R - Comme vous connaissez bien vos dossiers, vous avez bien fait la différence entre le dossier nucléaire iranien et la question du Liban. Pour le dossier nucléaire iranien, nous sommes absolument solidaires avec la communauté internationale parce que nous sommes au Conseil de sécurité des Nations unies et que nous avons voté ces sanctions. Et si l'Iran veut s'isoler, nous continuerons dans cette dynamique. S'il suspend les activités nucléaires sensibles, et nous espérons qu'il le fera, ce sera M. Solana qui mènera les négociations avec l'Iran - ce ne sera pas le Français et l'Allemand d'un côté, le Britannique de l'autre.
Q - Alors M. Solana, rappelez à nos auditeurs et à nos téléspectateurs...
R - Javier Solana est le Haut Représentant de la Politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne. C'est lui qui au nom de l'Europe et de la communauté internationale, va éventuellement négocier.
Q - Alors sur le dossier libanais et sur le dossier régional...
R - Nous sommes, comme toujours, solidaires de la Communauté internationale. A propos du Liban, tout le monde sait que l'Iran joue un rôle important dans la région.
Q - Essentiel et croissant...
R - Les autorités iraniennes souhaitent en effet jouer un rôle croissant. C'est d'ailleurs une des conséquences de la guerre en Irak. Regardez ce qui se passe.
Q - Alors, qu'est-ce qu'on fait ? On doit aller les influencer, on doit aller leur parler ?
R - J'ai rencontré, comme beaucoup de mes homologues européens, M. Mottaki, le ministre iranien des Affaires étrangères. Nous ne ferons rien sans en parler à nos partenaires et aux pays voisins.
Q - La conférence sur le Liban, le 25 janvier, elle va avoir lieu ou pas ?
R - La conférence sur le Liban aura lieu, en effet, le 25 janvier.
Q -Parce qu'on sent quand même qu'il y a certaines réticences ?
R - Non, au contraire, je pense que ce sera un succès et il faut le dire. La communauté internationale sera représentée par les ministres des Affaires étrangères et les ministres des Finances, pour cette conférence sur la reconstruction Liban. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de donner au gouvernement de M. Siniora, qui est le Premier ministre libanais, légitimement nommé après des élections transparentes et libres, notre appui, l'appui de la communauté internationale pour affirmer la souveraineté, l'unité et l'indépendance du Liban.
Q - Juste une seconde sur l'Iran, on a dit que cette prise de contact éventuelle entre la France et l'Iran par votre biais ou par un biais peut-être moins officiel, n'aurait pas été du goût de Nicolas Sarkozy qui compte comme candidat changer un petit peu la nature des relations. Je lis dans son discours du 14 janvier : "je ne crois pas à la " real " politique, faire renoncer à ses valeurs pour gagner des contrats. Il ne faut pas discuter avec l'Iran, il faut s'y tenir", et qu'il aurait été contre. C'est vrai ou c'est faux ?
R - L'équipe de Nicolas Sarkozy a déjà répondu. Il n'y a eu aucun contact entre nous sur ces sujets, sur l'Iran. Le président de la République fixe le cap. Vous savez aujourd'hui, Jacques Chirac est extrêmement respecté dans le monde entier pour sa politique internationale. Il fixe le cap. J'ai lu aussi qu'il y aurait eu des différences entre l'Elysée ou le quai d'Orsay. Nous mettons en oeuvre cette politique ensemble, évidemment, et c'est lui qui fixe le cap.
(...)
Q - Toujours dans ce tour de politique étrangère un peu rapide, parlons d'Europe. Angela Merkel a donc pris la présidence de l'Union européenne, on a aussi M. Pottering, le nouveau président du Parlement européen, tous deux sont allemands. On a le sentiment...
R - Et Joseph Dole, président du Parti populaire européen...
Q - Oui, mais il est français.
R - Je vous le dis quand même. A vous écouter, on a l'impression que les Allemands sont devenus les patrons.
Q - Et bien justement, c'était ma question. Est-ce que ce ne sont pas les Allemands qui sont en train de sauver l'Europe avec des propositions sur la constitution européenne ?
R - Non. Je crois que vous ne pouvez pas dire cela parce que ce serait d'abord anti-européen de le penser. Le président du Parti populaire européen est désormais M. Dole : c'est un Français. C'est important, la majorité compte dans un Parlement.
Q - Angela Merkel a proposé une constitution 2009, grand rendez-vous européen, elle veut faire bouger les choses.
R - Il y a un calendrier en deux temps. Au premier semestre 2007, l'Allemagne, qui assure la Présidence de l'Union européenne, lance la réflexion et les débats sur le projet institutionnel, dans la perspective que ces débats puissent aboutir au plus tard au deuxième semestre 2008, avec la Présidence française. J'ai envie de dire oui, très bien, si nous sommes capables de nous mettre tous d'accord à 27, je dis bien à 27, pour 2009, ce sera formidable. Cela veut dire que la présidence française va jouer un rôle très important de synthèse et de proposition. Je vais vous dire ce que je pense : il faut en effet faire très vite des évolutions institutionnelles.
(...)
Q - On peut impulser quand même. La France en Europe a un rôle assez central ?
R - Oui, nous avons un rôle central. Vous pouvez fixer la durée du temps de travail à 35 heures, 38 heures par semaine, c'est vous qui décidez, mais lorsque vous négociez un traité européen, même si vous êtes président de la République, si vous ne parlez pas, en particulier, avec les Allemands, les Italiens, les Espagnols, vous n'aurez jamais rien.
Faut-il un ministre des Affaires étrangères européen ? Moi, je pense que oui. Faut-il une présidence de l'Union européenne de deux ans et demi, renouvelable une fois ? Je pense que oui. Faut-il une majorité qualifiée à la place de l'unanimité ? Moi, je pense que oui.
(...)source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 janvier 2007