Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 24 janvier 2007, sur la stratégie américaine en Irak, la conférence des donateurs pour le Liban, les sanctions contre l'Iran pour la poursuite de son programme nucléaire, les déclarations de Ségolène Royal sur la souveraineté du Québec.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Le président Bush demande aux Américains de laisser une chance à sa stratégie irakienne avec un renforcement des troupes sur le terrain. Lui laissez-vous cette chance ? A-t-il raison ?
R - Il persiste et signe. Il pense qu'il y a une solution militaire aux problèmes irakiens. Nous pensons que c'est un échec : il y a une guerre civile. En réalité, il faut une solution politique, un processus inclusif, afin que toutes les communautés ethniques et politiques, que toutes les parties de la société civile irakienne puissent avoir un accès équitable aux ressources financières et, évidemment, aux responsabilités politiques.
Q - Les démocrates majoritaires au Congrès demandent le retrait des troupes. La solution politique que vous préconisez passe-t-elle par un préalable : le retrait militaire ?
R - Il y a un préalable, celui du retour de la souveraineté irakienne et la souveraineté irakienne ne peut aller qu'avec un horizon de retrait des troupes étrangères. Nous avons toujours pensé cela.
Q - "Ce serait le chaos", dit le président Bush !
R - C'est évidemment aux Américains à fixer le calendrier. Il est évident que, s'il n'y a pas un retour à la souveraineté de l'Irak, il ne pourra pas y avoir de retour à la paix civile.
Q - Georges Bush veut aussi engager les Etats-Unis dans la baisse du trafic automobile et la lutte contre l'effet de serre, c'est un bon point ?
R - Cela, c'est la victoire des élus locaux. Les maires et les gouverneurs ont gagné la bataille du parti républicain sur cette question et, évidemment, il faut que les Etats-Unis nous rejoignent en adhérant au protocole de Kyoto.
Q - Demain s'ouvre à Paris la Conférence internationale sur l'aide au Liban. Le Premier ministre, M. Siniora, est à Paris, il déjeunera avec le président de la République. Ne s'agit-il pas, surtout, d'une manifestation de soutien à ce gouvernement très malmené dans son pays ?
R - La Conférence de Paris sur le Liban est une chance pour le Liban et pour tous les Libanais, sans exception. A la veille de cette Conférence, permettez-moi de lancer un appel à tous les Libanais pour qu'ils dépassent leur division et pour qu'ils se mettent tous derrière l'intérêt supérieur du Liban. C'est extrêmement important.
Q - Où est cet intérêt ? Dans le gouvernement actuel, ou dans la rue, qui veut le destituer ?
R - Par définition, il est dans un gouvernement légitime. Il y a eu des élections. Un gouvernement légitime, dirigé par M. Siniora, qui fait des réformes, est issu de ces élections. Il a présenté des réformes économiques importantes, le 4 janvier à Beyrouth. Cela ne fait pas plaisir à tout le monde. Il n'en reste pas moins vrai qu'aujourd'hui le Liban a besoin d'unité - ce qui est évidemment important -, et d'efficacité. L'efficacité, c'est l'efficacité gouvernementale et nous appelons tous les Libanais à s'unir pour aider le Liban.
La Conférence de Paris de reconstruction du Liban est un succès politique : beaucoup de pays sont au rendez-vous fixé par le président Chirac. C'est grâce à lui que nous avons cette Conférence internationale et je suis sûr que ce sera aussi un succès financier avec beaucoup de contributions.
Q - Que va donner la France ?
R - Je ne peux pas vous le dire, c'est le président de la République qui l'annoncera.
Q - Et les Américains feront aussi un effort, pensez-vous ?
R - Oui, me semble-t-il. Ce sera un succès politique et financier. Nous verrons cela demain.
Q - Les soldats français pourraient-ils intervenir au Liban pour défendre le gouvernement si les manifestations, la grève générale, actuellement suspendues tournaient au coup d'Etat ?
R - Comme vous le savez, nous avons 16.000 hommes dans le cadre de la FINUL, au sud du Liban. Ils sont là pour faire respecter la résolution 1701 que nous avons votée à l'unanimité au Conseil de sécurité.
Q - Pas plus ?
R - C'est évident. Nous allons rester dans le mandat exact du Conseil du sécurité.
Q - Ne faut-il pas être réaliste et reprendre un dialogue plus poussé, avec la Syrie notamment, pour trouver la solution politique que vous appelez de vos voeux ?
R - En diplomatie, il faut parler avec tout le monde ; mais encore faut-il avoir confiance. Or, nous n'avons pas confiance dans les autorités syriennes dans la mesure où nous souhaitons que ces autorités puissent répondre, parfaitement, aux questions de la Commission internationale, en particulier sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Le Conseil de sécurité des Nations unies l'a décidé. Nous souhaitons aussi qu'il puisse y avoir un Tribunal à caractère international. Il faut que la Syrie joue, comme les autres, le jeu de la non-ingérence. Vous savez, les valeurs de la France sont importantes : pas d'ingérence ni d'intégrité territoriale.
Q - Etes-vous en colère contre les Chrétiens - notamment le général Aoun - qui, toujours soutenus par la France, ont fini par basculer dans le camp de la Syrie ?
R - Je ne me permettrais pas de porter un jugement. Je dirais simplement qu'il faut que tous, au Liban, puissent parvenir à trouver un processus politique. Ce n'est pas par la rue ni la guerre civile que l'on peut arriver à résoudre les problèmes du Liban. C'est uniquement une affaire de respect des uns et des autres.
Q - Il a beaucoup été question de l'Iran, hier soir, au dîner du Conseil représentatif des Institutions juives de France. Dominique de Villepin menace l'Iran d'un isolement croissant, qu'est-ce à dire ?
R - Le président de la République a tendu la main à l'Iran en lui demandant de suspendre les activités nucléaires sensibles en échange d'une suspension du mécanisme de sanctions mis en oeuvre par le Conseil de sécurité de l'ONU. L'Iran n'a pas saisi cette main et dispose de deux solutions : soit il s'isole, soit il suspend ses activités nucléaires et négocie.
Q - Sommes-nous dans une logique de guerre ?
R - Ce n'est pas une logique de guerre, c'est une logique de sanctions. Pour la première fois, la résolution 1737 du 23 décembre 2006 a montré l'unité et la fermeté de la communauté internationale. C'est la première fois que l'on vote des sanctions contre l'Iran.
Q - Dans ce discours de fermeté, Ségolène Royal n'a-t-elle pas raison de prôner la pertinence du nucléaire civil pour l'Iran, pour les empêcher, à coup sûr, d'aller vers une guerre ?
R - Tout le monde le dit, si elle était chef de l'Etat, elle serait le seul chef de l'Etat au monde à remettre en cause le Traité de non-prolifération. Aujourd'hui, 66 pays font du nucléaire civil. Ils ont signé le Traité et c'est pour cela qu'ils ne disposent pas de la bombe atomique. Evidemment, ne remettons pas en cause le TNP, l'Iran a droit au nucléaire civil, mais pas au nucléaire militaire.
Q - Et l'Iran a signé le Traité. Ségolène Royal prône aussi la souveraineté et la liberté pour le Québec, est-elle dans l'ingérence ?
R - Je crois que chaque mot a un sens. La France a des valeurs qui sont intangibles : respect de la souveraineté et de l'indépendance nationale. Je rappelle ces principes car, par légèreté, certains, comme Ségolène Royal peuvent l'oublier et à force de légèreté, on peut faire beaucoup de dégâts en matière internationale.
Q - Hier, vous avez reçu le président du parti québécois que Ségolène Royal avait également rencontré, était-il satisfait de son soutien ?
R - Je ne sais pas, il ne m'en a pas parlé mais ce que je dis, c'est qu'il faut respecter le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Q - Mais elle se trouve dans une courageuse filiation gaulliste, elle est fidèle à cette phrase-là !
R - Non, ou alors qu'elle dise carrément les choses. Là, elle dit quelque chose et puis elle revient dessus.
Ce qu'a dit le président Chirac, par exemple au Premier ministre Bouchard, en 1997 - il le lui a redit lorsque M. Bouchard est revenu ici en l'an 2000 à l'Elysée -, c'est que, quel que soit le choix du Québec, la France l'accompagnera et que le Québec peut compter sur l'amitié et la solidarité de la France. C'est le respect du choix que les Québécois feront. Moi je suis un peu inquiet car, jusqu'à maintenant, sur le plan international, Ségolène Royal crée des polémiques quand elle est à l'étranger.
Q - Au moins, ce n'est pas la "langue de bois" !
R - Et maintenant, même en France, la polémique existe. Ce n'est pas une question de "langue de bois", c'est qu'elle dit une chose le matin et elle est obligée de rectifier sur les radios le lendemain ; c'est cela qui m'ennuie. Si elle avait dit qu'elle était pour la souveraineté du Québec, cela c'est un choix politique qu'elle peut tout à fait assumer. Là non, elle dit au président du parti québécois qu'elle partage ses valeurs, en particulier celle de la souveraineté et le lendemain, elle dit : "non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire".
Q - Le président israélien M. Katsav sera bientôt inculpé pour viol, doit-il démissionner ?
R - Comme ministre des Affaires étrangères français, je n'ai pas à m'immiscer, vous vous en doutez, dans la politique intérieure israélienne. C'est, par définition, une affaire qui est très grave, très douloureuse pour les victimes et, j'en suis persuadé, très douloureuse aussi pour le peuple israélien. Vous savez, aujourd'hui n'est pas le temps de donner des leçons de politique diplomatique à n'importe quel pays. Pas d'ingérence bien sûr.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2007