Texte intégral
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
On ne peut parler sérieusement de la mondialisation sans avoir fait l'expérience de Rio de Janeiro, tant Rio en est le symbole illustre et vivant.
Symbole d'un trait d'union entre civilisations, entre l'Europe et l'Amérique du sud, puisque Rio a été, on l'oublie parfois, une capitale européenne, celle du royaume du Portugal, alors occupé par Napoléon.
Symbole et icône du "village mondial", universellement connu pour son carnaval, ses plages (Copacabana et Ipanema) et pour sa statue Cristo Redentor (« Christ Rédempteur ») qui est aussi un peu française grâce au sculpteur Paul Landowski.
Symbole d'une société multiculturelle et multiethnique qui est indéniablement une réussite et dont le monde a beaucoup à apprendre, face aux modèles communautaristes, qui, je le regrette, tendent à s'imposer dans les sociétés modernes.
Symbole enfin d'un pays qui s'engage dans la modernité en surfant sur la vague de la mondialisation. Les exemples abondent. Erik Orsenna n'écrivait-il pas après un tour du monde sur le thème du coton "le Brésil, c'est la ferme du futur". Jorge Amado, dans son livre, "o Pais do carnaval" annonce clairement, non sans fierté: "dentro de cern anos, o brazil sera o primeiro pais do mundo". (d'ici 100 ans le Brésil sera le premier pays du monde).
Je souhaite articuler mes propos introductifs autour de trois questions qui pourront, je l'espère, nourrir nos échanges :
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
3. Quel rôle pour la France et le Brésil dans ce monde globalisé?
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
A. Qu'est ce que la mondialisation ?
La mondialisation est une réalité historique, celle d'une nouvelle période qui succède à la guerre froide. L'histoire dira peut être que le 21ème siècle a commencé en 1989 et non en 2000. C'est aussi la fin d'une ère marquée par la domination économique d'une quinzaine de puissances occidentales qui prévaut depuis le 17ème siècle et par le retour de l'Asie et de l'Amérique du sud qui reviennent au tout premier plan : rappelons qu'en 1600 les deux tiers du commerce mondial étaient assurés par les Chinois.
La mondialisation est aussi une réalité économique et technologique : elle correspond à l'intégration croissante des économies, couplée à une diffusion des technologies et des connaissances. Dans ce sens c'est un « nouvel âge » du capitalisme, marqué par 5 principales caractéristiques :
* Une révolution technologique sous l'impulsion de l'ordinateur, d'Internet et du satellite qui a induit une troisième révolution industrielle succédant à la machine à vapeur au 18ème et l'électricité au 19ème.
* Une production segmentée dans l'espace : la recherche, le développement, le design, la fabrication, le marketing et la distribution sont répartis entre différentes entreprises et différents points de la planète.
* Un modèle industriel dominant fondé sur l'immatériel et la propriété intellectuelle et sur des coûts de productions faibles. Sur les 110 $ d'une chaussure de sport Nike, moins de 16$ correspondent à la production tandis que le solde concerne la R&D, le design, la distribution et la publicité.
* Une production industrielle qui tend à se réduire au profit des services, qui représentent plus de 70 % de la richesse nationale.
* Un mode de financement de l'activité industrielle qui a évolué et qui est maintenant dominé par des actionnaires gestionnaires de fonds qui imposent une logique de rendement élevé à court terme, déconnectée de tout projet industriel. Le système économique s'en trouve bouleversé dans ses fondements puisque l'industriel et le salarié doivent assumer les conséquences du risque (délocalisations), alors que la rémunération du risque reste dans l'escarcelle des investisseurs.
B. La mondialisation est elle un phénomène nouveau ?
Depuis ses débuts, l'Histoire a connu de nombreuses périodes d'ouverture vers de nouveaux espaces et d'intégration des économies.
Ainsi, la découverte du nouveau monde en 1492, fut elle possible grâce à la boussole, découverte chinoise transmise par les Arabes au 13ème siècle, au gouvernail d'étambot, également découvert par les chinois.
Un des premiers exemples de contrefaçon à l'échelle internationale concerne le vol de la culture des vers à soie. Jusqu'au 6ème siècle ap. J.-C., la Chine n'autorisait que l'export des fils de soie, et toute personne tentant d'exporter illégalement des cocons de ver à soie était punie par la peine de mort. En 550, deux missionnaires basés en Chine réussirent néanmoins à ramener à Constantinople des cocons de vers à soie ainsi que des semences de mûriers.
La dernière mondialisation, à la fin du 19ème siècle, s'est accompagnée de mouvements de population de très grande ampleur puisque 10 % de la population mondiale était alors immigrée.
Bien sûr, l'histoire nous montre aussi des périodes de repli sur soi et de fermeture des marchés, tel les monopoles italiens à la Renaissance, le blocus durant les guerres napoléoniennes ou la période de protectionnisme entre les deux guerres mondiales.
Force est de constater néanmoins que :
- ces périodes de protectionnisme n'ont pas été couronnées de succès, voire pire, ont été à l'origine de conflits : les historiens considèrent que la fermeture des frontières des années 30 a joué un rôle décisif dans la genèse de la seconde guerre mondiale ;
- le libre échange finit toujours par s'imposer : finalement, ce sont les nombreuses entraves au commerce, exercées par les Turcs, Venise et Gênes, qui ont poussé les pays d'Europe à explorer l'Atlantique à la fin du 15ème pour se procurer les épices et les produits précieux d'Orient. Avec le résultat que l'on sait.
Finalement, la mondialisation n'est pas un phénomène si nouveau que cela même si son avatar moderne s'accompagne, il est vrai, non seulement d'une intégration, mais d'une interdépendance des économies.
C. La mondialisation est un phénomène ambivalent et complexe, qui n'est compréhensible que dans sa globalité
La mondialisation est ambivalente : ce sont de nouvelles opportunités et de nouveaux risques.
* Ce sont 350 millions de personnes sorties de la pauvreté depuis 1995. C'est aussi une stabilisation durable de l'inflation mondiale et la possibilité pour les particuliers et les entreprises d'emprunter à taux faible pour s'équiper et investir dans leur logement.
* Mais la mondialisation, c'est aussi la triste aventure du Probo koala, navire poubelle qui pollua la Côte d'Ivoire, provoquant la mort de plusieurs personnes et intoxicant des dizaines d'autres. Ce navire battait pavillon panaméen, était armé par une société de négoce dont l'adresse fiscale est à Amsterdam, le siège social à Lucerne (Suisse) et le centre opérationnel à Londres, était loué à une compagnie grecque et sillonnait les océans aux mains d'un équipage russe.
Il n'est donc pas étonnant que la mondialisation soit source de turbulences, fruit de la rencontre du front froid de l'optimisme des économistes et du front chaud de la réalité sociale, celle des fermetures d'usine, qui touchent immédiatement les salariés, souvent les moins qualifiés. Il importe peu à la personne de 50 ans qui vient d'être licenciée dans le secteur du textile ou de l'électroménager, de savoir que grâce à l'ouverture, de nouvelles entreprises bancaires ou d'assurance vont pouvoir se développer, que des jeunes diplômés vont être embauchés ou que des emplois seront créés dans d'autres pays.
Cette tension, entre des effets positifs à long terme et des effets négatifs localisés à court terme, est anxiogène pour les citoyens. Le malaise est présent en Europe et aux Etats-Unis et est particulièrement visible chez les Français.
* Pour l'eurobaromètre de la Commission, 58 % des Français tiennent la mondialisation pour une menace, à l'inverse d'autres pays européens.
* Le sondage publié par le German Marshall Fund va dans le même sens. Seuls 47 % des Français considèrent que la mondialisation est un phénomène positif, et 55 % d'entre eux sont attachés au maintien de barrières commerciales. Nombres de ces réserves sont aussi partagées par certains de nos concitoyens européens et par nos amis des Etats-Unis.
D. La mondialisation est imparfaite
Nous devons aussi porter un regard lucide sur la mondialisation car les effets globalement positifs de la mondialisation sur la croissance et le développement ne doivent pas faire oublier ses défauts. J'en discerne trois principaux :
a. Des règles du jeu qui ne sont pas toujours justes. La concurrence, qui est le mécanisme essentiel à la base de la créativité et de l'innovation, ne s'exerce pas toujours de manière loyale. Ainsi, la pratique du dumping est courante dans certains pays. Les chaussures chinoises sont commercialisées à un prix inférieur de 79 % à leur coût de production, en bénéficiant notamment de financements publics. Il n'est pas normal que nos fabricants, qui font déjà face à des coûts de production supérieurs, soient confrontés à une telle concurrence déloyale.
b. Un développement incomplet de la gouvernance mondiale qui ne permet pas de gérer efficacement les problèmes globaux : le système de gouvernance mondiale est un » archipel » épars et incohérent, dont les « îles » ne sont pas reliées entre elles car ces institutions n'acceptent pas facilement de travailler ensemble.
c. Des actions insuffisantes en faveur des exclus de la mondialisation : que ce soit les pays exclus de la mondialisation (Afrique) ou les salariés peu qualifiés dans les pays développés. S'agissant des pays les moins avancés, je souhaite néanmoins mentionner l'initiative européenne « Tous sauf les Armes » grâce à laquelle ces pays bénéficient d'un accès au marché européen sans droit ni quotas depuis 2001. Il est urgent que les autres pays développés et émergents fassent de même.
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
A. Une mondialisation responsable
Une mondialisation responsable ce sont des acteurs responsables :
* Des salariés, des citoyens et des consommateurs qui agissent en acteurs et non en spectateurs
* La consommation n'est plus un acte anodin, elle a des conséquences sur le citoyen et le salarié : le consommateur doit pouvoir choisir un produit en fonction de sa nocivité vis-à-vis de l'environnement et refuser d'acheter un produit qui a été fabriqué par des enfants.
* La mondialisation ne pourra être responsable sans un étiquetage qui s'appuie sur des normes crédibles et qui informe le consommateur du contenu social et environnemental des produits.
* La mondialisation responsable, ce sont aussi des Etats responsables
* qui modernisent leurs économies en investissant dans la recherche et l'innovation, l'éducation, les infrastructures, bref dans tous les biens publics dont les entreprises et les salariés ont besoin pour faire face à la compétition mondiale
* qui s'occupent mieux des exclus de la mondialisation, et qui encouragent en priorité ceux qui ont des difficultés à s'adapter. Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation, doté de 500 millions d'euros est un bon début. En France, nous devons faire mieux collectivement: protéger les salariés plutôt que les emplois et anticiper les restructurations. L'idée d'un fonds français d'ajustement à la mondialisation qui aiderait les salariés touchés par des délocalisations devrait être explorée.
* qui instaurent un équilibre entre les intérêts nationaux et le respect d'une éthique de la mondialisation.
* qui mettent en oeuvre des politiques de co-développement : «il n'y aura jamais de murs assez hauts pour contenir l'espoir des peuples malheureux ».
* La mondialisation responsable, ce sont enfin des entreprises responsables qui adoptent des stratégies sur le long terme plutôt que d'imprimer une logique purement financière et de court terme à leurs actions.
B. Un commerce loyal
Depuis Adam Smith et Ricardo, on sait que le libre échange permet l'enrichissement réciproque de ceux qui échangent.
* Mais la liberté ce n'est pas l'absence de règles: la mise en place du libre échange doit être encadrée.
* Le Père dominicain Henri Lacordaire disait : " entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et l'esclave, c'est la loi qui libère et la liberté qui opprime".
Un commerce loyal, c'est l'assurance que les règles commerciales sont appliquées effectivement.
* Les règles multilatérales de l'OMC et l'assurance de leur mise en oeuvre grâce au mécanisme de règlement des différends.
* Nous devons aussi coordonner nos efforts pour assurer un meilleur respect de la propriété intellectuelle. La réalité de la contrefaçon est vertigineuse : elle représente de 5 à 10 % du commerce mondial, ses conséquences sont dramatiques pour nos économies - 30 000 emplois perdus chaque année en France, 200 000 en Europe, et ses conséquences sont tragiques pour notre santé - 10 % des médicaments en circulation sont faux, et bien plus encore dans certains pays d'Afrique. L'exemple du GAFI (groupe d'action financière qui lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de l'argent) doit nous inspirer. Une telle structure, consacrée à la lutte contre la contrefaçon, permettrait d'échanger les bonnes pratiques, de coordonner les actions de lutte contre la contrefaçon, de fixer des standards de mise en oeuvre et d'effectuer la veille nécessaire.
* Nous devons aussi faire mieux, notamment en matière de transparence et d'incitation. Je suis favorable à ce qu'un "Observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation" évalue les pratiques des principaux acteurs de la mondialisation.
C. Un développement durable
La communauté internationale doit apporter des réponses globales aux enjeux environnementaux et sociaux qui sont maintenant de nature mondiale, que ce soit le changement climatique, la destruction de la biodiversité ou le respect des droits fondamentaux du travail.
Bien sûr, les accords commerciaux doivent être mis à contribution pour lutter contre le dumping social et environnemental :
- des clauses sociales et environnementales ambitieuses devraient être intégrées de manière systématique dans les accords commerciaux négociés par l'UE (par exemple avec le Mercosur).
- des mesures commerciales peuvent être nécessaires pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique: libéralisation des biens et services environnementaux, taxe carbone, le système de préférence généralisé européen qui intègre déjà une dimension environnementale et sociale (les pays qui mettent en oeuvre 23 conventions internationales peuvent bénéficier d'une réduction tarifaire supplémentaire).
Malgré tout, il est clair que les règles du jeu actuelles ne sont pas suffisantes pour éviter le dumping social et la surexploitation des ressources naturelles. Il est normal que nos partenaires commerciaux cherchent à profiter de la mondialisation, il est injuste et inacceptable qu'ils le fassent au mépris des droits de l'homme, des droits fondamentaux du travail et de la protection de l'environnement. Je propose 3 pistes.
* L'OMC ne doit pas régner seule :
- nous avons besoin d'une Organisation Mondiale de l'Environnement, grâce à laquelle l'environnement fera jeu égal avec le commerce international, donnera à l'environnement la visibilité nécessaire, coordonnera les actions et les rationalisera.
- nous avons besoin du renforcement de l'Organisation Internationale du Travail pour mieux défendre les droits fondamentaux du travail dans le monde.
* Ensuite, nous devons préserver les biens publics mondiaux qui ne sont actuellement protégés ni par le marché, ni par les conventions internationales.
- Pour cela, les pays doivent progresser dans la définition et l'acceptation de ces biens publics mondiaux que nous avons reçus en héritage et dont dépend l'humanité. Les enjeux d'une eau non polluée, d'air pur, d'une biodiversité forestière préservée, dépassent clairement les intérêts nationaux des pays qui en sont dépositaires.
- Nous avons la responsabilité de le reconnaître et d'agir dès maintenant de manière concertée pour assurer une gestion en bon père de famille de ces biens publics mondiaux (BPM).
- A défaut, sans réflexion ni action commune, le risque de tensions n'est pas à écarter, pouvant déboucher sur des conflits, voire sur l'émergence d'un droit d'ingérence de type nouveau si la survie de l'humanité était mise en en cause par la destruction de ces BPM.
* Enfin, l'ouverture commerciale ne doit pas mettre en danger la juste préservation de nos valeurs, de nos préférences collectives.
- Le commerce international, ce n'est pas simplement l'échange de biens, c'est aussi la mise en contact de valeurs, de préférences collectives.
- En effet, ces préférences collectives traduisent des choix collectifs qui ne sont pas les mêmes partout : les citoyens européens ne veulent pas manger de viande de boeuf nourri aux hormones, alors que les citoyens des Etats Unis l'acceptent. Dans un registre différent le refus ou l'acceptation de la peine de mort est également une préférence collective.
- Avec la disparition des barrières commerciales, le commerce devient un lieu de conflits de valeurs et pose une question fondamentale : est ce que le libre échange prime sur les valeurs ? Est-il acceptable de ne pouvoir refuser d'importer des produits fabriqués par des enfants dans des conditions intolérables ?
- Je pense que ces préférences collectives doivent être sanctuarisées et ne pas être menacées par le commerce. Pascal Lamy, lorsqu'il était Commissaire au Commerce, avait proposé d'approfondir cette question de la compatibilité des préférences collectives avec les règles de l'OMC. C'est une piste intéressante qu'il convient d'étudier avec attention avec nos partenaires européens. Voila l'occasion de réconcilier les peuples avec l'OMC !
3. Quel rôle pour la France et le Brésil dans ce monde globalisé ?
La France et le Brésil partagent la volonté de construire une mondialisation plus durable :
* Vous le savez, la France est très active pour trouver des solutions aux défis posés par la mondialisation. Pour ne citer que trois initiatives, je souhaite mentionner la conférence mondiale sur l'environnement qui a été organisée par le Président de la République, les 2 et 3 février derniers, et la création de la taxe sur les billets d'avion pour financer l'achat de médicaments à destination des pays les plus pauvres.
* Récemment, j'ai lancé un groupe de haut niveau multidisciplinaire à qui j'ai demandé de réfléchir aux moyens de rendre la mondialisation plus humaine et plus proche des gens. Ils me livreront leurs recommandations à la fin du mois de mars.
Ensemble, la France et le Brésil peuvent s'appuyer sur leurs valeurs communes et sur leur complémentarité pour construire une mondialisation qui tienne les promesses que les philosophes des Lumières avaient mises en elle :
* D'abord, parce que nous partageons la même passion pour le multilatéralisme, le développement, la lutte pour la protection de l'environnement, et l'éradication de la pauvreté. Nos deux pays croient fermement que le progrès social n'est pas possible sans un développement équilibré et partagé.
* Ensuite, parce que nos pays sont unis dans la démocratie. S'adressant à Brasilia en 1964 à votre congrès, le général de Gaulle ne disait il pas que, je le cite, "l'histoire du Brésil a été glorieusement marquée par l'esprit de la libération et de la démocratie". Dans un monde qui a désespérément besoin de nations unies et cohérentes, nous avons chacun à notre manière su trouver dans la république, un creuset pour forger dans la diversité, un peuple de citoyens qui regardent tous dans la même direction, celle de l'Etat de droit, de la démocratie et d'un refus du racisme, qui est, je le rappelle, interdit et condamné dans votre constitution.
* Enfin, parce notre histoire commune - qui ne se limite pas à une succession de rencontres footballistiques au sommet - a construit une relation non seulement économique mais, plus important, affective culturelle et intellectuelle, exceptionnelle. Je pourrais tout à fait reprendre à mon compte ce que Paul Claudel, alors ambassadeur de France au Brésil, écrivait "le Brésil est de ces pays mordants qui imprègnent l'âme et lui laissent je ne sais quel ton, quel tour et quel sel dont elle ne parviendra plus à se défaire".
C'est sur cette communauté de valeurs qu'ensemble nous devons unir nos efforts sur les grandes questions internationales, agir ensemble dans le monde, renforcer encore des échanges économiques qui ne sont pas à la hauteur de nos ambitions communes, et relancer nos coopérations dans tous les domaines culturel, universitaire, technologique.
Notre concertation doit en particulier porter sur le dossier des négociations du cycle de Doha, que la France et le Brésil soutiennent activement depuis leur lancement en 2001.
Pour la France, le cycle de Doha est le symbole d'une réussite exemplaire, celle de nations qui ont su surmonter les incertitudes générées par les attentats du 9 septembre 2001, et s'unir autour d'un projet commun, celui du développement.
A ce titre, le cycle de Doha est porteur d'enjeux très importants et mérite toute notre attention: il ne s'agit pas simplement d'un vaste troc entre des exportations de blé et des chaussettes ou des automobiles. Il s'agit de progresser vers un monde ouvert et régulé. Il s'agit aussi de la capacité du système multilatéral à dégager un résultat équilibré et fondé sur le consensus de 150 membres.
La France et l'Europe ont d'ailleurs clairement montré leur volonté de s'engager sérieusement dans ces négociations en faisant en 2003 des sacrifices agricoles douloureux pour nos populations, car cela était nécessaire pour progresser vers un accord gagnant, qui profite aussi aux pays en développement.
Si la France exprime parfois son inquiétude, c'est qu'elle a l'impression que certains membres de l'OMC, donnent la priorité uniquement à leurs intérêts à court terme, en perdant de vue l'intérêt commun. En cherchant à gagner plus qu'à donner, ces Etats déséquilibrent les négociations et font courir au système multilatéral un double risque :
1. le risque d'un résultat déséquilibré, qui serait focalisé sur l'agriculture, et qui serait non conforme avec le pacte de Doha, celui d'une libéralisation équilibrée, ambitieuse et globale.
2. le risque d'un coup de frein porté aux négociations multilatérales sur le long terme. Le cycle de Doha n'est qu'une étape de la libéralisation des échanges, qui est une oeuvre de longue haleine. Les marathoniens le savent, on ne commence pas un marathon en sprintant les 100 premiers mètres ! C'est pourquoi nous devons veiller à ne pas imposer un rythme de libéralisation qui serait insoutenable pour les populations et les économies, avec le risque de compromettre tout lancement de négociations ultérieures, voire de créer une profonde crise du système multilatéral.
Dans ce contexte, je souhaite ardemment que le Brésil et la France renforcent leur dialogue et leur coopération sur ce sujet essentiel en puisant dans leurs valeurs communes et qu'ils puissent porter ensemble ce message d'équilibre et du souci du long terme dont l'OMC a besoin actuellement.
4. Conclusion
Finalement, la mondialisation ne nous impose en effet rien sinon de choisir. Il ne tient qu'à nous de choisir de construire ce monde ensemble !
Je voudrai conclure en citant Victor Hugo qui écrivait dans un poème envoyé en 1888 au Club des Républicains de la Paraiba :
"J'aime votre patrie au ciel toujours pur
Où le soleil brûlant, comme un phare féerique
Couvre de ses rayons le sol de l'Amérique
A vous de voir. Vous croissez. L'Europe, le vieux monde
dans l'histoire a vécu la rapide seconde
de sa vie. Vous serez l'Europe après demain.
Le moment est critique. Eh bien ! Prenez la main
de l'avenir puissant qui vous attend. Alors,
dans ce vaste Brésil aux arbres semés d'or
passeront le Progrès, la Force et la Clarté
On voit sur votre front une aurore d'été."
source http://www.exporter.gouv.fr, le 13 février 2007
Mesdames et Messieurs, chers amis,
On ne peut parler sérieusement de la mondialisation sans avoir fait l'expérience de Rio de Janeiro, tant Rio en est le symbole illustre et vivant.
Symbole d'un trait d'union entre civilisations, entre l'Europe et l'Amérique du sud, puisque Rio a été, on l'oublie parfois, une capitale européenne, celle du royaume du Portugal, alors occupé par Napoléon.
Symbole et icône du "village mondial", universellement connu pour son carnaval, ses plages (Copacabana et Ipanema) et pour sa statue Cristo Redentor (« Christ Rédempteur ») qui est aussi un peu française grâce au sculpteur Paul Landowski.
Symbole d'une société multiculturelle et multiethnique qui est indéniablement une réussite et dont le monde a beaucoup à apprendre, face aux modèles communautaristes, qui, je le regrette, tendent à s'imposer dans les sociétés modernes.
Symbole enfin d'un pays qui s'engage dans la modernité en surfant sur la vague de la mondialisation. Les exemples abondent. Erik Orsenna n'écrivait-il pas après un tour du monde sur le thème du coton "le Brésil, c'est la ferme du futur". Jorge Amado, dans son livre, "o Pais do carnaval" annonce clairement, non sans fierté: "dentro de cern anos, o brazil sera o primeiro pais do mundo". (d'ici 100 ans le Brésil sera le premier pays du monde).
Je souhaite articuler mes propos introductifs autour de trois questions qui pourront, je l'espère, nourrir nos échanges :
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
3. Quel rôle pour la France et le Brésil dans ce monde globalisé?
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
A. Qu'est ce que la mondialisation ?
La mondialisation est une réalité historique, celle d'une nouvelle période qui succède à la guerre froide. L'histoire dira peut être que le 21ème siècle a commencé en 1989 et non en 2000. C'est aussi la fin d'une ère marquée par la domination économique d'une quinzaine de puissances occidentales qui prévaut depuis le 17ème siècle et par le retour de l'Asie et de l'Amérique du sud qui reviennent au tout premier plan : rappelons qu'en 1600 les deux tiers du commerce mondial étaient assurés par les Chinois.
La mondialisation est aussi une réalité économique et technologique : elle correspond à l'intégration croissante des économies, couplée à une diffusion des technologies et des connaissances. Dans ce sens c'est un « nouvel âge » du capitalisme, marqué par 5 principales caractéristiques :
* Une révolution technologique sous l'impulsion de l'ordinateur, d'Internet et du satellite qui a induit une troisième révolution industrielle succédant à la machine à vapeur au 18ème et l'électricité au 19ème.
* Une production segmentée dans l'espace : la recherche, le développement, le design, la fabrication, le marketing et la distribution sont répartis entre différentes entreprises et différents points de la planète.
* Un modèle industriel dominant fondé sur l'immatériel et la propriété intellectuelle et sur des coûts de productions faibles. Sur les 110 $ d'une chaussure de sport Nike, moins de 16$ correspondent à la production tandis que le solde concerne la R&D, le design, la distribution et la publicité.
* Une production industrielle qui tend à se réduire au profit des services, qui représentent plus de 70 % de la richesse nationale.
* Un mode de financement de l'activité industrielle qui a évolué et qui est maintenant dominé par des actionnaires gestionnaires de fonds qui imposent une logique de rendement élevé à court terme, déconnectée de tout projet industriel. Le système économique s'en trouve bouleversé dans ses fondements puisque l'industriel et le salarié doivent assumer les conséquences du risque (délocalisations), alors que la rémunération du risque reste dans l'escarcelle des investisseurs.
B. La mondialisation est elle un phénomène nouveau ?
Depuis ses débuts, l'Histoire a connu de nombreuses périodes d'ouverture vers de nouveaux espaces et d'intégration des économies.
Ainsi, la découverte du nouveau monde en 1492, fut elle possible grâce à la boussole, découverte chinoise transmise par les Arabes au 13ème siècle, au gouvernail d'étambot, également découvert par les chinois.
Un des premiers exemples de contrefaçon à l'échelle internationale concerne le vol de la culture des vers à soie. Jusqu'au 6ème siècle ap. J.-C., la Chine n'autorisait que l'export des fils de soie, et toute personne tentant d'exporter illégalement des cocons de ver à soie était punie par la peine de mort. En 550, deux missionnaires basés en Chine réussirent néanmoins à ramener à Constantinople des cocons de vers à soie ainsi que des semences de mûriers.
La dernière mondialisation, à la fin du 19ème siècle, s'est accompagnée de mouvements de population de très grande ampleur puisque 10 % de la population mondiale était alors immigrée.
Bien sûr, l'histoire nous montre aussi des périodes de repli sur soi et de fermeture des marchés, tel les monopoles italiens à la Renaissance, le blocus durant les guerres napoléoniennes ou la période de protectionnisme entre les deux guerres mondiales.
Force est de constater néanmoins que :
- ces périodes de protectionnisme n'ont pas été couronnées de succès, voire pire, ont été à l'origine de conflits : les historiens considèrent que la fermeture des frontières des années 30 a joué un rôle décisif dans la genèse de la seconde guerre mondiale ;
- le libre échange finit toujours par s'imposer : finalement, ce sont les nombreuses entraves au commerce, exercées par les Turcs, Venise et Gênes, qui ont poussé les pays d'Europe à explorer l'Atlantique à la fin du 15ème pour se procurer les épices et les produits précieux d'Orient. Avec le résultat que l'on sait.
Finalement, la mondialisation n'est pas un phénomène si nouveau que cela même si son avatar moderne s'accompagne, il est vrai, non seulement d'une intégration, mais d'une interdépendance des économies.
C. La mondialisation est un phénomène ambivalent et complexe, qui n'est compréhensible que dans sa globalité
La mondialisation est ambivalente : ce sont de nouvelles opportunités et de nouveaux risques.
* Ce sont 350 millions de personnes sorties de la pauvreté depuis 1995. C'est aussi une stabilisation durable de l'inflation mondiale et la possibilité pour les particuliers et les entreprises d'emprunter à taux faible pour s'équiper et investir dans leur logement.
* Mais la mondialisation, c'est aussi la triste aventure du Probo koala, navire poubelle qui pollua la Côte d'Ivoire, provoquant la mort de plusieurs personnes et intoxicant des dizaines d'autres. Ce navire battait pavillon panaméen, était armé par une société de négoce dont l'adresse fiscale est à Amsterdam, le siège social à Lucerne (Suisse) et le centre opérationnel à Londres, était loué à une compagnie grecque et sillonnait les océans aux mains d'un équipage russe.
Il n'est donc pas étonnant que la mondialisation soit source de turbulences, fruit de la rencontre du front froid de l'optimisme des économistes et du front chaud de la réalité sociale, celle des fermetures d'usine, qui touchent immédiatement les salariés, souvent les moins qualifiés. Il importe peu à la personne de 50 ans qui vient d'être licenciée dans le secteur du textile ou de l'électroménager, de savoir que grâce à l'ouverture, de nouvelles entreprises bancaires ou d'assurance vont pouvoir se développer, que des jeunes diplômés vont être embauchés ou que des emplois seront créés dans d'autres pays.
Cette tension, entre des effets positifs à long terme et des effets négatifs localisés à court terme, est anxiogène pour les citoyens. Le malaise est présent en Europe et aux Etats-Unis et est particulièrement visible chez les Français.
* Pour l'eurobaromètre de la Commission, 58 % des Français tiennent la mondialisation pour une menace, à l'inverse d'autres pays européens.
* Le sondage publié par le German Marshall Fund va dans le même sens. Seuls 47 % des Français considèrent que la mondialisation est un phénomène positif, et 55 % d'entre eux sont attachés au maintien de barrières commerciales. Nombres de ces réserves sont aussi partagées par certains de nos concitoyens européens et par nos amis des Etats-Unis.
D. La mondialisation est imparfaite
Nous devons aussi porter un regard lucide sur la mondialisation car les effets globalement positifs de la mondialisation sur la croissance et le développement ne doivent pas faire oublier ses défauts. J'en discerne trois principaux :
a. Des règles du jeu qui ne sont pas toujours justes. La concurrence, qui est le mécanisme essentiel à la base de la créativité et de l'innovation, ne s'exerce pas toujours de manière loyale. Ainsi, la pratique du dumping est courante dans certains pays. Les chaussures chinoises sont commercialisées à un prix inférieur de 79 % à leur coût de production, en bénéficiant notamment de financements publics. Il n'est pas normal que nos fabricants, qui font déjà face à des coûts de production supérieurs, soient confrontés à une telle concurrence déloyale.
b. Un développement incomplet de la gouvernance mondiale qui ne permet pas de gérer efficacement les problèmes globaux : le système de gouvernance mondiale est un » archipel » épars et incohérent, dont les « îles » ne sont pas reliées entre elles car ces institutions n'acceptent pas facilement de travailler ensemble.
c. Des actions insuffisantes en faveur des exclus de la mondialisation : que ce soit les pays exclus de la mondialisation (Afrique) ou les salariés peu qualifiés dans les pays développés. S'agissant des pays les moins avancés, je souhaite néanmoins mentionner l'initiative européenne « Tous sauf les Armes » grâce à laquelle ces pays bénéficient d'un accès au marché européen sans droit ni quotas depuis 2001. Il est urgent que les autres pays développés et émergents fassent de même.
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
A. Une mondialisation responsable
Une mondialisation responsable ce sont des acteurs responsables :
* Des salariés, des citoyens et des consommateurs qui agissent en acteurs et non en spectateurs
* La consommation n'est plus un acte anodin, elle a des conséquences sur le citoyen et le salarié : le consommateur doit pouvoir choisir un produit en fonction de sa nocivité vis-à-vis de l'environnement et refuser d'acheter un produit qui a été fabriqué par des enfants.
* La mondialisation ne pourra être responsable sans un étiquetage qui s'appuie sur des normes crédibles et qui informe le consommateur du contenu social et environnemental des produits.
* La mondialisation responsable, ce sont aussi des Etats responsables
* qui modernisent leurs économies en investissant dans la recherche et l'innovation, l'éducation, les infrastructures, bref dans tous les biens publics dont les entreprises et les salariés ont besoin pour faire face à la compétition mondiale
* qui s'occupent mieux des exclus de la mondialisation, et qui encouragent en priorité ceux qui ont des difficultés à s'adapter. Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation, doté de 500 millions d'euros est un bon début. En France, nous devons faire mieux collectivement: protéger les salariés plutôt que les emplois et anticiper les restructurations. L'idée d'un fonds français d'ajustement à la mondialisation qui aiderait les salariés touchés par des délocalisations devrait être explorée.
* qui instaurent un équilibre entre les intérêts nationaux et le respect d'une éthique de la mondialisation.
* qui mettent en oeuvre des politiques de co-développement : «il n'y aura jamais de murs assez hauts pour contenir l'espoir des peuples malheureux ».
* La mondialisation responsable, ce sont enfin des entreprises responsables qui adoptent des stratégies sur le long terme plutôt que d'imprimer une logique purement financière et de court terme à leurs actions.
B. Un commerce loyal
Depuis Adam Smith et Ricardo, on sait que le libre échange permet l'enrichissement réciproque de ceux qui échangent.
* Mais la liberté ce n'est pas l'absence de règles: la mise en place du libre échange doit être encadrée.
* Le Père dominicain Henri Lacordaire disait : " entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et l'esclave, c'est la loi qui libère et la liberté qui opprime".
Un commerce loyal, c'est l'assurance que les règles commerciales sont appliquées effectivement.
* Les règles multilatérales de l'OMC et l'assurance de leur mise en oeuvre grâce au mécanisme de règlement des différends.
* Nous devons aussi coordonner nos efforts pour assurer un meilleur respect de la propriété intellectuelle. La réalité de la contrefaçon est vertigineuse : elle représente de 5 à 10 % du commerce mondial, ses conséquences sont dramatiques pour nos économies - 30 000 emplois perdus chaque année en France, 200 000 en Europe, et ses conséquences sont tragiques pour notre santé - 10 % des médicaments en circulation sont faux, et bien plus encore dans certains pays d'Afrique. L'exemple du GAFI (groupe d'action financière qui lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de l'argent) doit nous inspirer. Une telle structure, consacrée à la lutte contre la contrefaçon, permettrait d'échanger les bonnes pratiques, de coordonner les actions de lutte contre la contrefaçon, de fixer des standards de mise en oeuvre et d'effectuer la veille nécessaire.
* Nous devons aussi faire mieux, notamment en matière de transparence et d'incitation. Je suis favorable à ce qu'un "Observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation" évalue les pratiques des principaux acteurs de la mondialisation.
C. Un développement durable
La communauté internationale doit apporter des réponses globales aux enjeux environnementaux et sociaux qui sont maintenant de nature mondiale, que ce soit le changement climatique, la destruction de la biodiversité ou le respect des droits fondamentaux du travail.
Bien sûr, les accords commerciaux doivent être mis à contribution pour lutter contre le dumping social et environnemental :
- des clauses sociales et environnementales ambitieuses devraient être intégrées de manière systématique dans les accords commerciaux négociés par l'UE (par exemple avec le Mercosur).
- des mesures commerciales peuvent être nécessaires pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique: libéralisation des biens et services environnementaux, taxe carbone, le système de préférence généralisé européen qui intègre déjà une dimension environnementale et sociale (les pays qui mettent en oeuvre 23 conventions internationales peuvent bénéficier d'une réduction tarifaire supplémentaire).
Malgré tout, il est clair que les règles du jeu actuelles ne sont pas suffisantes pour éviter le dumping social et la surexploitation des ressources naturelles. Il est normal que nos partenaires commerciaux cherchent à profiter de la mondialisation, il est injuste et inacceptable qu'ils le fassent au mépris des droits de l'homme, des droits fondamentaux du travail et de la protection de l'environnement. Je propose 3 pistes.
* L'OMC ne doit pas régner seule :
- nous avons besoin d'une Organisation Mondiale de l'Environnement, grâce à laquelle l'environnement fera jeu égal avec le commerce international, donnera à l'environnement la visibilité nécessaire, coordonnera les actions et les rationalisera.
- nous avons besoin du renforcement de l'Organisation Internationale du Travail pour mieux défendre les droits fondamentaux du travail dans le monde.
* Ensuite, nous devons préserver les biens publics mondiaux qui ne sont actuellement protégés ni par le marché, ni par les conventions internationales.
- Pour cela, les pays doivent progresser dans la définition et l'acceptation de ces biens publics mondiaux que nous avons reçus en héritage et dont dépend l'humanité. Les enjeux d'une eau non polluée, d'air pur, d'une biodiversité forestière préservée, dépassent clairement les intérêts nationaux des pays qui en sont dépositaires.
- Nous avons la responsabilité de le reconnaître et d'agir dès maintenant de manière concertée pour assurer une gestion en bon père de famille de ces biens publics mondiaux (BPM).
- A défaut, sans réflexion ni action commune, le risque de tensions n'est pas à écarter, pouvant déboucher sur des conflits, voire sur l'émergence d'un droit d'ingérence de type nouveau si la survie de l'humanité était mise en en cause par la destruction de ces BPM.
* Enfin, l'ouverture commerciale ne doit pas mettre en danger la juste préservation de nos valeurs, de nos préférences collectives.
- Le commerce international, ce n'est pas simplement l'échange de biens, c'est aussi la mise en contact de valeurs, de préférences collectives.
- En effet, ces préférences collectives traduisent des choix collectifs qui ne sont pas les mêmes partout : les citoyens européens ne veulent pas manger de viande de boeuf nourri aux hormones, alors que les citoyens des Etats Unis l'acceptent. Dans un registre différent le refus ou l'acceptation de la peine de mort est également une préférence collective.
- Avec la disparition des barrières commerciales, le commerce devient un lieu de conflits de valeurs et pose une question fondamentale : est ce que le libre échange prime sur les valeurs ? Est-il acceptable de ne pouvoir refuser d'importer des produits fabriqués par des enfants dans des conditions intolérables ?
- Je pense que ces préférences collectives doivent être sanctuarisées et ne pas être menacées par le commerce. Pascal Lamy, lorsqu'il était Commissaire au Commerce, avait proposé d'approfondir cette question de la compatibilité des préférences collectives avec les règles de l'OMC. C'est une piste intéressante qu'il convient d'étudier avec attention avec nos partenaires européens. Voila l'occasion de réconcilier les peuples avec l'OMC !
3. Quel rôle pour la France et le Brésil dans ce monde globalisé ?
La France et le Brésil partagent la volonté de construire une mondialisation plus durable :
* Vous le savez, la France est très active pour trouver des solutions aux défis posés par la mondialisation. Pour ne citer que trois initiatives, je souhaite mentionner la conférence mondiale sur l'environnement qui a été organisée par le Président de la République, les 2 et 3 février derniers, et la création de la taxe sur les billets d'avion pour financer l'achat de médicaments à destination des pays les plus pauvres.
* Récemment, j'ai lancé un groupe de haut niveau multidisciplinaire à qui j'ai demandé de réfléchir aux moyens de rendre la mondialisation plus humaine et plus proche des gens. Ils me livreront leurs recommandations à la fin du mois de mars.
Ensemble, la France et le Brésil peuvent s'appuyer sur leurs valeurs communes et sur leur complémentarité pour construire une mondialisation qui tienne les promesses que les philosophes des Lumières avaient mises en elle :
* D'abord, parce que nous partageons la même passion pour le multilatéralisme, le développement, la lutte pour la protection de l'environnement, et l'éradication de la pauvreté. Nos deux pays croient fermement que le progrès social n'est pas possible sans un développement équilibré et partagé.
* Ensuite, parce que nos pays sont unis dans la démocratie. S'adressant à Brasilia en 1964 à votre congrès, le général de Gaulle ne disait il pas que, je le cite, "l'histoire du Brésil a été glorieusement marquée par l'esprit de la libération et de la démocratie". Dans un monde qui a désespérément besoin de nations unies et cohérentes, nous avons chacun à notre manière su trouver dans la république, un creuset pour forger dans la diversité, un peuple de citoyens qui regardent tous dans la même direction, celle de l'Etat de droit, de la démocratie et d'un refus du racisme, qui est, je le rappelle, interdit et condamné dans votre constitution.
* Enfin, parce notre histoire commune - qui ne se limite pas à une succession de rencontres footballistiques au sommet - a construit une relation non seulement économique mais, plus important, affective culturelle et intellectuelle, exceptionnelle. Je pourrais tout à fait reprendre à mon compte ce que Paul Claudel, alors ambassadeur de France au Brésil, écrivait "le Brésil est de ces pays mordants qui imprègnent l'âme et lui laissent je ne sais quel ton, quel tour et quel sel dont elle ne parviendra plus à se défaire".
C'est sur cette communauté de valeurs qu'ensemble nous devons unir nos efforts sur les grandes questions internationales, agir ensemble dans le monde, renforcer encore des échanges économiques qui ne sont pas à la hauteur de nos ambitions communes, et relancer nos coopérations dans tous les domaines culturel, universitaire, technologique.
Notre concertation doit en particulier porter sur le dossier des négociations du cycle de Doha, que la France et le Brésil soutiennent activement depuis leur lancement en 2001.
Pour la France, le cycle de Doha est le symbole d'une réussite exemplaire, celle de nations qui ont su surmonter les incertitudes générées par les attentats du 9 septembre 2001, et s'unir autour d'un projet commun, celui du développement.
A ce titre, le cycle de Doha est porteur d'enjeux très importants et mérite toute notre attention: il ne s'agit pas simplement d'un vaste troc entre des exportations de blé et des chaussettes ou des automobiles. Il s'agit de progresser vers un monde ouvert et régulé. Il s'agit aussi de la capacité du système multilatéral à dégager un résultat équilibré et fondé sur le consensus de 150 membres.
La France et l'Europe ont d'ailleurs clairement montré leur volonté de s'engager sérieusement dans ces négociations en faisant en 2003 des sacrifices agricoles douloureux pour nos populations, car cela était nécessaire pour progresser vers un accord gagnant, qui profite aussi aux pays en développement.
Si la France exprime parfois son inquiétude, c'est qu'elle a l'impression que certains membres de l'OMC, donnent la priorité uniquement à leurs intérêts à court terme, en perdant de vue l'intérêt commun. En cherchant à gagner plus qu'à donner, ces Etats déséquilibrent les négociations et font courir au système multilatéral un double risque :
1. le risque d'un résultat déséquilibré, qui serait focalisé sur l'agriculture, et qui serait non conforme avec le pacte de Doha, celui d'une libéralisation équilibrée, ambitieuse et globale.
2. le risque d'un coup de frein porté aux négociations multilatérales sur le long terme. Le cycle de Doha n'est qu'une étape de la libéralisation des échanges, qui est une oeuvre de longue haleine. Les marathoniens le savent, on ne commence pas un marathon en sprintant les 100 premiers mètres ! C'est pourquoi nous devons veiller à ne pas imposer un rythme de libéralisation qui serait insoutenable pour les populations et les économies, avec le risque de compromettre tout lancement de négociations ultérieures, voire de créer une profonde crise du système multilatéral.
Dans ce contexte, je souhaite ardemment que le Brésil et la France renforcent leur dialogue et leur coopération sur ce sujet essentiel en puisant dans leurs valeurs communes et qu'ils puissent porter ensemble ce message d'équilibre et du souci du long terme dont l'OMC a besoin actuellement.
4. Conclusion
Finalement, la mondialisation ne nous impose en effet rien sinon de choisir. Il ne tient qu'à nous de choisir de construire ce monde ensemble !
Je voudrai conclure en citant Victor Hugo qui écrivait dans un poème envoyé en 1888 au Club des Républicains de la Paraiba :
"J'aime votre patrie au ciel toujours pur
Où le soleil brûlant, comme un phare féerique
Couvre de ses rayons le sol de l'Amérique
A vous de voir. Vous croissez. L'Europe, le vieux monde
dans l'histoire a vécu la rapide seconde
de sa vie. Vous serez l'Europe après demain.
Le moment est critique. Eh bien ! Prenez la main
de l'avenir puissant qui vous attend. Alors,
dans ce vaste Brésil aux arbres semés d'or
passeront le Progrès, la Force et la Clarté
On voit sur votre front une aurore d'été."
source http://www.exporter.gouv.fr, le 13 février 2007