Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, sur l'opportunité d'une révision de la loi sur la bioéthique, Assemblée nationale le 7 février 2007.

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Circonstance : Rencontres parlementaires "Quelles révisions de la loi bioéthique" à l'Assemblée nationale le 7 février 2007

Texte intégral

Les avancées de la recherche et les progrès des pratiques et des techniques médicales posent des questions éthiques majeures de plus en plus nombreuses. Ethiques en ce qu'elles engagent notre vision du monde, notre représentation de l'homme et la société dans laquelle nous voulons que nos enfants grandissent. Ethiques en ce qu'elles font appel à nos croyances religieuses et à nos conceptions philosophiques. Ethiques en ce qu'elles sont révélatrices bien souvent de tensions, pour ne pas dire parfois de contradictions entre des valeurs mises en conflit. Je voudrais évoquer devant vous un certain nombre d'exemples qui montrent la diversité des questions auxquelles on peut avoir à faire face lorsqu'il s'agit de recherche et d'avancée des pratiques médicales :
- la procréation médicalement assistée avec la possibilité pour une femme d'avoir des enfants au-delà de 60 ans,
- La réanimation néonatale qui permet de faire vivre des enfants nés très prématurément (avant 26 semaines, 5 mois et demi) .
- Le dépistage prénatal
- La demande de célibataires et de couples homosexuels de bénéficier de procréation médicalement assister, à relier avec la possibilité de contourner la loi française en pratiquant du « tourisme procréatif »
- Et en même temps la perspective d'utiliser des cellules souches embryonnaires pour traiter des maladies jusque-là incurables.
Je remercie le député Pierre Louis Fagniez et Valérie Pécresse d'avoir organisé un tel colloque qui permet d'impulser une nouvelle dynamique dans la réflexion sur la bioéthique. C'est une réflexion qui par nature nous engage toutes et tous, engage nos valeurs, et qui doit donc être menée par tous nos concitoyens dans le cadre d'un vrai et grand débat public.
I- Vous le savez, les questions posées par la société, les difficultés à appréhender les conséquences exactes de certains progrès dans la recherche notamment embryonnaire ont abouti à une loi dont le contenu a été élaboré à l'issue de longs débats passionnés. Nous ne pouvons laisser personne remettre en cause la rigueur de l'encadrement que cette loi garantit aux pratiques médicales ou à la recherche. Cette loi était et demeure un texte équilibré, un texte de consensus autour de principes fondamentaux et fondateurs, un texte qui permet à la recherche d'avancer tout en encadrant fortement les pratiques, un texte qui a su répondre aux attentes de la société. Cette loi est une chance pour notre pays, car elle nous évite les écueils que bon nombre de pays voisins peuvent connaître.
Cette loi a en effet notamment :
- créé l'agence de biomédecine, qui a la triple mission de « suivre, évaluer, contrôler »
- encadré la procréation médicalement assistée (PMA) et élargi les indications du diagnostic préimplantatoire (DPI),
- autorisé pour 5 ans les recherches sur l'embryon,
- et interdit le transfert nucléaire
La révision de cette loi est prévue au bout de 5 années, soit en 2009.
II- La loi de bioéthique est fondée sur un certain nombre de principes fondamentaux qui sont pérennes, tels que l'inviolabilité du corps humain, le respect de l'individu dans sa singularité, la non instrumentalisation de la personne et la non marchandisation du corps humain.
Ces principes sont et doivent demeurer inviolables car ils garantissent le respect de la dignité humaine. L'idée de la sacralité de l'homme, nous la retrouvons dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures, dans toutes les religions. Notre devoir est de continuer à nous efforcer de protéger cette part inviolable de l'humanité.
La question qui se pose, c'est d'adapter notre cadre législatif aux progrès de la recherche et aux avancées de la pratique médicale tout en demeurant fidèles aux principes fondamentaux que j'ai soulignés.
Car la loi dont nous disposons aujourd'hui ne nous permet pas de résoudre les tensions éthiques dans lesquelles nous pouvons parfois nous trouver. Les données scientifiques changent parfois, et les attentes de la société elles aussi peuvent évoluer.
Je voudrais illustrer ce propos par différents exemples révélateurs de la complexité de ces dilemmes :
- Ainsi, faire des transferts nucléaires, c'est, pour certains, faire du clonage, donc ne pas respecter l'individu.
- Ne pas faire du transfert nucléaire c'est potentiellement priver d'un traitement des personnes atteintes de maladies graves.
Autres exemples qui montre à quel point il est difficile d'apporter une réponse univoque à des attentes de la société :
- Des célibataires et des homosexuels voudraient avoir recours à la procréation médicalement assistée alors que la loi française l'interdit
- Ils se rendent quand ils le peuvent à l'étranger là où c'est autorisé.
- Ou encore : les dons de gamètes, d'embryons ou d'organes sont soumis aux principes de gratuité et d'anonymat.
- Mais il y a un manque de donneuses d'ovocytes en France, et ces pratiques sont rémunérées dans les autres pays.
Et à ce genre de questions aucune réponse simple ne peut être donnée.
Une révision de la loi de bioéthique n'a de sens que si des discussions nourries entre experts et représentants de la société civile permettent de faire bouger les lignes et en même temps de définir de la manière la plus consensuelle possible les principes intangibles.
Les rapports de parlementaires comme celui du Député Pierre Louis FAGNIEZ et Alain CLAEYS constituent à ce titre des contributions importantes. Il est plus que jamais nécessaire que l'ensemble de la société soit conscient de l'importance de ces sujets pour faire des choix rationnels et motivés, et ce en toute conscience.
L'Agence de Biomédecine, dont je veux tout particulièrement saluer la directrice Madame Carine Camby pour le travail remarquable qu'elle sait mener sur des sujets si complexes, a mené une enquête sur les perceptions, les attitudes et les représentations des Français en matière d'assistance médicale à la procréation, d'embryologie et de génétique humaine. Et ce dont on s'aperçoit justement c'est bien souvent la méconnaissance des termes du débat de la part de nos concitoyens, lors même que ces sujets les passionnent car ils les touchent de près.
C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire d'organiser avec l'Agence de Biomédecine des Etats Généraux de la bioéthique afin qu'un véritable débat public puisse s'engager sur des thématiques qui nous touchent à la fois dans notre vie privée mais aussi dans la vie économique et plus globalement dans la vie sociale. Un comité d'organisation va être constitué dans les prochains mois et réunira tous les acteurs concernés : médecins, philosophes, psychologues, représentants d'associations de patients, élus...pour préparer ce débat qui aura lieu au premier semestre 2008.
Prenons l'exemple du dépistage prénatal. Ce sujet peut toucher chacun dans sa vie personnelle et engage en même temps nos conceptions de la vie, sur la normalité et l'anormalité, sur la perception du handicap dans nos sociétés. Je demande à l'Agence de Biomédecine de produire spécifiquement un rapport sur cette pratique pour la mi-2007 qui je le rappelle, est strictement encadrée par la loi de 2004 afin de mettre un terme aux interrogations sur les dérives eugénistes. Je le répète, il n'y a pas de place dans notre pays pour l'eugénisme ou des dérives eugénistes.
La révision de la Loi de Bioéthique est prévue pour 2009 : deux ans pour que l'opinion publique se saisisse de ses sujets, deux ans pour que l'Agence de BioMédecine nourrisse ce débat public, deux ans pour que nous prenions conscience de l'urgence à faire de ce sujet un beau et grand débat public.Source http://www.sante.gouv.fr, le 14 février 2007