Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur la question des enfants soldats dans les conflits armés, Paris le 5 février 2007.

Prononcé le

Circonstance : Conférence de Paris "Libérons les enfants de la guerre" le 5 février 2007 à Paris

Texte intégral


Mesdames, Messieurs,
Merci de votre présence. Dès mon entrée en fonction, j'ai voulu que la diplomatie française s'investisse sur cet enjeu majeur qui est au coeur à la fois des conflits et de la pauvreté. Car un enfant qui ne sait faire que la guerre est un enfant perdu pour la paix et pour la croissance. C'est d'abord une menace pour son pays, mais aussi pour la région et pour le monde entier.
C'est pour cela que j'ai voulu me rendre sur le terrain, en Ouganda et au Burundi, il y a un an exactement.
J'en suis revenu avec la conviction absolue que la communauté internationale devait se mobiliser, pas seulement au niveau des ONG, mais aussi au plus haut niveau politique, pas seulement pour édicter des sanctions, mais aussi pour fournir à ces générations en perdition de réelles possibilités, de réelles perspectives d'insertion. Leur démontrer concrètement qu'il y a d'autres modes de vie que le maquis, d'autres modes de vie que vivre avec un kalachnikov.
Tel est l'objet de cette grande conférence internationale organisée avec l'UNICEF. Les représentants d'une soixantaine de pays de diverses organisations internationales, ainsi que des "grands témoins" y participent.
Notre objectif est de parvenir à un engagement des Etats, au niveau politique, pour mettre fin au recrutement et à l'utilisation des enfants soldats et de renforcer la mobilisation des grands bailleurs sur la question de la réinsertion.
Nous allons maintenant répondre à vos questions avec Mme Ann M. Veneman, directrice générale de l'UNICEF, Mme Rhadika Coomaraswamy, représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies, et M. Ishmael Beah, ancien enfant soldat. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Q - Je voulais savoir comment comptez-vous faire pour que les Etats puisent s'engager davantage dans les programmes de longue durée en matière de réinsertion parce que, de l'avis des experts, une telle réinsertion demande beaucoup de temps et que les programmes de réinsertion jusqu'ici sont beaucoup trop courts ?
R - Je voudrais dire que si j'ai décidé de réunir, en étroite collaboration avec l'UNICEF, une conférence internationale à Paris, c'est bien pour renforcer les programmes d'action à l'égard desquels je suis tout à fait engagé. Ces programmes d'action associent des représentants d'une soixantaine de pays donateurs et de pays affectés, des pays de l'Union européenne, mais aussi des ONG et des agences pour le développement.
Il s'agit, pour répondre à votre question, de réaffirmer et de consolider les actions dans trois domaines : prévenir le recrutement, libérer les enfants soldats et, surtout, les réinsérer.
Je voudrais saluer le travail particulier de l'UNICEF sur la réinsertion. J'ai pu l'observer au Burundi où des jeunes étaient parfaitement réinsérés dans le domaine de la réparation automobile. J'ai également vu des jeunes filles, travaillant dans d'autres domaines. Je voudrais souligner que c'est là l'essentiel : redonner confiance à ces jeunes femmes et à ces jeunes hommes.
Q - Monsieur le Ministre, comment pouvez-vous contraindre ou obliger les hommes politiques, les chefs d'Etat, à vous suivre dans vos bonnes intentions ?
R - Je pense notamment au travail de la Cour Pénale Internationale ou à la désignation d'un représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies sur ces questions. Je pense également à la création d'un groupe de travail au Conseil de sécurité des Nations unies et à la résolution 1612 qui assure le suivi de la surveillance des situations les plus préoccupantes.
Il est vrai, cependant, que l'on doit être encore plus efficace. Endosser les principes de Paris, que nous présentons à cette conférence le permettra ; ils actualisent et complètent ceux édictés dans la ville du Cap, il y a dix ans. Et cette fois-ci, il y a une soixantaine de responsables politiques, des ministres des Affaires étrangères, des ministres de la Solidarité qui endossent ces principes avec les "Engagements de Paris" qu'ils souscriront demain.
Je souhaite que tous les pays de l'Assemblée générale des Nations unies puissent accepter ces principes. Il faut qu'il y ait une communauté politique pour que l'on dresse des listes noires au niveau de l'ONU et que l'on traduise les responsables devant de la Cour Pénale Internationale.
Il s'agit d'une pression supplémentaire et je compte sur vous, sur tous les journalistes, tous les observateurs, pour en parler car, malheureusement, souvent, ces tragédies se déroulent dans le silence le plus complet. Peu de gens savent, en France, que ce drame existe. Il est en effet nécessaire d'en parler au niveau politique mais aussi, grâce à vous, au niveau de l'opinion publique.
Q - Quels sont les points principaux des principes de Paris, la différence des principes de Paris par rapport aux principes du Cap ? Qu'est-ce qui va avoir le plus d'impact ? Et je me demandais combien de pays en principe vont souscrire les engagements de Paris ?
R - On vous exposera les principes de Paris à la fin de notre conférence. Nous en sommes au début de nos travaux.
Quel est l'enjeu de cette conférence ?
Disons d'abord qu'il y a eu des progrès. Dix ans après l'adoption des principes du Cap par l'UNICEF et plusieurs ONG : l'entrée en vigueur du protocole additionnel relatif aux Droits de l'Enfant en 2002 ; le travail de la Cour Pénale Internationale ; l'adoption de résolutions au Conseil de sécurité, en particulier de la résolution 1612 ; la désignation, en 1997, comme je vous le disais à l'instant, d'un représentant spécial du Secrétaire général.
Maintenant, la question qui se pose est de savoir si, oui ou non, nous allons avancer sur le plan politique. Nous avons des outils juridiques mais la volonté politique n'existe pas toujours.
Je crois qu'il est tout à fait nécessaire qu'un pays comme la France, le pays des Droits de l'Homme, reçoive la directrice exécutive de l'UNICEF et une soixantaine de pays pour dire que, maintenant, on passe à un niveau politique. Il y aura ceux qui l'acceptent et ceux qui ne l'acceptent pas, il leur appartiendra de s'expliquer.
Je disais, tout à l'heure, dans mon discours d'ouverture, qu'il faut maintenant donner une dimension politique à notre action. Il y a les principes de Paris et nous aurons les engagements de Paris. Il faut faire le tour du monde pour faire signer ces engagements pays par pays.
Parmi les pistes que nous exposerons demain, il y aura des stratégies pour l'avenir avec des programmes qui assurent un environnement protecteur pour ces enfants. Nous voulons leur offrir de véritables opportunités économiques.
Nous traiterons aussi plus particulièrement des besoins spécifiques des filles en renforçant l'accès au programme. Elles sont souvent mères d'enfants nés de viols qu'elles ont subis et sont considérées comme "impures" par leurs communautés qui les ont exclues.
Q - L'armée britannique a envoyé, il y a quelques jours, quatre filles et deux garçons d'à peine 18 ans dans l'enfer de l'Irak. Etes-vous pour l'envoi de soldats de cet âge en guerre ?
R - Je crois qu'il est extrêmement important que nous édictions des règles communes. Il faut empêcher n'importe quel pays et, bien sûr, a fortiori, des grandes démocraties, d'envoyer des jeunes gens mineurs sur un théâtre d'opérations militaires, même s'ils ne sont pas en première ligne ou si c'est dans le cadre de la formation d'élèves officiers dans les écoles militaires. Je crois qu'il faut que nous puissions expliquer à l'ensemble des pays du monde qu'il n'est pas possible d'envoyer des jeunes gens mineurs à la guerre.
Je vous remercie tous. Je voudrais ajouter qu'il y a une exposition de 547 silhouettes en carton, d'un mètre vingt de haut, au centre Kléber et au Quai d'Orsay. Cette exposition, prêtée par le ministère des Affaires étrangères italien, montre, tout simplement, qu'il y a 547 enfants de moins de dix ans qui meurent, tous les jours, de la guerre ou du terrorisme. Je voudrais vous dire combien il est important pour moi et pour vous tous que l'on parle de ces silhouettes.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2007