Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec BFM le 19 février 2007, sur son action au ministère des affaires étrangères, la centrale d'achats de médicaments UNITAID et le 24e sommet France-Afrique.

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Média : BFM

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Q - Vous n'êtes pas du sérail. Comment arrive-t-on au Quai d'Orsay, qui est une maison compassée et qui tient bien sa réputation et où les étrangers et les outsiders ne sont pas aussi bienvenus que cela ?
R - C'est la raison pour laquelle j'ai appelé ce livre "Des Affaires pas si étrangères". C'est un double clin d'oeil. D'abord, pas si étrangères à la campagne électorale, et je crois que ce que pensent Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy de l'Iran, du Moyen-Orient en général, est certainement beaucoup plus important que ce qu'ils pensent de certaines cotisations sociales pour l'avenir de leurs enfants ou de leurs petits-enfants. Donc, pas si étrangères à la campagne électorale. Et pas si étrangères, aussi, à moi. Parce que, ne pas être du sérail, comme vous le dites très bien, ne pas être énarque, ne pas être diplomate, mais être médecin, médecin de province, ancien ministre de la Santé, cela a été considéré par certains, du moins au Quai d'Orsay, comme quelque chose d'hérétique, d'anormal.
Je pense exactement le contraire. Il faut des milliers d'heures de travail, pour connaître ses dossiers. Mais cela, c'est assez facile. Ce qui est important, c'est d'avoir surtout une vision du monde. Le président Chirac a cette vision du monde. C'est le chef de la diplomatie française, en réalité. J'ai été très heureux de voir - c'est ce que je raconte d'ailleurs dans ce livre - qu'avec toutes les équipes du Quai d'Orsay, après leur appréhension initiale, même s'ils ne l'ont pas dit, in fine on travaille très bien ensemble. Nous sommes en train de monter des projets pour le monde entier, comme UNITAID. C'est une initiative qui témoigne que ce pays, le pays des Droits de l'Homme, ne tient pas la fracture entre le Nord et le Sud pour un sujet sanitaire, ni humanitaire, mais pour un sujet de politique internationale. Il n'y a qu'une seule solution pour éviter la guerre au XXIème siècle, c'est la mondialisation équitable, solidaire. Je suis très fier d'avoir inventé, avec le Quai d'Orsay ce concept.
Q - Il y a un décalage entre la réalisation concrète que les gens peuvent appréhender eux-mêmes et l'inspiration que vous venez de soulever.
R - La question est là...
Q - Les billets d'avion, c'est sympa, mais bon...
R - On donne deux euros de subvention par jour et par vache en Occident. La moitié des Africains vit avec moins d'un euro par jour. Si vous avez compris cela, vous comprenez pourquoi il y aura une l'humiliation, une colère, et très vite une déstabilisation des pays occidentaux. Et le fait qu'un enfant meurt à cinq ans parce qu'il n'a pas de rifampicine, cette antibiotique contre la tuberculose, alors que nous en disposons depuis 1954, conduit à penser qu'il faut trouver un moyen de financer ces médicaments à partir d'une contribution prélevée sur un produit de la mondialisation. Le billet d'avion n'est qu'une première étape. Il faut une démarche citoyenne mondiale. Lorsque vous, vous viendrez à Toulouse, vous donnez un euro. Il me revient de montrer sur Internet l'utilisation que nous en ferons, d'assurer sa traçabilité jusque sa distribution dans les dispensaires africains.
Q - Vous parlez de l'Afrique. Vous dites dans votre livre : "L'Afrique, c'est notre nouvelle frontière". Vous étiez à Cannes, avec le président de la République, dont c'était, dit-on, le dernier sommet Afrique-France. Vous en tirez quelles conclusions ? Parce que les commentaires ont été accueillants, mais en même temps ont souligné la présence sur la croisette de responsables peu recommandables.
R - Nous en sommes au 24ème Sommet Afrique-France. Nous avons été les précurseurs, les premiers avocats de l'Afrique. On y croit, parce que les enjeux du monde de demain sont en Afrique. C'est en Afrique que cela va se passer. Regardez la croissance : elle est de 5 % par an depuis 10 ans, trois fois plus que l'Union européenne. Les Américains viennent de créer le premier commandement militaire en Afrique. Les Chinois, les Indiens, les Iraniens, tout le monde va en Afrique. Et lorsque on voit le premier Sommet Chine-Afrique, alors que nous en sommes au 24ème, on dit que c'est extraordinaire, que les Chinois arrivent. Et le président Chirac, qui connaît chaque chef d'Etat et de gouvernement, on le lui reprocherait, alors que le président et le Premier ministre chinois font le tour de tous ces pays ? Mais c'est une chance pour nous que d'avoir un président de la République qui connaît ce continent.
Evidemment, il faut plus de démocratie, moins de corruption en Afrique, et qu'il faut se battre contre tous ces systèmes véreux. Mais c'est certainement de l'intérieur qu'il faut le faire. Arrêtons les leçons de morale et travaillons avec des partenaires. Je pense à M. Bolloré, ou au président de Véolia. Nos entreprises doivent être aidées en Afrique, c'est l'avenir du monde. La jeunesse du monde est la jeunesse africaine.
Q - On sent de la passion. Vous êtes devenu amoureux de ce continent ?
R - C'est important. Quand je pense à ce qui est écrit sur ce sommet, par comparaison avec ce qui a été écrit sur le premier Sommet Chine-Afrique, je suis étonné que les Français se flagellent, alors qu'on a la chance d'avoir un président qui connaît toute l'Afrique.
Q - Les observateurs et un certain nombre de chefs d'entreprises ont le sentiment que nos positions se sont effritées en Afrique depuis dix ans, avec la présence des Chinois notamment.
R - Comprenons que la compétition est énorme, que le fait de tenir un sommet Afrique-France à Cannes est capital pour garder notre force et notre rang sur ce continent. On n'y arrivera pas en se flagellant et en remettant tout en cause.
(...)
Q - ( Sur le statut de Mme Habyarimana)
R - Je me souviendrai toujours de ces fosses communes, de ces enfants, de ces camps de réfugiés aussi, avec 200.000 personnes à Goma. Je me souviens de tout cela. Nous travaillons actuellement pour régler ce type de problèmes, avec justice et humanité. J'aurais l'occasion de m'exprimer sur ce dossier.
Q - Donc ce dossier n'est pas clos ? Il va être traité ? On ne va pas l'étouffer.
R - Les dossiers qui touchent des hommes et des femmes ne peuvent pas être étouffés. C'est comme cela. En tout cas, ce n'est pas mon éthique.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2007