Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "El Periodico" du 2 mars 2007, notamment sur la présidence allemande de l'Union européenne, l'avenir des institutions communautaires, et sur les négociations entre la Turquie et l'Union européenne.

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Circonstance : Déplacement en Espagne, les 1er et 2 mars 2007

Média : El Périodico

Texte intégral

Q - Tout le monde parle de la nécessité d'une Europe forte et solidaire, mais on a l'impression parfois qu'il se passe le contraire, étant donné l'égoïsme des Etats. Qu'en pensez-vous ?
R - L'Europe s'est largement construite par la solidarité entre Etats, nous sommes bien placés, en France comme en Espagne, pour le savoir ! La politique européenne de solidarité envers les pays et les régions en retard de développement en est un exemple évident. Mais je crois surtout qu'aujourd'hui la question importante est le contenu du projet européen que nous voulons partager sur le continent. Les Français, comme les autres Européens, en attendent en effet plus de protection et de solidarité, mais aussi plus d'action et d'efficacité.
Q - Angela Merkel semble décidée à arriver à un accord avant les élections au Parlement européen de 2009, malgré le groupe du non. Comment la France peut-elle aider l'Allemagne à la veille d'élections présidentielles ?
R - Nous soutenons pleinement les efforts de la Présidence allemande, qui répondent à la méthode et au calendrier qu'ont fixés d'un commun accord les pays européens. Il y a une séquence qui va d'aujourd'hui au second semestre 2008, avec la future Présidence française. Le travail de fond commence maintenant et doit permettre d'aboutir à l'adoption d'un nouveau texte avant les élections européennes de 2009. Il conviendra de trouver une réponse respectueuse de tous les peuples, ceux qui ont dit "oui" comme ceux qui ont dit "non" ou qui ne se sont pas prononcés. J'ai fait la proposition de partir de la substance et des équilibres du Traité constitutionnel, et de se donner pour priorité de bâtir de façon pragmatique un nouveau consensus à 27.
Q - Ségolène Royal demande qu'on refasse un referendum alors que Nicolas Sarkozy défend l'idée de confier la décision au Parlement. Quelle serait la meilleure solution pour changer la décision populaire ?
R - En démocratie, la décision du peuple s'impose à tous. Elle sera respectée. Le sens de ce vote donne aussi des indications sur la voie à suivre pour réformer les institutions et donner une nouvelle ambition à l'Europe. Quant au choix des modalités de ratification d'un futur texte, il appartiendra au président de la République en exercice, le moment venu. Au préalable, il faut que tous les Européens s'accordent sur un nouveau texte : c'est la priorité.
Q - Est-ce que le texte actuel peut servir ou est-ce qu'il en faut un nouveau ?
R - Il ne faut pas partir de rien et tout refaire. Ce serait reculer là où nous devons avancer. Il faut au contraire partir de la base qui existe, celle du projet de texte constitutionnel, qui est le fruit d'un long travail et préserver les équilibres de ce texte, en prenant en compte les attentes des Français et des autres peuples européens. Ce qui est nécessaire dans un premier temps, d'ici 2009, c'est identifier ce qui peut être le consensus qui réunit les 27 Etats membres : que peut-on retenir ? Que doit-on modifier ou améliorer dans ce texte ? Dans un second temps, après l'adoption d'un texte simplifié, nous pourrons aborder les autres sujets sur lesquels un consensus ne serait pas possible aussi rapidement entre les Européens.
Q - Que partagent d'après vous la France et la Catalogne ?
R - La diplomatie française a pour objectif de contribuer, grâce à l'Europe et par l'échange avec tous nos partenaires, à un monde de diversité et d'équilibre. Cela se joue aussi en Catalogne, comme j'ai eu l'occasion de le dire au président Montilla en m'entretenant avec lui à Barcelone, en décembre 2005, peu de temps après son élection. Nous partageons, nous, Français, avec les Catalans, un fort attachement à nos identités culturelles. C'est dans cet esprit que nous avons ouvert ensemble quatre principaux chantiers franco-catalans : le soutien aux projets communs de recherche et d'innovation ; l'échange d'expériences concrètes sur l'intégration des étrangers ; le renforcement de la coopération transfrontalière avec l'arrivée prochaine du TGV entre la France et la Catalogne ; la promotion de la langue française.
Q - Pendant ce temps, le processus d'intégration de la Turquie est toujours au point mort. Etes-vous favorable à l'intégration de ce pays musulman ?
R - La vraie question est celle de la capacité de la Turquie à répondre aux critères d'adhésion et du respect des engagements pris, en particulier l'application de l'accord d'union douanière à tous les Etats membres et les critères politiques en matière de démocratie et de Droits de l'Homme. C'est dans ce cadre que l'Europe a pris des dispositions pour inciter la Turquie à revenir le plus vite possible au respect de ses engagements, en gelant un certain nombre de chapitres de négociation. Le processus d'intégration est certes ralenti, mais il n'est pas interrompu et son issue reste ouverte. Le gouvernement français estime qu'une Turquie moderne et démocratique, ayant rejoint nos valeurs, pourrait apporter beaucoup à l'Europe.
Q - Quel rôle doit jouer l'Europe face à la situation en Irak ?
R - L'Union européenne doit apporter sa contribution à la stabilisation en Irak et à la préservation de son intégrité territoriale, qui est pour nous un élément clef. Nous considérons que seul un dialogue national associant toutes les communautés permettra de sortir durablement de la crise actuelle.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mars 2007