Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, notamment sur les relations euro-chinoises et les défis d'un monde multipolaire, à Pékin le 19 mars 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement au Japon, en République de Corée et en Chine, du 15 au 19 mars-visite de l'Ecole centrale du parti, à Pékin le 19 mars 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
C'est un honneur pour moi de prendre la parole dans un lieu aussi prestigieux. Ici ont été formés vos plus hauts dirigeants. Ici se préparent les futurs cadre de la Chine de demain. Ils et elles exerceront un jour de hautes responsabilités et seront, aussi, l'un des vecteurs de l'amitié entre la Chine et la France.
L'année 2007 est une année importante pour nos deux pays. La session annuelle des deux assemblées du Parlement chinois vient de s'achever. D'autres échéances politiques essentielles se tiendront à l'automne.
En France, dans quelques semaines, aura lieu l'élection présidentielle puis, un mois après, les législatives.
La qualité des relations franco-chinoises dépasse cependant ces échéances nationales. Il y a trois ans, à Paris, les présidents Hu Jintao et Jacques Chirac ont célébré le quarantième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques.
Quarante ans, c'est l'âge de la maturité : depuis, les échanges entre nos deux pays se sont encore renforcés. Ces échanges réguliers et intenses reflètent une grande confiance, un grand respect mutuel, une longue amitié.
Aujourd'hui, cette relation se traduit dans les domaines économique, culturel mais surtout dans le domaine stratégique. Comme une sorte de clin d'oeil, c'est en ce moment-même que se tient à Paris le dialogue stratégique de haut niveau entre les représentants personnels de nos chefs d'Etat.
Ceci est essentiel car, dans un contexte international en mutation, jamais la nécessité de coopérer n'a été aussi grande entre la Chine et l'Europe.
Le monde de 2007 est déjà très largement un monde multipolaire.
Depuis vingt ans, nous voyons progressivement émerger de nouveaux pôles démographiques, économiques, culturels et politiques.
L'Asie s'affirme comme un pôle important du monde. Elle ne cesse de battre des records économiques qui nous font envie en Europe. La Chine, en particulier, a un taux de croissance de plus de 10 %. La Chine, qui figure parmi les acteurs-clés du nouvel ordre international.
L'Inde, Le Japon la Corée du Sud, l'Asie du Sud-Est, connaissent des succès de croissance qui font l'admiration de la planète toute entière.
Il y a l'Amérique du Nord qui constitue un autre pôle important.
Mais il y aussi le monde arabo-musulman, l'Afrique, l'Amérique latine. Autant de continents émergents qui veulent assumer un rôle en ce début de XXIème siècle.
Et bien sûr l'Europe qui poursuit sa construction. Aujourd'hui composée de 27 membres, l'Union européenne reste la première puissance commerciale du monde. Elle possède la deuxième devise internationale. Elle entend aussi peser sur les relations internationales.
Ce développement et cette croissance ne vont pas sans un certain nombre de difficultés. Ils font apparaître des inégalités entre pays et entre populations. Nous voyons certains mouvements extrémistes exploiter ce sentiment d'inégalité et d'injustice. Nous voyons également dans le monde entier se développer des conflits inter-ethniques et inter-communautaires.
Ces problèmes ne sont pas seulement ceux de ces pays. Ils sont aussi ceux de la communauté internationale.
Tout d'abord, les problèmes sécuritaires ont des répercussions dans chacun de nos pays.
Le terrorisme de masse sévit sur l'ensemble de la planète. Aucun pays n'est à l'abri. Aucun ressortissant de nos pays qui voyage n'est à l'abri. Parce que le terrorisme est un fléau international, nous ne pouvons le combattre qu'ensemble.
La prolifération des armes de destruction massive nucléaire, biologique ou chimique est une préoccupation pour chacun de nos pays. L'attitude de l'Iran ou de la Corée du Nord ne peut que susciter notre inquiétude.
Les guerres et les crises régionales se multiplient, en Asie centrale, au Moyen Orient, en Afrique, dans le sud-Pacifique. Elles créent des zones où les Etats ne peuvent plus appliquer leur droit. Cela favorise l'installation de mafias. Cela favorise l'installation de zones d'entraînement et de repli pour les terroristes. Cela favorise aussi l'émigration illégale de populations qui craignent pour leur vie dans ces pays. Ces migrations illégales peuvent être un élément de déstabilisation pour les pays qui les reçoivent.
La solution ne peut être que globale, c'est à dire militaire, diplomatique, économique, culturelle et sociale. Cette action ne peut que concerner tous les pays.
Il existe d'autres risques qui peuvent porter atteinte à nos populations.
- Le réchauffement de la planète et les risques environnementaux : la production de CO² atteint l'ensemble des économies mondiales.
- C'est aussi la santé des populations qui est en jeu au-delà même des frontières. Sinon, il n'y aura pas d'adhésion de la population. C'est un défi que nous devons affronter en commun. Trouver des solutions sans entraver le développement des pays est un défi à relever en commun.
Il y a enfin le défi de la raréfaction des ressources naturelles, avec au premier rang le problème de l'eau potable. Aujourd'hui, une dizaine de pays possèdent 60 % des ressources d'eau. Avec l'augmentation de la population, il risque d'y avoir des conflits pour l'accès à l'eau potable.
A un niveau moins vital pour les personnes mais plus vital pour l'économie, il y a la diminution prévisible des réserves pétrolières et gazières mondiales qui nous oblige à trouver des solutions.
Nous devons dialoguer, échanger, travailler ensemble pour répondre à ces risques actuels et à ces nouveaux défis qui se profilent.
La Chine et l'Europe peuvent être à la pointe de ce travail commun sur la scène internationale.
Ensemble, nous pouvons et devons oeuvrer ensemble au renforcement du système multilatéral pour la sécurité collective
Le multilatéralisme est le moyen le plus adapté pour la prévention et pour le règlement efficace des crises et des défis qui menacent l'ordre mondial et régional.
Le multilatéralisme, c'est d'abord les Nations unies. L'ONU est la seule alliance mondiale détentrice de la légitimité internationale. La Chine et la France sont membres permanents du Conseil de sécurité. Cela leur donne une responsabilité particulière dans la préservation de la paix et de la sécurité internationale.
Mais il est nécessaire aussi que l'ONU soit crédible pour faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité.
Les soldats de l'ONU, les "casques bleus" doivent pouvoir opérer avec des règles d'engagement robustes. Ce sont des soldats, c'est à dire qu'ils doivent être en mesure de faire usage de la force si la situation l'exige.
C'est la condition de notre engagement et de la sécurité de nos soldats mis à la disposition de l'ONU.
L'engagement de la Chine dans les opérations de maintien de la paix est croissant : parmi les membres permanents du conseil de sécurité, elle est le 1er contributeur. C'est une très bonne chose pour la stabilité du monde.
Je me réjouis que la France et la Chine puissent travailler ensemble à travers plusieurs opérations de maintien de la paix. Ensemble, nous nous sommes occupés de Haïti, du Congo et aujourd'hui du Liban.
Dans les années qui vont suivre, nous devrons poursuivre cette coopération. C'est un volet important de notre relation de défense.
De même, nous devons poursuivre le dialogue sur les grandes questions internationales :
En premier, le Proche-Orient : l'Europe y est présente dans les domaines diplomatique et militaire en particulier au Liban. La Chine est également à nos côtés au sein de la FINUL.
En second lieu, l'Iran. C'est en montrant au plan diplomatique une détermination sans faille que nous pourrons amener ce pays à respecter ses engagements au sein du Traité de non-prolifération. Européens et Chinois peuvent jouer ensemble un rôle majeur dans le règlement de cette question.
Dans le domaine nucléaire, la question de la République populaire démocratique de Corée peut nous amener à coopérer.
Le rôle de la Chine à cet égard est fondamental. La Chine a présidé à Pékin les pourparlers à Six. L'accord du 13 février dernier est un pas positif.
Vous le savez peut-être, la France est membre signataire de l'armistice de 1953. Elle est aussi membre permanent du Conseil de sécurité. Elle est prête à apporter son soutien à un règlement politique visant à une stabilisation de la péninsule coréenne.
L'avenir du continent africain est aussi une source d'inquiétude. Nous devons poursuivre le dialogue sur l'aide au développement et sur la mise en place d'un processus de formation des armées africaines afin qu'elles soient en mesure de faire face aux risques sécuritaires. L'intérêt que la Chine porte à l'Afrique doit nous permettre de coopérer.
Le Pacifique est également une zone d'inquiétude: la France entend poursuivre le dialogue dans le cadre de la Conférence annuelle sur la coopération dans le Pacifique Sud. Notre pays a participé activement aux opérations des Nations unies au Timor oriental en 1999-2000, à la mission d'observation de l'Union européenne à Aceh en Indonésie en 2005.
Avec les Etats-Unis, la France est la seule puissance à maintenir dans cette région une présence navale permanente. Elle continuera à oeuvrer pour la stabilité et le développement de cette région.
Nous avons donc tous les éléments d'un partenariat stratégique entre la France et la Chine.
Mais ce partenariat doit également s'inscrire dans le cadre sino-européen
Il y a cinq ans, l'Europe économique, politique et sociale existait mais il n'y avait pas de Défense européenne. Aujourd'hui, la Défense européenne est une réalité.
Je sais que l'on a regardé ici avec surprise le "non" de deux pays lors du référendum sur les nouvelles institutions européennes. Cela tenait pour beaucoup à la grande complexité du texte qui a été soumis aux peuples. Plusieurs pays, dont la France, sont en train de revoir la situation pour résoudre le problème. Ce blocage n'a pas été le signe d'un blocage de l'Europe. La défense est un domaine qui prouve que l'Europe a continué d'avancer.
La preuve, ce sont toutes les opérations menées depuis 2003 et que nous continuons de mener. Nous avons mené des opérations en Macédoine, en Bosnie-Herzégovine, deux fois au Congo, ainsi que des opérations civilo-militaires au Darfour et à Aceh en Indonésie. L'Union européenne est devenue un acteur crédible et reconnu dans la gestion des crises militaires.
Nous avons continué de nous doter de capacités faisant de l'Europe une puissance militaire : une force d'intervention rapide, à travers les groupements tactiques, capables de déployer 1.500 hommes en moins de deux semaines sur un théâtre d'opération. Nous sommes en train de finaliser la création d'un centre de commandement commun. Nous avons créé une agence européenne de Défense et d'armement qui fonctionne depuis deux ans et vise à harmoniser le lancement de nouveaux programmes d'armement paneuropéens. Elle nous permet de déterminer en commun nos besoins militaires.
Nous avons lancé ainsi un programme d'avion de transport de troupes, l'A400M ; un nouvel hélicoptère de transport ; un nouvel hélicoptère de combat ; des frégates multimissions pour la marine ; des satellites d'observation et de communication ; des missiles ; un démonstrateur de drone...
Ces outils de l'Europe de la Défense ne remplacent pas l'action de chaque Etat membre. Ils sont des pierres apportées à la construction d'une architecture de sécurité commune. Ils sont complémentaires de la structure de l'OTAN. Les Européens ne veulent ni être inféodés, ni être en concurrence avec les Américains. Ils veulent travailler de manière complémentaire avec eux pour la paix et la stabilité.
L'Europe de la Défense et l'OTAN ont chacune des spécificités propres. Ce sont des liens particuliers avec certaines régions, des savoir-faire spécifiques, des méthodes de gestion de crise différentes. Les enjeux de sécurité actuels dans le monde justifient que nous ayons une coopération approfondie. C'est ce qui se passe dans les Balkans, par exemple au Kosovo où il y a une opération de l'OTAN car la situation est très volatile et qu'elle peut engendrer des problèmes. Dans un pays voisin, la Bosnie, c'est l'Union européenne qui assure la stabilisation : depuis deux ans, l'OTAN est partie et ce sont les Européens qui assurent la sécurité.
Aujourd'hui, nous voyons que l'Europe de la Défense est une réalité, sans concurrence avec d'autres institutions. Sans complexe non plus.
La relation entre peut être exemplaire de cette démarche. La Chine et l'Europe peuvent coopérer face aux défis du XXIème siècle, qu'il s'agisse du terrorisme, de la prolifération ou des guerres régionales, qui exigent une solidarité sans faille dans le cadre multilatéral.
On le voit en Irak, depuis 2003 : les solutions unilatérales ne règlent pas les crises. Il arrive même qu'elles les exacerbent.
Au-delà de l'excellente relation bilatérale franco-chinoise, je souhaite que la Chine s'investisse de plus en plus dans la connaissance de la doctrine stratégique européenne. Il ne s'agit pas de vouloir faire de l'Europe une nouvelle super-puissance militaire, mais de poursuivre l'élaboration d'un cadre de sécurité à travers lequel nous souhaitons tendre la main aux autres continents, à d'autres pôles mondiaux.
L'Asie du Nord-Est est en pleine mutation. Je l'ai constaté ces derniers jours à Tokyo et à Séoul, comme je le constate aujourd'hui à Pékin.
Un espoir de sortie de crise se fait jour dans la péninsule coréenne avec l'aide de la Chine. Aujourd'hui même à Pékin, les Pourparlers à Six reprennent. Le besoin d'une architecture de sécurité dans cette partie de l'Asie ne s'est jamais faite autant sentir.
De son côté l'Union européenne possède une véritable expertise en matière de sécurité collective. L'Union européenne dispose de différents outils pour assurer sa sécurité et en faire partager ses alliés qu'ils soient proches ou lointains.
En unissant nos efforts, nous serons toujours plus forts. Travaillons donc ensemble à l'établissement d'une région et d'un monde plus stable.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2007