Texte intégral
Q - Ce soir, dans "A sa place vous feriez quoi ?", la ministre déléguée aux Affaires européennes Catherine Colonna.
Catherine Colonna, bonsoir.
R - Bonsoir
(...)
Q - Comme promis on parle "Europe", il nous reste un peu moins de 6 minutes. Les 50 ans du Traité de Rome, c'est dimanche. L'Europe en panne, disent certains, les Français, les Néerlandais ont rejeté la Constitution, c'était il y a presque deux ans, que peut-on proposer d'autre, déjà en matière institutionnelle ?
R - C'est vrai que l'Europe a besoin d'un nouvel élan. Alors, ce que je "ferais à sa place", c'est d'abord "parler vrai". Il faut que l'on se demande : que veut-on ? Quel est notre intérêt ? Est-ce que l'on veut laisser les choses en l'état ou est-ce que l'on veut faire une Europe qui marche ? Moi, j'ai choisi. Je sais que nous avons besoin de l'Europe et je sais que nous avons besoin de réponses collectives pour relever la plupart des grands défis du monde, que l'on parle du changement climatique, des migrations, des investissements massifs qu'il va falloir faire dans la recherche et dans l'innovation, ou de beaucoup d'autres sujets. Aucun Etat seul n'aura la réponse. Il nous faut donc une réponse collective. D'abord, le vouloir. Ensuite vous me posez la question des institutions : ce n'est pas le seul problème à traiter la priorité de l'Europe c'est de développer des politiques efficaces sur chacun des grands sujets que j'ai cités et nous pourrions en citer d'autres.
Q - Mais nous n'avons pas besoin, d'abord, de remettre en ordre les institutions européennes ?
R - Les deux sont liés parce que, en effet, il faut de bonnes institutions pour faire de bonnes politiques. Je souhaite que l'on sorte rapidement de l'impasse institutionnelle dans laquelle se trouvent les pays européens, et qu'en priorité, l'on rénove le mécanisme de prise de décision. Je l'ai vécu de l'intérieur depuis deux ans : à 27 le système de décision est assez largement grippé. Quand il y a l'unanimité, il y a souvent un Etat qui bloque et donc cela empêche d'agir ou cela retarde beaucoup les décisions. Cela n'est pas bon !
Q - Vous pensez qu'il faut faire revoter les Français et les Néerlandais sur le traité tel qu'il a existé ou sur un nouveau traité ?
R - Certainement pas, je le dis depuis le lendemain du référendum. Les Français se sont exprimés, nous en avons pris acte et tous nos partenaires aussi doivent comprendre que la France s'est exprimée, les Pays-Bas également, d'autres pays n'ont pas poursuivi leur processus de ratification. Ceci est la réalité politique. C'est une réalité diverse, complexe, à partir de laquelle il va falloir tenter maintenant de bâtir un consensus, voir ce sur quoi nous pouvons nous mettre d'accord pour aboutir, et rapidement si possible, à une nouvelle réforme.
Q - Mais vous diriez que pour redonner aux Français, envie d'Europe, il faut parler le moins possible des institutions - c'est toujours un peu complexe, un peu abscons, pas très sexy si j'ose dire -, et beaucoup plus de projets ?
R - Il faut parler des projets, c'est pour cela que le gouvernement a donné la priorité à "l'Europe des projets" : l'énergie, le quasi-doublement du nombre des bourses Erasmus, plus d'argent pour la recherche, c'est comme cela que l'on pourra faire comprendre aux citoyens ce que l'Europe leur apporte. Et puis je crois qu'il faut aussi parler d'Europe autrement. Nous en parlons trop peu souvent, par à-coup, au moment des élections - et encore, pas assez ! -, ou au moment des référendums, mais pas toujours comme il le faut. Alors que l'Europe, c'est quelque chose qui nous aide dans notre quotidien. Je vais souvent en région. Dans chacune de nos régions, ce sont des milliers de projets qui sont aidés par l'Europe et nous ne le savons pas. Nous ne le savons pas parce que nous ne le disons jamais. Et, bien souvent, les responsables politiques ont eu une mauvaise habitude dont il faudrait qu'ils se débarrassent : prendre l'Europe comme bouc émissaire. Vous savez, quand cela marche bien, c'est nous, et quand cela marche moins bien, c'est la faute de Bruxelles ! C'est une facilité qui coûte très cher.
Q - Est-ce que cela passe éventuellement pas des grands projets, des grands chantiers comme à l'époque de Jacques Delors qui propose, par exemple, cette semaine une communauté européenne de l'énergie ? Mettre en commun toutes les énergies de l'Europe.
R - C'est un bon exemple de ce que l'Europe doit faire. Elle n'est pas là pour tout faire, nous ne lui demandons pas de tout faire, mais elle doit faire ce qu'elle fait mieux que les Etats. Et pour l'énergie, c'est évident. A l'heure actuelle, nous avons 27 politiques de l'énergie et 27 négociations avec nos partenaires, avec les fournisseurs. Nous serions sûrement plus efficaces en faisant un peu plus d'unité et en parlant d'une seule voix.
Ceci dit, c'est précisément ce que le gouvernement français a fait. C'est à l'initiative de la France que l'on parle d'énergie dans tous les Conseils européens et que les Européens ont décidé de mettre sur pied une politique de l'énergie. Alors, il faudra un peu de temps, cela ne se fera pas en un jour, cela se fera pas à pas, et il faudra changer quelques habitudes, c'est vrai, mais c'est nous qui avons souhaité que l'Europe s'occupe enfin de cela, et pas seulement des questions de concurrence ou du marché de l'énergie.
Q - A propos de concurrence, la question du protectionnisme européen, la Commission a décidé de dépenser 500 millions d'euros par an pour venir en aide aux victimes de la mondialisation, est-ce que c'est la bonne démarche ? Est-ce qu'il ne faudrait pas relever les taxes douanières par exemple ? Faire du protectionnisme européen pour protéger les entreprises françaises de la mondialisation ? Ce que les Américains ne s'empêchent pas de faire d'ailleurs.
R - Nous sommes dans un monde ouvert et Europe ou pas Europe, chaque entreprise est libre, et heureusement, de se déplacer, de produire et de vendre. Deuxième observation, le protectionnisme n'a jamais marché...
Q - ... Il n'a pas sauvé la sidérurgie américaine quand même ?
R - Assez temporairement, si l'on voit les évolutions. Je crois que chacun de nos pays a su tirer un certain nombre de leçons des crises du passé, nous aussi nous le faisons. Alors pourquoi l'Europe est-elle là ? Elle est là pour nous aider, nous aider à tirer le meilleur parti de nos atouts et nous protéger aussi quand c'est nécessaire. Il y a de bons côtés à la mondialisation, c'est une formidable opportunité, il y a aussi des conséquences parfois difficiles. L'Europe doit être là aussi - et elle est présente -, pour nous aider à remettre dans le chemin du travail, par des actions de formation, ceux de nos citoyens qui auraient pu être frappés par les chocs de la mondialisation. Donc, elle est présente ''aux deux bouts'' - si je puis dire -. C'est son rôle, il faut le souligner et donc il faut aussi dire quand ça marche !.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2007