Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec France 5 le 9 mars 2007, sur la protection du patrimoine français à l'étranger.

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Média : France 5

Texte intégral


Q - Merci Monsieur le Ministre de nous accueillir au Quai d'Orsay. Votre ministère a la charge d'une centaine d'édifices à haute valeur patrimoniale à l'étranger. J'aimerai tout d'abord savoir si vous les connaissez ? Pour la plupart ?
R - Je ne les connais pas tous, mais nous avons édité des ouvrages sur ce patrimoine et je trouve formidable que vous consacriez une émission à ce sujet. Vous avez là la démonstration du savoir-faire de tous les restaurateurs et de tous les architectes français qui, dans le monde entier, ont réalisé de magnifiques bâtiments. C'est aussi le patrimoine de la France à l'étranger.
Le ministère des Affaires étrangères, c'est, bien sûr, l'Histoire séculaire de la France. Il faut savoir que depuis le XVIIème siècle, nous avons l'un des plus grands, si ce n'est le plus grand, réseau diplomatique du monde avec celui des Américains et des Britanniques.
Le Quai d'Orsay, le lieu où nous nous trouvons, a été conçu pour la diplomatie française. C'est l'un des rares ministères qui a été construit avec un objectif spécifique.
Q - En quoi, Monsieur le Ministre, consiste cette Convention que vous avez signée, le 20 décembre denier avec le ministre de la Culture ?
R - Il est toujours bon que deux ministères travaillent ensemble et ce n'est pas toujours le cas.
Q - Ce n'était pas le cas avant ?
R - J'ai été ministre de la Culture. Je suis aujourd'hui ministre des Affaires étrangères et je sais bien qu'ils ne travaillent pas toujours ensemble. Il faut donc que les ministères coopèrent et c'est ce que nous faisons. Il faut valoriser ce patrimoine ensemble et mieux le faire connaître. Ce sont des bâtiments qui appartiennent au ministère des Affaires étrangères, mais c'est le ministère de la Culture - la direction du Patrimoine -, qui est responsable de la restauration, des savoir-faire, des artisans, des architectes. Il est bon que nous travaillions donc ensemble.
Ce qui est merveilleux, c'est qu'au fil du temps - je parlais tout à l'heure du XVIIème siècle - il y ait eu des influences diverses dans l'architecture des bâtiments que nous possédons. Il y a d'abord ceux qui ne nous appartiennent pas, comme le Palais Farnèse - c'est l'Etat italien qui nous le loue pour un bail emphytéotique. Pourquoi je parle du Palais Farnèse - vous avez dû vous y rendre-, parce que c'est probablement la plus belle maison du monde, magnifique bâtiment du XVIème siècle, avec la salle des Carrache, par exemple.
Et, à côté de cela, il y a des architectures qui me touchent. Les années 1930 c'est une révolution architecturale, les choses sont beaucoup plus dépouillées, beaucoup plus massives et je vous conseille d'aller voir le consulat général de France à Jérusalem qui est une splendeur. Il y a aussi l'ambassade de France à Ottawa, devant la rivière des Outaouais. Cette ambassade qui est exceptionnelle avec ces deux salons qui sont, de part et d'autre de l'énorme pièce de réception. Il y a également, à Moscou par exemple, la "Maison Igoumnov" qui est intéressante car elle allie des façades de type slave à des intérieurs d'apparat Louis XV et Louis XVI.
Ce qui fait ressortir les échanges et les influences croisées entre la Russie et la France et c'est ce qui est intéressant dans le patrimoine que nous tentons de mettre en valeur.
Q - Cet accord montre-t-il finalement que l'on prend mieux conscience aujourd'hui de la richesse patrimoniale de la France à l'étranger ?
R - D'abord, il faut mieux comprendre le rôle et la place de la France à l'étranger. Il ne faut pas écouter tous ces déclinologues, tous ces gens qui nous expliquent que la France n'existe plus, qu'elle va mal. Ce n'est pas parce que je suis au gouvernement que je dis ceci. Je dirais sans doute la même chose si j'étais dans l'opposition.
La France est l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, c'est l'une des grandes puissances de dissuasion nucléaire, c'est un membre du G8, c'est l'un des fondateurs de l'Union européenne. C'est le plus important réseau diplomatique du monde avec le réseau américain. La France, c'est une armée, c'est une parole, un équilibre, on le voit par exemple dans le monde arabe où elle fait le lien entre le monde arabe et le monde occidental. Le président Jacques Chirac nous l'a montré lors des événements en Irak. Ce rayonnement se traduit aussi au travers des bâtiments.
Il y a 100 jeunes Français qui s'installent tous les mois à Shanghai. Tout cela pour vous dire que nous sommes dans un monde totalement globalisé. Il est bon que les Français qui vont de plus en plus à l'étranger pour faire vivre leurs entreprises ou comme salarié, aient des lycées français, des ambassades et des consulats.
Q - Cet accord justement vise à mieux préserver le patrimoine et aussi à mieux faire connaître et à faire vivre le savoir-faire français. Pensez-vous que là aussi, il y a un effort à faire pour que les entreprises, les artisans, tout ce savoir-faire français puisse mieux s'épanouir ?
R - C'est en effet le travail exceptionnel qui est fait au ministère de la Culture. Malheureusement, il commence à y avoir de plus en plus une pénurie d'artisans d'exception, mais nous sommes pratiquement le seul pays au monde, l'un des derniers pays au monde, à garder ce savoir-faire : le travail de la feuille d'or, les instruments de musique, la restauration de parquet, etc... Je crois qu'il faut vraiment préserver cela.
Nous avons, d'ailleurs, les principales écoles d'apprentissage de ces métiers et c'est important que le ministère de la Culture continue de soutenir et de diffuser ce savoir-faire car, après tout, dans ce monde globalisé, de plus en plus harmonisé, standardisé, et pourquoi ne pas dire le mot - je ne devrais pas le dire en tant que ministre des Affaires étrangères -, américanisé, eh bien, il est bon aussi d'avoir une identité culturelle française et latine.
Q - Peu de gens, en fait, connaissent la richesse du patrimoine français dans les ambassades à l'étranger. En tant que ministre, pensez-vous qu'il est important que les ambassades - comme le quai d'Orsay - puissent, de temps en temps, être ouverts au grand public, je pense notamment aux journées du Patrimoine ?
R - C'est bien sûr très important mais je crois que les Français connaissent plutôt bien les consulats. Ils connaissent en effet un peu moins les ambassades, même si les hommes d'affaires s'y rendent. Si l'on fait du tourisme, on ne va généralement pas à l'ambassade sauf s'il y a un drame ou simplement un problème.
Vous avez raison, en effet, il faut ouvrir nos ambassades pour mieux les faire connaître.
Cette Maison d'ailleurs est trop repliée sur elle-même, elle doit s'ouvrir et expliquer aux Français son importance dans la mondialisation que nous connaissons aujourd'hui. Elle doit faire comprendre le rôle de notre réseau diplomatique, de notre réseau consulaire dans le rayonnement de notre pays.
J'ai lancé, il y a quelques jours, l'Agence "CampusFrance" qui permettra aux étudiants du monde entier de venir dans les ambassades françaises et les consulats français pour préparer leurs études en France. Toutes les élites du monde vont faire leurs études à UCLA à Berkeley ou à Harvard. Eh bien, moi j'aimerais qu'ils aillent à Science-Po, à HEC, à Polytechnique et dans les universités françaises et nos ambassades sont là pour faire connaître ces écoles et aider les étudiants étrangers à préparer un projet d'étude en France.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2007