Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle 2007, à TF1 le 14 mars 2007, sur ses propositions en matière d'éducation et d'aide aux PME.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - TF1

Texte intégral

Patrick Poivre d'Arvor
La course en tête. Bonsoir Ségolène Royal.
Ségolène Royal
Bonsoir.
Patrick Poivre d'Arvor
Ce ne sera pas l'objet de cette interview parce que ça fait à peu près 10 ans qu'on a décidé de ne pas évoquer ces sondages qui reviennent très régulièrement, jour après jour, qui sont parfois d'ailleurs contradictoires. Il y a un certain nombre de faits du jour quand même. D'abord, est-ce que vous êtes déçue de la décision de Claude Allègre de pas vous soutenir ?
Ségolène Royal
Ah, c'est sa liberté et je n'ai pas de commentaire particulier à faire. Je dirais même que ça va peut-être m'aider vis-à-vis des enseignants parce que je crois qu'il n'a pas laissé un très bon souvenir. Mais ce qui est important pour moi c'est de me tourner vers l'avenir. Quand j'ai le souvenir de ce travail que j'ai fait à l'Education nationale, je voudrais vous dire que j'ai mis l'éducation, encore l'éducation, toujours l'éducation au coeur de mon pacte présidentiel parce que je crois que c'est par-là que l'on peut redresser la France, en investissement très fortement dans le système scolaire, dans la formation professionnelle, dans la réconciliation entre l'école et les entreprises. Ma première décision sera de remettre à l'école les moyens qui lui ont été retirés pendant les 5 ans de ce gouvernement pour que nous puissions baisser le nombre d'élèves par classe, c'est-à-dire assurer davantage la réussite scolaire des élèves, puis aussi mettre le soutien scolaire individualisé aux élèves pour les raccrocher au bon moment à la réussite scolaire et leur donner le sens de l'effort.
Patrick Poivre d'Arvor
Bien, j'ai pas eu le temps de terminer ma question, mais est-ce que vous imputez sa décision au fait que c'est le meilleur ami de Lionel Jospin ou au fait que, quand vous étiez ensemble, c'était votre ministre de tutelle et que vous n'aviez pas les rapports formidables, c'est une question personnelle à votre avis ?
Ségolène Royal
Excusez-moi, mais cette question ne m'intéresse pas. Je pense que les Français s'en moquent totalement. Je crois... Vous savez que j'ai été longtemps à les écouter avant de présenter mon projet, les Français aujourd'hui ont peur de bien autre chose. Ils ont peur des délocalisations, ils ont peur de la précarité. Ils n'arrivent plus à trouver un logement. Ils s'angoissent pour le chômage des jeunes. Ils se demandent comment les retraites vont être payées. Ils ne savent pas s'ils vont pouvoir encore accéder à la santé et comment les déficits vont être couverts. Voilà les questions qu'ils se posent.
Patrick Poivre d'Arvor
Alors, justement, puisque vous nous disiez que vous avez beaucoup étudié les Français, pendant ces fameux débats participatifs, vous nous disiez aussi que vous aviez trouvé quelques pépites de-ci, de-là. Quelles pépites avez-vous sorties que vous pourriez, qui vous a étonné même en tant que femme politique aguerrie et que vous pourriez annoncer dans les 40 jours qu'il nous reste ?
Ségolène Royal
Eh bien, par exemple, l'idée de créer un nouveau métier dans les établissements scolaires vient de ces débats participatifs. Un nouveau métier qui servira à la fois à éradiquer la violence, c'est-à-dire à mettre des adultes référents plus fréquents dans les écoles, dans les cours de récréation, aux alentours des établissements scolaires. Ce que disent les Français, ce qu'ils ont dit par rapport à la réussite scolaire, c'est qu'il fallait remettre massivement de la culture et du sport dans les collèges. Ils m'ont dit aussi, dans ces débats, qu'ils voulaient que la France sorte de cette logique de confrontations et d'affrontements et qu'il était temps de se tourner vers une logique d'abord de gagnant-gagnant, c'est-à-dire que si l'on donne des aides à certains, il faut que tout le monde puisse en profiter. Donc, ils rejettent, je crois, le système actuel que la France nous laisse aujourd'hui, que la droite nous laisse aujourd'hui, ce modèle où quelques-uns réussissent aux dépens du plus grand nombre. Ils ont dit aussi quelque chose de très vrai, que j'ai repris dans le pacte et que j'ai constaté aussi en tant que présidente de région dans les entreprises que c'était la sécurisation des salariés qui permettait la compétitivité des entreprises et pas l'inverse. On a, donc, aujourd'hui, une confrontation très claire, projet contre projet, d'un côté la droite et le candidat de la droite qui nous dit qu'en généralisant, par exemple, le CNE et en faisant de la précarité les entreprises vont être plus performantes parce qu'elles seront plus flexibles. C'est une vision des choses. Moi, je pense tout le contraire. Je crois que c'est en stabilisant les salariés, en leur donnant de la formation professionnelle que l'on aura aussi des salariés beaucoup plus motivés et donc des entreprises plus performantes. C'est donc un nouveau modèle économique et social.
Patrick Poivre d'Arvor
Alors, vision frontale, nous dites-vous, droite-gauche, mais vous oubliez qu'au milieu il y a maintenant un candidat du centre qui pèse solidement, il fait des propositions lui aussi. Parlons justement de l'emploi parce que c'est un sujet qui passionne les Français...
Ségolène Royal
Oui.
Patrick Poivre d'Arvor
...ça demeure même au coeur de cette campagne le sujet numéro 1. François Bayrou propose, par exemple, qu'il n'y ait pas de charges sociales sur les 2 premiers salaires dans une petite entreprise, ensuite qu'il y en ait. Alors, il n'a pas exactement détaillé pour l'instant le mécanisme, mais est-ce que vous pensez que c'est une solution qui peut être récupérée ? Comme ça, chacun peut picorer dans les programmes des autres, éventuellement, est-ce que ça vous paraît une bonne solution ? Pas de charges sociales, en tout cas, beaucoup alléger les charges sociales pour les 2 premiers emplois.
Ségolène Royal
Les économistes qui ont expérimenté cette proposition l'ont trouvée tout à fait dangereuse et inopérante. Pourquoi ? parce qu'elle crée des effets d'aubaine. Il y a des entreprises qui font des bénéfices, qui font des profits et qui peuvent parfaitement recruter et payer correctement les salariés.
Patrick Poivre d'Arvor
Il s'agit de toutes petites entreprises.
Ségolène Royal
Oui, mais ça peut quand même créer des... Alors, si c'est les toutes petites entreprises, ça ne va pas bien loin parce que je crois que ce qu'il faut aider ce sont les petites et moyennes entreprises, celles qui ont moins de 400 salariés, c'est-à-dire 60 % des salariés. Ce sont elles qui créent l'activité et l'emploi. Moi, ce que je propose, c'est qu'au contraire qu'on puisse cibler les aides aux entreprises. C'est aujourd'hui un paquet de 63 milliards d'euros avec beaucoup de gaspillages et d'effets d'aubaine, donc il faut redéployer ces aides vers les entreprises qui en ont besoin. Qui en ont besoin pour quoi faire ? Pour innover en créant des emplois, pour exporter, parce que c'est là que nous devons gagner aussi la bataille économique au regard de la mondialisation. Donc, il faut à la fois protéger les entreprises - moi, je veux aussi une Europe qui nous protège contre les délocalisations - et, en même temps, leur donner les moyens, grâce à la formation professionnelle, à l'investissement massif dans l'innovation et dans la recherche, en leur redonnant la confiance de conquérir des marchés étrangers et, donc, de créer des emplois. C'est ce que j'appelle " le nouveau compromis social ".
Patrick Poivre d'Arvor
Puisque vous parlez des économistes, quand ils nous regardent de l'étranger, ils sont parfois assez sévères. Il y en a aujourd'hui 5, 5 prix Nobel, anciens prix Nobel d'économie, qui sont Américains pour la plupart, qui nous jugent et qui disent que la France n'est pas du tout dans le coup et qui, pour certains d'entre eux, disent que les 35 h, selon eux, ont été un échec. C'est pas des gens d'extrême droite, Robert Solow a été conseiller de John Kennedy. Est-ce que vous êtes sûre qu'il ne faut pas faire un réexamen, je dirais, doctrinal de cette idée des 35 h ?
Ségolène Royal
Mais, il faut faire un réexamen doctrinal global. C'est vrai, vous avez raison, qu'aujourd'hui la France va mal, que le système économique est en panne, que les gens ont le sentiment d'être tirés vers le bas, qu'ils ont peur du déclassement. Donc, c'est cette spirale descendante qu'il faut absolument stopper. Moi, je veux stopper cette spirale descendante. Comment ? d'abord, en rénovant le dialogue social. Je crois que les pays du nord de l'Europe, comme la Suède ou le Danemark, qui ont réussi à la fois à lutter contre le chômage, à relever les bas salaires et à supprimer quasiment le nombre de journées de grève, ce sont les pays qui ont réussi à rétablir la confiance entre les entrepreneurs, les vrais, pas ceux qui font des délocalisations ou des licenciements boursiers, mais les vrais, ceux qui respectent leurs salariés et qui veulent maintenir les entreprises sur le territoire et les syndicats. Je crois que c'est en nouant ce dialogue, moi, je suis la seule à pouvoir renouer ce dialogue parce que j'ai la confiance des organisations syndicales. Je veux faire émerger dans le pays un syndicalisme responsable et représentatif. Quand je rencontre le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise, ils veulent aussi nouer un dialogue social de qualité qui leur permettra à la fois de conquérir une agilité économique et, en même temps, comme je donnerai par la réforme de la Sécurité sociale professionnelle la sécurité des revenus lorsque les salariés sont licenciés parce que l'entreprise a des difficultés et qu'elle n'a pas le temps de se consacrer à des plans sociaux difficiles ou à des journées de grève, moi, je vais sécuriser les salariés pour leur permettre d'avoir une nouvelle activité, une nouvelle formation. Donc, je vais aussi sécuriser l'entreprise pour qu'elle puisse conquérir des marchés et, donc, se rétablir.
Patrick Poivre d'Arvor
Je vous remercie, Ségolène Royal, d'avoir accepté de répondre à nos questions. Demain, ça sera Nicolas Sarkozy.