Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Ce matin, Michel BARNIER, Ministre délégué chargé des Affaires européennes, vous a présenté, au nom du Gouvernement français, les positions que la France défendra lors de la Conférence intergouvernementale qui va s'ouvrir, dans quelques jours à Turin.
Vous le savez, ces propositions que la France va soumettre à ses partenaires sont le fruit d'une réflexion approfondie qui s'est développée depuis plusieurs mois et qui a été ponctuée par une série d'entretiens que Monsieur le Président de la République a eus, notamment, avec un certain nombre d'entre vous. Je ne reviendrai pas en détail sur ces différents éléments de la position française, mais je souhaitais profiter de ce débat pour développer devant vous une rapide analyse des enjeux de la construction européenne et des objectifs que la France poursuit.
1 - Le véritable enjeu qui est devant nous aujourd'hui est de savoir si nous sommes décidés à combattre la tentation du déclin. Et c'est bien dans ces termes qu'il faut,
je crois poser le problème.
CONFERENCE :
Il règne une certaine confusion dans les esprits à l'approche de la conférence :
* certains s'accommodent par avance de l'échec, annoncé comme inéluctable, de cette rencontre;
* d'autres, au contraire, lui assignent des objectifs tellement ambitieux que la tâche paraît insurmontable.
Je crois que ces deux tentations sont également excessives et dangereuses, et je vous remercie de me donner aujourd'hui l'occasion de préciser devant vous ce qui, selon le Gouvernement, constitue les véritables enjeux de cette Conférence. L'Union européenne court, selon moi, à l'heure actuelle trois risques, et ce sont ces trois risques qu'il nous faut combattre.
Le premier, c'est le risque de dilution. Depuis la signature du Traité de Rome en 1957, que s'est-il passé ? Nous étions 6 États Membres très proches géographiquement, et culturellement formant un ensemble compact et nous voici maintenant 15, aussi différents les uns des autres que le Portugal de la Finlande, ou que l'lrlande de la Grèce. Cette évolution nous ne la regrettons pas, bien au contraire, et nous appelons même de nos voeux la poursuite de ce mouvement d'élargissement, jusqu'à donner corps à la vision de ceux qui, comme le Général De GAULLE, n'avaient jamais accepté la séparation de notre continent en deux camps ou en deux blocs.
- Mais nous avons longtemps négligé de tirer toutes les conséquences de ces élargissements successifs, passés ou à venir, quant aux modalités de fonctionnement de nos institutions. L'Europe est donc placée maintenant devant un risque grave, celui de la dilution et de la paralysie. C'est bien pour combattre ce risque que la France a élaboré une série de propositions qui vous ont été présentées tout à l'heure par Michel BARNIER, et qui portent sur le fonctionnement de chacune des institutions et sur les règles qui régissent leurs relations. Il est inutile que j'en reprenne devant vous l'exposé.
Le second risque que court notre Union européenne, c'est celui de l'effacement de la scène internationale. Pris individuellement, même les plus grands des États membres ont du mal à faire entendre leur voix sur les grands sujets géopolitiques; de même, en termes économiques ou démographiques, chacun de nous pèse de moins en moins lourd au fur et à mesure que se développent, et c'est une bonne chose, certains pays d'Asie ou d'Amérique Latine.
Si nous n'arrivons pas à parler chaque jour davantage d'une seule voix, à faire entendre un même message, à défendre ensemble les intérêts que nous avons en commun, je suis sûr que cette tendance à l'effacement s'accélérera inéluctablement.
Le second enjeu de la Conférence intergouvernementale est donc bien celui-là : permettre à l'Europe de résister victorieusement à la tendance, à l'effacement qu'elle subit dans un monde en pleine évolution et lui donner tous les moyens de conserver la place qui doit naturellement lui échoir. C'est la seconde des grandes préoccupations prises en compte lors de l'élaboration de nos positions.
Le troisième grand risque, c'est celui de la désaffection des citoyens. Dilution, effacement, désaffection. Au fur et à mesure que l'Europe s'est construite, elle a développé des politiques, elle a mis en place des procédures, elle a bâti tout une organisation dont, nous le voyons bien, le citoyen européen se sent absent. Vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Députés, en dépit des procédures et des mécanismes qui ont été peu à peu mis en place pour assurer votre information et améliorer votre contrôle, vous éprouvez, je le sais, une certaine difficulté à exercer un suivi régulier de toute l'activité communautaire.
J'en profite au passage pour évoquer une question évoquée à juste titre par le Président de notre commission des Lois, la question des hiérarchies des normes entre le droit communautaire et le droit national. Cette question mérite à l'évidence d'être posée. Certes, depuis 1958, il n'y a pas d'exemple où le conflit si souvent noué sans qu'il ait pu être résolu, le dispositif de l'article 88.4 de la Constitution est déjà une garantie importante et même décisive dans le sens souhaité par Monsieur Mazeaud.
Il faudrait aussi craindre, de nouveau, excusez-moi d'utiliser cette expression facile, une boite de Pandore, dans un sens qui ne serait peut-être pas toujours conforme à nos intérêts nationaux. Enfin j'ajoute que le compromis de Luxembourg auquel nous sommes très attachés et j'ai eu l'occasion de le répéter moi-même à la table du Conseil des ministres lorsque je dirigeais la diplomatie française, couvre en partie la préoccupation de Monsieur Mazeaud. Mais cela n'épuise pas le sujet et je pense et je répète que la question méritait d'être posée. Le gouvernement est tout à fait prêt a creuser cette idée en contact étroit avec le Président de la Commission des Lois.
Risque de désaffection, disais-je, ce n'est pas le moindre, parce qu'une Europe qui se coupe de ses citoyens n'a pas d'avenir et ne remplira pas l'objectif fondamental qui lui est assigné, à savoir être au service de la paix, de la prospérité et de la sécurité de ses citoyens. C'est le troisième grand enjeu de la Conférence intergouvernementale. Là encore, la France a élaboré des propositions à la fois imaginatives et raisonnables qui visent à renforcer la transparence et la démocratie dans le fonctionnement des Institutions européennes, notamment en y associant davantage les Parlements nationaux et en leur donnant un rôle nouveau à jouer dans le contrôle de principe de subsidiarité.
La dilution, l'effacement, la désaffection, ce sont là trois manifestations d'un risque de déclin, auquel il est parfois tentant de s'abandonner. Mais alors, le réveil est brutal, et les conséquences peuvent être irrattrapables. C'est en ces termes que se pose le débat : nous laisserons-nous gagner par cette tentation ou bien, une fois de plus, la France décidera-t-elle de prendre en main son destin et le destin de l'Union de l'Europe ?
Pour ma part, et le Gouvernement avec moi, nous avons choisi. Je souhaite que la France continue de prendre toute sa part à la construction d'une Europe plus prospère, plus sûre et plus proche des citoyens.
2 - Une France active dans une Europe plus prospère, plus sûre et plus proche
des citoyens.
De la même manière que j'entends parfois dire que la Conférence intergouvernementale n'a pas d'objet précis, j'entends également certains prétendre que la France n'a pas d'objectifs en matière européenne. Là encore, il s'agit d'une contrevérité.
L'axe principal de la politique européenne de la France, c'est de participer à la construction d'une Europe qui soit à la fois plus prospère, plus sûre et plus proche des citoyens. Je suis sûr que la Conférence intergouvernementale, si ses résultats sont à la hauteur des contributions que la France -et d'autres et notamment l'Allemagne avec elle- y fera, donnera à la construction européenne les moyens de réaliser cette ambition.
Mais cette Europe plus prospère, plus sûre et plus proche des citoyens, c'est tous les jours qu'elle se construit, et la Conférence intergouvernementale n'est qu'un des moyens dont nous disposons pour atteindre ce but.
Une Europe plus prospère, c'est une Europe plus compétitive, mieux insérée dans l'économie mondiale qui se développe sous nos yeux. La base de cette compétitivité européenne, c'est le marché unique à la condition, bien évidemment, que les conditions de concurrence à l'intérieur de ce grand marché soient équitables.
C'est pourquoi nous appelons de nos voeux la réalisation du grand projet qu'est la monnaie unique et dont j'ai eu l'occasion de vous parler ici même il y a quelques semaines. J'insiste à nouveau sur une condition que nous posons avec de plus en plus d'insistance vis-à-vis de Bruxelles, pour le temps de la monnaie unique, mais j'ajoute pour avant le temps de la monnaie unique aussi, c'est le respect des règles du jeu monétaire. Il n'est pas possible de faire fonctionner un grand marché unique entre des monnaies qui jouent pleinement le jeu de la stabilité et des monnaies qui pratiquent des dévaluations dites compétitives. Cette situation ne peut pas être tolérée plus longtemps ni avant le passage de la troisième phase. J'ai en ce sens écrit plusieurs fois au Président de la Commission de Bruxelles. Les réponses que j'ai reçues - même si elles marquent le début d'une prise de conscience - ne me satisfont pas et j'ai demandé aux membres compétents du Gouvernement de revenir à la charge et de faire des propositions concrètes. Parmi ces propositions, l'une a été exposée à cette tribune par le ministre de l'industrie, je la trouve très pertinente : elle consiste à dire que les aides communautaires au minimum ne doivent pas être payées en monnaie forte mais en monnaie nationale pour ne pas permettre à la fois de tirer les bénéfices de la dévaluation compétitive et de gagner en même temps sur le paiement de la monnaie forte. Il y a là le beurre et l'argent du beurre. Je le répète ! Ça n'est pas équitable et ça n'est pas juste.
C'est également pourquoi le Gouvernement français se bat avec acharnement pour que soient pris en compte les effets pervers des fluctuations monétaires qui perturbent le bon fonctionnement de ce marché unique.
Une Europe plus sûre, c'est une Europe dans laquelle la liberté de circulation est garantie mais dans laquelle les trafics, la criminalité organisée, l'immigration illégale, la délinquance sont combattus avec détermination et ténacité. Certains se sont émus que j'aie participé ce matin à d'autres activités qu'au débat de votre Assemblée et je voulais seulement dire qu'il y avait là le président de la République d'Albanie, le Premier ministre Turc, et toute une série de Premiers ministres importants de démocraties d'Europe centrale et orientale et je pense qu'il n'était pas inutile que la France y fût. J'ai pu prendre conscience de cette volonté de lutter contre l'insécurité en Europe, contre la criminalité organisée, contre les trafics, contre la toxicomanie, contre l'immigration illégale, contre la délinquance. C'est aussi une dimension de la construction européenne et sans doute la plus propre à toucher les Françaises et les Français dans leur coeur et dans leur vie quotidienne.
Une Europe plus sûre, c'est donc une Europe dans laquelle les États membres coopèrent de manière efficace et résolue pour lutter contre ces fléaux dont le développement est un véritable défi pour nos sociétés démocratiques.
Mais une Europe plus sûre, c'est également une Europe capable de se défendre vis-à-vis de l'extérieur et c'est une Europe capable de défendre ses intérêts, y compris en dehors de ses frontières. Il n'y a pas d'existence internationale s'il n'y a pas une capacité d'assurer la défense et la sécurité de cette entité internationale: c'est là tout l'enjeu de la constitution d'une véritable politique de défense commune. La France en fait un de ses grands buts pour les années qui viennent. Le président de la République a d'ores et déjà pris toute une série d'initiatives en ce sens, d'abord en remettant à plat notre outil de défense, ensuite en relançant un certain nombre d'initiatives dans le cadre de l'Union de l'Europe Occidentale ou pour la modernisation du Traité de l'Atlantique Nord.
Enfin, l'Europe que nous voulons, c'est aussi et c'est surtout une Europe plus proche des citoyens : à quoi servirait une Europe plus prospère, si chacun d'entre nous devrait être confronté à une précarité croissante ? A quoi servirait une Europe plus sûre, si elle ne se préoccupait pas aussi de protéger les plus faibles de ses citoyens contre les aléas de la vie ?
Il est donc essentiel de garder présent à l'esprit l'objet principal de la construction européenne, qui est de permettre aux États membres de préserver et de développer un modèle économique et social fondé sur des valeurs auxquelles nous tenons tous. La dimension sociale de la construction européenne est insuffisante et l'une des initiatives fortes du président de la République sera de relancer le débat sur ce sujet qui fait partie intégrante de nos valeurs que nous avons en commun entre démocraties européennes. Ces valeurs essentielles que l'Europe doit et peut contribuer à défendre et à protéger, ce sont celles de la protection sociale, du droit d'accès de chacun à des services collectifs de qualité, de l'accès de tous à la culture, de la démocratie et des droits de l'homme. Cela aussi et pas uniquement la concurrence ou le grand marché, c'est l'Europe.
C'est dans cette Europe-là que la France peut et doit prendre toute sa place. Tel est le sens des propositions qui seront avancées à Turin par Hervé de CHARETTE et Michel BARNIER. Je pense en particulier à l'idée d'instituer dans le Traité une clause générale permettant la mise en oeuvre de solidarités renforcées entre les États qui souhaitent aller plus vite et plus loin ensemble. Solidarités renforcées : notion qui est tout à fait étrangère à l'idée de noyau dur en ce sens qu'elles n'excluent personne et qu'elles ont vocation au contraire à accueillir progressivement tous ceux qui rejoindront le peloton de tête.
Notre conception du rôle de la France en Europe, c'est précisément que nous soyons toujours dans le peloton de tête, même si c'est exigeant, même si cela implique des disciplines financières et budgétaires et, qu'en compagnie de l'Allemagne, nous puissions être à la base de ces solidarités renforcées dont la nécessité se fera de plus en plus éclatante dans les années qui viennent. Ceci nécessitera de notre part une attitude permanente de vigilance et d'ouverture, et je sais que la majorité y engagera et y soutiendra le Gouvernement.
Nous avons le choix entre le repli et le grand large. Le repli est confortable à court terme. Il peut même nous garantir, pendant quelque temps, un certain confort matériel, mais il n'est pas porteur d'avenir. La grande Europe, c'est un dessein difficile, c'est une ambition qui exige des efforts - nous y sommes - mais c'est à la fois un but conforme à la vocation de notre pays et à l'intérêt profond des Françaises et des Français, de la paix, de la prospérité, de la stabilité. C'est là que se décide le monde que nous laisserons à nos enfants.
(source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)
Mesdames et Messieurs les Députés,
Ce matin, Michel BARNIER, Ministre délégué chargé des Affaires européennes, vous a présenté, au nom du Gouvernement français, les positions que la France défendra lors de la Conférence intergouvernementale qui va s'ouvrir, dans quelques jours à Turin.
Vous le savez, ces propositions que la France va soumettre à ses partenaires sont le fruit d'une réflexion approfondie qui s'est développée depuis plusieurs mois et qui a été ponctuée par une série d'entretiens que Monsieur le Président de la République a eus, notamment, avec un certain nombre d'entre vous. Je ne reviendrai pas en détail sur ces différents éléments de la position française, mais je souhaitais profiter de ce débat pour développer devant vous une rapide analyse des enjeux de la construction européenne et des objectifs que la France poursuit.
1 - Le véritable enjeu qui est devant nous aujourd'hui est de savoir si nous sommes décidés à combattre la tentation du déclin. Et c'est bien dans ces termes qu'il faut,
je crois poser le problème.
CONFERENCE :
Il règne une certaine confusion dans les esprits à l'approche de la conférence :
* certains s'accommodent par avance de l'échec, annoncé comme inéluctable, de cette rencontre;
* d'autres, au contraire, lui assignent des objectifs tellement ambitieux que la tâche paraît insurmontable.
Je crois que ces deux tentations sont également excessives et dangereuses, et je vous remercie de me donner aujourd'hui l'occasion de préciser devant vous ce qui, selon le Gouvernement, constitue les véritables enjeux de cette Conférence. L'Union européenne court, selon moi, à l'heure actuelle trois risques, et ce sont ces trois risques qu'il nous faut combattre.
Le premier, c'est le risque de dilution. Depuis la signature du Traité de Rome en 1957, que s'est-il passé ? Nous étions 6 États Membres très proches géographiquement, et culturellement formant un ensemble compact et nous voici maintenant 15, aussi différents les uns des autres que le Portugal de la Finlande, ou que l'lrlande de la Grèce. Cette évolution nous ne la regrettons pas, bien au contraire, et nous appelons même de nos voeux la poursuite de ce mouvement d'élargissement, jusqu'à donner corps à la vision de ceux qui, comme le Général De GAULLE, n'avaient jamais accepté la séparation de notre continent en deux camps ou en deux blocs.
- Mais nous avons longtemps négligé de tirer toutes les conséquences de ces élargissements successifs, passés ou à venir, quant aux modalités de fonctionnement de nos institutions. L'Europe est donc placée maintenant devant un risque grave, celui de la dilution et de la paralysie. C'est bien pour combattre ce risque que la France a élaboré une série de propositions qui vous ont été présentées tout à l'heure par Michel BARNIER, et qui portent sur le fonctionnement de chacune des institutions et sur les règles qui régissent leurs relations. Il est inutile que j'en reprenne devant vous l'exposé.
Le second risque que court notre Union européenne, c'est celui de l'effacement de la scène internationale. Pris individuellement, même les plus grands des États membres ont du mal à faire entendre leur voix sur les grands sujets géopolitiques; de même, en termes économiques ou démographiques, chacun de nous pèse de moins en moins lourd au fur et à mesure que se développent, et c'est une bonne chose, certains pays d'Asie ou d'Amérique Latine.
Si nous n'arrivons pas à parler chaque jour davantage d'une seule voix, à faire entendre un même message, à défendre ensemble les intérêts que nous avons en commun, je suis sûr que cette tendance à l'effacement s'accélérera inéluctablement.
Le second enjeu de la Conférence intergouvernementale est donc bien celui-là : permettre à l'Europe de résister victorieusement à la tendance, à l'effacement qu'elle subit dans un monde en pleine évolution et lui donner tous les moyens de conserver la place qui doit naturellement lui échoir. C'est la seconde des grandes préoccupations prises en compte lors de l'élaboration de nos positions.
Le troisième grand risque, c'est celui de la désaffection des citoyens. Dilution, effacement, désaffection. Au fur et à mesure que l'Europe s'est construite, elle a développé des politiques, elle a mis en place des procédures, elle a bâti tout une organisation dont, nous le voyons bien, le citoyen européen se sent absent. Vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Députés, en dépit des procédures et des mécanismes qui ont été peu à peu mis en place pour assurer votre information et améliorer votre contrôle, vous éprouvez, je le sais, une certaine difficulté à exercer un suivi régulier de toute l'activité communautaire.
J'en profite au passage pour évoquer une question évoquée à juste titre par le Président de notre commission des Lois, la question des hiérarchies des normes entre le droit communautaire et le droit national. Cette question mérite à l'évidence d'être posée. Certes, depuis 1958, il n'y a pas d'exemple où le conflit si souvent noué sans qu'il ait pu être résolu, le dispositif de l'article 88.4 de la Constitution est déjà une garantie importante et même décisive dans le sens souhaité par Monsieur Mazeaud.
Il faudrait aussi craindre, de nouveau, excusez-moi d'utiliser cette expression facile, une boite de Pandore, dans un sens qui ne serait peut-être pas toujours conforme à nos intérêts nationaux. Enfin j'ajoute que le compromis de Luxembourg auquel nous sommes très attachés et j'ai eu l'occasion de le répéter moi-même à la table du Conseil des ministres lorsque je dirigeais la diplomatie française, couvre en partie la préoccupation de Monsieur Mazeaud. Mais cela n'épuise pas le sujet et je pense et je répète que la question méritait d'être posée. Le gouvernement est tout à fait prêt a creuser cette idée en contact étroit avec le Président de la Commission des Lois.
Risque de désaffection, disais-je, ce n'est pas le moindre, parce qu'une Europe qui se coupe de ses citoyens n'a pas d'avenir et ne remplira pas l'objectif fondamental qui lui est assigné, à savoir être au service de la paix, de la prospérité et de la sécurité de ses citoyens. C'est le troisième grand enjeu de la Conférence intergouvernementale. Là encore, la France a élaboré des propositions à la fois imaginatives et raisonnables qui visent à renforcer la transparence et la démocratie dans le fonctionnement des Institutions européennes, notamment en y associant davantage les Parlements nationaux et en leur donnant un rôle nouveau à jouer dans le contrôle de principe de subsidiarité.
La dilution, l'effacement, la désaffection, ce sont là trois manifestations d'un risque de déclin, auquel il est parfois tentant de s'abandonner. Mais alors, le réveil est brutal, et les conséquences peuvent être irrattrapables. C'est en ces termes que se pose le débat : nous laisserons-nous gagner par cette tentation ou bien, une fois de plus, la France décidera-t-elle de prendre en main son destin et le destin de l'Union de l'Europe ?
Pour ma part, et le Gouvernement avec moi, nous avons choisi. Je souhaite que la France continue de prendre toute sa part à la construction d'une Europe plus prospère, plus sûre et plus proche des citoyens.
2 - Une France active dans une Europe plus prospère, plus sûre et plus proche
des citoyens.
De la même manière que j'entends parfois dire que la Conférence intergouvernementale n'a pas d'objet précis, j'entends également certains prétendre que la France n'a pas d'objectifs en matière européenne. Là encore, il s'agit d'une contrevérité.
L'axe principal de la politique européenne de la France, c'est de participer à la construction d'une Europe qui soit à la fois plus prospère, plus sûre et plus proche des citoyens. Je suis sûr que la Conférence intergouvernementale, si ses résultats sont à la hauteur des contributions que la France -et d'autres et notamment l'Allemagne avec elle- y fera, donnera à la construction européenne les moyens de réaliser cette ambition.
Mais cette Europe plus prospère, plus sûre et plus proche des citoyens, c'est tous les jours qu'elle se construit, et la Conférence intergouvernementale n'est qu'un des moyens dont nous disposons pour atteindre ce but.
Une Europe plus prospère, c'est une Europe plus compétitive, mieux insérée dans l'économie mondiale qui se développe sous nos yeux. La base de cette compétitivité européenne, c'est le marché unique à la condition, bien évidemment, que les conditions de concurrence à l'intérieur de ce grand marché soient équitables.
C'est pourquoi nous appelons de nos voeux la réalisation du grand projet qu'est la monnaie unique et dont j'ai eu l'occasion de vous parler ici même il y a quelques semaines. J'insiste à nouveau sur une condition que nous posons avec de plus en plus d'insistance vis-à-vis de Bruxelles, pour le temps de la monnaie unique, mais j'ajoute pour avant le temps de la monnaie unique aussi, c'est le respect des règles du jeu monétaire. Il n'est pas possible de faire fonctionner un grand marché unique entre des monnaies qui jouent pleinement le jeu de la stabilité et des monnaies qui pratiquent des dévaluations dites compétitives. Cette situation ne peut pas être tolérée plus longtemps ni avant le passage de la troisième phase. J'ai en ce sens écrit plusieurs fois au Président de la Commission de Bruxelles. Les réponses que j'ai reçues - même si elles marquent le début d'une prise de conscience - ne me satisfont pas et j'ai demandé aux membres compétents du Gouvernement de revenir à la charge et de faire des propositions concrètes. Parmi ces propositions, l'une a été exposée à cette tribune par le ministre de l'industrie, je la trouve très pertinente : elle consiste à dire que les aides communautaires au minimum ne doivent pas être payées en monnaie forte mais en monnaie nationale pour ne pas permettre à la fois de tirer les bénéfices de la dévaluation compétitive et de gagner en même temps sur le paiement de la monnaie forte. Il y a là le beurre et l'argent du beurre. Je le répète ! Ça n'est pas équitable et ça n'est pas juste.
C'est également pourquoi le Gouvernement français se bat avec acharnement pour que soient pris en compte les effets pervers des fluctuations monétaires qui perturbent le bon fonctionnement de ce marché unique.
Une Europe plus sûre, c'est une Europe dans laquelle la liberté de circulation est garantie mais dans laquelle les trafics, la criminalité organisée, l'immigration illégale, la délinquance sont combattus avec détermination et ténacité. Certains se sont émus que j'aie participé ce matin à d'autres activités qu'au débat de votre Assemblée et je voulais seulement dire qu'il y avait là le président de la République d'Albanie, le Premier ministre Turc, et toute une série de Premiers ministres importants de démocraties d'Europe centrale et orientale et je pense qu'il n'était pas inutile que la France y fût. J'ai pu prendre conscience de cette volonté de lutter contre l'insécurité en Europe, contre la criminalité organisée, contre les trafics, contre la toxicomanie, contre l'immigration illégale, contre la délinquance. C'est aussi une dimension de la construction européenne et sans doute la plus propre à toucher les Françaises et les Français dans leur coeur et dans leur vie quotidienne.
Une Europe plus sûre, c'est donc une Europe dans laquelle les États membres coopèrent de manière efficace et résolue pour lutter contre ces fléaux dont le développement est un véritable défi pour nos sociétés démocratiques.
Mais une Europe plus sûre, c'est également une Europe capable de se défendre vis-à-vis de l'extérieur et c'est une Europe capable de défendre ses intérêts, y compris en dehors de ses frontières. Il n'y a pas d'existence internationale s'il n'y a pas une capacité d'assurer la défense et la sécurité de cette entité internationale: c'est là tout l'enjeu de la constitution d'une véritable politique de défense commune. La France en fait un de ses grands buts pour les années qui viennent. Le président de la République a d'ores et déjà pris toute une série d'initiatives en ce sens, d'abord en remettant à plat notre outil de défense, ensuite en relançant un certain nombre d'initiatives dans le cadre de l'Union de l'Europe Occidentale ou pour la modernisation du Traité de l'Atlantique Nord.
Enfin, l'Europe que nous voulons, c'est aussi et c'est surtout une Europe plus proche des citoyens : à quoi servirait une Europe plus prospère, si chacun d'entre nous devrait être confronté à une précarité croissante ? A quoi servirait une Europe plus sûre, si elle ne se préoccupait pas aussi de protéger les plus faibles de ses citoyens contre les aléas de la vie ?
Il est donc essentiel de garder présent à l'esprit l'objet principal de la construction européenne, qui est de permettre aux États membres de préserver et de développer un modèle économique et social fondé sur des valeurs auxquelles nous tenons tous. La dimension sociale de la construction européenne est insuffisante et l'une des initiatives fortes du président de la République sera de relancer le débat sur ce sujet qui fait partie intégrante de nos valeurs que nous avons en commun entre démocraties européennes. Ces valeurs essentielles que l'Europe doit et peut contribuer à défendre et à protéger, ce sont celles de la protection sociale, du droit d'accès de chacun à des services collectifs de qualité, de l'accès de tous à la culture, de la démocratie et des droits de l'homme. Cela aussi et pas uniquement la concurrence ou le grand marché, c'est l'Europe.
C'est dans cette Europe-là que la France peut et doit prendre toute sa place. Tel est le sens des propositions qui seront avancées à Turin par Hervé de CHARETTE et Michel BARNIER. Je pense en particulier à l'idée d'instituer dans le Traité une clause générale permettant la mise en oeuvre de solidarités renforcées entre les États qui souhaitent aller plus vite et plus loin ensemble. Solidarités renforcées : notion qui est tout à fait étrangère à l'idée de noyau dur en ce sens qu'elles n'excluent personne et qu'elles ont vocation au contraire à accueillir progressivement tous ceux qui rejoindront le peloton de tête.
Notre conception du rôle de la France en Europe, c'est précisément que nous soyons toujours dans le peloton de tête, même si c'est exigeant, même si cela implique des disciplines financières et budgétaires et, qu'en compagnie de l'Allemagne, nous puissions être à la base de ces solidarités renforcées dont la nécessité se fera de plus en plus éclatante dans les années qui viennent. Ceci nécessitera de notre part une attitude permanente de vigilance et d'ouverture, et je sais que la majorité y engagera et y soutiendra le Gouvernement.
Nous avons le choix entre le repli et le grand large. Le repli est confortable à court terme. Il peut même nous garantir, pendant quelque temps, un certain confort matériel, mais il n'est pas porteur d'avenir. La grande Europe, c'est un dessein difficile, c'est une ambition qui exige des efforts - nous y sommes - mais c'est à la fois un but conforme à la vocation de notre pays et à l'intérêt profond des Françaises et des Français, de la paix, de la prospérité, de la stabilité. C'est là que se décide le monde que nous laisserons à nos enfants.
(source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)