Entretien de Mmme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, avec I-Télé le 26 mars 2007, sur l'avenir de la construction européenne, notamment dans le domaine institutionnel.

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Circonstance : Commémorations du cinquantième anniversaire du Traité de Rome, le 25 mars 2007

Média : Itélé

Texte intégral

Q - A 50 ans la communauté européenne est malade, en tout cas affaiblie, repliée sur l'esprit national. Peut-on la sortir de ce coma ? Nous posons la question ce soir à la ministre française déléguée aux Affaires européennes, Catherine Colonna, qui nous fait le plaisir d'être avec nous ce soir. Merci Catherine Colonna.
R - Bonsoir.
Q - Catherine Colonna qui est une habituée de Bruxelles, une connaisseuse de l'Europe qui a longtemps travaillé sur ces dossiers et que l'on a connue également comme porte-parole de Jacques Chirac. Catherine Colonna, quand vous lisez, quand vous ressentez, quand vous auscultez le désaveu français que l'on a perçu à travers le "non" à la constitution, le désamour des Français vis-à-vis de l'Europe, est-ce que vous faites l'autocritique des hommes et des femmes politique de votre génération pour vous dire "nous avons tout de même une part de responsabilité vu ce à quoi nous sommes arrivés" ?
R - Bien sûr, il faut la faire. Il y a eu une énorme incompréhension qui s'est établie entre le projet européen comme nous le présentions au peuple, qui l'aide et qui le protège, et ce qu'il en a perçu. Nous avons tous une part de responsabilité. Maintenant, de là à dire que nous avons fait une bonne affaire en votant "non" au référendum, il y a un pas que je ne franchirai pas. Je pense que nous devons reprendre les choses au début, et ce que nous avons vu tout à l'heure et la réunion de Berlin nous aident à mettre un peu les choses en perspective, comme nous ne le faisions plus assez. Finalement que veut-on ? Quel est notre intérêt ? Est-ce que notre intérêt est de rester au milieu du gué ou de faire une Europe efficace, qui marche ? Je vois les images de Berlin...
Q - ...Vous y étiez ?
R - J'étais là-bas. C'était une belle journée pour l'Europe. D'ailleurs, il faisait beau, le soleil était rayonnant. Et nous voyons quoi ? Nous voyons 27 pays européens, unis, devant la porte de Brandebourg et, de l'autre côté de la porte, il y avait le Mur, il n'y a pas si longtemps.
Q - Et l'on se dit, l'Europe c'est aussi cela.
R - C'est cela et cela a fait de grandes choses, cela nous a bien aidé, et nous ferions mieux de lui dire merci. Et nous ferions mieux de trouver l'énergie maintenant pour vouloir qu'elle continue à nous aider à relever les défis d'aujourd'hui.
Q - Nous parlions de Berlin, nous allons rappeler ce qui s'est passé là-bas, ce qui s'y est dit, et nous nous retrouvons juste après pour décortiquer cette crise européenne.
- reportage -
Nous avons posé tous les problèmes, nous allons revenir sur chacun d'entre eux. Est-ce que Angela Merkel est saoûlée par l'euphorie de l'anniversaire pour dire que nous allons arriver à un nouveau traité d'ici 2009 ? Une feuille de route en juin ? Comment cela va être possible ?
R - Une feuille de route en juin, pas forcément un nouveau traité en juin. Il faut faire vite. Il y a urgence à donner maintenant des institutions rénovées à l'Europe parce que le mécanisme de prise de décisions à 27 est un peu grippé. Mais ce n'était pas "l'euphorie" : c'étaient des mots justes, elle a trouvé les mots qu'il fallait pour que nous nous mobilisions davantage pour que l'Europe avance.
Q - Mais les mots ne suffisent pas, maintenant nous faisons comment ?
R - Les mots ne suffisent pas, donc une décision importante a été prise : se donner pour objectif d'avoir une feuille de route claire sur la question des institutions en juin de cette année.
Q - C'est le joli mot pour ne pas dire "projet de constitution", la feuille de route ?
R - Il y a plusieurs étapes. Il faut savoir ce que nous voulons, cela va être la feuille de route. Savoir comment nous le faisons, cela est aussi la feuille de route. Et, ensuite, avoir la fin de l'année 2007, et peut-être un peu de l'année 2008, consacrée à élaborer un nouveau texte, plus simple, centré sur les mécanismes de décisions, c'est ce qu'il faut faire en priorité. Et, si nous le pouvons, un nouveau traité sera là pour les élections européennes de 2009.
Q - Si le candidat de la droite remporte l'élection présidentielle en France, est-ce qu'il s'engage, est-ce que les gens qui travaillent avec lui sur l'Europe s'engagent à faire en sorte que ce projet de texte soit porté devant les Français ou soit une priorité sur laquelle nous travaillerons tout de suite, dès son élection ?
R - Quand il y aura un texte, le président de la République qui sera en fonction à ce moment là prendra une décision, mais aujourd'hui cela n'a pas de sens. Cela n'a pas de sens, par avance et sans savoir ce que sera le texte auquel les Vingt-Sept seront parvenus, de s'engager dans l'abstrait. La priorité, ce n'est pas cela. C'est de dire comment nous faisons, maintenant, pour renouer un consensus à 27. Des pays différents, qui ont perdu un peu d'ambition européenne, qui viennent de renouer, je l'espère, avec l'esprit européen et qui vont devoir faire ce travail, en repartant, non pas de zéro mais d'un texte qu'il va falloir amender, pour en garder certaines choses, en réserver d'autres pour plus tard. C'est cela la priorité, faisons-le et faisons-le vite parce que l'Europe a du mal à fonctionner efficacement. Ensuite, le moment venu, eh bien le président de la République prendra sa décision.
Q - Comment, quand on est un homme ou une femme politique on va expliquer aux Français qu'ils ont dit "non" il y a quelques mois et que finalement on va leur re-proposer un texte qui, vous le dites vous-même, gardera un peu du précédent parce que finalement ce n'était pas si mal et que leur vote finalement était une formalité pas si importante que cela. Comment allons-nous faire accepter ça, politiquement ?
R - Ce ne sera pas le même texte qui sera proposé, ni aux Français, ni aux autres peuples européens. Il y a un certain nombre de choses dans le débat référendaire qui n'avaient pas posé de problème. Il y en a d'autres qui ont été plus discutées, souvent, vous le savez bien, avec des mensonges - j'utilise le mot - et des polémiques. Alors, il faut reprendre le travail, c'est vrai. Ce vote s'impose à nous tous. Nous en avons pris acte. Il s'impose aussi à nos partenaires, et, maintenant nous allons chercher à recréer un consensus à 27. Qu'est-ce qui peut, aujourd'hui, unir les Vingt-sept ? Je dis depuis plusieurs mois qu'il va falloir faire les choses par étapes. Soyons pragmatiques, soyons simples. Dans un premier temps, il nous faut d'abord et avant tout un mécanisme de décision rénové. Les politiques, nous pouvons les voir dans un second temps ; les ambitions globales de l'Europe pour le monde de demain si nous pouvons le faire tout de suite, très bien, sinon nous le ferons dans une démarche plus globale plus tard. Rapidement, il faut un mécanisme de prise de décisions.
Q - Parce que cela ne marche pas ?
R - Vous le savez, bien souvent, nous sommes encore à l'unanimité. Et donc, lorsque nous sommes 27 et que nous sommes à l'unanimité, il peut y avoir un pays ou deux qui ne sont pas d'accord et qui empêchent les autres d'avancer, cela n'est pas possible. Il faut que nous puissions avancer. Il faut que l'Europe, dans un monde qui va vite et qui va de plus en plus vite, puisse, elle aussi, s'adapter et prendre des décisions.
Q - Nous avons vu ensemble dans les images précédentes, le président Kaczynski, le président polonais, n'avait pas l'air très ravi de ce que disait Angela Merkel. Vaclav Klaus, le président tchèque aussi, qui a dit " la chancellière Angela Merkel rêve quand elle parle d'un traité ". Au-delà du scepticisme, et parfois du nationalisme qui revient à l'est de l'Europe, quand on voit, chez nous, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal qui se disputent le drapeau français, quand on parle d'identité nationale et si on prend tous ces éléments ensemble, est-ce qu'il n'y a pas en Europe même une vraie crise d'identité traversée par des crises nationales, des crises souverainistes si on peut dire, qui sont bien plus que des épiphénomènes quand on les met côte à côte. Est-ce qu'on est dans quelque chose de plus long que des petites crises comme cela ? Qui iraient de Paris à Varsovie ?
R - Il y a eu une période de doutes qui a traversé toute l'Europe après le référendum français, la France était peut-être la manifestation plus que la cause d'un malaise européen. Néanmoins je dois dire que vous avez cité deux présidents de deux pays amis mais qui ne sont pas connus pour être, ni l'un, ni l'autre, très pro-européens...
Q - ...Qui sont la Pologne, la République tchèque, qui sont entrés, qui comptent !
R - Je ne vais pas comparer ni Ségolène Royal, ni Nicolas Sarkozy au président Kaczynski ou au président tchèque, Vaclav Klaus qui a des idées assez particulières sur l'Europe ! Ce que l'on constate est un peu différent. Nos hommes politiques, parfois, et nos femmes politiques peut-être davantage encore, hésitent à s'engager sur l'Europe, parce que l'Europe est un sujet difficile.
Q - Malgré 2002, cela continue, c'est cela qui est terrible !
R - Cela continue. C'est en soi un sujet qui est parfois difficile à expliquer. Nous en parlons par le mauvais bout - si je puis dire - c'est-à-dire les institutions, les traités et pas pour ce qu'elle fait, ce qu'elle nous permet de faire. Alors il faut remettre les choses, de temps en temps, en perspective comme Berlin nous a fourni l'occasion de le faire. Et puis le référendum est une difficulté supplémentaire : comment parler d'Europe aujourd'hui, sans retomber dans les errances de la polémique que l'on a connue, et en essayant de réconcilier les Français avec ce projet européen ? Il faut assumer. L'Europe a fait de très bonnes choses pour nous depuis 50 ans. Notre avenir est en Europe, si elle réussit, nous réussirons, si elle ne réussit pas, nous ne réussirons pas. Alors une fois pour toute, il faut que l'on se dise, être Français, être Européen, c'est pareil. Il n'y a pas à choisir entre les deux. Et il n'y a pas d'avenir en dehors de l'Europe.
Q - On a l'impression que c'est cela dans la campagne électorale française, l'identité française est comme coupée de l'identité européenne.
R - Je suis Tourangelle et Française, je suis Française et Européenne, c'est la même chose. Il n'y a pas à choisir entre les deux. L'un nous aide comme l'autre. Et en dehors de l'Europe, quelle serait, aujourd'hui, notre situation ?
Q - C'est peut-être cela qu'il faut dire.
R - Et je le dis.
Q - Est-ce que François Bayrou - Jean-Marie Le Pen a réussi à trouver des propos péjoratifs pour parler de ses convictions européennes, il l'a traité d'européiste -, est-ce que finalement, Bayrou, n'est pas le seul candidat à parler vraiment d'Europe dans cette campagne, ou en tout cas avec des positions affirmées et qu'il assume ?
R - "Européiste" n'est pas un gros mot, les Espagnols l'emploient...
Q - En tout cas lui le disait sur un ton péjoratif.
R - Il n'y a pas de quoi en faire un gros mot. En revanche, ceux qui ont toujours critiqué l'Europe, qui n'ont voté aucun des traités et qui se prétendent, comme souvent, être de bons européens, non, c'est une imposture et il faut la dénoncer. Européiste, pas européiste, l'avenir de notre pays est européen. Jusqu'ici, qui a parlé d'Europe ? Vous parliez de François Bayrou, il en a parlé un peu tard, peut-être même le plus tardivement, curieusement, des trois principaux candidats, je ne parle pas de Jean-Marie Le Pen, je le mets à part.
Q - En tous cas quand on parle de l'Europe dans cette campagne, c'est pour en dire du mal. L'euro fort, la mondialisation sur laquelle on ne peut rien faire...
R - Ce n'est pas exact. En tout cas pas tout le temps. Tout d'abord Nicolas Sarkozy est le seul à en avoir parlé depuis longtemps, de façon précise en faisant des propositions précises. La candidate socialiste est plus gênée, nous comprenons pourquoi, le parti socialiste était beaucoup divisé et donc elle ne touche pas beaucoup au sujet, et elle n'a pas, peut-être, d'idées bien concrètes. L'Europe reste un sujet difficile. Je pense et je le dis qu'il faut en parler, que la pire des choses est de ne pas en parler. Les Français peuvent comprendre, traitons-les en adultes et assumons d'avoir fait l'Europe. On ne va pas s'excuser de l'avoir faite tout de même !
Q - Benoît XVI vient de dire qu'il faut assumer les racines chrétiennes de l'Europe, si on ne les assume pas, on renie son histoire, l'Europe s'autodétruit, enfin bref, il a des propos très durs. Est-ce que au-delà des racines chrétiennes de l'Europe le fait de ne pas avoir vraiment d'identité européenne affirmée, d'être 27, d'avoir un tas d'opinions tranchées, de ne pas assumer son histoire, parce que dire que nous avons des racines chrétiennes, forcément cela peut faire polémique, est ce que cela explique le désamour ou la difficulté d'adhésion à l'idée européenne ? C'est une longue question et la réponse doit être très courte.
R - La réponse doit être très courte ! Nous sommes 27, nous partons de très loin les uns et les autres, et souvent d'histoires différentes, de passés plus ou moins heureux, une partie des pays qui sont aujourd'hui dans l'Europe, il y a 15 ans encore, étaient de l'autre côté du rideau de fer. Il faut faire cette unité. Nous l'avons fait progressivement. Arrêtons, arrêtons de dire que l'Europe ne marche pas, elle ne marche peut-être pas assez bien, mais elle nous unit. Et nous nous rapprochons. Il y a un modèle européen, il essaye de concilier la liberté et la sécurité, l'économique et le social, c'est cela son génie.
Q - Jacques Chirac a eu sa chope de bière du XVIIIème siècle offerte par Angela Merkel, vous ne l'avez pas vue ?
R - Je ne l'ai pas vue, mais je sais que le symbole n'est pas tant dans la chope de bière que dans le couvercle : 1789, les Lumières, la Révolution !
Q - Jacques Chirac était ému pour son dernier sommet européen ?
R - Il ne le montre pas.
Q - Il paraît qu'il avait une larme à la fin de cette journée ?
R - Je ne l'ai pas observé, il a parlé sans sentimentalisme comme il l'a dit, et moi qui le connais bien, je peux vous dire que c'est quelqu'un qui ne regarde pas vers le passé.
Q - C'était un Européen convaincu, vous l'avez perçu comme cela ? Vous avez travaillé avec lui sur ces questions.
R - Il a beaucoup fait pour l'Europe. Ce bilan positif qui est le sien - de l'euro à l'Europe de la défense, à l'élargissement qui est une oeuvre historique -, on le reconnaîtra.
Q - Et le référendum...
R - Nous allons dépasser les difficultés.
Q - Merci Catherine Colonna d'avoir été avec nous. Catherine Colonna, ministre des Affaires européennes qui était avec nous pour faire le point sur l'Union européenne en ce 50ème anniversaire du Traité de Rome.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mars 2007