Déclaration de M. Claude Goasguen, vice-président et porte-parole de Démocratie libérale, lors du débat sur l'épargne salariale, à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,
Depuis plusieurs décennies, une idée court dans les milieux intellectuels et économiques, mais elle court peu dans les milieux politiques : c'est l'idée de la participation. On en parle beaucoup et on en fait peu.
Nous avions pensé que cette idée juste, indispensable à l'efficacité de l'économie française, pourrait trouver dans un texte une juste concrétisation. Renforcer l'épargne salariale semble dorénavant fait l'unanimité - ou à peu de choses près -, et nous nous en réjouissons. Bien sûr, il y a encore des réticences d'ordre idéologique qui s'expriment dans une partie de votre majorité. Mais l'idée de bon sens selon laquelle il faut permettre que soit distribuée aux salarié une partie des bénéfices de l'entreprise est aujourd'hui reconnue.
Cette idée qui court méritait un cadre juridique qui lui aurait permis de se développer. A ce jour, en effet, selon l'INSEE, moins d'un salarié sur quatre possède un compte épargne placé en entreprise. Ce taux fait de la France une exception dont nous nous passerions volontiers, car elle traduit notre difficulté d'adaptation à une économie moderne. Or, Monsieur le Ministre, ce texte est loin de créer les conditions d'un développement durable et solide de l'épargne salariale dans ce pays et il ne fait que compliquer un système qui l'était déjà suffisamment.
Malgré l'important dispositif législatif et réglementaire mis en place depuis 1959, des améliorations étaient indispensables. Mais celles-ci ne pouvaient tourner autour que d'une idée : assouplir un système trop rigide et donc peu intéressant. Pourtant, vous ne l'avez pas assoupli. Vous l'avez, au contraire, rigidifié. Vous avez cédé à ce penchant, traditionnel dans votre majorité, de réglementer encore et toujours un peu plus. Dès lors, vous avez fait fausse route.
Ce refus de simplification constitue pour nous une première raison de ne pas soutenir votre texte. Mais il y en a d'autres.
Pourquoi une telle réticence de votre part ? Pourquoi cet excès de réglementation ? Parce que vous restez attachés à des racines culturelles marquées par une idéologie où l'on oppose encore, même si l'on s'y réfère de moins en moins explicitement, le capital au travail.
J.P. BRARD : Vous, vous n'avez même plus de racines !

Les vôtres, mon cher collègue, mieux ne vaudrait pas aller les chercher trop loin, car vous n'auriez pas de quoi vous en vanter.
J.P. BRARD : Mais si !
Restons-en au capital et au travail
J.P. BRARD : Vous êtes pour le capital !
Je vous en prie, prenez les choses avec humour ! J'ai écouté Monsieur Balligand, que j'ai trouvé très sympathique et compétent, mais il se réfère à certaines valeurs intellectuelles qui amènent à opposer - malgré un certain assouplissement - capital et travail.
P. TERRASSE : Libéralisme et capitalisme !
N. BRICQ : C'est pourtant ainsi que ça marche !
Me permettriez-vous de temps en temps d'avoir des idées divergentes des vôtres ?
J.P. BRARD : Le problème n'est pas d'avoir des idées divergentes, mais d'avoir des idées tout court !
Permettriez-vous à ceux qui ne sont pas dotés de votre puissant intellect de vous soumettre, de temps en temps, quelques idées allant à l'encontre de votre pensée dominante et unique ?
J.P. BRARD : Essayez
Voulez-vous bien que je vous dise que je discerne dans ce texte des réminiscences idéologiques
N. BRICQ : C'est la réalité !
liés à l'opposition entre le capital et le travail ? Je n'ai pas l'impression de me livrer à une quelconque inquisition. C'est une réalité. Assumez-la ! C'est la raison pour laquelle nous sommes réticents.
J.P. BRARD : C'est une pensée atrophiée !
Me permettez-vous, mon cher collègue, d'être réticent ?
J.P. BRARD : Je vous le permets et j'ai du mérite !
C'est vrai ; vous avez du mérite avec votre passé !
Le Président : Poursuivez, Monsieur Goasguen.
L'Europe et la mondialisation vous imposent des schémas. Nous y entrons à reculons tant il est vrai que les velléités libérales ne font que vous effrayer. Cela dit, il faudrait vraiment chercher à la loupe ce qu'il pourrait y avoir de libéral dans votre texte. Car les solutions que vous proposez se caractérisent par un caractère contraignant, difficile à comprendre pour les salariés et souvent inapplicables. Modeste enseignant de droit du travail, pour ma part fasciné par l'extraordinaire complexité des lois sociales dans ce domaine, alors que, de toute évidence, les salariés et les petits patrons, qui n'ont pas les moyens de se payer des conseils juridiques et des conseillers sociaux, attendent des dispositions claires, adaptables et souples. On trouve le moyen, en ce début de XXIème siècle, non seulement de ne pas leur simplifier la tâche, malgré les meilleures intentions du monde, mais encore de la leur compliquer !
Si cela continue, le code du travail ne tiendra plus dans un seul volume mais dans une collection qu'il faudra mettre sur la table de chaque parlementaire, car tout devient incompréhensible, inapplicable et cela risque donc de ne pas être appliqué.
Si nous voulons réglementer le travail de telle manière que la justice sociale soit reconnue dans ce pays, il faut simplifier fondamentalement les textes et arrêter d'empiler les alinéas sur les alinéas, sachant que, de toute évidence, la complexité ne fera que rendre caduques les meilleures intentions du monde.
Vous vous êtes efforcé, Monsieur le Ministre, et c'est méritoire, de prouver à votre majorité, que vous ne mettiez pas en place les fameux fonds de capitalisation qui lui font si peur, toujours par crainte d'adhérer à une terminologie supposée libérale. Quand on a parlé récemment de crédit d'impôt ou d'impôt négatif, c'était aussi trop libéral, alors on a inventé une nouvelle terminologie. En l'occurrence, il faut à tout prix éviter que l'on puisse penser à un quelconque moment à l'idée terrible des fonds de pension. Si, finalement, le gouvernement s'est rallié à une idée que nous avons toujours soutenue, les réticences de sa majorité et le souci de ménager les susceptibilités plurielles, l'ont conduit à présenter un projet confus que nous ne pourrons pas voter.
De fait, en prétendant régler à la fois le problème de la participation et celui des retraites, le gouvernement donne dans le confusion des genres et ne règle rien. Vous avez poursuivi deux lièvres à la fois et finalement, vous êtes resté dans un immobilisme qui ne trompe personne, notamment, Monsieur Godfrain l'a souligné, en ce qui concerne les retraites.
La principale mesure de ce texte, l'instauration du plan partenarial d'épargne, aboutit à un dispositif d'une extraordinaire complexité, qui ne rencontrera pas le succès que lui promet Monsieur Balligand. Le gouvernement cède, une fois encore, à la tentation de contraindre et je trouve qu'il ne prend pas suffisamment au sérieux les modifications apportées par le Sénat.
Je sais bien qu'il est de bon ton, dans cette Assemblée, de ne pas évoquer le travail des sénateurs, mais je voudrais en rappeler la teneur, même si je dois probablement être le seul à le faire.
N. BRICQ : Non, le rapporteur l'a déjà fait !
Alors, ce sera pour mémoire. Non, ne méprisez pas le Sénat, Monsieur Brard, c'est une assemblée parlementaire et vous avez des collègues qui y siègent !
J.P. BRARD : Ce n'est pas une raison !
Peut-être mais n'insultez pas les sénateurs !
Il y avait d'abord, dans le texte sénatorial, une distinction claire entre ce qui relève de l'épargne salariale et ce qui relève de l'épargne retraite. Vous l'avez gommée.
On y trouvait aussi une simplification des dispositifs d'intéressement et de participation, les modalités de négociation du plan d'épargne interentreprises et la transformation du plan partenarial d'épargne salariale en plan glissant, idée qui me paraît très intéressante, l'échéance de dix ans n'étant plus fixée à partir du premier versement mais en fonction de chaque versement. Les modalités d'institution étaient élargies, la contribution de 8,2% sur la fraction du versement complémentaire de l'employeur était supprimée.
Toutes ces mesures me paraissaient aller dans le bon sens, et je voudrais quand même que l'on puisse en débattre.
Par ailleurs, le texte sénatorial enrichissait le volet consacré à l'actionnariat salarié en y insérant les dispositions de la proposition de loi du 16 décembre 99 qui me paraissaient, là encore, aller dans le bon sens.
Enfin, le Sénat instaurait des plans et des fonds de retraite pour les 14 millions de salariés du secteur privé, afin de leur permettre tout simplement d'assurer leur avenir. Car nous ne voyons toujours pas en France se profiler les solutions qui leur en donneraient les moyens et ce qui se passe aujourd'hui montre que le problème des retraites ne relève plus d'un débat théorique concernant les seuls partenaires sociaux, mais que la majorité de nos concitoyens se sentent désormais concernés, car leur avenir les angoisse. Je souhaite donc, mes chers collègues, que vous écoutiez les membres de l'opposition qui vous appellent à uvrer utilement et avec plus de célérité dans ce domaine.
Parce que vous n'avez pas pris en compte les recommandations judicieuses du Sénat, qui nous auraient amenés à un vote positif, et parce que, après avoir entendu Monsieur Balligand, j'ai le sentiment que la tentation de dérive vous reprend, le groupe DL votera vraisemblablement contre votre projet de loi sur l'épargne salariale.
(Source http://www.claude-goasguen.org, le 14 mars 2001).