Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2007, sur la politique européenne, Bruxelles le 8 mars 2007.

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Selon moi, c'est le droit des citoyens et le devoir des candidats que d'aborder cette question parce qu'évidemment on ne peut pas parler ou définir l'avenir d'une nation comme la nôtre sans situer cet avenir dans le cadre européen et on ne doit pas accepter que cette question soit éludée : droit des citoyens, devoir des candidats, c'est cette double exigence à laquelle je souhaite répondre.
D'abord en effet en plaçant le sujet européen dans la campagne électorale. En regardant la crise d'inspiration européenne car pour moi c'est de cela qu'il s'agit, et non pas d'accident institutionnel mais d'interrogation en profondeur sur la vocation et la destinée de l'Europe. Il faut que vous mesuriez le trouble qui est celui des citoyens français sur la question européenne. Les défenseurs du « oui » sont dans un grand désarroi parce qu'ils ne voient plus de chemin pour sortir de la crise. Et les partisans du « non » sont aussi dans une profonde frustration, à l'exception de ceux qui étaient seulement des antieuropéens affichés et qui au fond trouvent là une raison de sourire mais beaucoup de ceux qui ont voté non, ont cru que le non français portait un message et ils ont cru qu'il existait comme on leur promettait, un plan B. On disait qu'il était prêt dans les tiroirs, qu'il sortirait la semaine suivante le référendum français. Evidemment il n'en a rien été. Et donc c'est en regardant en face les raisons des uns et des autres que nous pourrons à nouveau rassembler les Français autour de ce grand projet de notre avenir national.
Vous me permettrez d'ajouter qu'il me paraît aussi nécessaire non seulement de parler de l'Europe à la France mais de parler de la France aux Européens. Comme chacun d'entre nous le voit, la France qui a été à l'origine du projet européen, qui a été un des piliers ou un des appuis constants du projet européen, la France est aujourd'hui, aux yeux des autres européens, dans une situation de lourde incertitude. Je pense qu'il faut sortir de cette incertitude et je pense qu'il est nécessaire de remettre la France au coeur de la construction européenne. Et c'est d'autant plus nécessaire qu'il y a dans le modèle européen, non seulement dans le modèle d'union européenne, non seulement une commodité pour nous les Etats européens mais il y a aussi dans ce modèle une démarche qui est proposée au reste du monde, dans le monde dans lequel nous allons entrer. Je n'insisterai pas davantage en disant qu'à mes yeux, il est dangereux. Qu'à mes yeux, il a franchi le pas vers des situations de chaos très profondes dans plusieurs parties de la planète, et qui vont naturellement par contagion, provoquer de l'inquiétude partout ailleurs. Dans ce monde qui est dangereux, le modèle de l'Union est un chemin que d'autres parties du monde peuvent et doivent suivre. C'est à mon sens le seul chemin pour que se trouve un monde mieux organisé avec davantage de sécurité. Ce n'est pas à vous qui êtes des passionnés de la réalité de l'idée européenne que je vais devant vous développer cette idée, mais vous voyez bien à quel point elle est, pour moi, dans le logiciel politique qui est le mien. L'Europe n'est pas seulement une nécessité pour nous européens, c'est une proposition pour le reste du monde.
La crise que traverse l'Europe en ce moment et dont il faut sortir, cette crise menace en réalité les cinquante années d'histoire européenne que nous venons de vivre. Je veux vous dire à quel point je me sens en effet de la famille de ceux qui ont voulu cette histoire et cette entreprise. Jean-Dominique Giuliani [Président de la Fondation Robert Schuman] m'a rappelé que je n'avais qu'une photo dans mon bureau, c'est la photo de Robert Schuman. J'étais à Scy-Chazelle sur sa tombe il y a quelques jours à peine. C'est un homme dont je ne peux pas envisager la mémoire sans penser à son double visage, sa profonde humilité et son immense vision, naturellement avec le soutien et le concours de Jean Monnet, avec le soutien et le concours de responsables politiques français qui ont accepté que ce rêve devienne réalité en un moment où pourtant les rancoeurs de la guerre et des horreurs qu'elle portait, cette rancoeur était extrêmement lourde. Je ne sais pas si c'est nécessaire mais je veux simplement rappeler aux générations les plus jeunes qui sont là, ce qu'avait été pour un peuple de paysans et d'ouvriers ces années de guerre. Je suis né dans un petit village au pied des Pyrénées où j'habite encore aujourd'hui. En août 1914, le village compte 150 habitants. Sur le monument au mort, il y a 36 noms. Plus de 10% de la population totale du village, c'est à dire deux garçons sur trois, parmi ceux qui avaient entre 18 et 40 ans parce que ce sont les deux âges limite, deux garçons sur trois qui ont été tués dans cette barbarie voulue par les deux états majors. Cela n'a pas été une conséquence de la guerre, cela a été une volonté dès que les deux états-majors ont nourri ensemble et conjointement de saigner l'autre. Et entre 1939 et 1945, ce n'est pas seulement des hommes qu'on a tués mais l'idée d'homme. Et cependant quelques mois après, Schuman et les siens, cette cohorte de grands hommes simples, ont voulu franchir le pas et passer au-delà de l'armistice et de la paix jusqu'à la construction d'une maison commune. Je pense toujours à cela lorsque j'évoque le Proche-Orient. Je me dis qu'il y a là dans cette volonté non pas seulement de faire la paix - ce qui est insuffisant - mais d'aller jusqu'à la construction d'une maison commune, un chemin qui ne s'adresse pas seulement à l'Europe déchirée de l'après-guerre.
Je suis inscrit dans ce sillon. Je partage leur rêve et leur volonté obstinée. Ils ont voulu l'Europe parce qu'ils ont senti que le monde allait devenir l'enjeu de forces gigantesques. Guerre froide dans un premier acte et puis ensuite confrontation de géants - géants politiques, géants économiques et financiers - confrontation de géants qui allait arracher aux nations que nous étions, la part de souveraineté qui était la leur. Une souveraineté qui n'allait leur laisser qu'une souveraineté d'apparence et pas réelle. Ce que ces hommes ont fait, personne ne l'a fait. Dans l'histoire du monde. Nous avons entre les mains, en dépôt, ce patrimoine ce qu'aucun peuple n'a réalisé en commun
Je considère que ce patrimoine est précieux, il est précieux à toutes ses étapes et dans toutes ces générations. L'intuition de commencer par la mise en commun de ce qu'on avait de plus précieux, le charbon et l'acier, puis le marché, puis la monnaie, cette intuition a été une réussite sans exemple mais peu à peu de manière insensible d'abord, et puis extrêmement lourde ensuite, peu à peu les peuples se sont éloignés de cette entreprise. Les gouvernants, en tout cas les gouvernants français, ont eu dans cet éloignement leur part de responsabilité. Comme vous le savez nous sommes dans un pays dans lequel très souvent les gouvernants ont trouvé commode de faire de Bruxelles, le bouc émissaire de leurs difficultés et des obligations qu'ils avaient souscrites. Il a fallu trouver un responsable, c'est vers Bruxelles qu'on l'a cherché. Et cette démission des gouvernants français, elle s'est accompagnée d'un accident historique ou d'une contrainte historique sur laquelle on n'insiste jamais et que moi pourtant je trouve cruciale. A la suite du marché commun et de l'Acte unique, On a mis en route une immense machine à normes : normes destinées à permettre la libre circulation des produits et qui naturellement en fixaient les éléments et les contraintes de manière qu'ils puissent circuler sans difficultés au travers des frontières. Mais on ne s'était pas rendu compte que les citoyens, semaines après semaines, mois après mois, n'entendraient plus de l'Europe que les injonctions qu'elle formulait désormais pour les tondeuses à gazon, le oeufs, les fromages, les marchés en plein air, la préparation des aliments, les phares des voitures... J'ai un immense regret qu'on ait laissé les administrations chargées de la fixation des normes à Bruxelles. J'aurais préféré qu'on les mette n'importe où ailleurs. On les aurait installées à Milan, cela aurait été très bien. Et les gens se seraient fâchés contre ceux de Milan qui s'en prenaient au fromage au lait cru. J'ai l'air de plaisanter et de sourire, je ne le crois pas, ce n'est qu'en apparence que je plaisante et que je souris. Je pense que la transformation de l'Europe en une machine à contraintes pour les citoyens européens, a été un très grave accident. Et probablement quelque chose de très négatif. Et puis s'y est ajouté la volonté politique, ou en tout cas la détermination politique, à conduire les élargissements successifs sans que ces élargissements aient été préparés par le travail nécessaire d'approfondissement auquel pourtant nous nous étions engagés. Et cette facilité pour les uns, cette volonté pour les autres, nous a conduit à la situation où nous sommes aujourd'hui, et en particulier dans mon pays, à la réponse qui a été apportée au référendum du 29 mai 2005.
Je voudrais m'arrêter une seconde sur cette décision du peuple français. Nous nous sommes beaucoup mobilisés, nous avons fait campagne pour le référendum européen. Et cependant depuis le début, mon intuition triste était que le peuple français allait répondre « non ». Et je voudrais vous dire pourquoi je pensais que le peuple français allait répondre « non » et pourquoi je pense encore aujourd'hui que ce non mérite une stratégie de refondation et ne doit pas être ignoré, éludé faute de rencontrer de plus graves accidents historiques encore. La première source du « non » était dans la nature même du texte que l'on a soumis au jugement des Français. Texte qui était évidement pour tout citoyen normalement constitué, absolument illisible. Non pas qu'une vision de science politique, de juriste élaboré ne puissent aisément faire la part dans ce texte soumis au vote, de ce qui était de l'ordre des nouvelles dispositions institutionnelles, de ce qui était de l'ordre de la Charte et des valeurs avec le poids juridique qui devait désormais être le leur et ce qui était de la compilation des traités antérieurs. Mais ceci c'est de la science politique pour 1 pour 10 000 de la population. Puis restent les 9999 autres qui reçoivent un pavé chez eux, qui plein de bonne volonté - et je vous assure qu'il y a eu une immense bonne volonté dans le peuple français - des millions de personnes qui ont ouvert le traité constitutionnel et l'on feuilleté. Et puis au bout de la vingtième page, ils se sont dits que ce texte était absolument impénétrable pour le citoyen même lettré, même volontaire. Et donc que cette illisibilité devait avoir une raison, et cette illisibilité devait dissimuler un piège. C'est comme ça que le peuple de citoyens français, pour l'essentiel, a réfléchi. Je le dis parce que beaucoup parmi les observateurs ont dit à cette époque que les Français avaient répondu non pas sur le texte mais sur le contexte. Moi, je crois qu'ils ont d'abord répondu sur le texte. Je pense que c'est la nature du texte qui a provoqué la réponse des citoyens français. Ils se sont dits qu'il y avait des pièges, qu'il y en avait deux. Je vous énonce les deux. Ils ont pensé en allant appuyer leur raisonnement dans une campagne Internet tout à fait forte et puissante, sur des parties ou des éléments de la troisième partie, ils ont pensé que le but de cette affaire, était de leur imposer un modèle de société dont ils ne voulaient pas. Un modèle de société, ils ont employé tous les mots : ils ont dit « ultralibéral », ils ont dit « marchand », ils ont dit « financier ». Ils ont pensé que c'était leur modèle républicain français qu'on allait, par ce texte, essayer définitivement de tordre le bras. C'est le premier sentiment qui a été le leur. Le deuxième sentiment qui a été le leur, c'était qu'on allait leur arracher leur identité. Que tout ça était fait pour que au fond le sentiment français qui était le leur, disparaisse devant quelque chose qui était de l'ordre d'une identité passe-partout et qui ne répondrait plus à leur besoin de fierté nationale. Il y a eu les deux sentiments. Vous voyez que l'un est plutôt à droite et l'autre plutôt à gauche si on prend les catégories politiques habituelles. Mais rassurez-vous, il y avait beaucoup de croisements. Il y a beaucoup de gens de gauche qui considéraient que la souveraineté politique résidant dans la nation, cette souveraineté était menacée. Il y a beaucoup de gens de droite qui considéraient que le modèle dominant, matérialiste et marchand, ne leur convenaient pas non plus. Il y avait, à nos yeux, dans la Constitution, un certain nombre de remèdes contre cette inquiétude. Puisqu'au fond pour nous, la Constitution, ce n'était pas autre chose que l'ouverture des chemins démocratiques pour l'Union européenne. Mais nous n'avons pas su le défendre. En tout cas, ces remèdes ne sont pas apparus suffisants et maintenant pour sortir de la crise, il convient d'aller au fond en posant les questions essentielles. C'est ce que je voudrais faire en quelques mots devant vous.
Jusqu'en 1989, la communauté européenne a vécu à l'intérieur de frontières étroites fixées pour l'essentiel par la guerre froide. Elle a bénéficié de compétences limitées à l'édification d'un marché commun, les grandes affaires politiques étant traitées dans un autre cadre, pour l'essentiel - pas pour tout le monde - dans le cadre plus vaste de la communauté atlantique. Elle disposait d'institutions techniques, pour ne pas dire technocratiques, qui étaient relativement bien tolérées compte tenu du caractère limité de ses compétences. La révolution de 1989 est arrivée, elle a bouleversé tout cela et elle aurait dû conduire les dirigeants européens à redéfinir leur projet en répondant aux trois questions essentielles qui étaient : Qui ? Quoi ? Comment ? Vous retrouverez là une vision de Jean-Louis Bourlanges que je reprends volontiers devant vous. Qui a vocation à rejoindre l'Union européenne ? Est-ce que ce sont les héritiers d'une même civilisation, le critère au fond historique, héritiers d'une même civilisation associés à une histoire millénaire, ou bien est-ce que ce sont tout simplement les voisins toujours plus nombreux sur un périmètre toujours plus large dès l'instant qu'ils se reconnaissent dans nos valeurs démocratiques ? Chacune de ces réponses avait sa légitimité. Je crois que l'une est plus porteuse d'action que l'autre. Mais, chacune des deux réponses avait sa légitimité. Or aucune réponse n'a été proposée. Et à vrai dire la question n'a pas été posée. Et c'est dans ce silence sur l'identité de l'Union que les inquiétudes, les frustrations et les malentendus ont monté pour nous conduire à la crise que nous connaissons aujourd'hui.
Deuxièmement, qu'avons-nous vocation à faire ensemble ? Est-ce que nous avons vocation à faire de l'Union européenne une simple organisation internationale gérant des procédures de régulations économiques, ou avons-nous vocation à en faire un véritable acteur politique capable de faire des choix et de peser sur l'avenir du monde ? Là aussi, la question n'a pas été posée. Comment, enfin, l'Union européenne ne pouvait plus être une fédération de technocraties ou d'administrations qu'elle avait été jusque là ? Devait-elle devenir une confédération intergouvernementale ou bien une communauté active de peuples et d'Etats comme bien entendu, je le souhaiterais ? Là aussi, la question n'a pas été formulée. Eh bien, le peuple français, en raison de son goût pour la clarté des choses et son souci d'engagement citoyen, le souci extrêmement fort et qui va se développer sans aucun doute, ne serait-ce que parce que nous venons d'entrer dans l'ère d'Internet et que l'ère d'Internet transforme les citoyens en acteurs engagés, le peuple français en raison de ce souci d'engagement citoyen, a pris peu à peu conscience de l'écart entre les mots et la réalité, entre les intentions et les actes et ces citoyens se sont écartés d'une entreprise où l'on ne faisait pas ce que l'on disait et on ne disait pas ce que l'on faisait. Ma conviction est que les peuples d'Europe, et particulièrement le peuple français, sont prêts à aller loin ensemble pourvu qu'on leur dise où, avec qui et comment.
Je veux vous dire à mon sens quel est l'objectif aujourd'hui. L'objectif est éminemment politique. Il s'agit de recréer le lien brisé par les référendums français et hollandais, entre les vingt-sept membres de l'Union, entre les dix-huit qui ont ratifié, les deux qui ont refusé sans oublier ceux que cette situation de blocage arrange beaucoup parce que ça leur évite de répondre à la question. Eh bien, c'est comme autour de la table de famille. Les problèmes des uns ne sont pas des problèmes qui leur sont uniquement réservés, ce sont des problèmes pour tous. Il convient de les identifier et de les résoudre ensemble. C'est cette attitude autour de la table de famille que, pour ma part, je soutiendrais si je suis élu président de la République.
Pour atteindre cet objectif politique de recréer le lien brisé, il nous faut répondre à trois questions. Sur quels textes pouvons-nous nous mettre d'accord ? Comment élaborer ce texte nouveau ? Et enfin une question française : si ce texte est rédigé, comment envisager sa rédaction ? Je veux vous répondre clairement sur ces trois sujets.
Premièrement, j'ai employé l'expression d'un texte nouveau parce que, inutile d'insister sur ce sujet, personne ne soumettra à la décision du peuple français ou de quelque instance qu'il représente le même texte. Parce que le peuple français a dit non. Et que chez nous, un non du peuple, c'est très important comme ça l'est dans beaucoup de pays. Il faut que désormais tout le monde en prenne conscience. Chez nous et aussi parmi nos amis. Quel texte nouveau ? L'objectif que je défendrai est celui d'un texte court, lisible et compréhensible par tout le monde. Dans ce texte, seuls les principes, les institutions, les compétences et les procédures doivent former la matière de ce qui est une loi fondamentale. En revanche, les orientations et les contenus des politiques n'y ont pas leur place et doivent relever uniquement des traités et des actes dérivés de l'Union européenne, c'est-à-dire du fonctionnement normal des institutions de l'Union. Comment élaborer ce texte ? Angela Merkel propose une CIG. Je souscris à cette proposition. Naturellement, une convention s'imposerait s'il fallait rebâtir un système entièrement nouveau. En reposer les bases. Mais les bases d'ouverture démocratique de l'Union européenne, il me semble que nul, en tout cas dans la campagne française, ne les a remises en cause.
Donc ce sont ces bases qui s'imposent. Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est de rassurer, de clarifier et de simplifier. Il me paraît cependant indispensable d'associer à cette CIG des parlementaires nationaux et européens. J'appelle ça, mais vous retiendrez le nom uniquement si cela vous intéresse, une CIG qui verrait un travail dans le cadre intergouvernemental soumis aux observations d'un cénacle de parlementaires. Nous avons enfin une question française. C'est celle de la ratification. Ma réponse est sans ambiguïté, je veux simplement l'énoncer devant vous. Le nouveau président de la République française ne pourra agir que par référendum. Je n'ai aucune réserve à l'égard de la démocratie représentative. Peut-être d'ailleurs aurait-on pu envisager cet exercice de démocratie représentative, étant donné la nature du texte pour le référendum initial. Peut-être pouvait-on avoir une réflexion de cet ordre. Je le dis d'autant plus que j'ai été, comme tous les responsables politiques français, de ceux qui ont dit : « C'est un référendum du peuple qui doit répondre à cette question. » Mais, les choses étant ce qu'elles sont, il s'agit de recréer le lien de toute une nation avec son engagement européen. Et c'est pourquoi il est clair à mes yeux que seul le peuple lui-même peut refaire ce que le peuple a défait. Il y a là une exigence qui n'est pas d'ordre juridique mais politique et morale. Nous allons avoir en France un débat autour de ce sujet.
Je veux simplement dire que ceux qui prendraient la décision, ayant consulté les Français, de dire : « Excusez-nous, mais on vous a demandé votre avis. Maintenant qu'il s'agit de choses sérieuses, nous allons décider entre initiés, c'est-à-dire entre parlementaires dans la cadre de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ceux-là s'exposeraient à créer ou à creuser le fossé qui existe entre les citoyens français et l'idéal européen. Ma conviction, comme candidat, si je suis élu président de la République, c'est que c'est devant les citoyens qu'il faut que le chef de l'Etat s'engage pour dire qu'il y a là un sujet crucial pour notre avenir national et que ce sujet crucial requiert l'adhésion du peuple. C'est une différence naturellement très important entre les approches des uns et des autres. L'une est une approche politique, l'autre est une approche historique. Je suis persuadé que c'est d'approche historique dont nous avons besoin aujourd'hui. Je suis persuadé que cette grande question tourmente l'âme française, si vous me permettez d'employer cette expression devant vous. Et que c'est dans la franchise, la loyauté et l'ouverture que le peuple français répondra à cette question.
Ma conviction est que les citoyens français savent, comme pères de famille, comme salariés, comme à la recherche d'un emploi, comme éducateurs, comme observant le monde sur leur écran de télévision et les immenses dangers qui s'y profilent, mes concitoyens savent que naturellement, l'Europe est un besoin. Simplement, ils veulent d'une Europe vraie dans le cadre de laquelle ils pourront exprimer leur voix française. Il est légitime de répondre aux interrogations et aux doutes qu'ils auront à ce sujet, je le répète, ce n'est pas une exigence d'ordre juridique, c'est une exigence d'ordre politique et morale.
Mais, et j'en viens à la dernière partie de cet exposé, même avec un nouveau traité constitutionnel, ce que j'espère nous aurons obtenu, ou disons avec un traité fondamental, l'Union n'aurait pas pour autant abordé les questions qui lui permettront de devenir un grand acteur politique sur la scène du monde. Elle resterait pour l'essentiel une communauté d'échanges régulée par le droit. C'est bien mais cela ne suffit pas. Le XXI° siècle sera trop dur et trop menaçant pour ne pas exiger davantage des Européens. Je voudrai vous dire ce que seront les six questions fondamentales dans lesquelles nous devons entrer comme entité politique, comme union de peuple et d'Etats décidés à peser ensemble sur l'avenir de la planète. Je vais seulement les énoncer devant vous, étant donné l'heure qui avance.
Premier sujet, politique économique, harmonisation budgétaire, harmonisation fiscale. L'union économique et budgétaire est aujourd'hui hémiplégique. Nous avons une politique monétaire et treize politiques budgétaires. Nous avons besoin d'autre chose. Nous avons besoin d'une véritable harmonisation budgétaire et d'une stratégie concertée économique et des distorsions fiscales.
Deuxième grand sujet, nous ne pouvons pas ignorer la menace qui pèse désormais sur l'avenir de l'Humanité entière en tant qu'espèce et qui est une menace provoquée par nos activités humaines, industrielles et autres. Cela nous a amené le changement climatique et le réchauffement de la planète. L'effet de serre accentué et la préservation et les risques qui pèsent désormais sur la biodiversité. Naturellement, ces débats sur notre patrimoine écologique, climatique, génétique, nous les aurons tous dans le cadre national. Mais le cadre national n'est pas adapté aux réponses. Il peut l'être si l'on veut une stratégie d'exemplarité. Mais il ne le sera pas si l'on veut une stratégie d'efficacité. Je le dis tous les soirs dans tous les meetings, toutes les émissions, à mes compatriotes, que, quand bien même le peuple français déciderait ou parviendrait à réduire de moitié, des trois-quarts, des quatre-cinquièmes, je ne peux pas aller jusqu'à zéro, car comme vous le savez, y compris notre mort à tous provoquerait des émissions assez importantes de gaz à effet de serre. Mais si nous décidions de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre à l'intérieur de l'Hexagone et y compris Outre-Mer, ça ne changerait pas d'un millième de millième la composition de l'air que nous respirons. L'air se déplace au-delà des frontières. Parce que c'est désormais de l'Humanité qu'il s'agit. Une question d'autant plus importante évidemment comme chacun le sait qu'elle va constituer la matière d'un débat des pays riches s'adressant aux pays pauvres. En leur demandant de bien vouloir ne pas accroître trop vite. Ceci est une grande question qui exige une stratégie et une loyauté de stratégie internationale, ça ne peut se bâtir efficacement que dans le cadre européen.
Troisièmement, politique énergétique. Je ne vais pas insister beaucoup sur ce sujet parce que les tensions actuelles sont présentes à l'esprit de chacun de vous. Les tensions actuelles qui naturellement, naissent du fait que c'est la Russie qui est de très loin le plus gros producteur de gaz. Le gaz dont nous allons avoir le plus besoin et qu'un certain nombre de pays de l'Union européenne ont déjà inquiétude et souci et ont expérimenté ce qu'un bras de fer sur ce sujet pourrait être.
Quatrième grand sujet, politique de recherche, civilisation du savoir. Nous avons énoncé un catalogue d'intentions magnifiques. Mais ce catalogues d'intentions n'a pas été suivi des effets que nous avions envisagés. Cela ne peut être qu'une stratégie européenne qui nous permettra de répondre à cet impératif de la civilisation du savoir et du développement d'une politique de recherche efficace, transfrontières entre nos universités et nos grands organismes de recherche.
Cinquième sujet, politique de l'immigration et du co-développement. Je ne crois pas aux murailles. Je ne crois pas que l'appareil uniquement répressif suffira à répondre aux contraintes qui vont se poser à nos pays et à nos peuples si nous continuons à avoir à quelques centaines de kilomètres de nos côtes les vingt pays les plus pauvres de la planète alors que nous avons au moins dix des pays les plus riches de la planète. Depuis que le monde est monde, quand il y a des très pauvres menacés de mort et des très riches dans une situation d'abondance et de surabondance, les pauvres s'en vont chez les riches. Et cela dure depuis le commencement de l'Humanité et ça continuera et ils viendront à pied, à cheval, en voiture, en radeau, à la nage, en rampant et en allant déchirer leurs mains sur les barbelés de Ceuta et Melila comme on a eu l'occasion de le voir. Ils viendront. Il n'y a qu'une stratégie d'émulation, si cela nous intéresse, c'est une stratégie de développement de ces pays pauvres et singulièrement du continent africain. Cela ne peut pas se faire dans le cadre des États nationaux. Il y a même beaucoup de raisons pour lesquelles on pourrait réfléchir à un autre cadre que les États nationaux, c'est un responsable français qui vous le dit. Et c'est un responsable français qui le dit à un certain nombre de responsables belges. Nous avons à imaginer et à penser un autre cadre pour notre développement.
Et enfin, last but not least, naturellement, capacité diplomatique et volonté de sécurité et de défense et construction d'une défense européenne. Le chaos dans lequel est plongé le Proche et le Moyen-Orient, les menaces de prolifération nucléaire que vous avez présentes à l'esprit exigent que nous prenions une détermination nouvelle dans la construction d'un appareil de défense européen.
Ayant énoncé les six objectifs, vous voyez qu'il s'agit là, en effet, d'une volonté pour que l'Europe devienne un acteur de la scène du monde. Naturellement, il serait souhaitable à mes yeux, et j'en suis à ma conclusion, que l'ensemble des États membres se reconnaissent dans cette nouvelle ambition. Mais il est probable que seul une partie d'entre eux voudront aller jusqu'au bout. Pour réaliser des avancées significatives dans ces six domaines politiques cruciaux pour l'avenir de l'Europe et des Européens, sans doute faudra-t-il que quelques-uns décident d'avancer en pionniers. Dans mon esprit, et notamment pour des raisons de type économique, le socle de cette Europe politique sera les pays qui ont l'euro en partage. Mais pour moi, cette base doit être ouverte. Ouverte à ceux qui en accepteront les principes et les obligations. C'est ainsi que se constituera le premier cercle européen selon des procédures qu'il faudra étudier mais qui devront en tout état de cause être démocratiques et non pas seulement inter-gouvernementales. Il ne s'agit pas d'une Europe à géométrie variable ni d'une Europe à la carte. C'est plus proche de ce que nos amis allemands ont appelé naguère le noyau dur ouvert à tous ceux qui entendent mutualiser la défense de leurs intérêts et la promotion de leur valeur. Pour faire de l'Europe un acteur politique à part entière dans le monde de demain, il n'est pas, selon moi, d'autres voies d'une articulation réussie entre une Europe plus large, Europe de l'échange, de la régulation juridique et de la démocratie et une Europe plus dense constituée de ceux qui ont plus d'exigence et d'ambition. Ce sera la tâche des dirigeants européens de la nouvelle génération, ceux de la deuxième décennie du XXI° siècle, de relever et de gagner ce pari.
Pour ma part, si je suis élu, je ne ménagerai pas mes efforts pour mobiliser et engager mes concitoyens sur la seule voie qui soit vraiment créatrice d'avenir. Ceci est pour nous une mission et une charge. Pendant très longtemps, notre génération s'est considérée comme la génération des héritiers émus et reconnaissants à l'endroit de ceux qui avaient fait le travail pour elle. Il est temps que nous passions de la génération des héritiers à la génération des fondateurs.
Je vous remercie.source http://www.bayrou.fr, le 29 mars 2007