Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, sur I-télé le 6 avril 2007, sur les principales propositions de sa campagne électorale : composition d'un gouvernement restreint, "contrat première chance" pour l'emploi des jeunes, lutte contre les délocalisations, plafonnement des frais bancaire ainsi que sur l'évolution possible de parti socialiste.

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Média : I-télévision

Texte intégral

Thomas Hugues - Elle a 53 ans, elle se présente pour la première fois à l'élection présidentielle, choisie par les militants du Parti socialiste, elle est la première candidate en position de l'emporter, de devenir pour l'histoire la première présente de la République. Ségolène Royal est l'invitée exceptionnelle de « 1H30 Chrono », comme François Bayrou hier et avant Nicolas Sarkozy demain. Elle a maintenant quarante minutes pour vous convaincre. Ségolène Royal qui est en déplacement en Gironde, vous la voyez derrière moi, elle sera avec nous en duplex de Bordeaux. Bonsoir, madame Royal. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Avant d'entendre vos priorités en matière de réformes, quelques questions liées à l'actualité. Finalement, vous faites l'actualité ce matin avec cette déclaration au forum organisé par le magazine ELLE, c'était à Sciences-Po, vous avez déclaré : « Le temps des femmes est venu et j'espère que les Français auront cette audace pour l'élection présidentielle. » Cela ne veut quand même pas dire qu'il faut voter pour vous simplement parce que vous êtes une femme, Ségolène Royal.
Ségolène Royal - Non, bien sûr. Mais c'est aussi une raison valable, je le crois. Je pense qu'aujourd'hui, la politique a changé, le monde a changé, la France a bougé. La France, vous vous rendez compte, est au 89ème rang mondial pour la faible présence des femmes en politique. Alors, c'est vrai que si l'on veut que la politique change, je crois, voilà une occasion vraiment de la faire changer. Et puis, ce que j'observe, c'est que les sujets qui préoccupent aujourd'hui profondément les Français sont les sujets qui sont liés à l'éducation, à la famille, à la valeur du travail, à la cohérence d'une société qui se sent un peu bousculée, qui se sent brutalisée, qui perd ses repères. Des questions aussi liées à l'écologie, ce sont souvent des questions auxquelles les femmes pensent parce que, à l'échelle mondiale, la qualité de l'alimentation, c'est le premier réflexe d'une femme pour nourrir ses enfants. Mais ce n'est pas bien sûr la seule raison. Mais je crois que c'est une autre façon de voir la vie et puis d'avoir le sens de l'urgence. Moi, je suis une mère de quatre enfants, j'ai eu à concilier la vie familiale et la vie professionnelle, donc je sais ce que vivent les femmes, mais aussi les hommes qui sont pris par cette urgence, cette frénésie des temps modernes sur le fait de courir tout le temps après le temps. Ce qui me fait penser que, d'abord, il faut savoir écouter, prendre son temps avant de décider, mais en même temps aller très vite. Parce que les problèmes auxquels la France est confrontée aujourd'hui sont urgents, sont aigus, en particulier la question du chômage.
Thomas Hugues - Mais, Ségolène Royal, si les Français qui votent pour vous sont audacieux, cela ne veut quand même pas dire que ceux qui vont voter François Bayrou ou Nicolas Sarkozy sont timorés, peureux, vous ne diriez pas ça ?
Ségolène Royal - Pas du tout. Je ne voudrais pas être désobligeante à l'égard des autres candidats.
Thomas Hugues - Alors, dans l'actualité également de ce jeudi, ces deux Français qui sont membres d'une ONG qui ont été enlevés en Afghanistan, c'est ce qu'annoncent les Talibans. Talibans qui espèrent sans doute négocier le sort de ces Français contre la libération de Talibans prisonniers des forces occidentales. C'est en tout cas ce qui s'était passé, il y a à peu près deux semaines, pour un reporter italien pris en otage. Que feriez-vous dans un cas comme cela si vous êtes présidente de la République ? Est-ce qu'il faut négocier ?
Ségolène Royal - D'abord, je pense que ce type de problème doit, bien sûr, être condamné très, très fermement. Je voudrais témoigner ici toute ma solidarité à l'égard des familles. Je pense que c'est aussi le système des Talibans qui doit faire l'objet d'une pression internationale. La France doit vraiment oeuvrer pour qu'il y ait une politique extérieure commune de l'Europe. Et puis, elle doit oeuvrer aussi pour qu'au sein du Conseil de sécurité, un certain nombre de décisions soient prises contre les régimes de ce type. Je veux dire par là que ce n'est pas une nation isolée, même si sa voix est forte et doit peser dans le monde, qui pourra faire bouger les choses, mais c'est s'il y a une démarche conjointe et convergente de l'ensemble des démocraties pour que recule ce type de régime.
Thomas Hugues - Mais les Talibans ne sont plus au pouvoir en Afghanistan. Malgré tout, il va peut-être falloir discuter avec eux dans un dossier comme celui-là. Est-ce qu'il faut le faire ? On dit que les Italiens ont obtenu que cinq prisonniers talibans soient libérés.
Ségolène Royal - Oui, l'exemple que vous venez de donner avec l'Italie prouve bien qu'il faut éviter, je crois, des initiatives dispersées et séparées ; et, au contraire, peut-être, s'appuyer sur déjà des contacts pris par les Italiens pour faire que l'ensemble des pays occidentaux visés par ce type d'acte terroriste soit justement... se consolide les uns les autres et que les démarches puissent être collectives pour être plus efficaces.
Thomas Hugues - Autre thème d'actualité, deux ralliements aujourd'hui dans l'actualité, Ségolène Royal. Je commence par quelle nouvelle ? La bonne ou la mauvaise ?
Ségolène Royal - Choisissez...
Thomas Hugues - C'est moi qui choisis alors. Ecoutez, je vais commencer...
Ségolène Royal - Je ne sais pas quel est votre critère d'appréciation...
Thomas Hugues - On va commencer, on va dire par la mauvaise, puisque c'est quelqu'un qui ne vous rallie pas, Bernard Tapie qui choisit le ticket Sarkozy / Borloo, comme il dit. Vous êtes déçue ?
Ségolène Royal - Pas du tout. Non. Je crois que c'est sa liberté. Je pense qu'ils sont amis personnels, donc cela ne me surprend pas, c'est des choix d'amitié.
Thomas Hugues - Même de la part d'un ancien ministre de François Mitterand ?
Ségolène Royal - Oui, cela ne m'inspire pas de commentaire, c'est sa liberté.
Thomas Hugues - Au contraire, Yannick Noah, sur RTL, ce matin, qui déclare : « Je soutiens Ségolène Royal évidemment », c'est le terme qu'il a employé. C'est important d'avoir des personnalités, comme Yannick Noah, qui sont derrière vous ?
Ségolène Royal - Oui. Je suis très heureuse de ce soutien, il ne m'en avait même pas informé. Donc, vous voyez, c'est encore plus précieux lorsque ce sont des initiatives comme ça qui sont prises sans même qu'il y ait de contact préalable. Je crois que Yannick Noah, d'abord, est un grand sportif, donc c'est toujours le symbole du courage. Et puis, c'est quelqu'un qui est engagé en plus dans des causes humanitaires dans lesquelles les jeunes se reconnaissent, les jeunes et d'ailleurs toutes les générations. C'est un soutien précieux que j'apprécie à sa juste valeur.
Thomas Hugues - Dernière petite phrase, cette fois-ci, elle est signée du Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, c'est toujours sur RTL - décidément ! - : « Je ne suis pas sûr d'accepter d'être ministre si on me le propose. » Est-ce que vous êtes consciente que cette campagne ne doit pas toujours être très facile pour lui ?
Ségolène Royal - Je pense, au contraire, qu'il est très heureux des réunions publiques qu'il fait sur l'ensemble du territoire, je viens encore de l'avoir au téléphone. Je crois que ce qu'il a voulu dire, c'est ce que je dis aussi, c'est que le temps n'est pas venu de constituer un gouvernement, voilà. Aux questions pressantes qui sont posées, il répond, comme je le fais souvent, avec retenue et pudeur.
Thomas Hugues - Sur l'aspect un petit peu plus personnel, je vais reprendre un titre de l'hebdomadaire Marianne, « Ségolène aime François et martyrise Hollande », titre signé Nicolas Domenach, qui sera là tout à l'heure. En voyant ce titre et en voyant l'article, il parait que le Premier secrétaire du PS a dit : « Pas mal ! » Et vous, comment vous réagissez à un titre comme ça ?
Ségolène Royal - Moi, je pense que le titre est tout à fait déplacé, vraiment tout à fait déplacé. Ces intrusions dans le couple, ces curiosités, je crois, sont assez curieuses. En même temps, je les comprends. François a répondu avec son sens de l'humour qu'on lui connaît bien.
Thomas Hugues - Mais vous n'avez jamais voulu - et vous ne le ferez pas - afficher un peu plus l'image du couple dans cette campagne, c'est un choix.
Ségolène Royal - Mais si, au contraire, j'aimerais beaucoup que François soit là plus souvent à mes côtés. En même temps, il est le Premier secrétaire du Parti socialiste, donc il a choisi de faire cette campagne en étant lui-même animateur et présent à des réunions publiques. Moi, je respecte ce choix. Même si j'aimerais qu'il soit plus souvent là à mes côtés, c'est normal. Vous voyez la - comment dirais-je - la chance aussi que j'ai d'avoir à la fois un conjoint solidaire et en même temps un conjoint engagé dans cette campagne.
Thomas Hugues - Ségolène Royal, on va maintenant parler de vos priorités si vous êtes élue le 6 mai prochain, on a intitulé cette rubrique « Les cent jours », vos premières décisions de présidente. D'abord, à quoi ressemblera votre gouvernement ? Est-ce qu'il sera resserré ? Est-ce qu'il y aura la parité ?
Ségolène Royal - Vous savez, je me suis fixée une règle, je vais répondre bien sûr à votre question, mais dans la phase actuelle qui est une phase grave, puisque nous sommes maintenant à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle du 22 avril prochain, je suis en dialogue direct avec les Français. Je le fais en femme libre. Je ne suis liée à aucun pouvoir économique, à aucun pouvoir d'argent, à aucun groupe de pression. Je n'ai personne à placer. Je me situe maintenant au-dessus des partis politiques. Même si - et j'en suis très heureuse - j'ai l'appui de trois grands partis de gauche. Mais je m'adresse aujourd'hui à l'ensemble des Français, je les ai écoutés longuement pendant cette campagne participative, j'ai été la seule, on m'a parfois moquée d'ailleurs dans cette façon de faire. Aujourd'hui, je suis forte de ce Pacte présidentiel que je leur propose parce que j'ai entendu ce qu'ils ne voulaient plus. Ils ne voulaient plus d'une France des précarités, des insécurités, une France où les Français sont dressés les uns contre les autres. C'est un autre modèle que je veux proposer, de nouvelles règles du jeu. Je veux gagner la bataille de la lutte contre le chômage, en particulier contre le chômage des jeunes, je crois que c'est ça qui mine la France, son optimisme dans l'avenir. Je veux que la France retrouve un désir d'avenir.
Thomas Hugues - On en parlera dans le détail avec Céline Bracq, la chef de service éco de I Télé, dans quelques secondes. Mais sans distribuer des portefeuilles, des ministères évidemment, à quoi ressemblera ce gouvernement ? Est-ce que ce sera un gouvernement resserré avec assez peu de ministres, avec beaucoup de femmes ou pas beaucoup de femmes, avec une ouverture à la société civile ?
Ségolène Royal - D'abord, je pense qu'il faut un nombre de ministres resserré, entre quinze et dix-huit, afin de réduire le train de vie de l'Etat. Ensuite, parce que vous me connaissez, je fais confiance au dynamisme des territoires, en particulier des régions ; pour lutter contre les gaspillages, j'ai l'intention, dans la réforme des institutions que j'ai présentée, de faire en sorte qu'il n'y ait plus de doublons, de conflits de compétences, de responsabilités mal réparties. Donc, chacun sera responsable de sa tâche, il y a le niveau national, le niveau régional, le niveau municipal, le niveau départemental. Contrairement à ce qui se passe aujourd'hui où beaucoup d'argent public est gaspillé parce qu'il y a des superpositions de compétences, chacun aura dès lors sa feuille de route et sa responsabilité. C'est pourquoi le nombre de ministres peut être restreint, puisqu'il y aura davantage de responsabilités au niveau local. En contrepartie de ce transfert de responsabilités, il y aura l'obligation de rendre des comptes et d'évaluer la façon dont l'argent public est utilisé. Voilà comment je veux qu'un Etat fonctionne bien, que des pouvoirs publics aussi soient mis au service des problèmes des citoyens et c'est comme cela que j'entends réduire les gaspillages.
Thomas Hugues - Ségolène Royal, parmi vos priorités - vous l'avez répété ce matin au forum ELLE organisé à Sciences-Po - vous voulez faire voter une loi cadre sur les violences faites aux femmes. Mais il y a déjà une loi qui existe. Moi, j'aimerais comprendre, pourquoi cette loi cadre ? La loi actuelle n'est pas suffisante, c'est ça ?
Ségolène Royal - Je crois que la loi actuelle n'est pas suffisante. La preuve, c'est que le numéro vert qui a été mis en place est submergé d'appels. D'abord, parce qu'il y a insuffisamment de centres d'accueil pour les femmes et les enfants victimes de violences. Ensuite, parce que, très souvent, les femmes victimes de violences n'osent pas porter plainte, elles pensent toujours que les choses peuvent se réparer, elles cherchent à protéger leurs enfants. Donc, je veux que l'action publique puisse intervenir avant que les femmes y perdent la vie. Il y a en France, tous les trois jours, une femme qui est assassinée sous les coups de son conjoint. C'est un chiffre terrible dont on ne parle pas suffisamment. Je pense qu'il faut en parler davantage parce que cela aussi aiderait sans doute les hommes à échapper à ces comportements de violences, dont parfois et même, souvent, ils ont été victimes lorsqu'ils étaient petits garçons. Car, il y a une terrible reproduction des modèles de violences familiales. Je crois que c'est à cela qu'il faut mettre fin, il faut stopper cela, sans doute déjà par une éducation, très tôt, à l'école, sur la lutte contre toutes les formes de violences, sur le respect des hommes et des femmes entre eux, sur la nécessité de se respecter, sur la maîtrise de la parole. C'est pourquoi aussi, je veux multiplier les médiations familiales, celles qui permettent justement aux familles, qui commencent à sombrer dans la violence et dans l'incompréhension, à avoir recours à un professionnel du dialogue pour les en sortir. Je pense que dans notre société, chacun a le sentiment qu'il y a une montée des violences, tout le monde le dit, 80 % des Français estiment que la violence, la brutalité, y compris la violence verbale, la violence dans les cours de récréation, la violence à l'école, la violence sur le lieu de travail, que tout cela a tendance à augmenter, la violence dans les quartiers bien sûr, les agressions sur les personnes qui ont considérablement augmenté. Je pense que tout cela n'est pas une fatalité, il faut se ressaisir, en particulier par l'éducation. Je veux, moi, une France d'harmonie où les gens apprennent à nouveau à s'écouter et à se comprendre. C'est pour cela aussi que je l'ai fait dans l'action politique parce que tout se tient. Souvent, c'est faute d'avoir appris à écouter l'autre et à se mettre à sa place - ce qu'on appelle l'empathie - qui fait que l'agressivité monte, l'incompréhension monte. C'est vrai aussi dans les conflits sociaux, c'est pourquoi je veux aussi que la France se modernise sur le plan des relations sociales pour que les incompréhensions reculent et que l'on ait à la place de la montée de l'agressivité, de la façon dont les gens se dressent les uns contre les autres ou dans la façon dont on les y pousse parfois aujourd'hui à se dresser les uns contre les autres, avec le refus des différences, avec la désignation de l'autre qui est responsable de tout, je crois qu'il est possible d'installer en France d'autres valeurs, des valeurs d'écoute, des valeurs de dialogue, des valeurs d'harmonie, la République du respect que j'appelle de mes voeux, je pense que c'est possible.
Thomas Hugues - Alors, Ségolène Royal, on va rentrer un petit peu plus dans le détail de votre programme économique maintenant, avec, comme promis, Céline Bracq, chef du service éco de I TELE. On va parler de ce qui est aussi l'une de vos priorités, une réforme que vous engagerez dans les premières semaines si vous êtes élue à l'Elysée, le contrat Première chance. Céline.
Céline BRACQ - Le contrat Première chance, l'idée, c'est que les jeunes qui n'arrivent pas à trouver un premier emploi puissent être embauchés dans une entreprise et que leurs salaires, pendant un an, puissent être pris en charge par l'Etat. Alors, Bruno Julliard, de l'UNEF, s'inquiète d'un nouveau CPE. Alors éclairez-nous : Quel contrat ? Quel salaire ?
Ségolène Royal - Vous savez, il s'agit de partir d'une idée très simple. D'abord, je crois que le principal fléau qui pèse aujourd'hui sur la France, c'est le chômage des jeunes. Pas seulement le chômage des jeunes diplômés pour lesquels je propose la création des emplois tremplin, comme plusieurs régions l'ont déjà fait, dont la mienne, j'ai créé 2 000 emplois tremplin pour les jeunes dans ma région et cela marche et sans dépenses nouvelles, sans impôts nouveaux, simplement en utilisant beaucoup mieux les fonds de la formation professionnelle et les aides aux entreprises qui, aujourd'hui, sont parfois beaucoup gaspillées et dispersées. Donc, c'est d'abord cette idée première qu'il faut mieux utiliser les aides aux entreprises, les exonérations de charges et les fonds très importants de la formation professionnelle. Alors, de quoi s'agit-il ? Les petits commerçants et les artisans me disent qu'ils ont 500 000 offres d'emploi non pourvues, qu'ils n'arrivent pas à trouver de jeunes, de salariés, d'ouvriers pour occuper ces emplois. De l'autre, nous savons qu'il y a 190 000 jeunes qui sortent du système scolaire à la fin de la scolarité obligatoire sans rien, sans qualification, dans le désoeuvrement total. Moi, je crois que ce gaspillage-là n'est pas tolérable, n'est pas acceptable. En tant que, peut-être, futur chef de l'Etat, ce sera mon combat principal. Donc, c'est très simple, je veux rapprocher les offres d'emploi des jeunes qui n'ont pas de travail, pas de qualification. Puisqu'il y a, comme je l'ai dit tout à l'heure, beaucoup d'argent gaspillé dans les aides à l'emploi, je veux utiliser cet argent de façon très simple et très efficace, en allégeant les charges sur le travail pour que ces jeunes aient un contact avec l'entreprise, aient leur chance de prouver ce dont ils sont capables ; et que, d'un autre côté, les entreprises qui ne trouvent pas les salariés correspondants dans les métiers du bâtiment, par exemple, dans les métiers de la restauration, dans les métiers des services, on sait qu'il y a beaucoup d'offres d'emploi qui ne sont pas satisfaites, alors rapprochons les uns et les autres. L'idée simple est très simple...
Céline Bracq - Ces jeunes qui ne trouvent pas de travail, Ségolène Royal, ce contrat Première chance, expliquez-nous simplement, c'est un contrat... C'est un CDD ? C'est un CDI ? C'est à quel salaire ? C'est au SMIC ? C'est moins que le SMIC ? C'est une période d'essai de deux mois, comme les autres contrats ?
Ségolène Royal - Vous savez, j'ai confié une mission à Dominique MEDA sur cette question-là, qui est une spécialiste du droit du travail, donc qui rencontre tous les interlocuteurs, dont celui que vous citiez tout à l'heure. L'idée, c'est qu'il y ait une phase transitoire, c'est-à-dire le jeune entre en contact avec l'entreprise, il est pris dans l'entreprise avec un tutorat d'accompagnement. Au bout de trois mois maximum, soit il vient, à ce moment-là, être intégré dans un contrat d'apprentissage et, à ce moment-là, on entre dans des procédures qui existent déjà ; soit le jeune devient immédiatement efficace et, à ce moment-là, cette période d'essai se transforme en contrat de travail ; soit il est en contrat de professionnalisation, qui est le dispositif qui existe aujourd'hui. Mais ce qui est très important, c'est que la petite entreprise de moins de dix salariés n'aura pas peur d'embaucher, puisque...
Thomas Hugues - Mais sur un plan, on va dire, plus idéologique, l'idée que l'Etat ou les régions se substituent au secteur privé, est-ce que ce n'est pas une vision de l'économie un petit peu dépassée ?
Ségolène Royal - Mais vous savez, il y a aujourd'hui 63 milliards d'euros qui sont dépensés en aides aux entreprises. J'en sais quelque chose en tant que présidente de région, puisque je fais des prêts aux entreprises. Ce qui n'est pas normalement de la responsabilité des collectivités territoriales, ni de l'argent public des contribuables. Cela est dû au fait que les banques ne font pas leur travail. Donc, il y a d'autres actions qui sont conduites parallèlement au contrat Première chance. D'abord, je vais reconcentrer, remobiliser les banques pour qu'elles fassent confiance aux entreprises. Ensuite, je vais nouer une nouvelle donne avec les petites et moyennes entreprises, pour que ce soit sur elles que l'allégement des charges sur le travail soit concentré, celles qui sont respectueuses des territoires, respectueuses des salariés. Et puis, je vais faire en sorte que les entreprises qui n'ont pas besoin de cet argent, qui en gagnent déjà beaucoup et qui, pourtant, bénéficient d'allégements de charges, qui n'hésitent pas à mettre la clé sous la porte alors qu'elles font des bénéfices ou qui licencient alors qu'elles font des bénéfices, ces entreprises-là devront rembourser tous les fonds publics qu'elles ont reçus et toutes les exonérations de charges dont elles ont bénéficiées. Autrement dit, il faut moraliser la dépense publique en direction des entreprises et la concentrer sur ceux qui cherchent du travail. Les jeunes d'un côté, et les salariés de plus de 50 ans, de l'autre, qui sont également en situation de grande inquiétude et de grande précarité. Parce que, là aussi, il y a un taux de chômage très important chez les seniors.
Thomas Hugues - Justement, Ségolène Royal, vous évoquez la question des conflits sociaux, Céline Bracq a une question sur ce qui se passe dans l'entreprise Aubade.
Céline Bracq - Oui, parce que vous avez voulu donner de la chair finalement à ce discours, on vous a vu récemment aussi soutenir les ouvriers de l'usine PSA Peugeot Citroën à Aulnay. Est-ce que vous n'allez pas les décevoir comme vous avez déçu les ouvrières d'Aubade à qui vous avez dit : J'occuperai l'usine, s'il le faut, avec vous, à vos côtés ? Finalement, l'usine de La Trimouille est fermée et les emplois sont délocalisés.
Ségolène Royal - Oui, mais il y a d'autres exemples qui ont bien fonctionné, la CAMIF, par exemple...
Céline Bracq - Mais cet exemple-là, s'il vous plaît...
Ségolène Royal - Attendez, attendez. Airbus, il y a des exemples qui fonctionnent et d'autres, je vais vous dire ce que j'ai fait sur les autres qui ont, malgré tout, mis la clé sous la porte. Parce que si demain, je suis élue présidente de la République, jamais Aubade n'aurait pu délocaliser sans avoir eu l'obligation de rembourser tous les fonds publics qu'elle a reçus. Toutes les entreprises en reçoivent des fonds publics puisqu'il y a des exonérations de charges sur les bas salaires. Aujourd'hui, que fait-on avec les salariés d'Aubade ? C'est la région...
Thomas Hugues - Ce n'est pas une promesse impossible à tenir finalement, Ségolène Royal?
Ségolène Royal - C'est la région qui est en train de mettre en place pour elle la sécurité sociale professionnelle. Donc, c'est un scandale puisqu'une entreprise s'est enrichie, a payé ses actionnaires, a décidé de délocaliser, a laissé sur le carreau plus d'une centaine d'ouvrières ; et, aujourd'hui, ce sont les contribuables, par l'intermédiaire de la région, qui sont obligés, parce que je ne veux pas que des salariées restent comme ça abandonnées à elles-mêmes, donc je mets en place la sécurité sociale professionnelle de façon expérimentale. Je redonne une formation professionnelle à ces salariées...
Céline Bracq - Dans ce cas, dans le cas d'Auabade, vous avez fait une promesse à ces femmes que vous n'avez pas pu tenir.
Ségolène Royal - Si. Je l'ai tenue parce que je ne les ai pas laissées tomber après. En tout cas, les règles du jeu changeront si je suis élue. Parce que Aubade n'aurait pas eu cette possibilité, alors qu'elle fait des bénéfices, de délocaliser sans rendre des comptes. Par ailleurs, les entreprises seront obligées d'informer les organisations syndicales, les représentants des salariés qui seront désormais, comme dans tous les autres pays d'Europe, membres du conseil d'administration. Donc, nous aurons l'occasion de résister avant...
Céline Bracq - Mais cette obligation d'information existe déjà, madame Royal !
Ségolène Royal - C'est le cas de l'entreprise Nestlé, qui devait fermer, où je me suis rendue, en Bretagne, et qui, du coup, n'a pas fermé. C'est le cas d'Airbus, à l'égard de laquelle, entreprise, nous avons, nous, les régions socialistes, mobilisé nos interventions et, du coup, l'actionnaire privé est resté alors qu'il devait se désengager et que Airbus a revu son plan de suppressions d'emplois. C'est le cas de la Camif à Niort, qui avait décidé de licencier les salariés, parce qu'on a été, j'ai été, avec la région, aux côtés des salariés, le plan est désormais suspendu en attendant justement que l'on y voit plus clair. Ce que je veux dire par là, c'est que lorsqu'il y a un rapport de responsabilité qui est mis en place à temps, alors que, aujourd'hui, il n'y a plus de politique industrielle de la part du gouvernement actuel, il y a une inertie totale, les délocalisations se font sans aucune réactivité, avec moi, cela ne se passera pas comme cela. D'abord, parce que les entreprises seront obligées d'anticiper ces mutations et d'en informer les représentants des syndicats et les pouvoirs publics qui leur ont donné des fonds publics. Ensuite, comme je le répète, elles y réfléchiront à deux fois, parce que lorsqu'il faudra rembourser plusieurs années d'exonérations de charges, peut-être que les délocalisations ne leur rapporteront plus autant de profits et autant d'intérêts. Je veux dire aussi qu'il y a des milliers d'entreprises qui se comportent bien, qui embauchent, ce sont les PME de la France, qui créent 60 % des emplois dans notre pays. C'est sur elles et avec elles que je ferai avancer le pays, en les aidant, en les épaulant, en les encourageant, en leur donnant des moyens, y compris par des allègements fiscaux, pour qu'elles innovent, pour qu'elles investissent dans la recherche, pour qu'elles qualifient bien leurs personnels. Je pense que c'est comme ça que nous gagnerons aussi la bataille de la mondialisation.
Thomas Hugues - Ségolène Royal, je vous interromps pour aborder un dernier thème économique - avant de parler plus précisément stratégie politique avec Nicolas Domenach - Céline, sur les banques, avec une polémique naissante entre Ségolène Royal et les banques.
Céline Bracq - Vous avez réitéré vos attaques contre les banques mardi...
Ségolène Royal - Ce n'est pas la première fois d'ailleurs.
Céline Barcq - Tout à fait. Donc, vous avez réitéré ces attaques. Seulement, vous proposez des mesures qui existent déjà, je pense, par exemple, au plafonnement des frais bancaires...
Ségolène Royal - Ah bon ! ?
Céline Bracq - ... Après un chèque en bois, cela vient juste d'être voté à l'Assemblée nationale. La rémunération des comptes courants, c'est déjà autorisé. L'Association des usagers des banques, l'AFUB, finalement estime que ce type d'intervention ne sert à rien parce qu'elle tombe à côté à cause de ces inexactitudes. Qu'est-ce que vous répondez ?
Ségolène Royal - Vous avez entendu la réaction de l'association des consommateurs ?
Céline Bracq - Je l'ai lu...
Ségolène Royal - Et des familles et des associations familiales ? Oui, elles, elles sont très contentes. Parce qu'elles savent que ce que je dis est vrai. Il suffit d'ailleurs de regarder la masse du courrier que je reçois, toutes les réactions sur Internet de gens qui n'en peuvent plus, qui n'en peuvent plus d'avoir à payer 50 euros...
Céline Bracq - Ca, je veux bien le croire, là, je parle de points précis...
Ségolène Royal - ... Pour un découvert bancaire de 61 euros. Mais ce n'est pas vrai ce que vous dites. Il y a des lois peut-être qui sont votées, mais qui ne sont pas appliquées. Le pouvoir bancaire en France est très puissant et très soutenu par l'actuel gouvernement. Le système bancaire est très concentré, il n'y a pas de libéralisme dans ce cas-là, ni de libre concurrence. Donc, il n'y a pas de choix pour les citoyens de mettre les banques en concurrence par rapport aux tarifications bancaires. Vous le savez bien, lorsque l'on reçoit un crédit, il met plusieurs jours à être crédité sur votre compte et lorsqu'il y a un débit, là, il n'y a pas de délai. Donc, tout cela, ça suffit maintenant. Je pense qu'en voilà assez...
Céline Bracq - Je parlais simplement de points précis qui effectivement existaient déjà...
Ségolène Royal - ... En voilà assez, en voilà assez de ce système bancaire qui s'enrichit sur le dos des classes moyennes et des plus modestes, qui ne rémunère pas les comptes courants. Parce que lorsqu'un citoyen est en excédent sur son compte pendant six mois, il n'est pas rémunéré ; il suffit d'un mois pour qu'il soit à découvert ou d'un chèque sans provision pour qu'il soit immédiatement pénalisé. Donc, j'ai dit que nous annualiserons les découverts et les excédents sur les comptes bancaires, comme ça, les banques cesseront leurs abus. Je pense qu'il est temps que les banques françaises cessent leurs abus et que les citoyens soient informés des tarifications bancaires. Tous les Français qui sont en train de m'écouter savent que j'ai raison et ils en ont assez des discours politiques qui font croire que les problèmes sont réglés, alors que ce n'est pas le cas. Je puis vous dire que, avec moi, ce problème sera réglé.
Thomas Hugues - Ils sont sûrement très nombreux à nous écouter en ce moment sur I Télé et à vouloir vous entendre parler un peu plus précisément stratégie politique avec Nicolas Domenach, le directeur adjoint de la rédaction de l'hebdomadaire Marianne. Bienvenue, Nicolas. C'est à vous.
Nicolas Domenach - Bonjour. Bonjour, Ségolène Royal. Il y avait une question que je mourrais d'envie de vous poser depuis quelque temps. C'est que, dans votre entourage, certains, quand ils ont pu avoir une baisse de tonus, une petite chute comme ça, quelques doutes, ceux-là nous ont dit que vous leur remontiez le moral parce que vous avez une confiance absolue dans votre victoire. Alors, elle repose sur quoi, cette confiance absolue ?
Ségolène Royal - Vous savez, je n'ai pas de confiance absolue dans une victoire électorale tant que celle-ci n'est pas arrivée. Non, j'ai une confiance absolue dans la façon juste dont je parle. Parce que j'ai écouté très longuement les Français, je sais ce qu'ils ne veulent pas et je comprends la France qu'ils veulent voir se lever. Je veux simplement être à la hauteur de ce rendez-vous historique très important et je demande aux Français de ne pas s'abstenir, de venir voter.
Nicolas Domenach - Quel crédit accordez-vous aux sondages ? Vous les regardez comment ? Vous les lisez avec distance ou bien vous pensez qu'ils donnent des chiffres très précis auxquels vous accordez un crédit total ?
Ségolène Royal - Ils donnent des indications, les sondages. Mais en même temps, vous avez vu, il y a encore un nombre très impressionnant de Français qui ne sont pas encore décidés et je respecte cette attente. Les Français sont exigeants, ils ont connu le 21 avril dernier, ils ne veulent pas que le 22 avril ressemble à celui-là, ils veulent un vrai choix. Ils ont compris que la crise que traverse la France est profonde, il y a une crise morale, une crise politique, ils se demandent d'ailleurs si la politique sert encore à quelque chose. Moi, je leur dis oui, bien sûr que la France peut reprendre la main, il n'y a pas de fatalité sur un certain nombre de problèmes, comme nous venons de les évoquer à l'instant. Bien sûr que l'on peut remettre en place d'autres règles du jeu et que, tout en étant fidèle aux valeurs républicaines, on est capable aussi de résister à tous les dévoiements, à la montée des intolérances, à la montée des discriminations, à la montée de toutes les formes de racisme. En même temps, on est capable aussi de rendre la France plus efficace et de faire en sorte qu'elle saisisse toutes ses chances, avec les entreprises, comme je l'ai dit tout à l'heure, les talents, les laboratoires de recherche, les jeunes bien formés, une France rayonnante qui sera fière d'elle-même, c'est cela tout simplement que j'ai envie de porter.
Nicolas Domenach - Mais qu'est-ce qui peut faire la différence, Ségolène Royal, à votre avis, dans la dernière ligne droite ? Est-ce que c'est un thème plus précisément, une revendication ou une façon de faire de la politique ? Qu'est-ce qui peut vous distinguer, à votre avis, des autres ?
Ségolène Royal - Il y a beaucoup de choses bien sûr. Il y a d'abord les valeurs fondamentales. Moi, je crois qu'aujourd'hui, l'efficacité rime avec solidarité et avec sécurité, c'est-à-dire que ce n'est pas en précarisant le travail, en précarisant les services publics ou en abaissant le pouvoir d'achat des gens ou en privatisant la Sécurité sociale, comme je l'entends du candidat de l'UMP, qui propose maintenant de mettre des franchises sur toutes les formes de soins, je crois que ce n'est pas comme ça qu'on rend la France efficace. Bien au contraire, on l'affaiblit. Donc, il y a une différence considérable entre les modèles de société qui sont présentés aujourd'hui aux Français. Moi, ma conviction, je le répète, c'est qu'il faut inventer des nouvelles sécurités dans un monde plus instable, qu'il faut renforcer les mécanismes de solidarité, qu'il faut mettre en place bien sûr des systèmes donnant/donnant, c'est comme ça que la France sera efficace.
Thomas Hugues - Justement, vous évoquez le candidat de l'UMP, Nicolas Sarkozy, pour ne pas le nommer, dans le livre que vous venez de publier, vous répondez aux questions de Marie-Françoise Colombani, « Maintenant », vous déclarez à propos de Nicolas Sarkozy, je vous lis : « Je n'ai pas la même conception de l'exercice du pouvoir que la sienne. Je trouve cette boulimie et cette volonté de tout contrôler inquiétantes pour la France. » Tout simplement, sur quoi vous vous basez pour affirmer ça ?
Ségolène Royal - Je crois que tout est dit, je n'ai pas à en rajouter.
Thomas Hugues - En quoi est-il boulimique de pouvoir ?
Ségolène Royal - Je crois que cela s'est vu. Donc, je n'ai rien à ajouter à cela.
Thomas Hugues - Pourquoi ? Parce que vous ne voulez pas l'attaquer finalement ?
Ségolène Royal - Non, parce que je crois que c'est aux Français d'évaluer les différentes conceptions dans l'exercice du pouvoir. Moi, je crois qu'on ne peut pas avoir raison tout seul. Quand j'ai entendu critiquer le fait que j'ai pris le temps d'écouter les Français, de construire avec eux, lorsque je propose une réforme profonde des institutions pour justement être plus efficaces, pour faire davantage confiance aux citoyens, à leur capacité d'expertise, aux élus de proximité également, pour mettre de la démocratie participative partout, les référendums d'initiative populaire, la consultation des associations, les jurys citoyens, tout cela, je crois que c'est cela qui nous rendra collectivement plus efficaces. Quand je parle de « La France présidente », c'est que je pense que le chef de l'Etat à la présidence de la République doit entraîner, doit montrer le chemin, que la France se relève si tout le monde s'y met. Ce n'est pas une seule personne qui peut tout faire. C'est que si chacun a le sentiment profond et même la démonstration à la fois que les fruits de la croissance sont équitablement répartis, que le travail est moins taxé que le capital, que les efforts ne sont pas toujours demandés aux mêmes, qu'il n'y en a pas quelques-uns qui s'en sortent aux dépens du plus grand nombre ; bref, si les mécanismes de solidarité fonctionnent bien et d'égalité réelle des chances, alors, tout le monde aura envie de se mettre en mouvement pour redresser la France. Voilà ma conception.
Thomas Hugues - Nicolas Domenach, encore quelques questions politiques.
Nicolas Domenach - Madame Royal, il y a une question qu'on pose à tous les candidats, c'est au fond comment pourront-ils obtenir une majorité à peu près cohérente ou en tout cas suffisante pour non seulement être élus, mais gouverner de manière pérenne ? François Mitterrand, en 1972, avait conçu, lui, l'union de la gauche avec un Parti communiste fort, puissant. Aujourd'hui, nous avons un Parti communiste très faible, les Verts qui le sont également. Or, vous semblez exclure toute alliance avec le centre. Donc, comment allez-vous vous y prendre ? Avec qui ? Quelle est la stratégie politique ?
Ségolène Royal - Le problème, ce n'est pas des négociations entre appareils politiques. Je crois que ce n'est pas ça une élection présidentielle. Puisqu'il y a un lien direct entre une personne et le peuple français, appuyé bien sûr sur des identités politiques et des partis politiques qui concourent à l'expression du suffrage. En même temps, il y a ensuite l'émergence d'une majorité présidentielle. Donc, mon souhait, c'est de rassembler tous ceux et toutes celles qui se retrouveront, entre les deux tours, sur le Pacte présidentiel que je propose...
Nicolas Domenach - En créant un nouveau parti, madame Royal ?
Ségolène Royal - ... Avec des valeurs, avec de nouvelles règles et avec des actions concrètes.
Nicolas Domenach - Et en créant un nouveau Parti socialiste, par exemple, madame Royal ? Puisque vous avez introduit des nouvelles pratiques, une nouvelle façon de faire de la politique - comme le dit d'ailleurs François Hollande aussi - qui, parfois, étonne, bouscule les habitudes. Donc, il faudra aussi bousculer le Parti socialiste tel qu'il est, demain ?
Ségolène Royal - Mais le Parti socialiste est en mouvement, est en mutation. Regardez avec le nombre très important de nouveaux adhérents qui sont venus ! Donc, le Parti socialiste a la capacité - et il est en train de le faire - de s'adapter à l'évolution des problèmes, à la nouvelle vision du monde, à tout ce qui bouge, non seulement à l'échelle de la planète, mais aussi de l'Europe et de la France.
Thomas Hugues - Ségolène Royal, on l'a appris un peu plus tôt dans l'après-midi, Nicolas Sarkozy a dû annuler sa visite du quartier de la Croix-Rousse à Lyon, il y avait une manifestation de 100 à 300 personnes hostiles à sa venue, qui manifestaient aux cris de « Kärcher » et en brandissant des pancartes « Vous n'êtes pas le bienvenu ». Comment vous réagissez à cet incident de campagne ?
Ségolène Royal - Ecoutez, moi, j'ai fait l'objet d'attaques très virulentes de la part de monsieur Sarkozy, qui a déformé à plusieurs reprises mes propos pour essayer d'exploiter le thème de l'insécurité. Donc, je me suis maintenant fixé une règle, parce que je veux m'élever au-dessus de ces débats de personnes et de cette brutalité verbale, de ne pas lui répondre en direct, donc de ne pas faire de commentaire sur ce qui lui arrive. C'est ma façon aussi de m'appuyer sur l'intelligence des Français qui voient les choses et qui les comprennent très bien.
Thomas Hugues - Ségolène Royal, il nous reste un peu plus de deux, trois minutes, on va vous poser des questions, le terme que j'ai employé hier avec François Bayrou, c'était décalé, je ne sais pas si c'est le bon. Je vais commencer, dans votre livre « Maintenant », vous vous reconnaissez un défaut, en réponse à une question de Marie-Françoise Colombani. Alors, quel défaut vous reconnaissez-vous, Ségolène Royal?
Ségolène Royal - J'en ai forcément plusieurs comme vous...
Thomas Hugues - Oui. Moi, j'en ai plein...
Ségolène Royal - ... (Rires)... Vous savez, j'ai voulu...
Thomas Hugues - Vous disiez, mon amour-propre, vous disiez...
Ségolène Royal - ... J'ai voulu, dans ce livre, répondre, en effet, en toute liberté et en toute transparence à des questions que je n'ai pas choisies. Donc, ça me paraît bien aussi d'avoir, à des moments comme ça de sa vie politique, l'occasion de répondre très simplement aux questions d'une femme...
Thomas Hugues - Mais c'est vrai que vous avez...
Ségolène Royal - ... une grande journaliste...
Thomas Hugues - ... Un peu trop d'amour-propre ?
Ségolène Royal - Peut-être, oui, sans doute, si je le dis, ça doit être vrai, oui... Ce n'est pas bien grave, vous l'avouerez...
Nicolas Domenach - Madame Royal, dans la biographie que vous consacrait Daniel Bernard, on apprenait votre passion, qu'on a ensuite approfondie, pour Jeanne d'Arc. Jeanne d'Arc, « femme triplement sacrilège », disiez-vous dans un de vos discours, triplement sacrilège dans ce monde d'hommes parce que femme de guerre, femme de Dieu, femme de peu, enfin bon ! On vient d'apprendre que, au fond, les restes, que Jeanne d'Arc n'était plus dans Jeanne d'Arc, d'une certaine façon que ses restes, ses reliques étaient celles d'une momie égyptienne, parfumée à la vanille, qui plus est. Je voulais savoir comment vous aviez réagi à cette nouvelle ?
Ségolène Royal - Je n'étais pas au courant...
Nicolas Domenach - C'est un mythe qui part en fumée, non ?
Ségolène Royal - Je n'étais pas au courant, mais cela n'a aucune importance. C'est surtout son caractère, son histoire, sa référence, une histoire exceptionnelle, extraordinaire.
Thomas Hugues - Céline, une dernière question.
Céline BRACQ - Je ne sais pas si ça vous amuse ou si ça vous agace, mais vous avez de nombreux surnoms, « Zapatera - Zapaterreur - Bécassine ». Est-ce que dans tous ces surnoms, il y en a un que vous préférez ?
Ségolène Royal - Ah bon ! ... (Rires)... Non, je laisse à leurs auteurs le plaisir de les utiliser.
Thomas Hugues - Dernière question, elle est vraiment légère. J'apprends dans Paris Match que vous faites de la gym, du Power-Plate, pour être précis, pour garder la forme. Est-ce que vous avez encore le temps de faire de la gym ?
Ségolène Royal - En plus, l'information n'est pas exacte, donc je suis très étonnée de ces intrusions, vous savez, même dans l'intimité... C'est étonnant, cette curiosité de la presse... En plus, je n'ai même pas été contactée par ce journaliste...
Thomas Hugues - Non, mais au-delà de ça, comment on tient dans une campagne électorale comme celle-là ?
Ségolène Royal - ... Pour avoir des confirmations de cela. Mais vous savez, si l'on croyait toutes les bêtises qui sont écrites actuellement dans les journaux, il y en aurait des romans, des bandes dessinées à écrire.
Thomas Hugues - Au-delà de ça, Ségolène Royal, comment on tient physiquement dans une campagne électorale ? C'est quand même un moment très dur.
Ségolène Royal - Oui, c'est très dur. Je crois qu'il faut avoir beaucoup de courage physique, beaucoup de courage mental, être aussi bien entouré, avoir des appuis autour de soi, et puis avoir le sentiment sans relâche de ne pas décevoir. Vous voyez, peut-être que ce soir, il va y avoir 10 000 personnes qui vont venir m'écouter, donc c'est pour moi à la fois un moment de gravité, un bonheur aussi immense d'être dans cette situation, c'est-à-dire de porter un idéal, une espérance de changement, une envie d'une France neuve, une audace sans doute. C'est cela qui me porte, c'est la foule sentimentale.
Thomas Hugues - Ce sera le dernier mot, foule sentimentale. Merci, Ségolène Royal, d'avoir répondu à nos questions. Merci à tous les deux, Céline et Nicolas. Demain, sur ce plateau, Nicolas Sarkozy, qui sera, lui aussi, présent une quarantaine de minutes pour vous convaincre.
Source http://www.desirsdavenir.org, le 10 avril 2007