Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle de 2007, sur "France 2" le 18 avril 2007, sur le niveau de vie, le logement, le chômage ainsi que sur les intentions de vote en sa faveur.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Bonjour à tous, bonjour, A. Laguiller !
R- Bonjour !
Q- On est à quelques jours du dernier jour de votre dernière campagne présidentielle. Ceux qui étaient à votre meeting du Zénith à Paris ont eu le sentiment qu'il y avait une certaine émotion chez vous. Est-ce que vous avez un petit pincement de coeur à quelques jours de la fin de votre vie politique ou en tout cas de la fin de votre vie politique en campagne présidentielle ?
R- Non, écoutez, je n'ai pas envie qu'on fasse ma nécrologie alors que simplement, j'aurai...
Q- C'est simplement pour savoir s'il y a un petit peu d'émotion !
R- ...en 2012 - ce n'est pas moi qui y serai, mais je ne vais pas arrêter de faire de la politique pour autant. J'ai plein de choses à transmettre à mes jeunes camarades et je ne vais pas m'en priver. Non, je crois que ce meeting surtout c'était une réussite et de ce point de vue-là j'ai été extrêmement émue de voir le monde qu'il y avait et ça m'a beaucoup réconfortée dans cette campagne, évidemment.
Q- Vous avez vraiment l'expérience des campagnes présidentielles, puisque vous êtes candidate depuis 1974 ; quel jugement vous portez sur celle de 2007 ?
R- Pour moi, c'est une campagne où l'urgence sociale devrait être au premier plan, où on devrait avancer des solutions pour le chômage, où on devrait parler des salaires, où on devrait parler du manque de logements, qui est une vraie catastrophe nationale aujourd'hui, et au lieu de ça on a tout un tas de dérives vers le ministère de l'immigration et de l'identité nationale, les petits drapeaux. Tout
le monde prend comme un évènement extraordinaire les propos de messieurs Rocard et Kouchner et comme ça on ne parle plus des problèmes principaux. Alors moi, je m'efforce dans ma campagne d'en parler justement.
Q- Mais par rapport aux campagnes précédentes, à toutes celles que vous avez connues, quelles différences est-ce que vous voyez ?
R- Ecoutez, franchement, le chômage est à un niveau élevé, on a un vrai chômage de masse, on a au minimum 3 millions de chômeurs, des millions de personnes qui n'ont que des emplois précaires, donc on peut dire qu'il y a 5 ou 6 millions de personnes qui sont soit chômeurs, soit demi chômeurs. On a un niveau de vie qui est insuffisant, il y a une nécessité absolue à augmenter les salaires, on ne peut pas vivre aujourd'hui avec le SMIC. Donc moi je suis pour le porter à 1.500 euros net et augmenter tous les salaires de 300 euros, ne serait-ce que pour rattraper la hausse des prix qui continue dans ce pays. Et également ce qui ampute beaucoup les budgets les plus modestes, c'est tout ce qu'on nous fait payer aujourd'hui : non remboursement d'un certain nombre de médicaments, le forfait hospitalier qui augmente, l'argent qu'on nous reprend sur les actes médicaux etc. C'est-à-dire que dans les foyers modestes, il y a une réelle baisse du niveau de vie. Donc ça, effectivement, il faudrait changer ça. Et puis surtout, je trouve qu'il y a vraiment une catastrophe dont on ne parle pas assez, c'est celle du logement ; 3 millions de personnes ne sont pas logées du tout ou très mal logées dans ce pays.
Q- Il y a eu une loi qui est intervenue.
R- Mais oui, mais la loi sur le logement opposable ne fabrique pas des logements. Il faut que se crée vraiment un office national du logement, que ce soit l'Etat qui prenne en main, qui préempte ou qui réquisitionne des terrains, qui supprime d'ailleurs tous ces hôtels miteux qui sont des vrais taudis où les propriétaires ont gagné beaucoup d'argent, que l'Etat prenne ces endroits-là et en fasse du logement social, parce qu'on en a vraiment besoin aujourd'hui. Et ça on n'en parle pas beaucoup dans cette campagne. Tout le monde a pleuré, a versé des larmes au moment de la mort de l'abbé Pierre mais c'est complètement oublié ! Or il y a des gens qui vivent aujourd'hui dans des taudis, dans des campings, dans des caravanes, chez des amis, dans la famille et qui ne peuvent pas se loger.
Q- A l'extrême gauche, il y a une grosse concurrence : il y a vous, il y a O. Besancenot, il y a J. Bové ; est-ce qu'il n'y a pas trop de concurrence ?
R- Moi, je ne considère pas ces candidats comme des concurrents. Moi, vous savez, en 19...
Q- Bah, les voix vont se répartir entre vous.
R- En 1995, où j'ai commencé à sentir l'urgence qu'il y avait à changer quelque chose, par exemple en matière de chômage, c'est-à-dire en particulier prendre sur les profits pour interdire les licenciements, eh bien j'étais la seule à parler de ça en 1995. Douze ans après, eh bien tant mieux si on est plusieurs à dire les mêmes choses sur ce sujet social qui est extrêmement important dans la campagne. Donc moi je ne vais pas me plaindre que le plan d'urgence que j'avais développé en 95 soit repris par d'autres, au contraire.
Q- Mais s'il y avait eu un seul candidat d'extrême gauche qui aurait fait un plus gros score, ça n'aurait pas eu plus de poids ?
R- Je pense que vous additionnerez les scores des uns et des autres et que, exactement comme vous l'aviez fait, vous les journalistes, en 2002, en disant l'extrême gauche dans ce pays pèse 10 %. Bon, ce n'est pas ça qui a changé effectivement les choses, parce que ce qui aurait pu changer les choses, c'est qu'il y ait des mouvements sociaux importants qui reprennent les objectifs que je mets en avant sur le chômage, sur les salaires, sur aujourd'hui le logement qui s'ajoute dans le nombre des urgences à régler.
Q- Et alors vous, vous êtes autour de 2 % dans les sondages, c'est beaucoup moins que ce que vous aviez fait en 2002, plus de 5 % ; est-ce que vous pensez que c'est lié aux appels au vote utile en faveur de S. Royal ?
R- Ecoutez, d'abord j'espère que ce sera plus de 2 %, d'ailleurs les sondages varient
d'un institut de sondage à l'autre, donc je ne vais pas avoir les yeux fixés là-dessus, j'attends dimanche pour savoir. Oui, bien sûr que le vote utile qu'avance le Parti socialiste peut peut-être nous faire du tort, mais moi je dis que le vote vraiment utile c'est au premier tour de dire ce qu'on voudrait, autrement on aura de plus en plus cette dérive vers la droite qu'on sent déjà dans la campagne de madame Royal, qui a couru derrière Sarkozy à propos de l'identité nationale, lui-même courant derrière Le Pen. On voit maintenant que M. Rocard, B. Kouchner essaient de tirer la candidate du Parti socialiste vers sa droite, vers un candidat de droite, qui est Bayrou, donc on voit bien que s'il n'y a pas un contrepoids à l'extrême gauche, la campagne de madame Royal risque, et surtout ce qu'elle fera si elle est élue, risque de dériver beaucoup plus vers la droite que vers la gauche. Et vraiment, au premier tour, le poids de l'extrême gauche peut compter justement pour empêcher cette dérive vers la droite.
Q- Mais est-ce que vous vous dites que S. Royal est une candidate de gauche ou pas ?
R- Oui, bien sûr, elle est la candidate du Parti socialiste. Maintenant, son programme il n'est pas vraiment socialiste. Quand elle demande simplement qu'il y ait 1.500 euros dans cinq ans, à la fin de sa législature, pour le SMIC, et encore 1.500 euros brut, non ce n'est pas ce qu'attendent les travailleurs qui d'ailleurs luttent aujourd'hui dans beaucoup d'entreprises pour l'augmentation des salaires. Quand elle dit qu'elle va faire un contrat première chance, qui s'apparente finalement au contrat CPE qu'ont combattu les jeunes dans ce pays, qui ont réussi à faire reculer le Gouvernement Villepin, non ce n'est pas une mesure socialiste.
Q- Pour le deuxième tour, parfois vous avez donné des consignes, parfois vous n'avez pas donné de consignes. Cette fois-ci, qu'est-ce que vous allez faire ?
R- Ecoutez, je donnerai, oui, une consigne : la consigne elle peut être quelquefois le vote blanc, même s'il n'est pas malheureusement comptabilisé, mais elle peut être aussi un choix entre le moins pire ou celui qui est un petit peu meilleur.
Q- C'est-à-dire que vous n'excluez pas un appel en faveur de S. Royal ?
R- Je veux revenir là-dessus pour dire que vraiment c'est au premier tour qu'on peut dire ce qu'on pense et ce qu'on veut. Après, c'est fini, on procède forcément par élimination et des fois on n'a même pas le choix, on l'a vu en 2002, en tout cas de mon point de vue.
Q- Mais est-ce que vous faites une différence entre S. Royal et N. Sarkozy ?
R- Oui, bien sûr qu'il y a des différences entre S. Royal et N. Sarkozy. Je dirais que S. Royal c'est un petit peu moins pire que N. Sarkozy. Mais qui sera au deuxième tour ? Est-ce que ce sera Sarkozy/Royal, Bayrou/Royal, Bayrou/Sarkozy ?
Q- Et entre F. Bayrou et N. Sarkozy, vous faites une différence ?
R- Ecoutez, je pense que tous les deux ont mené ensemble une politique de droite pendant au moins quatre ans, puisque vers la fin, F. Bayrou s'est un petit peu distingué du reste de la majorité de ce gouvernement. Mais franchement, on ne voit pas beaucoup de différences dans le programme social, dans le programme économique entre Sarkozy et Bayrou.
Merci, A. Laguiller !
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 avril 2007