Texte intégral
J.-P. Elkabbach : A vous F. Baroin. B. Delanoë est là comme vous tout à l'heure, il vous écoute avec beaucoup d'attention. Que dit le ministre de l'Intérieur d'une campagne passionnante et maintenant dramatisée, nous sommes à quelques jours du 2ème tour, et où chaque candidat est en train de déplacer des montagnes ?
F. Baroin : D'abord, il tire les enseignements du 1er tour, et je crois qu'il ne faut vraiment pas effacer ce qui s'est passé : 85 % du corps électoral s'est mobilisé, 85 % des Français qui étaient en âge de voter sont allés choisir, s'exprimer. C'est un raz-de-marée démocratique qui s'est passé, c'est absolument considérable. Ça a ouvert les yeux en Europe et dans le monde sur cette vitalité démocratique qu'a offert la société française, par un débat très animé c'est vrai, par un débat qui a passionné. Est-ce que parce que c'est une nouvelle génération, est-ce que c'est parce que c'est un carrefour pour notre pays, est-ce parce que c'est un monde incertain...
J.-P. Elkabbach : Et est-ce que vous prévoyez au 2ème tour autant de votants ?
F. Baroin : Je l'espère, je l'espère et... dans la mesure où ce 1er tour, dans sa préparation comme dans cette respiration démocratique magnifique et splendide, s'est déroulé y compris le soir même dans des conditions parfaitement acceptables, tout porte à croire que nous aurons le même élan. Et ça, il faut l'avoir bien en tête car cela veut dire qu'aucun résultat n'est contestable, et que surtout la qualité du débat et les enjeux pour préparer l'avenir permettront au futur président de la République et à la future majorité, d'avoir les conditions pour réussir la transformation de notre pays.
J.-P. Elkabbach : Alors chaque jour, la question d'un ou d'une journaliste d'Europe 1. A. Leroy. A. Leroy : Vous disiez que les gens avaient voté en masse, ça a été notamment le cas dans les banlieues, elles ont beaucoup voté. On a beaucoup dit qu'elles seraient agitées. Visiblement, ça ne l'a pas été. Comment justement appréciez-vous cette situation, ce calme ?
F. Baroin : Je pense que quand vous avez 85 % de participation, rien ne peut se faire sauf de l'agitation extrémiste, sauf de l'inutilité d'un désordre public et qui, de toute façon, serait maîtrisé parce qu'on ne l'accepterait pas et on ne le tolèrerait pas. Que les banlieues se soient mobilisées, les banlieues..., en réalité, les gens qui habitent dans des quartiers à plus grandes difficultés que d'autres et qui, pendant longtemps étaient un peu désespérés et n'allaient pas voter, et qui depuis deux ou trois élections - c'était le cas pour les régionales, ça a été le cas également pour la consultation référendaire sur la Constitution européenne, c'est le cas pour les présidentielles - retrouvent le chemin des urnes, c'est d'abord une très bonne nouvelle démocratique et c'est ensuite un élément de réflexion, parce qu'ils vont peser par leur choix sur les orientations...
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire qu'il faudra plus...
F. Baroin : ... Des politiques municipales ou des politiques nationales. Bien sûr, ça veut dire « aidez-nous », ça veut dire « continuez ce que vous avez engagé », ça veut dire « accélérez le processus ».
J.-P. Elkabbach : Les deux finalistes veulent démontrer leur force à travers des meetings monstres. N. Sarkozy hier à Bercy, c'est fait, d'ailleurs vous y étiez, on peut se demander comment vous vous dédoublez, vous étiez à Bercy dans les tribunes...
F. Baroin : Je ne serai pas à Charléty, si c'est ça votre question...
J.-P. Elkabbach : Mais en même temps, vous étiez chargé de la sécurité des militants de Bercy. Et puis il y a demain naturellement, S. Royal... vous ne serez pas à Charléty, un grand meeting au stade de Charléty. Quel type de problèmes de sécurité ça pose au ministre de l'Intérieur ?
F. Baroin : On a eu ces problèmes avant le 1er tour, c'est une campagne qui au final, on vient de le dire, a été rappelée par une très forte mobilisation des électeurs, mais qui a été aussi marquée pendant les semaines précédentes par une très forte mobilisation des militants. Il y a eu beaucoup plus de monde dans les réunions publiques que lors des précédentes campagnes présidentielles, il y a eu également des mouvements plus incertains sur les candidats, des menaces sur les permanences électorales, que ce soit pour les parlementaires ou que ce soit pour les déplacements des grands candidats ou des petits candidats. Donc, il a fallu...
J.-P. Elkabbach : Il y a eu des menaces ?
F. Baroin : Bien sûr qu'il y a eu des menaces, elles ont été connues pour certaines, d'autres moins, donc j'avais donné des directives aux préfets. Charge à eux ensuite, en fonction des moyens dont ils disposent, d'organiser les rondes, les surveillances des permanences et d'assurer avec les dispositifs nécessaires, avec des renforts parfois, pour assurer le bon déroulement de ce type de meeting.
J.-P. Elkabbach : Monsieur le ministre de l'Intérieur, est-ce que nous avons frôlé des dangers que nous ne savons pas ? Et même de caractère... au-delà de cette sécurité...
F. Baroin : Ce qu'il faut retenir de votre question, c'est si on les a frôlés. Ce qui est important c'est que vous ne l'ayez pas su parce qu'on a bien fait notre travail.
J.-P. Elkabbach : Même de menaces terroristes, non ?
F. Baroin : Ecoutez, c'est un secret pour personne, sur votre antenne, je me suis déjà exprimé, on s'est exprimé à de nombreuses reprises, on est en système Vigipirate rouge, il est maintenu depuis plusieurs mois, ce n'est pas par hasard.
J.-P. Elkabbach : Hier, N. Sarkozy a proposé un scrutin majoritaire avec un peu de proportionnelle pour l'Assemblée nationale, et surtout le Sénat, ce qu'a dit et commenté F. Fillon, surtout le Sénat. Pourquoi, pourquoi maintenant ? On voit bien, il y a la perspective du 2ème tour, mais pourquoi et est-ce que c'est une manière d'attirer vers vous les centristes pour certains encore récalcitrants, pas tous ?
F. Baroin : Je crois qu'il n'y a pas que ça, enfin il ne faut pas le voir ou interpréter cette position comme un simple clin d'oeil électoraliste entre les deux tours. Il y a un vrai problème. D'abord on a un problème de redécoupage électoral pour les circonscriptions législatives, le Conseil constitutionnel nous l'a demandé, il faudra le faire après les élections législatives. Qui dit redécoupage dit ensuite un député pour combien d'électeurs, et donc quelle forme d'élection. Ensuite le débat, il est ouvert. Ce qui est important dans une démocratie, après quand même ce qui pour moi est un événement de ce qui s'est passé pendant cette élection présidentielle, c'est offrir le miroir le plus sincère de la société française. Le miroir le plus sincère à la télévision, à la radio mais aussi dans la représentation démocratique. Ce miroir sincère, on le trouve dans un équilibre. La proportionnelle, c'est à manier avec prudence, mais c'est à manier avec intérêt...
J.-P. Elkabbach : Quelle est la dose de proportionnelle...
F. Baroin : Car cet intérêt est peut-être celui d'avoir la photographie la plus objective de ce que représentent les courants de pensée politique. Moi, je crois que la méthode proposée par N. Sarkozy hier est la bonne. S'il est élu dans cette hypothèse - puisqu'on se place dans cette hypothèse - il consultera les formations politiques. S'il y a une proportionnelle, elle ne peut pas être dominante, car ce qui est important dans notre fonctionnement, c'est d'avoir une majorité pour gouverner, et on sait que c'est le scrutin majoritaire et non pas le scrutin proportionnel qui donne les moyens d'agir.
J.-P. Elkabbach : On voit bien que la Vème République est en train de changer ou qu'elle va changer aussi dans la pratique, elle sera une des conséquences de l'élection présidentielle de 2007.
F. Baroin : Ce n'est pas parce qu'il y aura de la proportionnelle qu'elle va changer, parce que B. Delanoë est encore là, il me semble que F. Mitterrand dont il a été un des fervents soutiens, avait instillé de la proportionnelle, ce qui devait d'ailleurs donner un coup de projecteur et le début du développement du Front national.
J.-P. Elkabbach : Et ce que vos amis avaient corrigé dès qu'ils étaient revenus au pouvoir.
F. Baroin : Ça a été corrigé après oui.
J.-P. Elkabbach : Oui. L. Thuram, je lis ça dans Libération, remet ça, il accuse N. Sarkozy de réveiller le racisme latent des gens. Est-ce que vous le sentez de cette manière et qu'est-ce que vous en dites ?
F. Baroin : Je vais vous dire, ça me fait de la peine parce que j'étais ministre de l'Outre-mer avant d'être ministre de l'Intérieur, et je connais bien L. Thuram, j'ai beaucoup d'estime, notamment pour sa participation sur toute la question qu'on avait organisée autour de l'esclavage, la commémoration, la grande loi nationale votée à l'unanimité. C'est un garçon intelligent, c'est un homme qui réfléchit et c'est un homme qui s'est engagé, il a ce mérite-là. Et ça me fait de la peine parce que s'il dit ça, ça veut dire qu'il ne connaît pas N. Sarkozy, qu'il ne s'est peut-être pas posé les bonnes questions dans les entretiens ou dans les échanges qu'il a avec lui, et qu'il surfe un peu plus sur son engagement politique partisan que sur la réalité de ce qu'un acteur comme lui peut apporter au débat de la société.
J.-P. Elkabbach : Hier, il y a eu différentes positions, et après le débat Bayrou - S. Royal, F. Fillon disait qu'il redoutait qu'il n'appelle pas à voter en faveur de S. Royal. Qu'est-ce que vous attendez de F. Bayrou ?
F. Baroin : Je dois dire que depuis mercredi, plus grand-chose, puisqu'il a dit qu'il ne ferait pas de choix. On attend beaucoup de ses amis qui se déplacent avec beaucoup de force maintenant. H. Morin, qui est quand même le président du groupe UDF, s'est engagé sans coup férir pour N. Sarkozy et il a raison, pourquoi ? Parce qu'au fond, si on réfléchit bien à la stratégie de l'UDF, pendant 4 ans, on a fait un peu son marché dans les textes que les gouvernements Raffarin et Villepin ont proposé, mais enfin au final on était quand même dans la majorité. Et puis la dernière année, on n'a pas voté le budget et on a voté la censure. On peut s'interroger si cette dernière année n'était pas le début de la posture pour récupérer un espace dans le cadre de la campagne présidentielle, et puis ensuite revenir dans un giron plus traditionnel. C'est ce qui va se passer avec les élus de F. Bayrou, c'est ce qui se passe avec les grands représentants à l'Assemblée ou au Sénat, et j'espère que c'est ce qui se passera après pour tout le monde, y compris le leader centriste.
J.-P. Elkabbach : Vous ferez une place aux centristes, on a entendu hier N. Sarkozy dans cette majorité nouvelle.
F. Baroin : N. Sarkozy qui, je trouve, a vraiment trouvé une tonalité excellente par rapport à l'objectif d'être chef de l'Etat, est dans une logique d'ouverture, de rassemblement, de bras ouverts ou de mains tendues, on l'appelle comme on veut. Mais il est évident que sur le plan politique, les centristes ont toute leur place pour s'inscrire dans la majorité présidentielle. Et c'est maintenant que ça se joue.
J.-P. Elkabbach : A. Leroy.
A. Leroy : Et demain 1er mai, J.-M. Le Pen doit donner ses consignes de vote. Qu'est-ce que vous attendez de J.-M. Le Pen ?
F. Baroin : Pas grand-chose non plus, il fera ce qu'il voudra, et je crois surtout que personne n'est propriétaire de ses électeurs. Je crois qu'il se passe quelque chose dans le pays à travers ce débat, à travers cette mobilisation, à travers l'intérêt, à travers la qualité d'écoute que les uns et les autres ont encore par rapport à ce qui se dit. Ensuite chacun choisira. Dimanche, il y aura un ou une président de la République élu bien au-delà de son propre camp, et probablement avec des voix venant d'un peu partout.
J.-P. Elkabbach : Mais ça c'est un fait historique sur lequel, à la fois B. Delanoë, vous F. Baroin, vous pourriez être d'accord, c'est le fait de la réduction de l'influence du Front national à l'occasion de ce 1er tour ?
F. Baroin : Vous me permettrez de dire quelque chose... pardon, parce que vous avez croisé le regard du maire de Paris, je n'ai pas voulu interrompre mais j'avais écouté avec beaucoup d'intérêt. Je crois que si on regarde l'histoire de la droite par rapport à l'extrême-droite au court de ces 20 années qui viennent, on retiendra que l'action de J. Chirac et de N. Sarkozy aura été une action très complémentaire. Car le Front national monte et surfe un peu sur la crise au milieu des années 80, et s'il n'y avait pas eu J. Chirac, il n'y aurait pas eu un rempart contre l'extrême-droite. Et peut-être que l'histoire se serait écrite différemment. Le rôle de J. Chirac est un rôle historique qui aura empêché l'extrême-droite d'accéder au pouvoir. Et...
J.-P. Elkabbach : Avec l'aide d'une grande partie du peuple français...
F. Baroin : Et ce qu'a fait...
J.-P. Elkabbach : Et peut-être de la gauche, non ?
F. Baroin : Et ce qu'a fait N. Sarkozy a été, par son action au ministère de l'Intérieur - et je peux en porter un témoignage - par sa capacité, ses mots, son discours, avec d'autres mais avec son incarnation personnelle, de restaurer une certaine autorité de l'Etat, a apporté des éléments de réponse que les Français attendaient.
B. Delanoë : Non vraiment là... pardonnez-moi Monsieur Baroin, d'une part J. Chirac était président de la République depuis sept ans, lorsque Le Pen a fait en 2002 le plus haut score qu'il n'ait jamais fait, et je vous le dis avec beaucoup de sérénité mais de gravité, je pense quand même que les propos de N. Sarkozy sur le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale n'ont pas fait avancer la France. Cela étant dit, pour terminer sur quelque chose de consensuel justement, la grande victoire c'est celle des Français qui, en votant massivement le 22 avril, en retenant la leçon de l'histoire justement de 2002, eux ont décidé de mettre le Front national à une place beaucoup plus réduite. Donc soyons un peu modeste, à droite comme à gauche - à droite comme à gauche - car on a toujours tendance à s'attribuer des mérites que l'on n'a pas nécessairement. Et là en l'occurrence, les Français en votant à 85 % et en mettant Le Pen à 10 %, c'est eux qui ont fait l'essentiel plus que les responsables politiques.
J.-P. Elkabbach : F. Baroin pour terminer.
F. Baroin : L'histoire retiendra que le Front national a grandi dans les années 80, qu'il s'est développé sur la crise, qu'il s'est développé avec un peu de tactiques politiques et qu'on a eu sur l'échiquier à droite, une forte personnalité avec J. Chirac et une autre forte personnalité avec N. Sarkozy qui, par leurs actions et par leur posture parce qu'ils n'ont jamais cédé sur l'essentiel et jamais négocié quoi que ce soit, ont empêché un accord droite extrême/droite. Et ça, pour une République comme la nôtre, de gauche comme de droite, où que l'on se trouve, c'est quand même quelque chose de très positif et qui est à tendre en retour aux Français, et là je vous rejoins.
B. Delanoë : Je n'ai plus le temps de rebondir là-dessus, si J.-P. Elkabbach le veut bien, dans quelques semaines ou dans quelques mois, je serai ravi d'en re-débattre avec vous.
J.-P. Elkabbach : Voilà...
F. Baroin : Dans les quartiers de Paris alors.
J.-P. Elkabbach : Le rendez-vous est pris. Merci à vous deux.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2007
F. Baroin : D'abord, il tire les enseignements du 1er tour, et je crois qu'il ne faut vraiment pas effacer ce qui s'est passé : 85 % du corps électoral s'est mobilisé, 85 % des Français qui étaient en âge de voter sont allés choisir, s'exprimer. C'est un raz-de-marée démocratique qui s'est passé, c'est absolument considérable. Ça a ouvert les yeux en Europe et dans le monde sur cette vitalité démocratique qu'a offert la société française, par un débat très animé c'est vrai, par un débat qui a passionné. Est-ce que parce que c'est une nouvelle génération, est-ce que c'est parce que c'est un carrefour pour notre pays, est-ce parce que c'est un monde incertain...
J.-P. Elkabbach : Et est-ce que vous prévoyez au 2ème tour autant de votants ?
F. Baroin : Je l'espère, je l'espère et... dans la mesure où ce 1er tour, dans sa préparation comme dans cette respiration démocratique magnifique et splendide, s'est déroulé y compris le soir même dans des conditions parfaitement acceptables, tout porte à croire que nous aurons le même élan. Et ça, il faut l'avoir bien en tête car cela veut dire qu'aucun résultat n'est contestable, et que surtout la qualité du débat et les enjeux pour préparer l'avenir permettront au futur président de la République et à la future majorité, d'avoir les conditions pour réussir la transformation de notre pays.
J.-P. Elkabbach : Alors chaque jour, la question d'un ou d'une journaliste d'Europe 1. A. Leroy. A. Leroy : Vous disiez que les gens avaient voté en masse, ça a été notamment le cas dans les banlieues, elles ont beaucoup voté. On a beaucoup dit qu'elles seraient agitées. Visiblement, ça ne l'a pas été. Comment justement appréciez-vous cette situation, ce calme ?
F. Baroin : Je pense que quand vous avez 85 % de participation, rien ne peut se faire sauf de l'agitation extrémiste, sauf de l'inutilité d'un désordre public et qui, de toute façon, serait maîtrisé parce qu'on ne l'accepterait pas et on ne le tolèrerait pas. Que les banlieues se soient mobilisées, les banlieues..., en réalité, les gens qui habitent dans des quartiers à plus grandes difficultés que d'autres et qui, pendant longtemps étaient un peu désespérés et n'allaient pas voter, et qui depuis deux ou trois élections - c'était le cas pour les régionales, ça a été le cas également pour la consultation référendaire sur la Constitution européenne, c'est le cas pour les présidentielles - retrouvent le chemin des urnes, c'est d'abord une très bonne nouvelle démocratique et c'est ensuite un élément de réflexion, parce qu'ils vont peser par leur choix sur les orientations...
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire qu'il faudra plus...
F. Baroin : ... Des politiques municipales ou des politiques nationales. Bien sûr, ça veut dire « aidez-nous », ça veut dire « continuez ce que vous avez engagé », ça veut dire « accélérez le processus ».
J.-P. Elkabbach : Les deux finalistes veulent démontrer leur force à travers des meetings monstres. N. Sarkozy hier à Bercy, c'est fait, d'ailleurs vous y étiez, on peut se demander comment vous vous dédoublez, vous étiez à Bercy dans les tribunes...
F. Baroin : Je ne serai pas à Charléty, si c'est ça votre question...
J.-P. Elkabbach : Mais en même temps, vous étiez chargé de la sécurité des militants de Bercy. Et puis il y a demain naturellement, S. Royal... vous ne serez pas à Charléty, un grand meeting au stade de Charléty. Quel type de problèmes de sécurité ça pose au ministre de l'Intérieur ?
F. Baroin : On a eu ces problèmes avant le 1er tour, c'est une campagne qui au final, on vient de le dire, a été rappelée par une très forte mobilisation des électeurs, mais qui a été aussi marquée pendant les semaines précédentes par une très forte mobilisation des militants. Il y a eu beaucoup plus de monde dans les réunions publiques que lors des précédentes campagnes présidentielles, il y a eu également des mouvements plus incertains sur les candidats, des menaces sur les permanences électorales, que ce soit pour les parlementaires ou que ce soit pour les déplacements des grands candidats ou des petits candidats. Donc, il a fallu...
J.-P. Elkabbach : Il y a eu des menaces ?
F. Baroin : Bien sûr qu'il y a eu des menaces, elles ont été connues pour certaines, d'autres moins, donc j'avais donné des directives aux préfets. Charge à eux ensuite, en fonction des moyens dont ils disposent, d'organiser les rondes, les surveillances des permanences et d'assurer avec les dispositifs nécessaires, avec des renforts parfois, pour assurer le bon déroulement de ce type de meeting.
J.-P. Elkabbach : Monsieur le ministre de l'Intérieur, est-ce que nous avons frôlé des dangers que nous ne savons pas ? Et même de caractère... au-delà de cette sécurité...
F. Baroin : Ce qu'il faut retenir de votre question, c'est si on les a frôlés. Ce qui est important c'est que vous ne l'ayez pas su parce qu'on a bien fait notre travail.
J.-P. Elkabbach : Même de menaces terroristes, non ?
F. Baroin : Ecoutez, c'est un secret pour personne, sur votre antenne, je me suis déjà exprimé, on s'est exprimé à de nombreuses reprises, on est en système Vigipirate rouge, il est maintenu depuis plusieurs mois, ce n'est pas par hasard.
J.-P. Elkabbach : Hier, N. Sarkozy a proposé un scrutin majoritaire avec un peu de proportionnelle pour l'Assemblée nationale, et surtout le Sénat, ce qu'a dit et commenté F. Fillon, surtout le Sénat. Pourquoi, pourquoi maintenant ? On voit bien, il y a la perspective du 2ème tour, mais pourquoi et est-ce que c'est une manière d'attirer vers vous les centristes pour certains encore récalcitrants, pas tous ?
F. Baroin : Je crois qu'il n'y a pas que ça, enfin il ne faut pas le voir ou interpréter cette position comme un simple clin d'oeil électoraliste entre les deux tours. Il y a un vrai problème. D'abord on a un problème de redécoupage électoral pour les circonscriptions législatives, le Conseil constitutionnel nous l'a demandé, il faudra le faire après les élections législatives. Qui dit redécoupage dit ensuite un député pour combien d'électeurs, et donc quelle forme d'élection. Ensuite le débat, il est ouvert. Ce qui est important dans une démocratie, après quand même ce qui pour moi est un événement de ce qui s'est passé pendant cette élection présidentielle, c'est offrir le miroir le plus sincère de la société française. Le miroir le plus sincère à la télévision, à la radio mais aussi dans la représentation démocratique. Ce miroir sincère, on le trouve dans un équilibre. La proportionnelle, c'est à manier avec prudence, mais c'est à manier avec intérêt...
J.-P. Elkabbach : Quelle est la dose de proportionnelle...
F. Baroin : Car cet intérêt est peut-être celui d'avoir la photographie la plus objective de ce que représentent les courants de pensée politique. Moi, je crois que la méthode proposée par N. Sarkozy hier est la bonne. S'il est élu dans cette hypothèse - puisqu'on se place dans cette hypothèse - il consultera les formations politiques. S'il y a une proportionnelle, elle ne peut pas être dominante, car ce qui est important dans notre fonctionnement, c'est d'avoir une majorité pour gouverner, et on sait que c'est le scrutin majoritaire et non pas le scrutin proportionnel qui donne les moyens d'agir.
J.-P. Elkabbach : On voit bien que la Vème République est en train de changer ou qu'elle va changer aussi dans la pratique, elle sera une des conséquences de l'élection présidentielle de 2007.
F. Baroin : Ce n'est pas parce qu'il y aura de la proportionnelle qu'elle va changer, parce que B. Delanoë est encore là, il me semble que F. Mitterrand dont il a été un des fervents soutiens, avait instillé de la proportionnelle, ce qui devait d'ailleurs donner un coup de projecteur et le début du développement du Front national.
J.-P. Elkabbach : Et ce que vos amis avaient corrigé dès qu'ils étaient revenus au pouvoir.
F. Baroin : Ça a été corrigé après oui.
J.-P. Elkabbach : Oui. L. Thuram, je lis ça dans Libération, remet ça, il accuse N. Sarkozy de réveiller le racisme latent des gens. Est-ce que vous le sentez de cette manière et qu'est-ce que vous en dites ?
F. Baroin : Je vais vous dire, ça me fait de la peine parce que j'étais ministre de l'Outre-mer avant d'être ministre de l'Intérieur, et je connais bien L. Thuram, j'ai beaucoup d'estime, notamment pour sa participation sur toute la question qu'on avait organisée autour de l'esclavage, la commémoration, la grande loi nationale votée à l'unanimité. C'est un garçon intelligent, c'est un homme qui réfléchit et c'est un homme qui s'est engagé, il a ce mérite-là. Et ça me fait de la peine parce que s'il dit ça, ça veut dire qu'il ne connaît pas N. Sarkozy, qu'il ne s'est peut-être pas posé les bonnes questions dans les entretiens ou dans les échanges qu'il a avec lui, et qu'il surfe un peu plus sur son engagement politique partisan que sur la réalité de ce qu'un acteur comme lui peut apporter au débat de la société.
J.-P. Elkabbach : Hier, il y a eu différentes positions, et après le débat Bayrou - S. Royal, F. Fillon disait qu'il redoutait qu'il n'appelle pas à voter en faveur de S. Royal. Qu'est-ce que vous attendez de F. Bayrou ?
F. Baroin : Je dois dire que depuis mercredi, plus grand-chose, puisqu'il a dit qu'il ne ferait pas de choix. On attend beaucoup de ses amis qui se déplacent avec beaucoup de force maintenant. H. Morin, qui est quand même le président du groupe UDF, s'est engagé sans coup férir pour N. Sarkozy et il a raison, pourquoi ? Parce qu'au fond, si on réfléchit bien à la stratégie de l'UDF, pendant 4 ans, on a fait un peu son marché dans les textes que les gouvernements Raffarin et Villepin ont proposé, mais enfin au final on était quand même dans la majorité. Et puis la dernière année, on n'a pas voté le budget et on a voté la censure. On peut s'interroger si cette dernière année n'était pas le début de la posture pour récupérer un espace dans le cadre de la campagne présidentielle, et puis ensuite revenir dans un giron plus traditionnel. C'est ce qui va se passer avec les élus de F. Bayrou, c'est ce qui se passe avec les grands représentants à l'Assemblée ou au Sénat, et j'espère que c'est ce qui se passera après pour tout le monde, y compris le leader centriste.
J.-P. Elkabbach : Vous ferez une place aux centristes, on a entendu hier N. Sarkozy dans cette majorité nouvelle.
F. Baroin : N. Sarkozy qui, je trouve, a vraiment trouvé une tonalité excellente par rapport à l'objectif d'être chef de l'Etat, est dans une logique d'ouverture, de rassemblement, de bras ouverts ou de mains tendues, on l'appelle comme on veut. Mais il est évident que sur le plan politique, les centristes ont toute leur place pour s'inscrire dans la majorité présidentielle. Et c'est maintenant que ça se joue.
J.-P. Elkabbach : A. Leroy.
A. Leroy : Et demain 1er mai, J.-M. Le Pen doit donner ses consignes de vote. Qu'est-ce que vous attendez de J.-M. Le Pen ?
F. Baroin : Pas grand-chose non plus, il fera ce qu'il voudra, et je crois surtout que personne n'est propriétaire de ses électeurs. Je crois qu'il se passe quelque chose dans le pays à travers ce débat, à travers cette mobilisation, à travers l'intérêt, à travers la qualité d'écoute que les uns et les autres ont encore par rapport à ce qui se dit. Ensuite chacun choisira. Dimanche, il y aura un ou une président de la République élu bien au-delà de son propre camp, et probablement avec des voix venant d'un peu partout.
J.-P. Elkabbach : Mais ça c'est un fait historique sur lequel, à la fois B. Delanoë, vous F. Baroin, vous pourriez être d'accord, c'est le fait de la réduction de l'influence du Front national à l'occasion de ce 1er tour ?
F. Baroin : Vous me permettrez de dire quelque chose... pardon, parce que vous avez croisé le regard du maire de Paris, je n'ai pas voulu interrompre mais j'avais écouté avec beaucoup d'intérêt. Je crois que si on regarde l'histoire de la droite par rapport à l'extrême-droite au court de ces 20 années qui viennent, on retiendra que l'action de J. Chirac et de N. Sarkozy aura été une action très complémentaire. Car le Front national monte et surfe un peu sur la crise au milieu des années 80, et s'il n'y avait pas eu J. Chirac, il n'y aurait pas eu un rempart contre l'extrême-droite. Et peut-être que l'histoire se serait écrite différemment. Le rôle de J. Chirac est un rôle historique qui aura empêché l'extrême-droite d'accéder au pouvoir. Et...
J.-P. Elkabbach : Avec l'aide d'une grande partie du peuple français...
F. Baroin : Et ce qu'a fait...
J.-P. Elkabbach : Et peut-être de la gauche, non ?
F. Baroin : Et ce qu'a fait N. Sarkozy a été, par son action au ministère de l'Intérieur - et je peux en porter un témoignage - par sa capacité, ses mots, son discours, avec d'autres mais avec son incarnation personnelle, de restaurer une certaine autorité de l'Etat, a apporté des éléments de réponse que les Français attendaient.
B. Delanoë : Non vraiment là... pardonnez-moi Monsieur Baroin, d'une part J. Chirac était président de la République depuis sept ans, lorsque Le Pen a fait en 2002 le plus haut score qu'il n'ait jamais fait, et je vous le dis avec beaucoup de sérénité mais de gravité, je pense quand même que les propos de N. Sarkozy sur le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale n'ont pas fait avancer la France. Cela étant dit, pour terminer sur quelque chose de consensuel justement, la grande victoire c'est celle des Français qui, en votant massivement le 22 avril, en retenant la leçon de l'histoire justement de 2002, eux ont décidé de mettre le Front national à une place beaucoup plus réduite. Donc soyons un peu modeste, à droite comme à gauche - à droite comme à gauche - car on a toujours tendance à s'attribuer des mérites que l'on n'a pas nécessairement. Et là en l'occurrence, les Français en votant à 85 % et en mettant Le Pen à 10 %, c'est eux qui ont fait l'essentiel plus que les responsables politiques.
J.-P. Elkabbach : F. Baroin pour terminer.
F. Baroin : L'histoire retiendra que le Front national a grandi dans les années 80, qu'il s'est développé sur la crise, qu'il s'est développé avec un peu de tactiques politiques et qu'on a eu sur l'échiquier à droite, une forte personnalité avec J. Chirac et une autre forte personnalité avec N. Sarkozy qui, par leurs actions et par leur posture parce qu'ils n'ont jamais cédé sur l'essentiel et jamais négocié quoi que ce soit, ont empêché un accord droite extrême/droite. Et ça, pour une République comme la nôtre, de gauche comme de droite, où que l'on se trouve, c'est quand même quelque chose de très positif et qui est à tendre en retour aux Français, et là je vous rejoins.
B. Delanoë : Je n'ai plus le temps de rebondir là-dessus, si J.-P. Elkabbach le veut bien, dans quelques semaines ou dans quelques mois, je serai ravi d'en re-débattre avec vous.
J.-P. Elkabbach : Voilà...
F. Baroin : Dans les quartiers de Paris alors.
J.-P. Elkabbach : Le rendez-vous est pris. Merci à vous deux.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2007