Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "France Inter" le 29 mai 2007, sur l'appel au vote "Front national" au premier tour des élections législatives et l'avenir du parti, sur son opposition au projet de "traité simplifié" pour l'Europe défendu par Nicolas Sarkozy.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Vous êtes avec nous en duplex de Lille, sur le terrain, pour les législatives. Scrutin majoritaire oblige : zéro député sont à prévoir pour le FN. Que dites-vous aux Français que vous rencontrez : "Votez pour nous malgré tout" ?

R.- Il y a deux tours aux élections législatives, c'est comme aux élections présidentielles : le premier tour, on choisit évidemment le candidat qui est le plus proche de ses idées, et au deuxième tour, on écarte. Mais lorsqu'on dit "zéro député", on s'avance peut-être un peu. Après tout, nous avons peut-être la chance de passer quelques députés, ne serait-ce que parce qu'il y a quand même un certain nombre de possibilités de triangulaires dans un certain nombre de circonscriptions françaises. Et puis, il y a aussi un certain nombre de cas où nous allons nous retrouver très probablement face à un candidat socialiste ou même un candidat communiste. Et là, ce sont les électeurs qui, bien entendu, auront à choisir.

Q.- Vous comptez sur les triangulaires pour essayer de restaurer votre pouvoir politique ?

R.- Cela ne va pas changer grand-chose ; nous n'avions pas de député, donc par conséquent, si on n'en a pas demain, cela ne nous empêchera pas de faire de la politique, de combattre comme nous le faisons depuis déjà de nombreuses années.

Q.- Mais est-ce un vote bien utile ?

R.- Bien entendu que c'est extrêmement utile, parce qu'il est toujours utile d'abord de voter pour ses idées, c'est déjà une chose, et il est parfaitement utile aussi de se compter quelque part. Il y a beaucoup de gens qui, c'est vrai, ont préféré voter pour N. Sarkozy, à peu près 1 million, on le sait, par rapport à 2002. Mais je crois que ces gens-là ne nous ont pas quittés pour des problèmes d'idées. Ils nous ont quittés, ils sont allés vers N. Sarkozy parce qu'ils ont pensé que somme toute lui avait la possibilité de gagner...

Q.- Le vote utile donc ?

R.- Bien sûr, mais c'est une évidence. C'est une évidence, ce vote utile qui nous a mis un petit coup sur la tête, il faut l'admettre, mais qui a pour le coup ratiboisé le Parti communiste, ratiboisé les Verts, ratiboisé les chasseurs, le MPF et j'en passe. Donc, on s'en tire plutôt pas trop mal.

Q.- Donc, l'enjeu pour vous, c'est de vous compter et d'essayer de récupérer, de faire rentrer à la maison un certain nombre d'électeurs du FN partis voir ailleurs ?

R.- Mais bien sûr, bien entendu. Et de leur dire qu'encore une fois il y a deux tours dans cette élection, et qu'il ne faut pas jouer le deuxième tour avant le premier, que le FN est un élément fondamental de la vie politique française, qu'objectivement, il vient d'enregistrer une victoire idéologique, même si, mathématiquement, nous n'avons pas pu la compter. Mais il est sûr qu'une grande partie du succès de N. Sarkozy tient à un certain nombre de thèmes qu'il est venu chercher dans notre besace - et après tout, c'est la règle du jeu - mais qu'il va falloir maintenant qu'il tienne, parce qu'il a fait beaucoup de promesses. Mais on a déjà un certain nombre d'éléments qui nous font craindre que beaucoup de ses promesses ne soient pas tenues.

Q.- Entrons dans votre logique : vous accusez N. Sarkozy d'être venu faire son marché dans un certain nombre de vos idées. Quelle est votre utilité, du coup, si on suit ce que vous êtes en train de dire, en tant que parti, dès lors que vos idées sont portées ailleurs ?

R.- Mais parce qu'il y a la parole et puis il y a les actes. Il faut bien admettre que nous avons un sérieux doute sur les actes qui seront ceux du Gouvernement de N. Sarkozy. Pourquoi ? Parce qu'il y a déjà un bilan gouvernemental de N. Sarkozy, et qu'à nos yeux et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'était pas extrêmement positif. Et puis, écoutez, en quelques jours, objectivement, on a déjà enregistré dans le Gouvernement de N. Sarkozy un certain nombre de reculs qui nous paraissent assez dangereux...

Q.- Par exemple ?

R.- Par exemple sur la Turquie. Je crois que c'est un élément, là, quand même très inquiétant. Il avait fait un grand discours en disant "l'héritage chrétien", "la Turquie n'a strictement rien à voir avec l'Europe, ni culturellement, ni géographiquement, ni historiquement, il n'y a rien du tout". Et, aujourd'hui, on apprend - et les Français vont apprendre dans les semaines qui viennent - que la France s'apprête à signer en juin la continuation des négociations avec la Turquie. Mais il y en a d'autres.

Q.- Est-ce que vous vous réjouissez tout de même de la mise en place d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale ?

R.- Je le trouve très discret. Excusez-moi de vous dire qu'on a entendu R. Dati, on a entendu un certain nombre de ministres, Mme Bachelot monter au créneau sur la franchise...

Q.- Vous voudriez que B. Hortefeux dise quoi ?

R.- J'aimerais bien surtout qu'il agisse. Or pour l'instant, il n'y a aucune action de ce ministère. Mais c'est assez compréhensible d'ailleurs, et je vais vous dire pourquoi. Parce qu'il ne peut y avoir d'identité nationale s'il n'y a pas de souveraineté nationale. Voilà. Si demain, l'Union européenne décide de supprimer nos fromages, parce qu'ils ne répondent pas à telle ou telle réglementation, eh bien il n'y aura plus de fromages. C'est aussi simple que cela. Donc, on ne peut pas envisager l'identité nationale sans la souveraineté nationale. Or N. Sarkozy, par des actes très symboliques d'ailleurs, a indiqué clairement qu'il se soumettait à l'Union européenne et qu'il n'entendait pas défendre la souveraineté nationale.

Q.- On est deux ans jour pour jour après le "non" à l'Europe, après ce referendum sur la Constitution européenne. Est-ce que vous pensez que cette position politique est toujours porteuse ?

R.- Mais bien entendu, et elle le sera encore plus demain, parce que beaucoup de Français se rendent compte chaque jour de manière plus flagrante des conséquences de l'Union européenne sur leur liberté individuelle. Aujourd'hui, N. Sarkozy nous dit qu'il va faire voter à l'Assemblée un mini traité. J'imagine que le terme "mini" tente en réalité à restreindre les conséquences de ce traité. C'est un traité, ça n'est pas un "mini" traité. On transforme le terme "constitutionnel" en terme "institutionnel", en pensant que cela passera mieux chez nos compatriotes. En fait, on essaye de nous revendre la même sauce, celle pour laquelle les Français ont déjà voté, celle pour laquelle les Français ont dit "non" à 55 %. Et à partir du moment où on admet d'aller dans le sens d'une Europe fédérale, il faut que les Français sachent que notre pays se prive de toute une série...

Q.- Donc, deux ans après, vous dites "non", encore une fois, au projet de "traité simplifié" ?

R.- Mais bien sûr, plus que jamais. Et d'ailleurs, cela ne vous a pas frappé que tout d'un coup, on se mette, alors que là encore, il y avait eu des discours pendant toute la campagne, pour contester l'indépendance de la Banque centrale européenne, et là, tout d'un coup, le président de la République déclare : "Je n'ai jamais contesté l'indépendance de la BCE, je conteste l'idée que parce qu'on est ministre, on n'a pas le droit d'en parler". Mais attendez ! C'est une vaste plaisanterie. Il est évident qu'on sait très bien que la politique de la Banque centrale européenne est une politique qui est en train de ruiner nos secteurs économiques et de tuer notre emploi, et aujourd'hui, le président de la République et son Gouvernement disent : "écoutez, on vous a dit, on vous a promis pas mal de choses pendant la campagne, il s'avère que nous ne le ferons pas". Eh bien, nous, députés du FN, nous serons à l'Assemblée, si les électeurs le décident, pour le faire et pour le dire.

Q.- Retour au Front national. Vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, l'élection présidentielle a créé des secousses, à gauche, à la gauche de la gauche, au centre... Il y a eu une véritable onde de choc qui ne vous a pas épargnés : vous avez perdu un million d'électeurs. Est-ce que le FN doit lui aussi se poser la question de son logiciel, comme on dit aujourd'hui, ou est-ce que vous restez droit dans vos bottes et vous ne changerez pas d'idée ?

R.- Je ne crois pas que ce soit le logiciel qui pose une difficulté...

Q.- C'est quoi alors ?

R.-... puisque un autre concurrent a utilisé ce logiciel, et je crois avec un certain succès.

Q.- On parle d'une fin possible du FN. Est-ce que vous devez, vous aussi, vous réinventer et si oui, sur quelle base ?

R.- Vous savez, je vais vous dire, on peut toujours faire mieux que ce qu'on est, on peut toujours s'améliorer, c'est d'ailleurs ce que nous ferons...

Q.- Sur quelle base politique ?

R.- On nous a tellement enterrés souvent. En vingt ans...je crois, en général c'est au mois de septembre qu'on nous enterre, vous avez un peu d'avance...

Q.- Mais enfin, votre espace politique a été réduit tout de même ! Vous l'avez reconnu.

R.- Il n'a pas été réduit, il a été élargi. Encore une fois, je crois qu'il faut être conscient que si arithmétiquement on a l'impression d'une défaite du FN, il se trouve que, idéologiquement, une majorité de Français ont donné raison à ce que nous défendons depuis trente ans maintenant...

Q.- Donc, vous êtes contents, et vous allez quitter le terrain ?

R.- Cela nous donne des perspectives politiques qui, je crois, n'ont jamais été aussi larges. Maintenant, nous avons encore un travail à faire, évidemment, concernant d'abord la performance de notre appareil, parce qu'il est sûr que notre appareil ne s'est pas encore remis de la scission. Vous me direz ça commence à faire longtemps, c'est vrai, mais il se trouve qu'en huit ans, notre appareil n'est pas redevenu ce qu'il était avant la scission. Il faut donc que nous fassions cela, pourquoi ? Parce que c'est comme dans une course nautique : ce n'est pas au moment où il y a du vent et où ça souffle, où il faut commencer à s'intéresser à réparer les voiles. Voilà. C'est au moment où justement le vent est calme.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 29 mai 2007