Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur "LCI" le 4 juin 2007, sur l'instauration de sanctions dès les premiers actes de délinquance, les élections législatives, l'idée d'un accord de désistement entre le PS et le MoDem ainsi que sur l'avenir du PS.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Polémique autour du rapport de l'Institut national des Hautes Etudes de Sécurité sur les relations entre la police te la population en Seine-Saint-Denis. Que reprochez-vous au pouvoir ?

R.- D'abord je pense qu'il faut prendre ce rapport très au sérieux et pas simplement comme un instrument de polémique parce qu'il décrit une situation qui est grave, préoccupante ; c'est-à-dire que depuis ce qui s'est passé en novembre 2005 - les émeutes dans les quartiers - il n'y a eu aucun progrès, ni dans l'action de l'Etat dans ces quartiers, ni dans l'amélioration des rapports entre la police et la population. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'un certain nombre de délinquants ne sont pas finalement, mis hors d'état de nuire, parce que la justice n'a pas les moyens nécessaires et cela veut dire que la population, souvent jeune, qui elle n'a rien à se reprocher, est victime d'un harcèlement qui crée une situation de tension.

Q.- Quelle solution préconisez-vous ? Si la gauche revient au pouvoir avec les législatives, qu'est-ce qui sera voté ? Comment et quelles mesures seront prises ?

R.- Des mesures extrêmement rapides pour la sanction des premiers actes de délinquance. On voit bien à travers ce rapport, qu'il y a des jeunes ou des moins jeunes, mais souvent des très jeunes, qui ne sont pas immédiatement punis, lorsqu'ils commettent un acte de délinquance qui peut être grave, s'il n'est pas justement sanctionné au bon moment.

Q.- Cela s'appelle "tolérance zéro" et "peines automatiques" ?

R.- Cela veut dire quoi ? Cela veut dire justice des mineurs renforcée, cela veut dire éloignement des quartiers, cela veut dire peine alternative à la prison, cela veut dire rééducation. Mais cela ne veut surtout pas dire, finalement, impunité pendant plusieurs mois, puis ensuite prison lorsque, récidive après récidive, il y a enfin un acte de justice.

Q.- Voterez vous la loi sur les peines plancher qui va dans ce sens là ?

R.- Non, la loi sur les peines plancher que je ne connais pas encore et qui a été simplement esquissée par la nouvelle ministre de la Justice, va dans le sens des peines automatiques. Je ne crois pas qu'il faille faire ça. Au contraire, il faut bien individualiser la peine, parce qu'il y a des jeunes qui ne sont pas dans la même situation. Pour certains, il faut la prison, pour d'autres, il faut des mesures d'éloignement, pour d'autres encore, il faut la rééducation, peut-être que pour beaucoup il faut les trois, quelquefois.

Q.- En Seine-Saint-Denis, les communistes qui dirigent le département sont-ils responsables de l'état de fait ?

R.- Ecoutez, ce serait vraiment une faute contre l'esprit public que de prétendre que des élus locaux seraient eux-mêmes directement responsables d'une politique pénale qui leur échappe, d'une politique policière dont ils n'ont pas la charge. Et donc, laissons les élus locaux mener leur travail, peut-être donnons leur plus de moyens. C'est invraisemblable qu'en Seine-Saint-Denis, par exemple, pour l'école de la République, pour l'action sociale, pour la politique de l'emploi, ce soit dans ce département, qui est l'un des plus pauvres de France, qu'il y ait le moins d'actions de l'Etat.

Q.- Dans moins d'une semaine maintenant, le premier tour des législatives, la gauche peut-elle éviter un grave échec ?

R.- Cela dépend des électeurs tout simplement.

Q.- Que faut-il ?

R.- Il faut que tous ceux qui ont d'abord voté pour S. Royal lors du second tour de l'élection présidentielle reviennent voter. Il faut ensuite que ceux qui n'ont pas fait ce choix réfléchissent ; est-ce qu'il faut donner tous les pouvoirs, est-ce qu'il faut donner tous les leviers d'action, non pas à un seul parti, mais à un seul homme ? Est-ce qu'il faut que N. Sarkozy, pour parler clair, dispose non seulement des prérogatives qui sont les siennes - et c'est normal, comme président de la République - mais aussi d'un Parlement à sa main, avec une majorité dont il disposerait lui-même, avec le souci de faire passer très vite, on le voit, un certain nombre de dispositions ? Si ces dispositions étaient finalement justes et efficaces, il n'y aurait peut-être pas d'inquiétude, mais même pour ceux qui ont voté N. Sarkozy, savoir qu'aujourd'hui, c'est la franchise santé qui va s'appliquer pour réguler les dépenses de santé, savoir que les heures supplémentaires vont être détaxées, déchargées, alors même que l'embauche peut s'en trouver et s'en trouvera affectée, savoir même qu'un fonctionnaire sur deux ne sera pas remplacé lorsqu'il partira à la retraite, cela veut dire que dans des départements comme vous venez de l'évoquer, en Seine-Saint-Denis, cela sera dans l'Education nationale, que les coupes claires se feront, alors oui, cela suppose une réflexion et de faire en sorte qu'il y ait une Assemblée nationale équilibrée et non pas ce que l'on nous annonce.

Q.- Alors, pour atteindre cet équilibre, F. Bayrou est prêt à des désistements Modem-PS au second tour. Vous refusez cette main tendue ?

R.- Nous l'avons toujours dit, nous ne pouvons avoir des accords de désistement que si nous sommes d'accord sur un certain nombre de principes communs, de politiques communes. Donc s'il y avait cette évolution, je ne la connais pas encore, alors...

Q.- Vous êtes prêt à une rencontre avec F. Bayrou pour décider ?

R.- Pour l'instant, rien n'est prévu et donc je pense que cela ne peut se faire que sur un contrat de Gouvernement. Je pense qu'il faut faire de la politique différemment, précisément, de N. Sarkozy. On n'est pas là dans l'arrangement, on n'est pas là dans le compromis, on n'est pas là simplement dans le débauchage, parce que F. Bayrou aurait quelques difficultés ou nous-mêmes, on en aurait dans telle ou telle circonscription, un problème pour gagner au second tour. On doit être là sur la base de principes clairs. Si nous pouvons nous retrouver pas simplement avec tel ou tel, mais si nous pouvons nous retrouver sur des principes communs, alors on peut envisager...

Q.- C'est trop tard, c'est trop court le temps qui reste ?

R.- Je pense que F. Bayrou s'est mis lui-même dans une forme d'impasse, il a dit : "Je ne veux d'alliance avec personne". Alors s'il devait changer, je pense que ça mériterait qu'il y ait là, une évolution politique qui n'est pas pour l'instant, inscrite.

Q.- Si la gauche gagnait les législatives, vous iriez cohabiter sans état d'âme aux côtés de N. Sarkozy, comme son Premier ministre ?

R.- Ce n'est pas un problème d'état d'âme, c'est le respect du suffrage. Si les Français nous donnaient une majorité à l'Assemblée nationale pour diriger le pays, eh bien comme à d'autres moments, nous ferions en sorte d'assumer nos responsabilités.

Q.- Dans cette campagne, avez-vous des critiques à formuler à l'encontre des "éléphants" du parti socialiste, ont-ils vraiment joué le jeu ?

R.- Moi je ne suis pas dans la critique dans une campagne, je suis dans la mobilisation et dans le rassemblement.

Q.- Ils pourraient se mobiliser plus ?

R.- Non, je crois que chacun fait ce qu'il a à faire. C'est très important, on n'est pas là simplement pour jouer notre avenir, ce n'est pas même le futur du Parti socialiste qui se dessine là, c'est de savoir si les Français seront eux-mêmes défendus, protégés, et si deux politiques peuvent être proposées, y compris, après l'élection, dans l'Assemblée nationale.

Q.- S. Royal a repris une campagne intensive et les foules sont là pour la suivre. Est-t-elle le leader naturel du PS, comme le fut L. Jospin après 1995, est-elle appelée à prendre la tête du PS, à prendre votre place ?

R.- Pour ça, il y aura un congrès le moment venu, il est prévu en 2008, nous verrons bien, mais c'est vrai que S. Royal a su créer un lien, une relation avec le pays. La campagne présidentielle y a fait pour beaucoup, pour l'essentiel même. Et donc, il est bien qu'elle s'engage, là, dans ces élections législatives, pour dire aux Français qu'il ne serait pas normal qu'après une élection présidentielle qui a été finalement équilibrée - 53 % pour N. Sarkozy, 47 % pour S. Royal - on ait une Assemblée nationale qui soit elle-même déséquilibrée.

Q.- S. Royal veut tenir un séminaire d'été pour réfléchir sur les causes de sa défaite, sur l'avenir du PS, c'est une bonne idée ? Vous y participerez ?

R.- On aura un certain nombre de réunions au lendemain des élections législatives, l'été, l'après été, on aura un processus, j'indiquerai moi-même la démarche qu'il faudra suivre.

Q.- C'est quoi, des états généraux, dont vous rêvez ?

R.- Nous verrons, il peut y avoir des conventions, des états généraux, qu'importe la formule, ce qu'il faut, c'est à la fois comprendre ce qui s'est passé ou ce qui se sera passé et faire en sorte que nous soyons très vite, je dis bien très vite, en état de faire de nouveau entendre la voix du Parti socialiste pour créer l'alternance.

Q.- Il y a une bonne solution pour ça, c'est d'accepter la présidence de la commission des finances que vous proposera N. Sarkozy après les législatives, puisqu'il l'a promis ; ça c'est une voix qui pourrait faire entendre le PS ?

R.- Alors je vais m'arrêter une seconde sur cette proposition, nous verrons bien si nous sommes dans ce cas de figure dans l'opposition et avec cette possibilité d'accéder à la commission des finances. Mais, j'ai entendu monsieur Accoyer s'exprimer...

Q.- Député de Haute-Savoie, candidat à la présidence de l'Assemblée...

R.-...il n'a plus parlé de Commission des Finances, il a parlé simplement d'une mission, d'une Commission de contrôle des Comptes publics. Moi je pense que maintenant il faut que le président de la République, le Premier ministre clarifient ce que doit être le statut de l'opposition. Il y a deux problèmes à clarifier. Il y a à la fois quel mode de scrutin, pour les prochaines élections législatives ? Je ne parle pas de celles de dimanche 10 juin et 17 juin, là c'est le scrutin majoritaire ; je dis qu'il faut un engagement de toute les forces politiques, nous l'avons dit, nous sommes favorables à une part de proportionnelle, il faut que F. Fillon et N. Sarkozy disent ce qu'ils envisagent comme prochain mode de scrutin. Et deuxièmement, il y a une clarification à faire là, avant le premier tour des élections législatives sur, quel statut pour l'opposition, quelles commissions seraient effectivement proposées, quelles propositions de loi pourraient être réservées, justement à des familles politiques n'appartenant pas à la majorité, qu'est-ce qu'il y aurait également comme moyens supplémentaires qui pourraient être donnés au Parlement afin de contrôler l'exécutif, bref nous attendons.

Q.- Le PS sera-t-il dans une opposition frontale, comme le souhaite L. Fabius, ou constructive, comme le propose S. Royal ?

R.- Le PS aimerait ne pas être dans l'opposition.

Q.- Mais si c'est le cas ? Elle sera frontale ou constructive ?

R.- Puisque nous partons à la bataille, c'est pour gagner le maximum de circonscriptibles. Ensuite, il faut être dans une opposition tout simplement intelligente et utile.


Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 4 juin 2007