Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à LCI le 1er juin 2007, sur l'autonomie des universités comme premier volet de la réforme de l'enseignement supérieur, ainsi que sur la défiscalisation des revenus étudiants.

Prononcé le 1er juin 2007

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Vous avez lancé hier le chantier d'une loi sur l'autonomie des universités qui devrait être votée fin juillet. Cherchez-vous à réformer l'université pendant que tout le monde - enseignants et étudiants - est en vacances ?

R.- D'abord, nous avons lancé la réforme de l'enseignement supérieur, du service public d'enseignement supérieur. Pourquoi je dis ça ? Parce que la loi autonomie, qui passera effectivement à la session de juillet, n'est que le socle de cette profonde réforme. Il y aura aussi cinq piliers, des piliers sur les conditions de vie étudiante, sur les carrières de l'ensemble des personnels de l'université, sur les conditions matérielles d'exercice de la mission de l'université, enseignement supérieur et recherche, c'est-à-dire les bâtiments, la mise en sécurité, la mise aux normes, sur le statut des jeunes chercheurs et enseignants chercheurs. Et enfin, un cinquième chantier qui m'a été demandé par les étudiants eux-mêmes, qui est le chantier de la lutte contre l'échec en premier cycle universitaire. Donc vous voyez, nous lançons cinq volets de réforme.

Q.- Mais vous commencez par un passage en force sur le principe d'autonomie ?

R.- On commence par mettre en place l'autonomie ; pourquoi ? Et je récuse ce terme de "passage en force", nous lançons un mois de concertations sur cette loi autonomie, loi autonomie et gouvernance, qui est un sujet qui est sur la table depuis quinze ans. Dès 1993, F. Fillon, qui était à ma place, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, avait déjà commencé à travailler sur ce projet autonomie. En 2003, L. Ferry avait présenté une loi qui avait été adoptée à l'unanimité par les présidents d'université...

Q.- Et le gouvernement a reculé devant la rue...

R.- Oui, mais ça veut dire...

Q.- Vous craignez le même sort ?

R.- Non. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que ce sujet de l'autonomie, c'est un sujet sur lequel on discute depuis quinze ans, les rapports s'empilent, tous les syndicats de personnels, tous les syndicats d'étudiants, tous les présidents d'université, que j'ai reçus hier, que j'ai vus la semaine dernière, tous ont une idée, tous savent exactement ce que ça veut dire, tous savent exactement les nouveaux pouvoirs qu'il faut donner à l'université pour qu'elle soit plus réactive, pour qu'elle soit plus... pour qu'elle puisse se mettre aux standards internationaux, recruter les enseignants rapidement, gérer son patrimoine immobilier pour rénover ses locaux, avoir une gouvernance qui lui permette d'être plus efficace. Tout le monde connaît ce chantier de l'autonomie, il apparaît comme un chantier technique ; en réalité c'est une réforme profonde des modes de fonctionnement de l'université pour que nos universités françaises fonctionnent aussi bien que toutes leurs homologues européennes.

Q.- Autonomie, ça veut dire privatisation ? Vous transformez les universités en entreprise ?

R.- Absolument pas ! Nous sommes très attachés au service public de l'enseignement supérieur. Pour nous, c'est un service public. D'ailleurs, vous savez bien que le financement de l'université en France, il est essentiellement fait par la Nation. Nous avons un modèle français universitaire qui fait que ce ne sont pas les familles qui financent principalement les études universitaires, c'est l'Etat, c'est la solidarité nationale.

Q.- Qui ne met pas beaucoup d'argent, d'ailleurs, par étudiant...

R.- Qui y met dix milliards d'euros par an, excusez-moi, monsieur Barbier, qui y met dix milliards d'euros par an, et qui va y mettre - parce que c'est un engagement du président de la République - cinq milliards de plus dans les cinq prochaines années, parce que - et je pense que c'est à ça que vous faites allusion - aujourd'hui, nous avons un ratio qui est indigne, nous dépensons pour nos lycéens près de 10.000 euros par an par lycéen, et nous dépensons pour nos étudiants 7.000 euros par an. Cela veut dire qu'il y a 3.000 euros de moins dépensés pour un étudiant. Cela veut dire, en réalité, que nous sommes le seul pays du monde qui n'investit pas davantage sur ses étudiants que sur ses lycéens.

Q.- Les universités pourront recruter les enseignants, vous le disiez, donc, les meilleurs profs vont aller dans les meilleures facs, c'est-à-dire les plus riches, et on fera une université à plusieurs vitesses.

R.- Je crois qu'il faut qu'on voie avec lucidité la situation actuelle. La situation actuelle- et les Français en ont eu une vision très claire au moment de la crise du CPE -, c'est des étudiants qui nous disent : nous sommes à l'université, mais l'université, aujourd'hui, elle est d'une qualité beaucoup trop hétérogène, elle n'est pas de la même qualité selon qu'on est à tel ou tel endroit, selon qu'on est dans telle ou telle filière, selon qu'on est dans tel ou tel niveau de qualification. Donc l'université aujourd'hui, il y a à la fois le meilleur, et puis il y a aussi des filières où il n'y a pas de débouchés, et des diplômes qui n'ouvrent pas le chemin du marché du travail. Et ça, c'est une rupture d'égalité des chances. Et j'ajoute...

Q.- Et l'autonomie va changer ça ?

R.- Mais oui ! Parce que, j'ajoute que, en plus, vous le savez, il y a des initiés, il y a des gens qui savent quelles sont les bonnes filières, et puis, il y a des gens qui ne savent pas. Et dans les milieux les plus défavorisés, dans les classes moyennes, les gens ne savent pas. Moi, j'étais députée des Yvelines avant d'être ministre, je peux vous dire qu'en juin, je vois arriver des parents dans ma permanence, avec leurs enfants, qui viennent me demander des conseils d'orientation, pourquoi ? Parce que la carte des formations aujourd'hui, elle n'est plus lisible, que ce soit en Ile-de-France, bien sûr, mais que ce soit dans le reste de la France. Alors ça veut dire quoi ? Cela veut dire une situation, aujourd'hui, d'extrême inégalité, et qui pâtit de cette situation d'extrême inégalité ? Les étudiants. Parce que nous, ce que nous devons faire, c'est que nous devons donner à tous nos étudiants les conditions de la réussite. Et la réussite, ça passe par l'université, parce que contrairement à ce qu'on pense... je sais qu'il y a eu une idée très généreuse qui a été évoquée depuis cinq ans, qui est l'idée de mettre des lycéens de zones d'éducation prioritaire dans des classes préparatoires avec un système de quota de discrimination positive, c'est très bien, parce qu'il faut de l'exemplarité, mais ça touchera combien d'étudiants ? Ça touchera trente lycéens, trente lycéens par-ci, trente lycéens par-là. L'université, c'est 1.500.000 étudiants, c'est l'université qui est le moteur de l'ascenseur social, c'est la qualité à l'université. Et l'autonomie, c'est quoi ? C'est permettre aux universités d'atteindre cette qualité, parce que, je vous donne un exemple, excusez-moi : pour recruter un professeur étranger très intéressant, qui arrive, qui débarque en France, qui dit : "moi, j'hésite entre aller à Cambridge, à Hadelberg ou à Paris". Eh bien, ce professeur étranger, si vous êtes aujourd'hui en France, vous mettez un an à le recruter, un an parce qu'il faut passer toute une série de procédures, de commissions de spécialistes, de campagne d'emploi, etc. Un an ! Eh bien moi, ce que je veux, et avec l'autonomie, ce sera possible, c'est que l'université française, elle soit attractive, qu'elle puisse prendre ce professeur, qu'elle puisse lui offrir un emploi.

Q.- Il faudra bien financer tout cela, donc il y aura des augmentations de frais d'inscription ?

R.- Ce n'est pas du tout l'objet de la loi autonomie. L'objet de la loi autonomie, c'est vraiment de donner les outils de gouvernance, c'est-à-dire de donner des conseils d'administration plus réactifs, de donner des vrais pouvoirs aux présidents d'université, de les conforter dans leur pouvoir de décisions...

Q.- Peut-être de choisir les tarifs aussi, de dire : "voilà, mon université est bonne, payez..."

R.- Les frais d'inscription, franchement, c'est un sujet qui n'est pas dans l'objet de la loi. Pourquoi ? Tout simplement, c'est très simple, ce n'est pas notre modèle, nous n'avons pas choisi - c'est l'histoire de France - de faire financer l'université par les familles. Nous avons décidé de faire financer l'enseignement supérieur par la Nation. Si nous voulions faire financer, par les familles, par les frais d'inscription, l'université, il faudrait fixer des frais d'inscription à de l'ordre de 10.000 euros par an. Donc c'est absolument impossible. Nous avons un choix qui est des frais d'inscription bas, et un financement par la solidarité nationale.

Q.- Alors pour que les universités soient bonnes, il faut que les niveaux soient à peu près homogènes parmi les étudiants. Y aura-t-il de la sélection autorisée à l'entrée des universités ?

R.- La sélection à l'entrée des universités, elle existe, ça s'appelle le baccalauréat. Le baccalauréat...

Q.-...Oui, mais 80 % d'une génération, cela ne suffit pas pour trier...

R.- Mais ce n'est pas 80 % d'une génération, c'est à peu près 60. Mais bien sûr que si ! On ne peut pas dire aux familles, à l'ensemble des familles de France : le baccalauréat ne vaut rien, ce n'est pas le ticket d'entrée pour l'université...

Q.- Donc on accueille tout le monde ?

R.- Il doit y avoir, je vais être très claire, il doit y avoir dans l'université une place par bachelier. Après, la question, c'est : comment on oriente les bacheliers vers les bonnes filières et comment on fait pour faire en sorte que l'offre universitaire corresponde aux besoins du marché du travail français. Et ça suppose aussi qu'on fasse de la qualité. Parce que moi, je vais vous dire, on parle souvent de sciences humaines, on dit "il y a trop de formations de sciences humaines en France" ; on est dans une économie totalement tertiarisée, de service, je suis désolée de dire qu'une formation de sciences humaines de très bonne qualité peut ouvrir les portes des métiers de l'assurance, des métiers de la finance.

Q.- La défiscalisation des revenus étudiants, pour les aider à financer leurs études, sera-t-elle opératoire dès la prochaine loi de finances, dès le prochain budget ?

R.- Oui, le président de la République souhaite que dans le cadre de sa loi sur la revalorisation du travail, donc qui est portée par le ministère du Travail, aller plus loin dans la défiscalisation des revenus étudiants, de façon - et ça, c'est important - à ce qu'ils ne perdent pas, qu'il n'y ait pas des effets de seuil, parce que vous savez que quand on travaille, quelquefois, on perd une bourse ou bien on perd l'aide au logement. Donc il faut absolument permettre aux étudiants que leur travail soit bénéfique pour eux. Mais, moi, je vais vous dire une chose : je suis la ministre des étudiants, je considère qu'un étudiant qui travaille, c'est bien, dès lors que c'est un choix pour se rapprocher du monde professionnel, pour voir comment ça fonctionne, pour s'autonomiser, pour payer les loisirs, c'est bien si c'est un choix, ça ne doit pas être une nécessité. Un étudiant français ne doit pas avoir la nécessité de travailler pour vivre, et ça suppose qu'on refonde les bourses étudiantes.

Q.- N. Sarkozy a promis quatre milliards d'euros pour la recherche. La promesse sera tenue ?

R.- Bien entendu. D'abord, c'est dans le pacte de 2006 sur la recherche. Nous avons lancé, avec ce pacte, une profonde réforme de notre système de recherche. Et moi, je suis très fière d'avoir été parmi les députés qui ont travaillé sur ce pacte. Et ce pacte nous a donné des outils très performants - l'Agence nationale de la recherche, l'Agence nationale d'évaluation - et des moyens. Et le président de la République s'est engagé très fortement à ce que ces moyens soient dégagés.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 1er juin 2007