Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF - Mouvement Démocrate, à France info le 7 juin 2007, sur le financement des mesures fiscales annoncées par le gouvernement et sur son souhait d'une réforme du mode de scrutin pour les élections législatives.

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Média : France Info

Texte intégral

O. de Lagarde. Vous êtes en direct de Rennes où vous poursuivez la campagne des législatives. Un mot tout de même sur ces mesures fiscales annoncées par le Gouvernement. Sont-elles à votre avis de nature à relancer la croissance économique ?
 
R.- La première chose qui est frappante, c'est qu'elles ne sont pas financées. On donne des avantages fiscaux, on distribue de l'argent, mais tout le monde sait bien que de cet argent nous n'avons pas le premier euro. Et que donc, c'est par une aggravation du déficit et par un report sur d'autres catégories sociales des prélèvements fiscaux que l'on va financer ces mesures d'avantages fiscaux pour un certain nombre de catégories de la population. Deuxième observation, alors on me dira c'est la règle du jeu, mais je trouve que c'est une règle du jeu un peu étrange : on est tout de même assez loin des annonces qui avaient été faites. Et lorsque les chefs d'entreprise disent : "on nous avait dit qu'on enlèverait complètement les charges des heures supplémentaires", pour l'instant on n'y est pas. On enlève les charges fiscales mais on n'enlève pas une partie des charges sociales, ce qui donne à la mesure une portée moindre qu'elle n'avait autrefois. Mais vous savez que je n'avais jamais approuvé l'absence de charges sociales complète sur les heures supplémentaires et, de ce point de vue-là, la réflexion qui va être menée par l'Assemblée va être très importante, notamment : comment fait-on pour financer les retraites ? Comment fait-on pour financer la Sécurité sociale, si une partie du travail échappe à ces charges, et s'il n'y a pas d'autres manières de prélever les cotisations sociales.
 
[Pause]
 
Q.- Il y a quelques minutes, vous nous avez dit tout le mal que vous pensiez des mesures fiscales annoncées par le Gouvernement...
 
R.- Ne simplifiez pas !
 
Q.- Je ne simplifie pas. Avez-vous lu Le Figaro ce matin ?
 
R.- Non.
 
Q.- Alors, je vais vous le lire : N. Sarkozy, se dit ouvert à l'introduction d'une dose de proportionnelle. C'est une bonne nouvelle pour vous ?
 
R.- Je ne sais pas ce qu'une "dose" veut dire.
 
Q.- Cela veut dire : un petit peu.
 
R.- Il y a une loi électorale injuste, c'est celle que nous avons actuellement. Loi électorale qui fait que le parti majoritaire va avoir une représentation, on dit d'un tsunami, avec 80 % peut-être des sièges à l'Assemblée nationale, ce qui naturellement supprimera le débat de l'Assemblée nationale, de nos institutions, et fera que beaucoup de citoyens n'auront plus de recours. Je prétends que ceci est une mauvaise chose, c'est injuste que des courants politiques qui ont rassemblé des millions de Français aient une représentation absolument mineure à l'Assemblée nationale, alors que des courants politiques importants mais qui ne sont tout de même pas massifs, auront une représentation immense. Ceci est une injustice, et il faudra un jour remplacer cette loi électorale injuste par une loi électorale juste. Et vous verrez que les Français l'imposeront. Parce qu'un jour les Français diront "trop, c'est trop !" Il est impossible que l'on ait ainsi un verrouillage absolu de la République, de la manière dont elle fonctionne, du Parlement, par une seule force qui a remporté les élections présidentielles, c'est vrai, mais qui, pour autant, ne représente pas l'ensemble du pays.
 
Q.- Mais cette loi juste passe par l'introduction d'une "dose" de proportionnelle ? Ou vous voulez des élections qui soient totalement proportionnelles ?
 
R.- Je trouve que des élections proportionnelles c'est juste. J'ai dit depuis des années que, pour moi, il fallait un équilibre entre la représentation proportionnelle, 50 % des sièges, et la représentation majoritaire, de manière qu'il y ait tout de même un effet majoritaire. C'est la loi électorale allemande, et cette loi électorale, comme vous le savez, fonctionne très bien.
 
Q.- Vous appelez les Français à voter pour vous, pour le pluralisme on a bien compris. Dans le même temps, N. Sarkozy, qui a été élu, demande aux Français une large majorité pour applique son programme. C'est légitime ?
 
R.- Mais il y aura une majorité, tout le monde le sait bien.
 
Q.- Et qu'est-ce qui vous fait dire cela ? Ce sont les sondages que vous regardez maintenant ? Vous nous avez dit pis que pendre des sondages pendant toute la présidentielle, et maintenant vous vous y référez !
 
R.- Non, ne rions pas à propos de cela, parce que ce sont des choses très sérieuses qui vont engager la vie des Français pendant cinq ans. Alors, cela ne mérite pas le sourire. Je veux dire simplement que tout le monde sait bien que la majorité UMP va avoir une large majorité, que la question qui se pose c'est : aura-t-on cependant un pluralisme à l'Assemblée nationale, une diversité des voix qui vont s'exprimer, de manière à ce que le débat, auquel les citoyens ont droit, ait lieu. Pourquoi les citoyens ont-ils droit au débat ? Parce que c'est le seul moyen pour eux d'être informés de ce qui se décide et des conséquences éventuelles de ce qui se décide. On prend une décision et puis vous savez que ces décisions ont plus ou moins des conséquences positives ou négatives pour l'avenir. Le seul moyen pour les citoyens d'être informés, c'est qu'il y ait un véritable débat à l'Assemblée nationale. Cela, c'est une assurance pour les familles, c'est une assurance pour ceux qui nous écoutent que l'on ne va pas décider n'importe quoi dans leur dos sans qu'ils le sachent. Et c'est pour cela qu'il faut une diversité des opinions qui vont s'exprimer à l'Assemblée nationale et c'est pour cela aussi qu'il faut avoir des députés qui ne votent pas automatiquement pour le Gouvernement comme l'UMP, contre l'UMP comme le PS, mais des députés qui disent : nous sommes libres de notre vote, nous sommes indépendants, nous allons examiner chacun des projets, et nous sommes prêts, s'ils vont dans le bon sens, à les soutenir. Et en revanche, s'ils vont dans le mauvais sens, à monter à la tribune, les yeux dans les yeux, dire au Gouvernement : ce que vous faites ne va pas.
 
Q.- Pour assurer cette diversité, pourriez-vous passer des accords de désistement avec la gauche, dans l'entre-deux tours ?
 
R.- Pour assurer cette diversité, au soir du premier tour, nous regarderons quelles sont les circonscriptions dans lesquelles il est envisageable que des élus puissent être choisis par les citoyens, et nous regarderons à ce moment-là quelles sont les conditions pour ce pluralisme. Et je dirai, de la manière la plus claire aux citoyens, face aux Français - je ne fais pas de manoeuvres d'appareils - quelles sont les conditions pour que ce pluralisme soit garanti et assuré.
 
Q.- Un dernier petit mot : des militaires des 27 pays européens défileront sur les Champs-Élysées, le 14 Juillet, c'est aussi ce qu'annonce N. Sarkozy. Ce doit être un symbole qui plaît à l'Européen que vous êtes ?
 
R.- Oui, symboliquement c'est bien que l'on puisse ainsi montrer que la France est partie prenante d'un ensemble, d'une maison européenne, et un jour, cette maison européenne devra en effet bâtir sa sécurité. Car il ne suffit pas de faire défiler des militaires sur les Champs-Élysées, il faut aussi que nous pensions pour l'avenir, de quelle manière la défense européenne peut se construire, pour qu'elle soit plus efficace qu'elle ne l'est aujourd'hui, et aussi, un jour, que nous puissions en supporter le poids en le partageant un peu avec les autres pays européens. C'est en tout cas une démarche nécessaire pour l'avenir, et j'espère qu'on ira dans ce sens-là.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 7 juin 2007