Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à I Télé le 12 juin 2007, notamment sur le traité européen simplifié et l'avenir du Kosovo.

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Média : I-télévision

Texte intégral

Q - Bonsoir Jean-Pierre Jouyet.
R - Bonsoir.
Q - Comment se passe vos premiers pas de ministre des Affaires européennes ?
R - C'est un changement de statut important pour moi puisque je passe d'une position de haut fonctionnaire, qui a certes toujours été engagé au service de l'Europe, à une responsabilité plus politique. C'est donc un changement important qui, pour moi, représente un honneur- et je mesure également les responsabilités et le caractère extrêmement délicat de la mission qui m'est confiée par le président de la République et le Premier ministre.
Q - Je le disais en vous présentant, vous faites partie des membres d'ouverture du gouvernement. Vous ne regrettez pas ? Vous assumez ce choix complètement ?
R - Je l'assume. C'est un choix que j'ai effectué sans état d'âme. J'estime que l'Europe est une cause suffisamment importante pour que l'on s'engage, j'estime aussi que c'est une cause trans-partisane. Quand vous servez l'Europe, vous servez votre pays et j'ai toujours pensé que l'avenir de la France passait par l'Europe. J'ai donc conscience de servir une cause qui est dans l'intérêt de tous les Français.
Q - Est-ce que les 21 et 22 juin prochains nous pouvons penser que le projet de traité simplifié sera éventuellement adopté par tous les pays membres de l'Union européenne ? Est-ce que c'est le but fixé ? Est-ce que vous pensez pouvoir y arriver ?
R - Nous l'espérons, et le président de la République y consacre toute son énergie. Il a de fréquents contacts avec nos partenaires. Il sera encore en Pologne jeudi.
Q - Vous en revenez.
R - J'en reviens. Nous l'accompagnerons avec Bernard Kouchner. Nous sommes vraiment tous mobilisés vers cet objectif. Nous essayons d'aider la Présidence allemande qui fait un très bon travail et qui est également très engagée dans ce sommet. Nous travaillons très étroitement avec la Présidence et nous souhaitons, pour l'Europe, que ce soit un succès de façon à ce que le blocage institutionnel soit surmonté et que nous puissions arriver aux questions de fond qui intéressent les Européens et les Français.
Q - Mais est-ce que le président vous met la pression en vous disant qu'il veut voir le traité adopté les 21-22 juin ? Est-ce que c'est au moins votre but ?
R - C'est notre but. Nous travaillons véritablement d'arrache-pied. Nous voyageons beaucoup, nous sommes extrêmement mobilisés, le président est très présent sur la scène européenne, à cette fin. Simplement, il y a 27 membres dans l'Union, il faut trouver des compromis, il faut convaincre les autres. L'idée française du traité simplifié gagne du terrain, cela apparaît à la plupart de nos partenaires comme la solution la plus réaliste. Vous avez des Etats qui ont ratifié le projet de Constitution, d'autres, comme la France, qui l'ont rejeté, d'autres qui ne l'ont pas encore ratifié, c'est le cas de la Pologne ou du Royaume-Uni, il ne faut pas les oublier. Il faut donc trouver un compromis entre ces différents Etats sur la base d'un traité qui amende les traités existants et qui ne soit pas la Constitution. Car, comme cela a été dit par le président, il est évident que nous ne pouvons pas revenir avec un projet qui soit semblable à la Constitution. C'est donc un texte plus court, plus lisible et différent de ce qu'est la Constitution pour mieux faire fonctionner les institutions, les rendre plus efficaces, plus démocratiques, et pour mener des politiques communes en matière écologique, dans le cadre de l'énergie, pour faire des progrès en ce qui concerne la politique de la recherche et la politique d'immigration commune au niveau européen.
Q - Un des empêcheurs de faire ce traité simplifié c'est la Pologne. Elle a peur de perdre de son influence puisqu'il y a un changement du système de vote qui est prévu dans ce texte. Vous les avez rencontrés plusieurs fois. A l'ouest de l'Europe nous les appelons les jumeaux Kaczynski, ce sont deux frères, l'un Premier ministre, l'autre président, qui sont très conservateurs. Est-ce que vous pensez pouvoir les infléchir d'ici le 22 juin ? Dans Le Monde, le Premier ministre dit que ce serait une capitulation de revenir sur le système de vote, y a-t-il une ouverture diplomatique sur la Pologne ?
R - Il y a déjà un signe très fort qui est donné par la visite du président de la République française en Pologne. Nos amis polonais en sont parfaitement conscients, c'est un signe d'amitié très fort, c'est un signe que, pour nous, la Pologne est un grand pays, qu'elle est au coeur de l'Europe, qu'elle doit avoir confiance en elle et qu'elle doit avoir sa place dans toutes les institutions.
Q - Mais est-ce que les 21 et 22 juin ils peuvent se crisper et tout bloquer ? Avez-vous peur de cela ?
R - Tout le monde peut se crisper. Nous faisons tout pour qu'il y ait une décrispation. Nous écoutons les craintes des uns et des autres. Celles des Polonais, des Britanniques ou des Néerlandais qui ont voté non. Vous devez, dans ce genre de situation, écouter les craintes et écouter tout le monde. L'écoute est extrêmement importante et il est également important - et vous savez que le président de la République est doté de cette capacité - de convaincre chacun d'être raisonnable.
Q - Peut-il convaincre les Polonais d'être raisonnables ?
R - C'est ce que nous verrons. Nous ferons le maximum pour expliquer qu'ils ont toute leur place. Nous avons un ensemble institutionnel et il serait dangereux de rouvrir l'ensemble du jeu institutionnel et l'ensemble du débat. Ce n'est l'intérêt de personne, pas plus de la Pologne que d'autres grands pays européens et il n'y a pas, pour les Polonais, de complexe à avoir à cet égard par rapport à d'autres pays européens.
Q - Nicolas Burns, l'adjoint de Condoleezza Rice, disait que le sujet qui lui importait en Europe en ce moment c'était les Balkans. Il est très inquiet de ce qui se passe au Kosovo, les Américains ont quasiment proclamé l'indépendance du Kosovo. A votre avis, est-ce que cela peut déstabiliser l'Union européenne ? Est-ce qu'une nouvelle crise peut naître là-bas ? Est-ce que l'on en parle à Bruxelles ?
R - Evidemment il y a des groupes de contacts et nous en parlons. Il est clair que l'indépendance apparaît inéluctable. L'indépendance est un fait extrêmement important, délicat à gérer, qui peut être effectivement facteur de tensions. Nous souhaitons qu'il y ait des solutions qui soient négociées. Et pour avoir ces solutions négociées, pour éviter les tensions dont vous parlez, il faut savoir donner du temps au temps. Mais l'Europe s'engagera, notamment à travers une mission de politique extérieur de sécurité et de défense, qui sera la plus grande mission civile lancée par l'Union européenne. C'est dire l'importance d'une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Nicolas Sarkozy a dit que l'Europe ne devait pas être le cheval de Troie de la mondialisation. Comment cela a-t-il été perçu à Bruxelles ?
R - Tout d'abord, ce qui a été hautement apprécié, c'est la visite très symbolique et tout à fait inhabituelle que le président de la République a faite avec Bernard Kouchner et moi-même à la Commission européenne. Cela a été extrêmement apprécié et c'est un geste fort. Mais comme il l'a dit à la Commission européenne, il est normal que nous défendions les intérêts de l'Europe dans la mondialisation. La mondialisation a des bénéfices, mais nous devons défendre nos intérêts. Ce n'est pas être protectionniste ou trop nationaliste que de le dire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2007