Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec France Bleu le 27 juin 2007, sur le Traité européen simplifié.

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Média : France Bleu

Texte intégral

Q - Nous sommes aujourd'hui au Quai d'Orsay, ministère des Affaires étrangères, dans le bureau de Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes. Nous allons essayer de comprendre en quoi l'accord signé sur le Traité, samedi, à l'aube, à Bruxelles est important pour la France et l'Europe. L'Europe redémarre, a-t-on entendu tout le week-end dernier, nous allons essayer de comprendre comment ce projet de Traité essaye de réconcilier ceux qui ont voté oui et ceux qui ont voté non au référendum sur le projet de Constitution le 29 mai 2005. Ce projet va-t-il apaiser ou relancer le débat sur l'Europe en France ? Jean-Pierre Jouyet, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Merci de nous recevoir. Vous êtes sorti du Sommet de Bruxelles plutôt enthousiaste, pourquoi ?
R - Nous fermons une parenthèse de doute et de blocage sur les institutions européennes. Pourquoi ? Parce que, depuis Maastricht, nous vivions dans le doute institutionnel, nous avions des problèmes à résoudre, notamment le fait d'adapter les institutions à une Europe élargie. De plus, avec les non français et néerlandais, c'était l'immobilisme et le blocage depuis deux ans. Alors en quoi avoir des institutions est un événement important pour nos concitoyens ? Parce qu'elles permettent à l'Europe de mieux fonctionner, de prendre des décisions et d'avoir des coopérations importantes dans des domaines aussi variés et décisifs que la lutte contre la criminalité, la politique de la santé, de l'énergie ou de l'immigration. Nous aurons donc, maintenant, des institutions plus efficaces, plus transparentes, plus démocratiques et qui permettront d'agir, dans ces domaines, au service des citoyens européens et donc, de nos concitoyens.
Q - Jean-Pierre Jouyet, avant d'aborder les aspects politiques, les critiques qui ont été émises, il y en a eu aussi ce week-end - je rappelle aussi qu'il faudra que ce Traité soit ratifié en France, on essaiera de voir comment -, quelles sont les grandes lignes de l'accord qui a été signé samedi matin à l'aube ?
R - Premier point : un fonctionnement plus efficace et plus démocratique. Cela veut dire que nous aurons un président du Conseil européen pour deux ans et demi au lieu d'avoir un président qui changeait tous les six mois, cela assure plus de continuité. Second point, nous allons avoir un haut représentant pour la politique étrangère. Dotée d'un service diplomatique commun, l'Europe pourra agir de manière plus efficace sur la scène internationale et dans un certain nombre de crises importantes. Nous le voyons aujourd'hui, que ce soit au Moyen-Orient ou au Darfour, nous aurons une Europe qui pèsera davantage. Troisième point, un certain nombre de domaines, de politiques, et plus encore que par le passé, seront décidés à la majorité qualifiée. Quatrième point, il y a une référence à une charte des droits fondamentaux, notamment des droits sociaux, qui aura valeur contraignante, sauf pour le Royaume-Uni qui a décidé, et c'est son droit, de s'en exonérer. Pour nous, Français, il y avait deux sujets qui avaient fait débat lors du référendum et qui avaient été à l'origine de ce vote négatif. D'une part nos concitoyens avaient peur que l'Europe ne soit qu'une zone de libre-échange où le seul objectif soit la concurrence. Or, nous avons obtenu que la concurrence ne soit plus un objectif de l'Union européenne, mais soit seulement, ce qui est normal, un moyen au service du marché intérieur et du marché unique. Et, d'autre part, nos concitoyens avaient le sentiment que l'Europe ne les protégeait pas suffisamment dans un monde dur, difficile, plus compétitif. Nous avons donc obtenu que, parmi les objectifs de l'Union européenne, figure la protection des citoyens.
Q - L'Europe est relancée. Cela veut dire que les règles de fonctionnement qu'installera ce nouveau Traité permettront de faire avancer des dossiers qu'il était impossible de faire évoluer aujourd'hui ? Donnez-nous des exemples précis, concrets.
R - Ce qui est important dans la relance de l'Europe, dans ce que nous avons fait avec la présidence allemande qui a été très efficace, très opérationnelle et à qui je veux rendre hommage aujourd'hui, c'est d'agir pour que, par exemple, il y ait une politique énergétique. Vous savez que l'indépendance énergétique de l'Europe, que les enjeux liés à l'énergie, à l'environnement, sont de plus en plus cruciaux. Il est important que l'on puisse, demain, décider ce type de politique sur la base de la majorité qualifiée.
Q - Avant c'était l'unanimité ? Il fallait que tout le monde soit d'accord ?
R - Avant il n'y avait pas de politique commune en matière énergétique. De même, dans le domaine de la santé. Il y aura, demain, des politiques de la santé ou des actions de la santé. Je pense aux actions qui étaient nécessaires pour faire face à certaines pandémies, comme la grippe aviaire. Là, vous aurez aussi plus de possibilités de décider à la majorité qualifiée. Enfin et surtout, dans un domaine extrêmement important, celui de la lutte contre la criminalité, la lutte contre le terrorisme, la coopération policière, la coopération pénale, et la définition d'une approche globale d'immigration, nous pourrons agir à la majorité qualifiée, ce qui n'était pas le cas auparavant. Un certain nombre d'Etats pouvaient bloquer ces actions. Or, compte tenu des mouvements démographiques importants dans le monde, il est tout à fait décisif d'avoir une action commune au niveau européen en matière d'immigration.
Q - Que va-t-il se passer maintenant ? Quand ce Traité pourra t-il être ratifié ? Quel est le calendrier ?
R - Le calendrier est le suivant : une conférence intergouvernementale sera convoquée sous présidence portugaise, les Portugais succédant aux Allemands à partir du 1er juillet prochain. Cette conférence sera convoquée le 23 juillet sur la base du mandat qui a été arrêté au Conseil européen. C'est un mandat très précis, très détaillé. Cette conférence intergouvernementale est donc une conférence de mise en forme des grandes lignes politiques dont nous avons parlé. Nous allons rédiger le Traité, avec des juristes, les personnes spécialistes de ces questions. Cela sera seulement un travail de mise en forme du Traité. Il devrait être prêt, nous l'espérons, à l'automne ou au plus tard à la fin de l'année. Ceci sera confirmé soit par le Conseil européen du mois d'octobre, soit par le Conseil européen début décembre, en fonction de la durée de cette conférence intergouvernementale. Mais celle-ci sera courte, technique et traduira la volonté politique qui s'est exprimée au Conseil européen. Et, ensuite, il y aura une procédure de ratification. Comme vous le savez, le président de la République s'est engagé, durant la campagne électorale, et il a été très clair à l'égard de tous les Français et de toutes les Françaises, sur le fait que cette ratification aura lieu par voie parlementaire. Donc le Parlement, en congrès, aura à ratifier ce nouveau projet de Traité d'ici la fin de l'année, nous l'espérons, ou au tout début de l'année prochaine.
Q - Certains sont moins enthousiastes que vous. Je ne parle pas seulement des eurosceptiques ou de ceux qui ont voté non, Jacques Delors parle, lui, de compromis réaliste, c'est tout. Mini traité, mini ambition, disent également certains socialistes, mini accord pour une Europe désenchantée. Ce Traité simplifié comme nous l'appelons plutôt aujourd'hui était selon vous la seule voie ?
R - Raisonnablement, c'est la seule voie. Ce n'est pas un accord minimum. Ma référence en matière européenne, c'est Jacques Delors, qui sait comment l'Europe fonctionne depuis 1957. Elle fonctionne sur la base de compromis. Jacques Delors a dit que c'était un compromis réaliste, il a raison. Cela ne veut pas dire que lorsqu'il y a des compromis réalistes ils ne sont pas ambitieux. Vous pouvez être réalistes et ambitieux. C'est ce que nous avons fait à ce Conseil européen, en coopération étroite avec nos amis allemands, mais aussi avec nos amis espagnols, et en bonne entente avec les Britanniques et d'autres pays. C'est donc un compromis réaliste et ambitieux, ce n'est pas un mini-traité, c'est un traité simplifié. Certains ont parlé de "mini-traité - mini ambition", je laisse à leurs auteurs la responsabilité de ces slogans. Il faut bien voir d'où nous partions pour comprendre pourquoi il s'agit d'une véritable avancée pour l'Europe, et en quoi nous sommes fidèles à la vision européenne. Nous partions d'une situation où nous, Français, avions rejeté un projet de Constitution. Les Néerlandais avaient fait de même. Vous aviez un certain nombre de pays, et non des moindres, comme le Royaume-Uni, la Pologne, la République tchèque, qui n'avaient pas ratifié le Traité et vous aviez 18 pays qui avaient ratifié le Traité. Comment voulez-vous faire autrement que de trouver un compromis pour relancer l'Europe ? Le plus important c'était la relance de l'Europe, alors que les positions étaient au départ divergentes, et que nous, Français, avions rejeté le projet de Constitution. Il fallait repartir sur de nouvelles bases. Sans relance de l'Europe, il n'y a pas de vision européenne. Sans nouveau projet de traité il ne pouvait pas y avoir de vision. Il fallait garder cette vision, il fait garder l'ambition européenne, et c'est justement parce que nous sommes fidèles à l'ambition européenne et à une certaine vision de l'Europe qu'il fallait avoir ce compromis. C'est un compromis très profond qui nous assure un cadre d'action stable pour les prochaines années. Les mêmes, en cas d'échec, nous auraient certainement fait porter la responsabilité en disant que nous étions incapables de décider, incapables d'avoir une Europe qui fonctionne et là, nous aurions vraiment tué l'idée européenne. Au lieu de tuer l'ambition européenne, nous l'avons relancée.
Q - Mais certains disent précisément qu'il y a un manque de vision, que nous n'allons pas faire rêver les gens avec un texte technique. Je cite Romano Prodi, le chef du gouvernement italien, ancien président de la Commission, qui se dit attristé de l'acharnement de certains gouvernements à nier tout aspect émotionnel de l'Europe.
R - Romano Prodi a été président de la Commission européenne. Est-ce que c'était la période du plus grand rêve européen ? Il a eu les responsabilités de l'Europe. Est-ce qu'il y a eu un dessein, un rêve, proposé à ce moment-là ? De quoi a parlé M. Prodi et sur quoi fonde-t-il ses critiques ? Il se fonde sur le fait que nous avons demandé de retirer la concurrence de la liste des objectifs de l'Union européenne. Est-ce que retirer la concurrence des objectifs de l'Union européenne c'est abandonner une part du rêve européen ? Je ne pense pas que les Français et les Françaises le conçoivent comme cela. Il ne faut pas confondre rêve et concurrence. La concurrence c'est un moyen, le rêve européen c'est autre chose. Dans le texte que nous avons adopté, et qui sera affiné dans le cadre de la conférence intergouvernementale, nous réaffirmons aussi les valeurs universelles de l'Europe sur les droits de l'Homme, sur la démocratie. Tout l'héritage culturel de l'Europe est maintenu dans ce texte. Nous gardons ce qu'est la tradition européenne, le socle des valeurs européennes. C'est bien là le rêve, c'est bien là l'ambition européenne.
Q - Nous avons un peu l'impression que tout le monde est ménagé. Le changement de système de vote est renvoyé à 2014, 2017. Nous ménageons le Royaume-Uni, les Pays-Bas, sur tel domaine, le Danemark pour tel autre domaine. Tout le monde est ménagé, nous avançons vraiment à tout petits pas.
R - Mais non, nous avançons d'un grand pas ! Vous parlez de problèmes qui étaient en suspens depuis plus de 15 ans. Mettre fin à 15 années de doutes et à deux ans de blocage, c'est quand même une grande réussite et une grande ambition. Nous aurons un débat au Parlement dès la semaine prochaine, à l'Assemblée nationale et au Sénat. Nous nous expliquerons et nous verrons bien sur quoi porte les critiques de détails. Je conçois qu'il y en ait c'est assez normal mais nous ne pouvons pas dire que nous n'avons pas fait franchir un pas important à l'Europe avec cet accord.
Vous parlez des règles de vote. Jusqu'en 2014, nous voterons avec les règles de la majorité qualifiée qui ont été adoptées au Traité de Nice. C'est un Traité qui, je vous le rappelle, a été voté sous cohabitation. La droite et la gauche étaient d'accord à cette époque-là. Nous allons voter avec les mêmes règles. Quelles sont les critiques que nous pouvons avoir à cet égard ? Nous allons voter comme cela jusqu'en 2014 parce que, comme vous le savez, nos amis polonais avaient un certain nombre de difficultés. Ensuite nous passerons à la double majorité, mais il y a toujours un système de vote qui peut fonctionner jusqu'en 2014.
Q - Comment peut-on expliquer aux Français qui ont voté non, alors que l'on dit que c'est un grand pas fait pour l'Europe, qu'on ne leur propose pas un nouveau référendum sur ce projet de traité ?
R - Le président de la République a été clair au cours de sa campagne électorale, ce sera une ratification par voie parlementaire : la voie de la raison s'impose. La plupart de nos partenaires qui ont le choix, comme nous, entre une procédure référendaire et une procédure parlementaire, vont essayer de passer par la voie parlementaire. C'est le cas des Britanniques et des Néerlandais, qui privilégient cette voie, avec raison. Ce qui est important pour ceux qui ont voté non, ce n'est pas tant le mode de ratification sur lequel le président a été clair. Il a été élu avec 53 % en prenant cet engagement. Il n'y a donc pas de déni de démocratie à cet égard.
Q - Mais ce débat n'était pas très important pendant la campagne.
R - Il serait malvenu de dire que c'est un débat très important aujourd'hui, et de dire qu'il n'a pas eu lieu pendant la campagne. Même au cours du débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy la question a été évoquée, et cela a été clairement indiqué aux Français. Ce qui est important, c'est le fond. Sur le fond, nous avons une Europe qui est plus équilibrée, une Europe qui protège davantage avec le retrait de la concurrence comme objectif de l'Union et l'inclusion, dans nos objectifs, de la protection des citoyens et la référence à la Charte des droits sociaux. Pour ceux qui ont voté non, je pense que c'est important. Le dernier élément, mais qui n'est pas le moindre parce que cela avait été un facteur significatif du rejet de projet de Constitution, c'est qu'il n'y avait jusqu'ici aucune référence au service public. Or vous aurez dans ce nouveau Traité, très clairement affirmé, le droit des différents Etats d'organiser leur service public en fonction de leurs propres traditions et de leurs propres besoins sociaux.
Q - Il faudra, par la voie parlementaire, une majorité pour la ratification de ce Traité. Une majorité des trois cinquième de la réunion des sénateurs et des députés. Sera-t-il facile d'obtenir cette majorité ? Julien Dray disait dimanche qu'il n'était pas évident qu'il y ait une majorité autour de ce texte.
R - Je pense qu'il est possible d'avoir cette majorité des 3/5e. Nous pouvons raisonnablement l'espérer parce que, que ce soit à gauche ou à droite, il y a une majorité pour faire avancer l'Europe. Ceux qui voteront contre prendront, là aussi, leurs responsabilités. Je suis certain que l'on trouvera la majorité voulue pour adopter ce Traité qui représente un grand pas en avant pour l'Europe.
Q - Jean-Pierre Jouyet, merci beaucoup.
R - Merci à vous.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juillet 2007