Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur le site "Touteleurope.fr" le 3 juillet 2007, sur le Traité européen simplifié et sur les priorités de la France en matière de construction européenne.

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Média : touteleurope.fr

Texte intégral

Q - Vous avez été nommé Secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Quelles sont vos priorités au cours des prochaines années ?
R - La priorité essentielle est en partie réalisée. Il s'agissait d'avoir un Conseil européen qui puisse relancer l'Europe et qui permette de clore la période de blocage institutionnel dans lequel nous étions depuis deux ans, à la suite des non français et néerlandais, et qui clôt une période de 15 ans de doutes, d'interrogations et de débats institutionnels, période qui s'était ouverte après Maastricht et avec les différents élargissements.
Au-delà, ce qui me parait important, c'est de faire en sorte qu'après ce Conseil européen et une fois ce traité ratifié, ce que nous espérons très rapidement, c'est-à-dire à la fin de l'année, après les travaux d'une conférence intergouvernementale technique, nous puissions réconcilier les Français avec l'idée d'Europe.
Il faut pour cela développer un certain nombre de politiques communes très concrètes qui ont pour objectifs de stimuler l'emploi, la croissance en Europe, de défendre les intérêts de l'Europe dans le monde, de lutter contre le réchauffement climatique, d'avoir une politique énergétique qui soit active et d'avoir également une politique d'immigration et d'intégration, en prenant en compte les traditions des différents pays, en sélectionnant les meilleures pratiques, celles qui nous semblent les plus efficaces dans ce domaine, et bien sûr une politique de co-développement.
Voilà brièvement résumé, après un mois d'activité, le menu copieux de priorités et d'actions que nous avons.
Q - Pensez-vous que le compromis auquel sont parvenus les Vingt-Sept à Bruxelles permette de relancer l'intégration européenne ?
R - Il s'agit d'un compromis qui est à la fois réaliste, parce qu'il permet à l'Europe de se doter d'institutions efficaces et plus démocratiques, ambitieux, parce que nous avons maintenant, ce qui n'était pas le cas auparavant, un cadre stable pour développer ensemble des politiques communes, et permettre à ceux qui le veulent d'avancer plus vite, dans un certain nombre de domaines, que j'ai cités et qui seront régis en grande partie par des votes à la majorité qualifiée.
Q - En quoi consiste au juste le projet de Traité sur lequel va travailler la CIG à partir du 23 juillet ? Comment va se dérouler ce travail ?
R - Nous avons aujourd'hui obtenu un mandat qui est très précis et très détaillé. C'est la première fois que cela se fait. Auparavant, les orientations données par le Conseil européen étaient assez générales, puis les conférences intergouvernementales assez longues.
Là, nous avons innové en terme de méthodes et je dois dire que c'est une initiative française qui a été reprise par la Présidence allemande, qui a fait un travail remarquable et la chancelière Merkel a fait véritablement un très beau travail en ce domaine, aidé par le Président de la République.
Ce que nous souhaitons, c'est que la Conférence intergouvernementale soit la plus courte, la plus technique, et la plus juridique possible, de façon à ce que l'on ne puisse pas s'écarter du mandat qui a été donné par ce Conseil européen. Pour vous donner un agenda, il va y avoir une ouverture politique, à laquelle Bernard Kouchner et moi-même, participerons le 23 juillet prochain, et puis après nous passerons le relais à des groupes de juristes qui vont mettre en forme le mandat qui a été décidé par le Conseil européen.
La Présidence portugaise espère clôre les travaux de cette conférence au mois d'octobre ce qui permettra d'avoir une signature du nouveau traité, qui comme vous le savez, n'est pas la ratification, mais une signature du nouveau traité d'ici la fin de l'année.
Q - En quoi ce nouveau traité tient-il compte du vote des Français lors du referendum sur la Constitution ?
R - Je crois que nous gardons les socles les plus importants de ce qui était prévu :
* la Charte des droits fondamentaux, qui comporte un certain nombre d'obligations dans le domaine social et dans la protection des travailleurs. Il y a dans cette charte un article de référence qui lui donne un effet contraignant.
* Deuxièmement, lors du référendum, il n'a été nullement contesté que le renforcement des institutions était une priorité. Les oui et les non étaient d'accord. Nous aurons maintenant, à partir de 2009, après la ratification, une présidence stable de l'Union européenne, (un président du Conseil de l'Union européenne stable) alors qu'aujourd'hui nous avons une présidence tournante.
* Nous aurons également un Haut- Représentant pour les Affaires étrangères, doté de moyens plus importants que n'en a aujourd'hui Monsieur Solana et qui sera en même temps vice-président de la Commission et Président du Conseil des ministres des affaires étrangères.
* Nous aurons une Commission élue par le Parlement européen, le président de la Commission sera élu, nous aurons des pouvoirs renforcés du Parlement européen et également un contrôle plus important des parlements nationaux.
En ce qui concerne les craintes qui avaient été exprimées lors du référendum, il y a hormis ce contrôle plus important des Parlements nationaux, deux points qui sont particulièrement forts et pris en compte :
* Le retrait des objectifs de l'Union européenne du principe de concurrence libre et non faussée. Nous ne souhaitions pas et les Français ne souhaitaient pas que la concurrence libre et non faussée soit le nec plus ultra de la politique européenne. Vous avez d'autres aspects : économiques, industriels, emploi... pris en compte et cela devient normalement un moyen pour l'approfondissement, l'achèvement du marché intérieur.
* Le second aspect concerne la prise en compte des principes qui régissent l'organisation des services publics, qui n'existait pas. C'est une véritable avancée de ce traité. Nous avons maintenant grâce à la bonne coopération avec nos amis néerlandais, un protocole qui prévoit que les Etats membres seront libres dans les principes régis par le marché intérieur de fixer les modes d'organisation de leurs services publics à des fins de renforcer la solidarité et la cohésion sociale et territoriale.
Q - A l'issue du conseil européen, de nombreux observateurs ont évoqué une "Europe à deux vitesses", le Royaume-Uni restant en retrait. Partagez-vous cette analyse ?
R - Ce qui est important dans ce Conseil, c'est que les Vingt-Sept ont décidé de rester ensemble.
J'insiste sur ce point. Ce qui m'a le plus frappé dans ce Conseil européen, c'est l'esprit des Vingt-Sept qui veulent avoir une Europe homogène.
Qu'il y ait des domaines à deux vitesses, cela existe déjà : dans l'euro, vous avez treize pays, bientôt quinze avec l'adhésion de Chypre et de Malte au premier janvier 2008, vous n'avez pas l'ensemble des Vingt-Sept.
Dans Schengen, vous n'avez pas non plus l'ensemble des Etats membres.
Donc, vous avez déjà ce phénomène. Ce qui est important, c'est que l'Europe soit homogène dans sa volonté d'avancer et d'accord pour avoir des institutions plus efficaces, et que grâce à l'extension du vote à la majorité qualifiée, vous ayez des domaines où ceux qui souhaitent avancer davantage, coopérer de manière plus approfondie puissent le faire. C'est ça qui est essentiel.
Et ce qui est important, c'est que nos amis britanniques, ont demandé effectivement certaines clauses qu'on appelle "opt-out", c'est-à-dire de ne pas être partie prenante de cette politique tout en acceptant que ceux qui voulaient avancer davantage dans ces politiques puissent le faire. Donc, c'est à la fois, réaliste et ambitieux parce que ça permet aux autres d'avancer, ce qui est essentiel.
Q - Une fois la question institutionnelle réglée, quels sont les grands projets que la France compte porter au niveau européen ?
R - Ce que nous souhaitons porter au niveau européen, ce sont tout d'abord les politiques les plus actives en terme de croissance. Le président de la République française participera à l'Eurogroupe le 9 juillet prochain, pour exposer ce qu'est la politique économique française. Elle porte à la fois sur un certain nombre de réformes structurelles qui concernent le marché du travail, la promotion de la valeur travail. Elle vise également à stimuler l'activité et le pouvoir d'achat, la demande, à travers un certain allègement d'impôt, de façon à créer davantage d'activités dans ce pays.
Ce que nous souhaitons par là, c'est avoir au service de la croissance dans les instances appropriées (Eurogroupe, Ecofin) un véritable dialogue qui s'instaure entre d'une part, ce qui existe déjà, une coopération, coordination budgétaire et financière, et d'autre part une véritable coordination économique, et faire en sorte qu'un mandat soit donné au ministre de l'Economie et des finances pour arrêter des orientations générales conformes aux traités, sur les politiques de change, qui sont aujourd'hui, dans un monde très dur, très compétitif, une arme essentielle au service de la croissance.
Nous souhaitons également développer des politiques plus actives en matière de lutte contre le réchauffement climatique, promotion de produits propres en Europe que ce soit sur les véhicules, sur les normes à haute qualité environnementale pour un certain nombre de bâtiments, avoir une politique industrielle également qui soit plus forte, c'est tous les dialogues que nous aurons avec nos partenaires allemands dans le cadre d'EADS, de pousser tous les projets comme Galileo et d'avancer comme je l'ai dit tout à l'heure sur des politiques relatives à la maîtrise des flux migratoires, qui est un enjeu extrêmement important dans un monde affecté par des mouvements démographiques d'une ampleur inégalée.
Nous souhaitons également avoir bien évidemment une coopération policière plus forte pour lutter contre le terrorisme, le blanchiment d'argent et également faire en sorte que nous puissions disposer à côté de l'Union européenne, d'un projet d'Union méditerranéenne qui rende plus visible cette zone dans le cadre mondial parce que, ce qui est tout à fait surprenant, c'est que vous avez des zones comme l'Asie, l'Amérique, l'Europe, qui sont tout à fait visibles au niveau global et vous avez une zone où se concentrent les conflits qui menacent de déstabiliser notre planète, qui sont concentrés autour de la méditerranée. Il existe un manque de coordination entre les deux côtés de la méditerranée. Nous souhaitons donc, par des projets concrets relatifs à la promotion de l'infrastructure, l'investissement, ou de co-développement, renforcer véritablement la coopération entre les deux rives de la Méditerranée et aller au-delà de ce que l'on appelle le processus de Barcelone, c'est-à-dire du partenariat euroméditerranée, tout en conservant bien sûr les bases et les instruments de ce partenariat euromed.
Voilà les principaux chantiers sur lesquels nous aurons à travailler au cours des prochains mois pour préparer la Présidence française qui arrive très vite puisqu'elle se mettra en oeuvre à partir du 1er juillet 2008.source http://www.touteleurope.fr, le 6 juillet 2007