Déclaration de M. Philippe Meurs, président de Jeunes Agriculteurs, sur l'innovation et l'agriculture, la recherche agricole et l'installation des jeunes agriculteurs, Paris le 11 mai 2007.

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Circonstance : Congrès de la CNMCCA à Paris le 11 mai 2007

Texte intégral


Madame et Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de participer pour la première fois à votre congrès national.
Vous avez choisi d'échanger depuis deux jours sur l'innovation et la croissance, sur l'innovation et l'agriculture. Vastes questions....
L'innovation est un thème fédérateur, chez les agriculteurs et notamment les jeunes qui au moment de leur installation font évoluer le projet de développement de leur exploitation. Et puis les jeunes sont souvent friands de nouvelles technologies.
Plus globalement, l'agriculteur, de par son métier, est au contact quotidien des innovations (je pense à l'amélioration du potentiel génétique des plantes cultivées, aux nouveaux marchés, aux nouvelles consommations...), innovations en lesquelles il croit ou dont il se méfie.
Innovations qui n'ont de cesse de se renouveler par définition.
Ce que nous devons avoir, nous les agriculteurs, c'est la capacité d'être réceptifs aux nouveautés. En même temps, nous devons être formés pour répondre et juger de cette innovation.
Le débat n'est pas de dire si l'on est favorable ou contre l'innovation en tant que telle. C'est l'opportunité d'y avoir recours qui doit être laissée au libre choix de l'agriculteur.
Pour cela, il faut que les chercheurs puissent travailler et être reconnus dans leur travail aussi bien de recherche fondamentale qu'appliquée.
Tous ceux qui aujourd'hui détruisent la recherche, notamment publique, nous empêchent de nous affranchir des opinions toutes faites de ceux qui « sauraient » ou qui auraient les moyens de tester d'autres méthodes, d'autres techniques, d'autres débouchés...En clair, être innovant, c'est pouvoir chercher différemment !
Mais innover pour innover n'a pas de sens non plus.
Il s'agit plutôt pour nous paysans, de savoir au service de quel projet les innovations sont proposées.
L'innovation et la recherche telles que nous les concevons doivent être au service de l'agriculture et des agriculteurs avant tout, pour favoriser le progrès et la croissance de la ferme France, dans le respect du métier et du quotidien de l'agriculteur.
Au-delà de ce postulat, l'innovation doit servir un projet politique, un modèle de développement.
Pour notre part, les Jeunes Agriculteurs, nous avons choisi notre modèle de développement agricole qui prend acte des constats suivants :
- la population mondiale devrait atteindre 9 milliards d'habitants en 2050 (elle est de l'ordre de 6 milliards aujourd'hui), et la production agricole mondiale devra tripler sur le même horizon pour nourrir tout ce monde,
- L'on sait que les consommateurs européens sont demandeurs de plus de sécurité alimentaire et sanitaire, de traçabilité, de standards de qualité typiquement européens,
- La demande de biens agricoles non alimentaires est devenue une évidence et participe à l'accroissement de notre indépendance énergétique,
- L'entretien de nos paysages, le maintien d'un tissu économique de petites et moyennes entreprises... sont indiscutablement liés à la présence d'activités agricoles.
Le projet que nous défendons doit accompagner l'ambition de garder des agriculteurs nombreux sur l'ensemble des territoires, garants d'une alimentation diversifiée. C'est une nécessité.
Il doit procurer un revenu décent qui assure la pérennité économique des exploitations, ainsi que la vivabilité au quotidien de l'exercice de ce métier.
Détenir un outil de travail performant, c'est une des clés de réussite du projet professionnel et du projet de vie du jeune agriculteur. C'est grâce à un accompagnement public et professionnel qu'il a toutes les chances d'aboutir.
L'innovation doit être au service d'agriculteurs nombreux sur les territoires.
L'innovation qui ne consisterait qu'en l'agrandissement des surfaces d'exploitation par souci de compétitivité est un leurre.
Car il y a toujours plus compétitif que soi à terme, à côté de chez soi, en Europe ou dans le monde.
Et puis l'innovation doit être au service de l'homme : et si l'agriculture, est « bien plus que l'agriculture », comme nous sommes les premiers à le dire à nos gouvernants et à ceux à venir, c'est bien parce que nous lions l'agriculture à l'aménagement du territoire, à l'emploi, au dynamisme rural, ....
L'innovation doit également être au service d'un projet d'installation viable économiquement et durablement qui assure :
- La pérennité des exploitations,
- L'adaptation aux évolutions de marché et aux nouveaux débouchés,
- La recherche de nouveaux gains de valeur ajoutée,
- La valorisation des nouvelles exigences de compétences de ce métier.
Nous devons travailler sur :
- Le développement de nouvelles filières et de nouveaux produits : je pense évidemment aux biocarburants, à la biomasse, aux biotechnologies...
- Sur le développement aussi des missions de l'agriculteur et de ses compétences. Ce qui implique d'être innovant à titre individuel mais aussi collectivement, dans le service apporté à l'agriculteur.
Il est vital de posséder les compétences adéquates pour mener à bien son projet professionnel.
Cette profession a évolué : les compétences requises sont multiples : des compétences de production, de commercialisation, de gestion, de relations humaines.
Faire le diagnostic des compétences de tous ceux qui veulent devenir agriculteur pour mieux les accompagner, tel est le projet que nous souhaitons mettre en oeuvre avec vous, les représentants des OPA et notamment de la CNMCCA.
- Nous devons également travailler sur le développement d'une agriculture durable : qui lie environnement, emploi, économie, sécurité des approvisionnements, consommation...
Un projet d'installation viable doit prendre en compte tous ces défis d'avenir : alimentaire, environnemental, d'emploi et d'aménagement du territoire de façon concomitante, sans les opposer mais en les rendant complémentaires : l'innovation doit nous y aider.
C'est au service de l'environnement que les exemples d'innovation sont les plus remarqués et
attendus car ils répondent à des attentes sociétales :
* Agriculture de précision : fertilisation azotée de précision grâce au GPS....,
* Biogaz : valorisation des déchets,
* Utilisation des sous produits,
* Innovation en raisonnement agronomique.
Ce sont sur ces sujets là que nous devons savoir communiquer. Nous devons expliquer nos méthodes de production.
Ces préoccupations sont devenues de véritables débats de société, relayés par les Etats, et l'Union européenne.
Enfin, l'innovation doit être au service de la vivabilité
Nous, les Jeunes agriculteurs misons fortement sur cette notion de vivabilité pour attirer les jeunes candidats à l'installation à passer le cap de la création d'entreprise.
Nous militons pour que ce métier s'exerce dans l'harmonie la plus totale, avec sa famille, ses engagements extérieurs, son propre épanouissement... S'installer, c'est bien plus qu'un projet professionnel, c'est un projet de vie.
Et si l'innovation peut nous aider à favoriser l'équilibre de vie entre notre exploitation, notre famille et nos engagements divers, il s'agit de la favoriser.
Sur les conditions de travail et les conditions de vie, les innovations au service de notre quotidien sont nombreuses. Pour :
- mieux organiser notre travail : robot de traite, mécanisation...,
- une moindre pénibilité au quotidien ainsi qu'une diminution des risques.
Je pense également aux innovations liées aux nouvelles technologies de l'information et de la communication :
Obtention et envoi d'informations à distance (par internet), pilotage à distance, état des cultures par satellite, systèmes d'alerte (météo, pour les pannes...) etc...
Ces applications peuvent présenter des gains intéressants pour les producteurs.
Ils s'en trouvent moins isolés, ils bénéficient d'échange d'informations, de simplification administrative, de gains de temps, d'autonomie, de temps libre.
Mais, il faut reconnaître que ces applications présentent un intérêt variable pour les producteurs.
Et puis, si la téléphonie mobile et le haut débit internet sont des outils d'amélioration certains des conditions de travail et de vie, il faut souligner que tous les agriculteurs ne sont pas égaux devant ces technologies.
De trop nombreuses zones rurales subissent les conséquences de la « fracture numérique » qui divise territoires ruraux et territoires urbains.
La première des priorités est bien de fournir un accès à ces moyens de communication à l'ensemble des agriculteurs des territoires. L'innovation ne doit pas rester en ce sens élitiste.
Mesurons également le coût de ces technologies parfois encore élevé.
En tout état de cause, ces nouveaux outils seront d'autant plus facilement adoptés par les agriculteurs qu'ils seront proposés dans le cadre de démarches collectives, qui couvrent à la fois les investissements mais aussi les aspects de formation et de maintenance.
Et puis l'innovation doit répondre au besoin, au projet de l'agriculteur. L'innovation doit être signe de simplification, pas de complexité. Preuve en est, certains fabricants de tracteurs qui mettent désormais sur le marché des machines abordables en terme de coûts et ne présentant que les options indispensables à la conduite d'un tracteur, à l'image de la Logan développée par un constructeur automobile français.
C'est nous tous, via les OPA et les CAF départementaux qui devons veiller à ce que l'innovation soit accessible (en termes de financement, de conseil), et qu'elle devienne un véritable sujet de concertation et de politique collective au sein de nos organisations.
Les jeunes veulent être porteurs d'idées sur ce sujet car la pérennité de leur projet professionnel et de vie en dépend.
Conclusion
Le projet des Jeunes agriculteurs est un projet ambitieux, axé sur le développement d'une agriculture durable performante et solidaire, qui fait la part belle aux hommes qui la produisent, quelles que soient les régions du monde concernées.
Au regard des négociations actuelles de l'OMC qui s'accélèrent, de la difficulté de notre Union européenne à proposer un projet européen politique, fédérateur et ambitieux budgétairement, nous les Organisations professionnelles agricoles devons être les moteurs d'une proposition agricole européenne forte.
Proposition qui doit susciter l'adhésion de nos partenaires européens mais également mondiaux autour de la construction d'un véritable pacte alimentaire et d'une agriculture durable. La croissance et le bien être mondial sont à ce prix.
L'innovation doit s'inscrire dans ce projet politique avant tout.
Je vous remerciesource http://www.cnja.com, le 22 mai 2007