Intervention de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, au Sénat, sur l'accord adopté au Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 sur le futur traité européen, Paris le 4 juillet 2007.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement sur les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 concernant la réforme des traités et débat sur cette déclaration au Sénat à Paris le 4 juillet 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs les Sénateurs,
Je voudrais commencer par une citation dont vous reconnaîtrez peut-être l'auteur : "Si l'Europe a été tirée dans plusieurs directions opposées par des hommes qui n'avaient pas la même idée de son destin, j'y vois beaucoup de temps et d'efforts perdus, mais rien qui ne contredise la nécessité de s'unir."
Cette phrase de Jean Monnet est éclairante sur la nature même du processus de construction européenne. C'est en effet un juste rappel de la nature toujours conflictuelle, toujours incertaine, toujours douloureuse même, de cette construction. Ceux qui ont eu la chance de lire les Mémoires de Jean Monnet s'en souviennent d'ailleurs : chaque chapitre de promesses est balancé par la crise suivante, chaque temps d'espoir est suivi de moments de doute. Telle est bien la nature de la construction européenne : instable, mais cette instabilité est génératrice de progrès.
Avant d'entrer dans le cœur de mon propos, et pour apprécier la nature de ces progrès que je suis venu vous présenter aujourd'hui, je citerai un autre grand esprit européen : "la présidence allemande, qui a reçu pendant ces deux jours et nuits passés à Bruxelles le renfort efficace de plusieurs chefs d'Etat et de gouvernement dont M. Sarkozy, a fait gagner des années à la construction européenne. Que peut-on attendre du compromis ? Tout d'abord un meilleur fonctionnement des institutions, avec un président permanent du Conseil européen, des modalités de vote améliorées, mais seulement à partir de 2014, l'extension du vote à la majorité qualifiée dans certains domaines et des pouvoirs accrus de codécision du Parlement européen."
Les quelques lignes que je viens de vous lire, mesdames, messieurs les sénateurs, symbolisent parfaitement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. La construction européenne a gagné des années. Je crois que nous sommes plusieurs ici, toutes sensibilités confondues, à nous accorder pour dire que ce simple énoncé, sous la plume d'un grand européen comme Jacques Delors, est en lui-même inespéré.
Certes, le traité simplifié n'a pas l'ampleur symbolique du défunt traité constitutionnel. Des aménagements destinés à satisfaire différentes exigences ont été nécessaires ; j'y reviendrai. Mais souvenons-nous de la situation dans laquelle nous nous trouvions, Français et Européens, il y a quelques semaines. Personne ne pensait à une victoire, si je peux me permettre l'expression.
Voilà quelques semaines, la France semblait déchirée pour longtemps par la coupure entraînée par le référendum du 29 mai 2005. Elle se résignait à se voir peu à peu exclue de la construction européenne.
Souvenez-vous de la réunion à Madrid, en janvier dernier, des dix-huit pays du "oui", qui avait eu valeur de cruel symbole : pour la première fois, un grand rendez-vous européen s'était tenu sans la France. Chaque jour, notre pays semblait s'éloigner de l'Europe. Chaque jour, nous étions plus isolés.
Il y a quelques semaines, l'Union européenne était dominée par la morosité, par la frilosité et par le doute. A la veille du Sommet de Bruxelles, bien rares étaient ceux qui se risquaient à pronostiquer un dénouement positif au blocage dans lequel le "non" français du 29 mai 2005 avait plongé l'Union. Comment l'auraient-ils pu ? Entre les dix-huit pays qui avaient voté le traité et y demeuraient légitimement attachés, les deux pays qui l'avaient rejeté - la France et les Pays-Bas -, et les autres, pour lesquels une ratification semblait au moins peu probable, la voie semblait bouchée.
Je vous l'avoue sans peine : moi-même, je ne croyais pas qu'une issue fût possible, et je n'étais pas persuadé que l'idée du traité simplifié parviendrait à rallier autour d'elle aussi bien ceux qui avaient ratifié la Constitution européenne, ceux qui y voyaient des pertes de souveraineté inacceptables et d'autres, qui avaient au contraire regretté son manque d'ambition en matière politique ou sociale.
Et puis, au fil de ces semaines de navettes passées à écouter, échanger, discuter, nous avons vu les réticences tomber l'une après l'autre. Pas toutes de gaîté de cœur ! Nous avons suivi les évolutions de nos partenaires, convaincus pièce à pièce que notre seule chance de sursaut serait commune. Nous avons peu à peu reconstruit des alliances inespérées, socle commun d'un futur document en douze points entre l'Espagne qui avait dit "oui" par référendum et la France qui avait dit "non" selon le même procédé.
Sous l'influence décisive de la présidence allemande, mais aussi grâce à la pression constante du président de la République et au sens des responsabilités du président de la Commission, M. José Barroso, que nous ne remercierons jamais assez, grâce à la bonne volonté de José Sócrates et au dialogue qui s'est noué avec le Premier ministre hollandais Jan Peter Balkenende et avec Tony Blair, grâce aussi, en dépit de tout, à l'engagement des Polonais, nous avons vu à Bruxelles qu'une solution acceptable par tous devenait peu à peu possible.
C'est pourquoi je voudrais commencer par vous exprimer aujourd'hui, avant même d'entrer dans le détail du texte, mon profond soulagement. Pour l'Européen acharné que je suis, ce référendum du 29 mai gardait un goût amer, même s'il avait révélé de vrais doutes, de vraies peurs et de vraies interrogations sur la nature de l'Union européenne, dont il fallait naturellement tenir compte.
Aujourd'hui, les choses ont changé. Le vote des Français a bien été pris en compte. Le blocage est dépassé.
Le président de la République, qui a proposé et imposé cette idée d'un traité simplifié, l'avait annoncé : la France est de retour en Europe. Non pas une France égoïste, obnubilée par ses peurs au point de faire le lit des ultra-libéraux qu'elle prétendait combattre, mais une France ouverte aux autres, fidèle à elle-même et à l'esprit européen : celui de l'écoute, du dialogue et du compromis.
Les compromis en Europe se font toujours aux dépens des convictions et des certitudes des uns et des autres, voire de ce que chacun pouvait penser quelques minutes auparavant ! C'est ça l'Europe : le dialogue et l'implication des uns et des autres.
Depuis le 23 juin au matin, nous avons le mandat unanimement agréé d'une conférence intergouvernementale, la CIG, qui doit nous conduire à la signature d'un nouveau traité institutionnel d'ici à la fin de l'année. Il sera composé d'un traité relatif à l'Union européenne et d'un autre concernant le fonctionnement de l'Union européenne. Les formulations sont alambiquées, mais les avancées décisives.
Ce mandat, c'est celui de la conférence intergouvernementale qui sera ouverte par la présidence portugaise de l'Union le 23 juillet prochain à Bruxelles. Ce mandat de quelques pages est précis, presque détaillé article par article. Cette CIG décisive, pour laquelle je fais confiance à la présidence portugaise, me semble donc s'annoncer sous de bons auspices.
Je sais que ce sera difficile et qu'il faudra être très attentif, mais nous pourrons ensuite, je l'espère, aboutir à une ratification rapide du nouveau traité par tous les Etats membres, ratification suffisamment rapide, il faut le souhaiter, pour que le traité puisse entrer en vigueur avant les élections européennes au Parlement européen de juin 2009.
Voilà pour les principales étapes à venir. J'en viens maintenant au contenu du texte adopté à Bruxelles le 23 juin.
Dans le nécessaire débat qui s'ouvre, préalable à celui que nous aurons dans le cadre de la ratification, le Parlement doit disposer de tous les éléments qui lui permettront une lecture objective du projet. Au risque d'être un peu long, je souhaite donc être précis.
Nous avons entendu les interrogations légitimes, parfois contradictoires entre elles, que le projet suscite. Certains nous reprochent de resservir aux Français ce qu'ils ont rejeté en 2005 ; d'autres, au contraire, ne voient dans ce texte rien de nouveau par rapport au Traité de Nice. Ces deux arguments symétriques méritent des réponses.
L'accord de Bruxelles s'est fait autour de l'idée de traité simplifié avancée par le président de la République lors de la campagne présidentielle. Son objectif était à la fois simple et ambitieux : réconcilier les exigences des Français qui avaient dit "non" et celles de nos partenaires qui avaient dit "oui". Cela paraît simple à présent, mais ce n'était pas évident !
A l'épaisse et d'ailleurs incertaine "Constitution" - appellation controversée - qui revisitait toutes les réalisations de l'Europe depuis 1957, nous avons désormais substitué un traité court qui se contente d'ajouter à celui de Nice les innovations indispensables de la CIG de 2004 pour améliorer le fonctionnement de l'Europe à vingt-sept.
Ceux qui ont fréquenté l'Europe, et ils sont nombreux au Sénat, savent bien que le fait de passer d'une assemblée de quinze à vingt-sept membres constitue une autre expérience, un autre système, une autre approche de la pensée des autres. Il était nécessaire de trouver de nouvelles modalités de dialogue et d'avancée.
Les éléments symboliques - drapeau, hymne, devise - et constitutionnels ne figurent plus dans ce nouveau traité. A tort ou à raison, ils incarnaient aux yeux de beaucoup un super-Etat européen - je n'étais pas de ceux-là, je vous le dis tout net - et ils ont donc été supprimés, puisque tel était le mandat reçu des Français.
Nous ne pouvions pas faire semblant, et le président de la République plus que tout autre, de considérer que la France avait voté "non" par mégarde. La France avait voté "non" et nous étions les représentants de cette négation face à ceux, beaucoup plus nombreux, qui se satisfaisaient pleinement du vote en faveur du traité constitutionnel.
Face aux craintes exprimées par les Français d'une Europe qui ne les protège pas suffisamment d'une certaine mondialisation, nous avons obtenu que la "protection des citoyens" devienne l'un des objectifs de l'Union dans ses relations avec le reste du monde. Cette précision fournira, par exemple, un levier pour mieux lutter contre les délocalisations.
Enfin, à la demande de la France, la fameuse "concurrence libre et non faussée" sera non plus un objectif de l'Union, mais un outil au service d'une croissance économique équilibrée, du plein-emploi et du progrès social. Cela ne vous aura pas échappé, surtout à gauche : il y a là plus qu'une nuance juridique !
Toutes ces avancées, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, sont importantes. Elles prouvent que le vote des Français et les principales craintes qu'il exprimait ont été pris en compte. Il n'y a là ni duperie, ni duplicité, ni dissimulation.
Pour autant, ce nouveau texte, loin de sonner le glas de nos ambitions, incarne le renouveau de l'esprit et de la méthode européenne. Il apporte en effet des améliorations nécessaires, qui permettront à l'Europe d'être plus efficace, plus démocratique, plus protectrice.
Première avancée fondamentale : un président dirigera le Conseil européen pour deux ans et demi, assurant ainsi la continuité du fonctionnement de l'Union et une meilleure visibilité de l'institution pour les citoyens. Ce sera d'ailleurs à nous de prouver que cette institution est plus visible et mieux comprise. Peut-être ne l'avons-nous pas fait assez auparavant.
Second progrès : un Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, désigné pour cinq ans, sera la voix unique de l'Europe dans les crises.
D'ailleurs, au cours du débat de cet après-midi, d'aucuns ont évoqué le relent de colonialisme attaché à la fonction de haut-commissaire. Je comprends, mais la dénomination retenue est "haut-représentant".
La Commission, quant à elle, verra le rôle de son président renforcé. Désormais élu par le Parlement européen sur proposition du Conseil, associé à un nombre réduit de commissaires - deux tiers du nombre des Etats membres - à partir de 2014, il pourra conduire plus efficacement et avec plus de cohérence les politiques communes.
Dans beaucoup de matières touchant directement à la vie des citoyens, les décisions pourront être prises plus facilement. Cela concernera, par exemple, la santé, l'énergie, la coopération policière, la coopération judiciaire en matière pénale, l'espace, la protection civile, etc.
Toutes ces avancées rendront l'Europe incontestablement plus efficace et amélioreront considérablement son fonctionnement, sans menacer nos intérêts fondamentaux, car n'oublions pas que le compromis de Luxembourg demeure.
Le texte prévoit aussi un certain nombre d'avancées qui permettront à l'Union d'être plus démocratique. Cela aussi faisait partie des attentes des Français, quel qu'ait été leur vote en 2005.
Ainsi, le Parlement européen verra son rôle accru par l'extension de la procédure de codécision à de nouveaux domaines comme les fonds structurels, qui engagent toute l'Union européenne, soit environ 300 milliards d'euros de 2007 à 2013.
Autre avancée essentielle : le rôle de contrôleur des parlements nationaux sera renforcé par rapport à ce qu'avait instauré le Traité de Nice. Ainsi, si un projet d'acte législatif est contesté par une majorité dans un parlement national, la Commission sera tenue de le réexaminer pour décider ensuite de le maintenir, de le modifier ou de le retirer.
Surtout, et pour la première fois, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, votre rôle direct sera reconnu dans la procédure législative européenne. En effet, la Commission pourra justifier le maintien de sa proposition par un avis motivé. Mais, dans ce cas, le législateur européen, c'est-à-dire le Conseil et le Parlement européen, devra examiner cet avis, ainsi que ceux des parlements nationaux. Si 55 % des membres du Conseil et une majorité des membres du Parlement européen estiment qu'une proposition n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité, alors l'examen du texte ne sera pas poursuivi. La procédure peut paraître compliquée, mais il s'agit d'une avancée formidable.
Plus efficace, plus démocratique, le nouveau traité assurera également une meilleure protection des citoyens.
La Charte des droits fondamentaux, qui dans le Traité de Nice n'avait qu'une portée déclaratoire, deviendra juridiquement contraignante et sera applicable dans tous les Etats membres, sauf le Royaume-Uni. Ceux qui militaient en faveur de la Charte des droits fondamentaux s'en inquiètent. Mais je leur dis : tant pis pour le Royaume-Uni !
Mme Eliane Assassi - Tant pis pour les salariés du Royaume-Uni !
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne - Occupez-vous d'abord des Français !
Le ministre - Je parle aussi des salariés français qui avaient dit "non" ! C'est bien de s'intéresser aux salariés du Royaume-Uni, mais si on les consultait, ils voteraient "non" ! Alors, soyons attentifs à ce que disent les salariés du Royaume-Uni, parce que ce sont eux qui freinent le plus l'Europe.
Mme Eliane Assassi - Qui avait prévu que les Français voteraient "non" ?
Mme Hélène Luc - Ce n'était pas prévu !
Le ministre - Ce n'est pas le problème : nous ne sommes pas voyants ! Ils ont dit "non" et nous en avons tenu compte, c'est tout ! Ne me reprochez pas toujours ce qui a été fait, cela devient fatigant !
Nous parlons maintenant des salariés du Royaume-Uni. J'en tiens compte, mais ils ne veulent pas !
Un protocole de même valeur juridique que les traités reconnaîtra par ailleurs le rôle des services d'intérêt économique général, qui s'appellent services publics, ce qui est l'un des objectifs poursuivis par la France depuis des années.
J'ai été membre du Parlement européen et je me souviens des batailles que nous avons menées. Eh bien ! nous les avons gagnées ! Ce protocole consacrera la grande marge de manoeuvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture de ces services publics.
Le champ d'intervention de l'Union sera par ailleurs étendu. Le principe de solidarité énergétique sera affirmé.
Telles sont les avancées essentielles du texte adopté à Bruxelles. J'ai conscience d'avoir été long et peut-être technique. Il me paraissait pourtant impératif d'informer la représentation nationale du contenu exact d'un texte que je trouve important.
Dernier point : la technicité des différents éléments que j'évoquais permet d'ores et déjà à certains de pointer la complexité du nouveau traité. Le traité simplifié ne serait pas si simple ! Vous vous souvenez du dernier ?... Il est vrai que nous avons fait le choix d'un texte technique qui s'en tient au strict nécessaire et que nous l'avons voulu détaillé, pour que l'accord soit le plus clair possible. Le mandat pour la CIG sera donc aussi simple que peut l'être un traité qui ajuste, améliore et précise en quelques pages les règles de fonctionnement d'un espace de liberté, de sécurité, de justice, de prospérité et de solidarité partagées pour près de cinq cents millions de citoyens européens ! Il n'y a pas d'autre exemple au monde !
Et même si ces pages sont compliquées, c'est vrai, je les ai tout de même comprises : elles ne doivent donc pas être trop compliquées ! Et nous veillerons, pendant les longs mois au cours desquels celles-ci seront rédigées, à ce que la CIG les rende aussi simples que possible. La CIG devra travailler sur la clarté nécessaire de ce texte.
Le texte que je vous présente aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, est un texte très concret qui permettra de faire progresser l'Europe. En cela, il ne peut que redonner espoir à ceux qui, comme moi, croient que la méthode de Jean Monnet, celle d'une Europe dont le rêve se nourrit d'avancées tangibles et progressives, est possible.
A Bruxelles, nous avons rassemblé différents cercles de solidarité autour d'une même ambition. Entre anciens et nouveaux membres, je n'ai ressenti qu'une volonté commune, je n'ai observé qu'une détermination politique identique, même si ce fut très difficile. Comme l'a souligné le président de la République, c'était le retour de la politique en Europe.
Si j'avais le temps, je vous raconterais ces nuits où la France et l'Allemagne ont oeuvré ensemble pour "sortir de l'enlisement la construction européenne". En l'occurrence, je cite Jack Lang ! Permettez-moi de vous citer sa phrase exacte, que j'ai un peu édulcorée : "Nicolas Sarkozy aura réussi avec Angela Merkel à sortir de l'enlisement la construction européenne".
Les efforts allemands et français ont ainsi réussi à conduire les Européens vers une position commune. Nous avons rallié Tony Blair, José Luis Zapatero, Jean-Claude Juncker et José Sócrates. Pour cela, il a fallu, c'est vrai, faire certaines concessions, notamment au Royaume-Uni. Mais je précise que les Britanniques ont, eux aussi, fait des concessions : de très nombreux domaines passent à la majorité qualifiée, l'Union sera dotée de la personnalité juridique, les piliers disparaissent - ils n'étaient pas, en effet, compréhensibles par tous - et la perspective de créer un service diplomatique commun est conservée.
Cela n'est un secret pour personne, le partenaire le plus difficile à ramener dans la collectivité européenne fut la Pologne. Qu'aurions-nous dû faire ? Poursuivre sans son accord, ni sans doute celui d'autres nouveaux Etats membres, une construction européenne conçue d'abord pour réconcilier et unifier le continent européen ? Laisser de côté le plus peuplé des pays qui souffrirent à l'Est ?
La question s'est posée à un moment, mais comment les Etats qui auraient refusé ce compromis auraient-ils pu le justifier ?
Quel est ce compromis ?
La Pologne a obtenu que la fameuse "double majorité" ne s'applique qu'à partir du 1er novembre 2014. Pendant une période transitoire, jusqu'au 31 mars 2017, tout Etat membre pourra demander qu'une décision continue d'être prise selon la règle de la majorité qualifiée de Nice. Cela valait-il de tout faire achopper ? Je vous pose la question. Sans cet accord, nous en serions, de toute façon, restés au Traité de Nice...
Les Européens ont donc fait le choix d'avancer ensemble dans la définition d'une nouvelle architecture pour l'Union.
Cet accord ne signifie pas que, dans l'Europe à vingt-sept, nous ne devions ni ne pouvions toujours tout faire ensemble. Les conditions de déclenchement de coopérations renforcées seront assouplies dans le nouveau texte, ce qui est formidable. Elles seront encore raccourcies dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et elles seront rendues possibles en matière de défense commune. Nous ne serons donc pas tenus par les plus lents ou les moins volontaires. Nous l'avons collectivement accepté.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ces accords et ces négociations, ces clarifications et ces avancées permettent aujourd'hui aux Européens de tourner leur regard vers l'avenir, de ne plus se focaliser sur des angoisses obsidionales et des désaccords ressassés, mais de se diriger, avec des moyens et des outils rénovés, vers la construction d'une ambition européenne renouvelée. "C'est une bonne base de travail", a dit Dominique Strauss-Kahn. "Il y a de quoi faire !" a souligné Elisabeth Guigou.
M. Jean Bizet - Quelles références !
M. Simon Sutour - Ce sont toujours les mêmes ?
Le ministre - Oui, car leur avis m'importe, comme celui des autres, d'ailleurs !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous émettez des regrets ?
Le ministre - Non, je les félicite !
Mme Eliane Assassi. Vous avez des remords, alors ?
Le ministre - Je vous en prie ! Qui a obtenu ce résultat ? Qui proposait autre chose ?
J'en viens aux perspectives européennes, et je vais bientôt conclure, car je vous sens las ! Mais rassurez-vous, je le suis moi aussi.
Il y a beaucoup à faire pour réconcilier les citoyens avec le projet européen, pour mieux les informer, pour ne rien leur dissimuler. Par des débats, par des rencontres, par le dialogue, il nous appartient désormais à tous de les impliquer avant la ratification parlementaire. C'est ainsi que nous éviterons que ne se reproduise la coupure entre l'Europe et les Européens, qui nous a fait tant de mal.
C'est également avec ce même souci du débat politique que nous aborderons la présidence française de l'Union qui démarre dans un an. Nous le ferons avec la perspective de mettre en oeuvre de nouveaux instruments et avec un crédit politique retrouvé auprès de nos partenaires. Il nous appartiendra de le faire fructifier à partir de quelques priorités dont nous aurons l'occasion de débattre ensemble au cours des prochains mois.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, forts de ce nouveau traité, nous devons désormais écrire la page des chantiers d'avenir : celle de politiques nouvelles et audacieuses pour la croissance et l'emploi, pour la sécurité et l'indépendance énergétiques, pour la protection de l'environnement, pour une politique d'immigration commune équilibrée, pour une politique étrangère de l'Europe plus affirmée, qui réunisse avec nous les pays riverains de la Méditerranée et qui montre sa solidarité avec le continent africain. Telle est notre feuille de route.
C'est par de telles ambitions que nous pourrons redonner du souffle et du coeur à l'Europe, avec les Européens. C'est ainsi que nous construirons avec près de cinq cents millions de femmes et d'hommes une Europe fidèle à son héritage humaniste, fière de son modèle social, sûre d'un projet économique rénové et dépouillée de ses oripeaux étatistes ou ultra-libéraux.
Nous, Français, sommes de retour en Europe. Saisissons cette chance pour agir et pour porter haut nos valeurs.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je finirai cette intervention comme je l'ai commencée, en citant Jean Monnet : "La construction européenne, comme toutes les révolutions pacifiques, a besoin de temps : le temps de convaincre, le temps d'adapter les esprits et d'ajuster les choses à de grandes transformations. Il y a aussi, toutefois, les circonstances qui bousculent le cours du temps et il y a l'occasion qui se présente à son heure : faut-il laisser passer cette heure sous prétexte qu'on ne l'attendait pas si tôt ?".source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juillet 2007