Texte intégral
Je suis devant vous pour ma première visite officielle, avec mon excellent ambassadeur, Jean Maurice Ripert, représentant de la France à l'ONU, à Genève, et, bientôt, à New York. J'ai eu une journée assez agitée, qui n'est pas terminée, puisque je pars pour la Slovénie. Au cours de cette journée, j'ai pu prendre la parole devant le "Global compact", qui est un de nos sujets de satisfaction.
Aux côtés du Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, il fut très intéressant d'écouter le responsable de Coca-Cola ainsi que le responsable d'un des syndicats les plus importants au monde.
La façon dont ces entreprises, parmi lesquelles quatre cents sont françaises, sont d'accord pour qu'une politique de l'environnement soit définie ensemble, est un sujet de satisfaction très important.
Ensuite, nous avons tenté - c'est un des grands succès -, de convaincre ceux qui ne l'étaient pas encore, de l'importance de l'initiative française de l'ONUE - l'Organisation des Nations unies pour l'Environnement. Nous pensons qu'il faut une organisation spécifique qui puisse répondre à des problèmes spécifiques, liés à l'équilibre du monde. Il y a déjà 52 pays qui en sont partisans. Nous nous sommes donnés rendez-vous, en septembre, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies, pour concrétiser cette initiative. Cette nouvelle organisation du système des Nations unies fonctionnerait, dans une certaine mesure, comme l'UNICEF. En effet, si L'UNICEF est l'organisation des Nations unies que l'on connaît le mieux dans le monde, c'est parce que son travail est efficace, mais aussi parce qu'elle travaille étroitement avec des associations, des ONG, dans chacun des pays.
En ce qui concerne l'Organisation des Nations unies pour l'Environnement, il y aurait une participation, une implication, des décisions communes avec les entreprises et leurs salariés. Ce serait une façon, indispensable, de favoriser la participation des salariés des entreprises, à travers le monde, à des décisions qui ne viendraient pas du sommet, mais qui seraient choisies et non imposées.
J'ai rencontré mon ami Kofi Annan et j'ai eu beaucoup de plaisir à le faire. Je lui ai promis que la France serait la première à être non seulement donatrice mais également membre du Fonds du Forum humanitaire, la Fondation pour une révolution verte en Afrique qu'il préside. J'ai eu le bonheur de parler avec lui et de profiter de son analyse, toujours aussi pertinente, sur un certain nombre de sujets, en particulier, bien sûr, le dossier du Kosovo que nous avons suivi ensemble.
J'ai également rencontré M. Ban Ki-moon et nous avons évoqué les problèmes du Darfour et du Tchad. Nous nous sommes entretenus de la façon de travailler, aux côtés de l'Organisation des Nations unies et de l'Union africaine, sur des projets qui, maintenant, prennent corps. Nous avons eu l'occasion de confronter un certain nombre de points de vue et de profiter de l'expérience de Mme Louise Arbour, Haut commissaire aux Nations unies pour les Droits de l'Homme, et de M. Antonio Guterres, Haut Commissaire aux réfugiés des Nations unies, qui nous soutient très fortement sur le projet tchadien et joue un rôle indispensable pour les personnes déplacées.
Vous savez que c'est toujours le même problème. Entre les personnes déplacées et les réfugiés, il y a deux poids deux mesures et, à l'intérieur d'un pays comme le Tchad, ces deux poids et ces deux mesures ont souvent des conséquences mortelles. La situation des personnes déplacées, des Tchadiens au Tchad, mérite que l'on intervienne parce qu'elle est insupportable.
Nous avons parlé longuement avec M. Kemal Dervis, l'administrateur du PNUD qui est un vieil ami, avec M. Somavia, le directeur général du Bureau international du Travail et, enfin, avec le professeur Kazatckine, récemment élu directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria.
Q - Comme vous étiez le premier administrateur de l'ONU au Kosovo, que pensez-vous de l'initiative diplomatique sur le futur du Kosovo ? Pensez-vous que la prolongation du statut du Kosovo peut déstabiliser la région et devenir un boomerang contre le comité international ?
R - Je ne pense pas que cela puisse déstabiliser ce qui a déjà été déstabilisé par la guerre. Je crois que la question du Kosovo est une des questions les plus difficiles posées à la diplomatie internationale, à la politique mondiale, sur les plans moral, politique et économique.
Pourtant, tout est préférable à la guerre. Cela fait huit ans maintenant que la communauté internationale est intervenue au Kosovo, de deux manières.
L'intervention de l'OTAN a permis de venir en aide à une population qui était victime des milices et de l'armée serbe, même si un nombre de morts important est malheureusement à déplorer.
L'Organisation des Nations unies, sur le fondement de la résolution 1244, a concouru au rétablissement dans le pays d'un semblant de vie acceptable et a permis d'aller vers une autonomie substantielle. A l'époque, j'y ai participé comme représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies.
Après huit années, il faut maintenant prendre une décision. On ne peut pas occuper une partie de la Serbie indéfiniment avec des troupes nombreuses et des incidents qui, s'ils sont moins fréquents qu'avant, continuent d'exister.
Il y a une résolution, sur le travail de M. Marti Ahtisaari, éminent homme de paix, ancien président de la Finlande. N'ayant trouvé d'autres solutions par un dialogue de quatorze mois entre les protagonistes, les Serbes et les Albanais du Kosovo, ce travail prévoit une indépendance, à terme.
Le président de la République française, au Sommet d'Heiligendamm, a dit - puisque les Russes, pour la première fois, avaient prononcé le mot veto, par l'intermédiaire de leur ministre des Affaires étrangères, mon vieil ami Sergueï Lavrov : "il nous faut du temps à nouveau pour convaincre les Serbes et les Albanais du Kosovo et il faut une autre résolution". Il a demandé six mois de plus. Mme Condoleezza Rice avait demandé 120 jours.
Voilà où nous en sommes. La nouvelle résolution va voir le jour. C'est un travail très difficile, à New York, entre les membres du Conseil de sécurité, dont certains sont aussi des membres de l'Union européenne.
Ce que je sais, c'est que, quel que soit le devenir du Kosovo, c'est un problème européen. Nous avons dit aux autres participants qu'il faut du temps à l'Europe pour faire face à ce qui sera peut-être nos obligations s'il n'y a plus de résolution 1244, s'il n'y a plus de MINUK, la mission des Nations unies au Kosovo. Nous avons eu plusieurs réunions à ce sujet. Nous sommes vingt-sept pays d'Europe sur ce dossier qui est un des plus difficiles politiquement et au regard de l'équilibre du monde. Nous pensons que six mois sont nécessaires pour rencontrer à nouveau les Serbes et les Albanais du Kosovo et qu'il y aura une attitude européenne commune face au problème. Laissez-nous quelques mois. Mais à la fin de ces quelques mois, c'est la ligne rouge, il faudra prendre une décision.
Q - Quel est votre avis sur ce qui se passe à l'OMC en ce moment, sur la question de l'agriculture ?
R - Sur la question des subventions, l'OMC est dans une phase difficile et j'ai le sentiment qu'il ne faut pas aller trop vite dans cette phase, sinon nous risquons la rupture. Cette question n'est pas seulement un problème commercial, c'est également un problème politique, au sens le plus noble du terme d'ailleurs : c'est un problème des pays émergents par rapport aux pays en développement. On a trop souvent tendance à confondre l'intérêt des pays en développement avec celui des pays émergents, qui sont sur une trajectoire de croissance et de productivité, particulièrement dans le secteur agricole, qui est positive pour eux, mais contraignante pour les autres.
Le président Sarkozy a dit très clairement que la question des subventions européennes avait été traitée, que de nombreuses concessions avaient été faites, qu'il n'était pas question de revenir en arrière. Je suis ferme là-dessus. Mais je pense que nous devrions déplacer le problème. Il y a certains Etats qui subventionnent et qui protègent leur marché, beaucoup plus encore que les autres, comme nos amis américains. Je crois que la balle est dans leur camp. Il n'est pas acceptable que nous acceptions, nous, de discuter de nos subventions, de l'ouverture des marchés, des droits de douanes, alors que les autres pays ne le font pas. Nous ne croyons pas, encore une fois, que c'est l'intérêt des pays en voie de développement. L'intérêt des pays en développement, c'est un équilibre qui n'est pas celui, seulement, des pays émergents.
La campagne et la bataille sont celles-là. Nous avons une attitude assez ferme et elle n'est pas faite seulement pour protéger nos intérêts agricoles. Il y a aussi d'autres pays qui y ont intérêt, grâce aux Accords de Lomé qui lient l'Europe avec les pays en développement. Cette protection là demeure, vous le savez, et je pense que nous prenons notre part du fardeau pour le moment.
Q - Vous avez rappelé qu'il y avait 400 entreprises françaises et l'une de ces entreprises est Total. Je voulais demander, de quels moyens le gouvernement français dispose-t-il pour faire entendre raison à Total ou pour inciter Total à intervenir auprès de la junte birmane afin que cessent les violations des Droits de l'Homme dans ce pays et que la junte accepte enfin de libérer les 1.100 prisonniers politiques dont le Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi. Dans le prolongement de la question qui a été posée sur le Kosovo, la France s'est-elle prononcée en faveur de l'indépendance du Kosovo ?
R - Je vais répondre à votre première question, parce que par rapport à la Birmanie, j'ai une petite expérience, qui au début m'a été extrêmement douloureuse et qui maintenant s'est révélée plutôt en ma faveur.
Je veux bien qu'on attaque Total, mais alors, s'il vous plaît, vous allez attaquer aussi Exxon qui est juste à côté, qui a fait le même "pipe" et qui est à une demi-heure de marche. Alors attaquons tout le monde et pas seulement l'entreprise française. Mais à la question : qu'est-ce que ces entreprises peuvent faire pour - et j'ai posé souvent cette question -, les prisonniers injustement arrêtés de la Ligue démocratique, qui avait gagné les élections en Birmanie, et pour Mme Aung San Suu Kyi, qui est à nouveau en résidence surveillée et à qui j'ai rendu visite deux fois ? A cette question, je pense que l'on peut répondre que Total n'en fait pas assez et les autres non plus.
Tout doit être fait pour qu'une forte pression s'exerce sur le gouvernement. C'est le gouvernement qui est responsable de tout cela. Tout doit être fait, y compris et surtout pour et par les pays de la région.
Le commerce, les échanges, l'ouverture au tourisme, tout cela doit être assorti de pression sur ces gens qui sont des dictateurs. Tout doit être fait pour que le Prix Nobel de la Paix soit libéré.
Dans ce contexte, que peut faire particulièrement Total ? Ils peuvent demander des choses, ils le font, mais peut-être pas assez. Je pense que le gouvernement de généraux birmans, malgré les luttes intestines, est particulièrement hermétique à tout cela et, avec beaucoup de précaution vers mes amis chinois, je vous dirais qu'il n'est pas légitime d'accuser une diplomatie ou des entreprises françaises quand les Chinois, nos amis, jouent un rôle important dans ce pays. Je pense aussi personnellement que le commerce, dans bien des endroits, a ouvert la porte à la démocratie.
Sur le Kosovo, je pense qu'il faudrait prendre une décision avant le début de l'année prochaine. Je pense que l'on ne peut pas, dans l'intérêt de nos amis serbes et dans l'intérêt des Kosovars, laisser traîner les choses.
Qu'est-ce que c'est que huit ans ? Cela paraît très long et c'est très long surtout pour les gens qui en sont responsables, qui donnent de l'argent, qui envoient des troupes. Nous, Français, nous avons 2.000 soldats là-bas, nous savons tout cela. C'est très facile, lorsqu'on n'a pas de troupes sur place, de donner des conseils. Cela dit, il faut souvent une génération pour régler les problèmes. Huit ans ce n'est peut-être pas si long avant de prendre une décision. Mais je voudrais que la décision qui soit prise soit acceptée par les deux côtés. Est-ce tellement impossible ? Toutes les guerres se sont terminées par des paix.
Dans les Balkans, vous le savez, on commence sa phrase au temps présent et puis on la termine deux siècles auparavant. La bataille du Chant des Merles est fêtée tous les ans et c'était une défaite. Il y a une espèce de tragédie balkanique dont il faut se séparer. J'espère que nos amis serbes comme les Albanais du Kosovo seront assez sages pour, même s'ils doivent se séparer pendant un temps, se réunir dans une structure de type fédératif. Ce qu'ils ne manqueront pas de faire, un jour, pour rentrer dans l'Union européenne. Voilà mon espoir et je pense que c'est le leur aussi.
Q - Comment voyez-vous le rôle que le Hamas a joué dans la libération du correspondant de la BBC, Alan Johnston, et pensez-vous que le Hamas mériterait un peu plus de tolérance de la part de la communauté internationale ? De plus, pensez-vous que la résolution du Conseil de sécurité sur la protection des médias, (que la France a encouragée) pourrait entraîner d'autres mesures plus solides, telle qu'une nouvelle convention qui protégerait les journalistes dans les zones de conflits ?
R - Je me réjouis pour le journaliste libéré par le Hamas. Je ne connais pas toutes les circonstances, mais cette libération est une bonne chose, spécialement pour ce journaliste malchanceux. Est-ce suffisant pour changer notre avis sur le Hamas ? Je ne pense pas. Nous tiendrons compte de la bonne volonté dont ils ont fait preuve. Mais ils étaient si déterminés à tuer et à chasser leurs voisins palestiniens, membres du Fatah, que je n'ai pas d'illusion pour le moment.
Nous sommes, ceci est la position française, absolument déterminés à soutenir l'Autorité palestinienne, et à considérer M. Abbas comme unique représentant du pouvoir palestinien. Il est venu en visite en France, et nous avons longuement discuté, déjeuné, dîné, et fait une conférence de presse ensemble. Nous avons réaffirmé notre soutien à l'Autorité palestinienne, en lui proposant directement une importante aide financière et nous avons exhorté nos amis israéliens à l'envoyer, non à Mahmoud Abbas, mais au nouveau Premier ministre, Salam Fayad. Apparemment, l'argent pourrait être débloqué par Israël.
Ce n'est pas suffisant. Ce n'est pas suffisant selon le Président français et son gouvernement. Nous espérons arriver à rétablir un processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. La situation est critique. Nous devons évidemment envoyer aide et secours médical. Nous le faisons, a travers l'UNWRA, les ONG et, aussi, directement. Vous connaissez d'ailleurs cette personnalité importante, Yasser Abed Rabo, qui était à l'origine de l'initiative de Genève.
Nous ne pouvons pas attendre. C'est un moment historique pour relancer le processus de paix.
Nous insistons vraiment. J'ai reçu hier le ministre israélien des Affaires étrangères, Tzipi Livni. Nous avons appelé le ministre Ehud Olmert, Ehud Barak. Nous les pressons.
Aujourd'hui, si nous attendons, nos amis de l'Autorité palestinienne courent le risque de s'affaiblir et de disparaître, s'ils ne sont plus en mesure de payer leurs fonctionnaires et leurs salariés. Nous voulons proposer des solutions pour le rétablissement de la paix.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous l'impression que le "Global Compact", avec ses engagements volontaires, est à la hauteur de la tâche qu'il s'est peut-être lui-même fixée ? Et au-delà de la symbolique de votre présence ici, voyez-vous un moyen plus quantifiable peut-être de lier ce "Global compact" à la réalisation des Objectifs du Millénaire ?
R - Cette question n'est pas facile. A la première question, je vous réponds non : ce n'est pas suffisant. C'est pourquoi nous sommes réunis pour essayer de faire en sorte que cette organisation des Nations unies pour l'Environnement soit beaucoup plus contraignante. Pour cela, il faut des directives, des résolutions internationales avec un équilibre, parce que ce n'est pas pareil de parler aux pays en développement et de parler aux pays riches. Il faut équilibrer tout cela. On ne peut pas à la fois éviter les délocalisations et en même temps, lorsqu'une usine est re-localisée et que ça donne du travail, fermer les yeux sur les pollutions.
Tout cela est très délicat à faire et je pense qu'à un moment donné, il faudra recourir à la contrainte. Simplement, on ne peut pas contraindre sans la participation des gens. C'est pour cela que je pense que les entreprises, les syndicalistes, les salariés, doivent être impliqués, par un mode de fonctionnement nouveau, une gouvernance nouvelle dans une agence des Nations unies. Il faut absolument le chapeau des Nations unies. C'est bien que les entreprises, de façon volontaire, soient dans le "Global Compact", bien sûr, mais ce n'est pas suffisant. La preuve, c'est qu'il y a encore beaucoup à faire. C'est le moins que l'on puisse dire.
Q - Monsieur le Ministre, un suivi sur le Kosovo précis, je n'ai pas très bien compris. Est-ce que vous avez convaincu les Vingt-sept d'accepter le délai de six mois proposé par la France et est-ce que se tiendrait comme on le disait à Bruxelles, assez vite, c'est-à-dire au mois d'août, une session de négociations entre les Serbes et les Albanais ?
R - Ce n'est pas aux Serbes d'accepter ou non la résolution. Ils ne votent pas mais nous tentons de les convaincre. Je vais à Belgrade le 12 et, le 13 juillet, je vais à Pristina. Je les reverrai plusieurs fois et j'essaierai de faire la navette, si c'est utile. Mes amis les Anglais, les Italiens, les Allemands, les Américains et, je l'espère, les Russes - parce que c'était le Groupe de contact -, se livreront à la même indispensable gymnastique en tentant de les convaincre. Est-ce que je les ai déjà convaincus ? Non. Sinon je n'irai pas et je serais très content. Est-ce que ce qui a été dit à Bruxelles sera fait ? Oui. Nous prierons les Serbes comme les Albanais du Kosovo de venir voir les ministres des Affaires étrangères des vingt-sept pays européens et nous irons à Moscou. Il s'agit d'une promesse dont je ne peux pas vous donner les dates. Pour ma part, je commence le 12 et le 13. Ce n'est d'ailleurs pas la plus commode des missions puisqu'il n'y a pas encore de résolution.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juillet 2007
Aux côtés du Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, il fut très intéressant d'écouter le responsable de Coca-Cola ainsi que le responsable d'un des syndicats les plus importants au monde.
La façon dont ces entreprises, parmi lesquelles quatre cents sont françaises, sont d'accord pour qu'une politique de l'environnement soit définie ensemble, est un sujet de satisfaction très important.
Ensuite, nous avons tenté - c'est un des grands succès -, de convaincre ceux qui ne l'étaient pas encore, de l'importance de l'initiative française de l'ONUE - l'Organisation des Nations unies pour l'Environnement. Nous pensons qu'il faut une organisation spécifique qui puisse répondre à des problèmes spécifiques, liés à l'équilibre du monde. Il y a déjà 52 pays qui en sont partisans. Nous nous sommes donnés rendez-vous, en septembre, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies, pour concrétiser cette initiative. Cette nouvelle organisation du système des Nations unies fonctionnerait, dans une certaine mesure, comme l'UNICEF. En effet, si L'UNICEF est l'organisation des Nations unies que l'on connaît le mieux dans le monde, c'est parce que son travail est efficace, mais aussi parce qu'elle travaille étroitement avec des associations, des ONG, dans chacun des pays.
En ce qui concerne l'Organisation des Nations unies pour l'Environnement, il y aurait une participation, une implication, des décisions communes avec les entreprises et leurs salariés. Ce serait une façon, indispensable, de favoriser la participation des salariés des entreprises, à travers le monde, à des décisions qui ne viendraient pas du sommet, mais qui seraient choisies et non imposées.
J'ai rencontré mon ami Kofi Annan et j'ai eu beaucoup de plaisir à le faire. Je lui ai promis que la France serait la première à être non seulement donatrice mais également membre du Fonds du Forum humanitaire, la Fondation pour une révolution verte en Afrique qu'il préside. J'ai eu le bonheur de parler avec lui et de profiter de son analyse, toujours aussi pertinente, sur un certain nombre de sujets, en particulier, bien sûr, le dossier du Kosovo que nous avons suivi ensemble.
J'ai également rencontré M. Ban Ki-moon et nous avons évoqué les problèmes du Darfour et du Tchad. Nous nous sommes entretenus de la façon de travailler, aux côtés de l'Organisation des Nations unies et de l'Union africaine, sur des projets qui, maintenant, prennent corps. Nous avons eu l'occasion de confronter un certain nombre de points de vue et de profiter de l'expérience de Mme Louise Arbour, Haut commissaire aux Nations unies pour les Droits de l'Homme, et de M. Antonio Guterres, Haut Commissaire aux réfugiés des Nations unies, qui nous soutient très fortement sur le projet tchadien et joue un rôle indispensable pour les personnes déplacées.
Vous savez que c'est toujours le même problème. Entre les personnes déplacées et les réfugiés, il y a deux poids deux mesures et, à l'intérieur d'un pays comme le Tchad, ces deux poids et ces deux mesures ont souvent des conséquences mortelles. La situation des personnes déplacées, des Tchadiens au Tchad, mérite que l'on intervienne parce qu'elle est insupportable.
Nous avons parlé longuement avec M. Kemal Dervis, l'administrateur du PNUD qui est un vieil ami, avec M. Somavia, le directeur général du Bureau international du Travail et, enfin, avec le professeur Kazatckine, récemment élu directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria.
Q - Comme vous étiez le premier administrateur de l'ONU au Kosovo, que pensez-vous de l'initiative diplomatique sur le futur du Kosovo ? Pensez-vous que la prolongation du statut du Kosovo peut déstabiliser la région et devenir un boomerang contre le comité international ?
R - Je ne pense pas que cela puisse déstabiliser ce qui a déjà été déstabilisé par la guerre. Je crois que la question du Kosovo est une des questions les plus difficiles posées à la diplomatie internationale, à la politique mondiale, sur les plans moral, politique et économique.
Pourtant, tout est préférable à la guerre. Cela fait huit ans maintenant que la communauté internationale est intervenue au Kosovo, de deux manières.
L'intervention de l'OTAN a permis de venir en aide à une population qui était victime des milices et de l'armée serbe, même si un nombre de morts important est malheureusement à déplorer.
L'Organisation des Nations unies, sur le fondement de la résolution 1244, a concouru au rétablissement dans le pays d'un semblant de vie acceptable et a permis d'aller vers une autonomie substantielle. A l'époque, j'y ai participé comme représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies.
Après huit années, il faut maintenant prendre une décision. On ne peut pas occuper une partie de la Serbie indéfiniment avec des troupes nombreuses et des incidents qui, s'ils sont moins fréquents qu'avant, continuent d'exister.
Il y a une résolution, sur le travail de M. Marti Ahtisaari, éminent homme de paix, ancien président de la Finlande. N'ayant trouvé d'autres solutions par un dialogue de quatorze mois entre les protagonistes, les Serbes et les Albanais du Kosovo, ce travail prévoit une indépendance, à terme.
Le président de la République française, au Sommet d'Heiligendamm, a dit - puisque les Russes, pour la première fois, avaient prononcé le mot veto, par l'intermédiaire de leur ministre des Affaires étrangères, mon vieil ami Sergueï Lavrov : "il nous faut du temps à nouveau pour convaincre les Serbes et les Albanais du Kosovo et il faut une autre résolution". Il a demandé six mois de plus. Mme Condoleezza Rice avait demandé 120 jours.
Voilà où nous en sommes. La nouvelle résolution va voir le jour. C'est un travail très difficile, à New York, entre les membres du Conseil de sécurité, dont certains sont aussi des membres de l'Union européenne.
Ce que je sais, c'est que, quel que soit le devenir du Kosovo, c'est un problème européen. Nous avons dit aux autres participants qu'il faut du temps à l'Europe pour faire face à ce qui sera peut-être nos obligations s'il n'y a plus de résolution 1244, s'il n'y a plus de MINUK, la mission des Nations unies au Kosovo. Nous avons eu plusieurs réunions à ce sujet. Nous sommes vingt-sept pays d'Europe sur ce dossier qui est un des plus difficiles politiquement et au regard de l'équilibre du monde. Nous pensons que six mois sont nécessaires pour rencontrer à nouveau les Serbes et les Albanais du Kosovo et qu'il y aura une attitude européenne commune face au problème. Laissez-nous quelques mois. Mais à la fin de ces quelques mois, c'est la ligne rouge, il faudra prendre une décision.
Q - Quel est votre avis sur ce qui se passe à l'OMC en ce moment, sur la question de l'agriculture ?
R - Sur la question des subventions, l'OMC est dans une phase difficile et j'ai le sentiment qu'il ne faut pas aller trop vite dans cette phase, sinon nous risquons la rupture. Cette question n'est pas seulement un problème commercial, c'est également un problème politique, au sens le plus noble du terme d'ailleurs : c'est un problème des pays émergents par rapport aux pays en développement. On a trop souvent tendance à confondre l'intérêt des pays en développement avec celui des pays émergents, qui sont sur une trajectoire de croissance et de productivité, particulièrement dans le secteur agricole, qui est positive pour eux, mais contraignante pour les autres.
Le président Sarkozy a dit très clairement que la question des subventions européennes avait été traitée, que de nombreuses concessions avaient été faites, qu'il n'était pas question de revenir en arrière. Je suis ferme là-dessus. Mais je pense que nous devrions déplacer le problème. Il y a certains Etats qui subventionnent et qui protègent leur marché, beaucoup plus encore que les autres, comme nos amis américains. Je crois que la balle est dans leur camp. Il n'est pas acceptable que nous acceptions, nous, de discuter de nos subventions, de l'ouverture des marchés, des droits de douanes, alors que les autres pays ne le font pas. Nous ne croyons pas, encore une fois, que c'est l'intérêt des pays en voie de développement. L'intérêt des pays en développement, c'est un équilibre qui n'est pas celui, seulement, des pays émergents.
La campagne et la bataille sont celles-là. Nous avons une attitude assez ferme et elle n'est pas faite seulement pour protéger nos intérêts agricoles. Il y a aussi d'autres pays qui y ont intérêt, grâce aux Accords de Lomé qui lient l'Europe avec les pays en développement. Cette protection là demeure, vous le savez, et je pense que nous prenons notre part du fardeau pour le moment.
Q - Vous avez rappelé qu'il y avait 400 entreprises françaises et l'une de ces entreprises est Total. Je voulais demander, de quels moyens le gouvernement français dispose-t-il pour faire entendre raison à Total ou pour inciter Total à intervenir auprès de la junte birmane afin que cessent les violations des Droits de l'Homme dans ce pays et que la junte accepte enfin de libérer les 1.100 prisonniers politiques dont le Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi. Dans le prolongement de la question qui a été posée sur le Kosovo, la France s'est-elle prononcée en faveur de l'indépendance du Kosovo ?
R - Je vais répondre à votre première question, parce que par rapport à la Birmanie, j'ai une petite expérience, qui au début m'a été extrêmement douloureuse et qui maintenant s'est révélée plutôt en ma faveur.
Je veux bien qu'on attaque Total, mais alors, s'il vous plaît, vous allez attaquer aussi Exxon qui est juste à côté, qui a fait le même "pipe" et qui est à une demi-heure de marche. Alors attaquons tout le monde et pas seulement l'entreprise française. Mais à la question : qu'est-ce que ces entreprises peuvent faire pour - et j'ai posé souvent cette question -, les prisonniers injustement arrêtés de la Ligue démocratique, qui avait gagné les élections en Birmanie, et pour Mme Aung San Suu Kyi, qui est à nouveau en résidence surveillée et à qui j'ai rendu visite deux fois ? A cette question, je pense que l'on peut répondre que Total n'en fait pas assez et les autres non plus.
Tout doit être fait pour qu'une forte pression s'exerce sur le gouvernement. C'est le gouvernement qui est responsable de tout cela. Tout doit être fait, y compris et surtout pour et par les pays de la région.
Le commerce, les échanges, l'ouverture au tourisme, tout cela doit être assorti de pression sur ces gens qui sont des dictateurs. Tout doit être fait pour que le Prix Nobel de la Paix soit libéré.
Dans ce contexte, que peut faire particulièrement Total ? Ils peuvent demander des choses, ils le font, mais peut-être pas assez. Je pense que le gouvernement de généraux birmans, malgré les luttes intestines, est particulièrement hermétique à tout cela et, avec beaucoup de précaution vers mes amis chinois, je vous dirais qu'il n'est pas légitime d'accuser une diplomatie ou des entreprises françaises quand les Chinois, nos amis, jouent un rôle important dans ce pays. Je pense aussi personnellement que le commerce, dans bien des endroits, a ouvert la porte à la démocratie.
Sur le Kosovo, je pense qu'il faudrait prendre une décision avant le début de l'année prochaine. Je pense que l'on ne peut pas, dans l'intérêt de nos amis serbes et dans l'intérêt des Kosovars, laisser traîner les choses.
Qu'est-ce que c'est que huit ans ? Cela paraît très long et c'est très long surtout pour les gens qui en sont responsables, qui donnent de l'argent, qui envoient des troupes. Nous, Français, nous avons 2.000 soldats là-bas, nous savons tout cela. C'est très facile, lorsqu'on n'a pas de troupes sur place, de donner des conseils. Cela dit, il faut souvent une génération pour régler les problèmes. Huit ans ce n'est peut-être pas si long avant de prendre une décision. Mais je voudrais que la décision qui soit prise soit acceptée par les deux côtés. Est-ce tellement impossible ? Toutes les guerres se sont terminées par des paix.
Dans les Balkans, vous le savez, on commence sa phrase au temps présent et puis on la termine deux siècles auparavant. La bataille du Chant des Merles est fêtée tous les ans et c'était une défaite. Il y a une espèce de tragédie balkanique dont il faut se séparer. J'espère que nos amis serbes comme les Albanais du Kosovo seront assez sages pour, même s'ils doivent se séparer pendant un temps, se réunir dans une structure de type fédératif. Ce qu'ils ne manqueront pas de faire, un jour, pour rentrer dans l'Union européenne. Voilà mon espoir et je pense que c'est le leur aussi.
Q - Comment voyez-vous le rôle que le Hamas a joué dans la libération du correspondant de la BBC, Alan Johnston, et pensez-vous que le Hamas mériterait un peu plus de tolérance de la part de la communauté internationale ? De plus, pensez-vous que la résolution du Conseil de sécurité sur la protection des médias, (que la France a encouragée) pourrait entraîner d'autres mesures plus solides, telle qu'une nouvelle convention qui protégerait les journalistes dans les zones de conflits ?
R - Je me réjouis pour le journaliste libéré par le Hamas. Je ne connais pas toutes les circonstances, mais cette libération est une bonne chose, spécialement pour ce journaliste malchanceux. Est-ce suffisant pour changer notre avis sur le Hamas ? Je ne pense pas. Nous tiendrons compte de la bonne volonté dont ils ont fait preuve. Mais ils étaient si déterminés à tuer et à chasser leurs voisins palestiniens, membres du Fatah, que je n'ai pas d'illusion pour le moment.
Nous sommes, ceci est la position française, absolument déterminés à soutenir l'Autorité palestinienne, et à considérer M. Abbas comme unique représentant du pouvoir palestinien. Il est venu en visite en France, et nous avons longuement discuté, déjeuné, dîné, et fait une conférence de presse ensemble. Nous avons réaffirmé notre soutien à l'Autorité palestinienne, en lui proposant directement une importante aide financière et nous avons exhorté nos amis israéliens à l'envoyer, non à Mahmoud Abbas, mais au nouveau Premier ministre, Salam Fayad. Apparemment, l'argent pourrait être débloqué par Israël.
Ce n'est pas suffisant. Ce n'est pas suffisant selon le Président français et son gouvernement. Nous espérons arriver à rétablir un processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. La situation est critique. Nous devons évidemment envoyer aide et secours médical. Nous le faisons, a travers l'UNWRA, les ONG et, aussi, directement. Vous connaissez d'ailleurs cette personnalité importante, Yasser Abed Rabo, qui était à l'origine de l'initiative de Genève.
Nous ne pouvons pas attendre. C'est un moment historique pour relancer le processus de paix.
Nous insistons vraiment. J'ai reçu hier le ministre israélien des Affaires étrangères, Tzipi Livni. Nous avons appelé le ministre Ehud Olmert, Ehud Barak. Nous les pressons.
Aujourd'hui, si nous attendons, nos amis de l'Autorité palestinienne courent le risque de s'affaiblir et de disparaître, s'ils ne sont plus en mesure de payer leurs fonctionnaires et leurs salariés. Nous voulons proposer des solutions pour le rétablissement de la paix.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous l'impression que le "Global Compact", avec ses engagements volontaires, est à la hauteur de la tâche qu'il s'est peut-être lui-même fixée ? Et au-delà de la symbolique de votre présence ici, voyez-vous un moyen plus quantifiable peut-être de lier ce "Global compact" à la réalisation des Objectifs du Millénaire ?
R - Cette question n'est pas facile. A la première question, je vous réponds non : ce n'est pas suffisant. C'est pourquoi nous sommes réunis pour essayer de faire en sorte que cette organisation des Nations unies pour l'Environnement soit beaucoup plus contraignante. Pour cela, il faut des directives, des résolutions internationales avec un équilibre, parce que ce n'est pas pareil de parler aux pays en développement et de parler aux pays riches. Il faut équilibrer tout cela. On ne peut pas à la fois éviter les délocalisations et en même temps, lorsqu'une usine est re-localisée et que ça donne du travail, fermer les yeux sur les pollutions.
Tout cela est très délicat à faire et je pense qu'à un moment donné, il faudra recourir à la contrainte. Simplement, on ne peut pas contraindre sans la participation des gens. C'est pour cela que je pense que les entreprises, les syndicalistes, les salariés, doivent être impliqués, par un mode de fonctionnement nouveau, une gouvernance nouvelle dans une agence des Nations unies. Il faut absolument le chapeau des Nations unies. C'est bien que les entreprises, de façon volontaire, soient dans le "Global Compact", bien sûr, mais ce n'est pas suffisant. La preuve, c'est qu'il y a encore beaucoup à faire. C'est le moins que l'on puisse dire.
Q - Monsieur le Ministre, un suivi sur le Kosovo précis, je n'ai pas très bien compris. Est-ce que vous avez convaincu les Vingt-sept d'accepter le délai de six mois proposé par la France et est-ce que se tiendrait comme on le disait à Bruxelles, assez vite, c'est-à-dire au mois d'août, une session de négociations entre les Serbes et les Albanais ?
R - Ce n'est pas aux Serbes d'accepter ou non la résolution. Ils ne votent pas mais nous tentons de les convaincre. Je vais à Belgrade le 12 et, le 13 juillet, je vais à Pristina. Je les reverrai plusieurs fois et j'essaierai de faire la navette, si c'est utile. Mes amis les Anglais, les Italiens, les Allemands, les Américains et, je l'espère, les Russes - parce que c'était le Groupe de contact -, se livreront à la même indispensable gymnastique en tentant de les convaincre. Est-ce que je les ai déjà convaincus ? Non. Sinon je n'irai pas et je serais très content. Est-ce que ce qui a été dit à Bruxelles sera fait ? Oui. Nous prierons les Serbes comme les Albanais du Kosovo de venir voir les ministres des Affaires étrangères des vingt-sept pays européens et nous irons à Moscou. Il s'agit d'une promesse dont je ne peux pas vous donner les dates. Pour ma part, je commence le 12 et le 13. Ce n'est d'ailleurs pas la plus commode des missions puisqu'il n'y a pas encore de résolution.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juillet 2007